Elle avait presque oublié à quel point ça pouvait être intense, un vrai tournage. Naïvement, Dina s’attendait à ce que ça soit plus chill que les scènes d’action à répétition, moins crevant et plus permissif, mais c’est clairement pas le cas. Il lui a fallu un petit temps de réadaptation, pas mal de répétitions seule devant son miroir ou en compagnie d’autres acteurs, et ça a commencé à revenir. A croire que c’est comme le vélo et que ça ne s’oublie pas vraiment, ce genre de job.
Ça fait une semaine que Castelmaine a été investie par l’équipe du film pour débuter les phases de tournage en ville et dans le bush environnant. Manque de chance et vu la météo capricieuse prévue pour les prochains jours, certaines scènes ont été décalées et l’emploi du temps doit être revu, ce qui laisse un peu de répit avant de reprendre dans le vif du sujet. Juste histoire de ne pas rester sans rien faire et sous couvert d’avoir envie de découvrir les rues, l’idée d’une descente en ville a été lancée. Certains sont partis en avance pour “repérer les lieux”, d’autres se pointeront plus tard et dans tout ça, personne n’a eu d’oser le proposer à Marceline. Sûrement à cause de ses humeurs ces derniers temps ou tout simplement pour éviter d’être interrompus toutes les cinq minutes par un fan un peu envahissant. Pas une excuse valable pour Dina, cependant.
Bien décidée à au moins proposer la sortie, elle se met en quête de la Griffiths et finit par tomber sur elle juste à la sortie du self. « Ah, j’te cherchais justement, » qu’elle lance en trottinant vers sa collègue avant que cette dernière n’ait l’occasion de disparaître à nouveau dans son trailer jusqu’à ce qu’on ait besoin d’elle. Toujours égale à elle-même, Dina offre un sourire jovial et poli avant de reprendre, « avec des gars de l’équipe on descend en ville boire un coup, ça te tente ? » La ville compte en tout quatre bars et à peu près autant de resto, autant dire que le barathon sera vite fait. « Ça sera l’occasion de souffler et heu, pourquoi pas apprendre à se connaître un peu ? » Façon polie et un peu plus subtile de dire “t’as une mine terrible, t’as l’air d’avoir sacrément besoin de te retourner la tronche”, qui crève les yeux mais que personne n’a encore osé adresser jusque là. Ca passera, elle doit être fatiguée, j’ai entendu dire qu’elle s’est faite larguer, autant de choses qui se murmurent au passage de Marceline et que Dina a balayé d’un geste de main, bien peu intéressée par les ragots et les on dit. « J’veux dire, on bosse ensemble et tout c’est cool, mais- » merde, c’était peut-être pas le truc à sortir aussi tôt dans la conversation. « J’aime bien savoir qui j’ai en face quoi. » Nouveau sourire accompagné d’un haussement d’épaule qu’elle veut désinvolte, l’actrice s’empresse pourtant d’ajouter « enfin c’est si tu veux, hein, y a pas d’obligation du tout du tout. » Zéro pression, promis, mais ça lui ferait sacrément plaisir d’en savoir plus et de se faire sa propre idée, peut-être même de resserrer les liens pour de vrai et de pouvoir mieux bosser ensuite. Pas qu’elle fasse du mauvais boulot, Marceline, c’est même tout l’inverse, mais c’est pas tellement comme ça que la brésilienne aurait imaginé la collaboration avec une des actrices les plus huppées du moment.

@Marceline Griffiths

Rien n’allait. C’était dramatique, dit comme ça, mais c’était sincèrement mon ressenti de ces dernières semaines. J’avais envie de planter mes ongles dans mes joues et tirer, tirer très fort, jusqu’à que ma peau s’arrache et que l’air frais brûlent les couches inférieurs de mon épiderme. J’avais envie d’ouvrir la fermeture éclair de mon corps et sortir de moi-même, laisser ma personnalité au placard, mes problèmes dans un coffre fort. Je trouvais un certain répit sur le tournage, quand les caméras tournaient et que je devenais Avery, mais ça ne me suffisait pas. Car si beaucoup d’acteurs parlent souvent du bonheur d’être quelqu’un d’autre et de s’évader dans ses personnages, pour moi, c’était en réalité un peu différent, je devais l’avouer honteusement : ce que j’aimais, c’était l’attention, les spot lights (littéralement) tourné vers moi. Sauf que ces derniers temps, j’étais tel un animal blessé qui voulait se réfugier dans un terrier et disparaître. Pour la première fois de ma vie, je n’avais plus envie que l’on me regarde.

La tête baissée, je sortais du self avec l’idée d’aller m’enfouir avec une bouteille de vin blanc et trop d’épisodes de Grey’s Anatomy, mais Dina débarqua dans mon champ de vision. « Ah, j’te cherchais justement. » Je levai un sourire, un peu surprise, voire sceptique. Qu’est-ce qu’on me voulait ? Un souci avec le tournage des scènes des prochains jours ? On m’entendait trop pleurer depuis en dehors de mon trailer ? « Avec des gars de l’équipe on descend en ville boire un coup, ça te tente ? » J’inspirai. Si j’étais honnête, j’aurais pu répondre : non, merci, les bars d’un bled paumé, avec des inconnus, ça m’intéresse pas, on est dans le trou du cul du monde, c’est moche, je suis de mauvaise humeur, d’horrible compagnie, et je comprends pas pourquoi tu me parles et tu me souris. Mais comme je ne tenais pas à avoir la réputation d’une tyran, je serrais les dents et ravalai ma réplique acide. « Ça sera l’occasion de souffler et heu, pourquoi pas apprendre à se connaître un peu ? » Je regardai Dina, toujours sans répondre : moi qui était habituellement si bavarde, voilà que je me retrouvais à ne plus savoir aligner trois mots correctement. A la place, je continuais à le regarder, un peu comme si elle était une alien, l’obligeant à combler le silence. « J’veux dire, on bosse ensemble et tout c’est cool, mais- » mais j’ai l’air d’être une connasse finie et tu voudrais savoir si c’est le cas ? « J’aime bien savoir qui j’ai en face quoi. » Une conne qui sabote ses relations, voilà ce que tu as en face ! « enfin c’est si tu veux, hein, y a pas d’obligation du tout du tout. » J’observai Dina, son visage ouvert, ses yeux rieurs, j’hésitais quelques secondes, avant de décider que peut-être, finalement, être avec des gens qui ne me connaissaient pas me sortirait de ma tête - ces derniers temps, tous mes amis me parlaient comme si j’avais un cancer en phase terminale. « Hm, oui, d’accord », répondis-je un peu platement. Je suis insupportable, elle doit me détester, pensai-je, moi qui ne supportait pas l’idée que l’on ne m’aime pas.

Je suivis le mouvement, toujours silencieuse, prétendant ne pas remarquer les regards curieux des autres personnes qui se joignaient à ce verre spontané et se demandaient ce que je foutais là, moi qui évitais tout le monde autant que je le pouvais. On trouva un bar un peu miteux, qui avait une piste de danse et un jukebox, et où était presque les seuls clients. Je m’installai sur une chaise, à côté de Dina, mon ancre de la soirée, et passai les deux premiers verres mutique, répondant avec des mono-syllabes, ne me joignant pas aux discussions qui fusaient. Mais mes deux gin tonic commençaient à détendre ma nuque, mes jambes étaient un peu plus cotonneuse. Une acalmie entre deux conversations, un bout de la table qui sortait fumer, et je me tournais vers Dina. « Tu veux un shot ? » Demandai-je. « C’est ma tournée », ajoutai-je. « Pour me faire pardonner d’être une très mauvaise co-star », grimaçai-je. « Je suis pas comme ça, habituellement. » Je ne pouvais pas m’empêcher de vouloir me justifier et m’expliquer, et si j’étais venue ici en me disant que j’allais pouvoir m’échapper de mes pensées et ma âme de martyr, mais j’avais toujours besoin qu’on me remarque, que ça soit pour m’aimer ou me plaindre.


@Dina Esteves

Dina débite, invite sa collègue sans savoir si elle va se faire refouler ou si l’autre préfère en rester à un niveau de relation parfaitement pro et ne pas se mêler au reste des équipes et faire sa vie dans son coin. C’est son droit, bien évidemment, mais ça serait triste de s’en tenir à ça, c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de travailler avec une actrice de son acabit. La blonde semble hésiter, est peut-être même à deux doigts de décliner et, bien qu’un peu sur la réserve, accepte finalement la proposition de sortie. Yesss, se retient de siffler Dina qui se contente d’ouvrir la voie et de parler pour deux le temps de rejoindre les autres. “Tu verras, ça va être cool”, “ils voulaient faire un barathon mais ça va être compliqué”, “fais pas attention mais je crois qu’il y a une ou deux fans dans l’équipe” et tout un tas de blabla que sa collègue n’écoute probablement pas.
Une fois les autres rejoins, la troupe se met en marche vers le centre-ville un peu désert et pas des plus attrayants, pas étonnant que ce genre d’endroit ait été sélectionné pour servir de décor. Il y a quelques échanges de regards curieux quant à la présence de Marceline qui se fait discrète depuis le début du tournage, mais au moins ils ont la présence d’esprit de ne pas faire de remarques. Une fois installés à la table du bar, les discussions vont bon train, les verres défilent, certains se lèvent pour aller fumer et d’autres trouvent un intérêt particulier à la partie de fléchettes qui se déroule entre des locaux déjà un peu éméchés. « Hm ? » sa tête tourne promptement en direction de sa collègue et Dina affiche un léger sourire en hochant la tête. « Ouais, avec plaisir, » après tout, c’est bien pour boire des coups que tout le monde a fait le déplacement. « Et t’es pas une mauvaise co-star, crois moi j’ai connu bieeeeen pire. » Si la relation est loin d’être fusionnelle comme ça a déjà pu se voir avec les co-stars qui se connaissent sur le bout des doigts et ont fini par réellement devenir potes une fois les caméras éteintes, on est aussi très loin de la détestation mutuelle et des étincelles qui défrisent les malheureux ayant le malheur d’être dans la même zone. Jusqu’ici ça s’est montré parfaitement cordial et professionnel, et finalement c’est peut-être comme ça que devraient être toutes les relations de boulot. « Bah… On peut pas être à fond tout le temps, c’est le principe d’être Humain. » Vague haussement d’épaules, Dina se contente de sourire d’un air compatissant avant de terminer sa bière. C’est vrai qu’à bien y regarder, la Marceline qu’elle a côtoyée jusqu’à maintenant est loin de celle décrite par les médias. Pas qu’elle s’en soit formalisée plus que ça, l’actrice a probablement une très bonne équipe de PR et a l’image qu’on veut lui donner. Ou alors elle est peut-être tout simplement dans une sale période de sa vie et n’a justement pas trop le temps de gérer ce qui ne va pas, c’est aussi ça, les aléas de la célébrité. « Tu veux en parler ? Paraît que je fais une super psy de comptoir. » Se rendant compte que c’est peut-être un poil intrusif, elle se ravise rapidement, « remarque peut-être pas tant que ça, » qu’elle ajoute plus bas, et ça vaut autant pour la question que pour le fait glissé juste après. C’est la vie privée de la blonde, ses problèmes n’appartiennent qu’à elle et Dina n’est probablement pas la mieux placée pour répondre à ses besoins. « Ou alors si tu préfères on peut parler du fait que Ronnie veut pas lâcher les semelles de Tom. » Un gloussement amusé accompagne la seconde proposition. Ronnie, c’est le chef op et la rumeur veut qu’il aurait le béguin pour l’un de ses techniciens ; fait pas si étonnant que ça, ils sont partis fumer tous les deux en même temps. « Y a des paris qui tournent pour savoir quand ils vont conclure. » Même pas de question de si, ici, c’est une évidence et personne n’est dupe.

@Marceline Griffiths  

J’étais tellement prise dans mon tourbillon d’émotions, ces derniers temps, que je n’avais vraiment pas pris le temps d’apprendre à connaître les gens autour de moi. J’avais toujours été un peu égocentrée, je le savais, mais en ce moment, je n’arrivais vraiment pas à voir au-delà de mon nombril. Je ne connaissais pas grand chose sur Dina ; elle avait été actrice, plus jeune, puis elle était devenue cascadeuse, apparemment. Je ne savais même pas comment elle s’était retrouvée avec ce second rôle, mais elle le méritait, ça se voyait qu’elle faisait parti de ces gens naturellement doués, elle donnait le change sur le set, et si j’avais été un peu moins chiante, j’aurais pu me réjouir de l’avoir à mes côtés. Surtout qu’appremment, elle n’était pas rancunière : « Et t’es pas une mauvaise co-star, crois moi j’ai connu bieeeeen pire. » Je fis une grimace, j’imaginais facilement qu’on ne respectait pas toujours les rôles de doubleuse ou cascadeuse, ou du moins que ça n’accordait pas la même protection qu’être la tête d’affiche, qu’on avait quand même tendance à vouloir brosser dans le sens du poil. « C’est quoi, ta pire horror story de costars ? » Demandai-je. C’était l’une des premières fois que je demandais quelque chose à Dina, autre que on a quelle scène aujourd’hui ou tu peux me passer la bouteille d’eau. « J’en ai eu un qui voulait faire du method-acting et restait en personnage hors des prises. Super chiant », racontai-je avec un petit sourire en coin.

J’avais envie de redevenir la Marceline que les gens aimaient, celle qui racontait des histoires, faisait rire, dont l’émotivité était une blague et pas un poids qui gênait les liens. Mais je n’arrivais pas à switcher, ni à en avoir l’envie ; j’étais persuadée que tout le monde me détestait sur le set, ce qui ne devait pas m’aider à m’ouvrir aux autres. Mais étonnemment, encore une fois, Dina semblait étrangement compréhensive et patiente. « Bah… On peut pas être à fond tout le temps, c’est le principe d’être Humain. » J’essayais de lui adresser un petit sourire, parce que c’était gentil ce qu’elle disait, mais j’avais l’impression que mon rictus était gêlé en une espèce de grimace qui voulait dire je suis au bout de ma vie. « Tu veux en parler ? Paraît que je fais une super psy de comptoir. » Je n’eus pas le temps de prendre la perche que Dina rajouta : « remarque peut-être pas tant que ça. » La remarque m’arracha un petit rire - j’avais l’impression de n’avoir pas eu un rire stupide depuis des semaines. « J’ai jamais été voir une psy, je pourrais pas savoir si tu en fais une bonne. J’crois que c’est mon problème, d’ailleurs », avouais-je d’un ton un peu sarcastique. Je terminais mon verre cul sec, décidée à partir pour les shooters. « Et t’inquiète, y a rien à raconter. J’ai foiré une relation amoureuse pour la énième fois, y a rien à dire je crois. » J’haussai les épaules. « Et ça me passera », ajoutai-je, ne sachant pas trop si j’essayais de me convaincre moi, ou Dina. « Allons plutôt au bar », proposai-je.

On s’approcha du comptoir, dont le bois usé semblait collé avant même que je ne pose mon coude dessus. « Ou alors si tu préfères on peut parler du fait que Ronnie veut pas lâcher les semelles de Tom. » On s’échangea un regard entendu - j’étais peut-être un peu déconnectée, ces derniers temps, mais impossible de rater ça. « Y a des paris qui tournent pour savoir quand ils vont conclure. » Je plissai les yeux, faisant mine de réfléchir. « Hm, au moins encore quelques jours. Je pense que Tom est de nature plus entreprenante que Ronnie, mais il osera pas faire le move vu que Ronnie est le chef op », ce n’était pas son supérieur, mais il y avait une certaine hiérarchie. « Ronnie va sûrement se lancer après que quelqu’un lui ai confirmé que le crush est réciproque et qu’il faut se lancer, il m’a l’air du genre à avoir besoin d’encouragements. » C’était ma théorie, en tout cas. « Tu as parié quoi, toi ? »

J’attirais l’attention du barman d’un geste de la main - on ne pouvait pas dire que le bar était plein, de toute façon, et si j’avais réussi à commander des verres dans des boîtes bruyantes et bondées de New-York, ici était un jeu d’enfant. « Deux shots de - » je me tournai vers Dina, « Gin ? C’est ok pour toi ? » Je me ravisai : « En fait, deux shots de gin pour moi, deux shots de ce que voudra la jolie demoiselle », expliquai-je au barman en faisant un signe vers Dina. « Et deux bières ? » Ajoutai-je, avec un sourcil levé vers Dina. « Désolée, je crois que je suis en train de te corrompre, t’es pas obligée de me suivre », précisai-je, alors que je tendais déjà mon téléphone pour payer.


@Dina Esteves

« Ah, ouais, le genre un peu lourd et insistant ? » Le coup classique du collègue qu’il faut remettre à sa place, zéro difficulté à imaginer le genre d’énergumène un peu pénible. « Hmmm… Là comme ça, je dirai quand j’ai dû bosser avec quelqu’un qui était du genre à tout le temps vouloir imposer ses idées à l’équipe, qui demandait systématiquement des changements de script en dernière minute ou qui se mettait à improviser constamment tout en me reprochant de pas suffisamment suivre. » Le pire dans tout ça, c’est que personne n’osait rien dire parce que c’était une pointure dans le milieu, que la personne jouait un rôle important dans la série et qu’il n’y avait concrètement rien à faire sinon serrer les dents et encaisser comme une grande. « C’était sur une série et j’avais genre… J’sais pas, sept ou huit ans la première fois que j’ai dû tourner avec ? » Petite grimace qu’elle cache derrière son verre avant de ricaner doucement. « Elle a plus ou moins arrêté son cinéma du jour au lendemain et on a jamais eu d’explication, du coup je soupçonne ma mère d’y être pour quelque chose. » Esteves n’a jamais eu confirmation, mais c’est la seule raison un tant soit peu logique qui lui vient à l’esprit. Miranda a dû aller lui faire les gros yeux, le tout accompagné d’un bon coup de morale culpabilisante et ça a dû calmer l’autre.
C’est marrant parce que c’est sûrement la première vraie discussion qu’elles ont. Ca ne concerne pas tout à fait le travail, c’est léger, c’est peut-être tout ce qu’il leur fallait pour réellement briser la glace. « T’inquiète, la première séance est pas facturée. » C’est pour fidéliser la clientèle, il paraît. Plus, ça évite d’avoir à rembourser en cas d’insatisfaction du client. Relation amoureuse foirée, un truc commun sur lequel Dina a à peu près zéro truc à dire tant elle est peu impliquée dans ce genre de choses. C’est compliqué de son côté, jamais posée avec qui que ce soit, jamais contentée par ses maigres tentatives, jamais assez courageuse pour assumer ce qu’elle veut vraiment, bref, pas la meilleure personne pour parler de ce sujet précis. « Ah merde. Désolée de l’apprendre. » Heureusement que c’est pas facturé, parce que paie ta psy de merde, là. Légère grimace et la jeune femme ne pousse pas d’avantage, peu désireuse de se montrer trop intrusive alors que la collègue commence à peine à se dérider.
Le vrai sujet de ce soir, elles sont d’accord pour dire qu’il s’agit de Tom et Ronnie. Si à la base Dina en parlait comme une plaisanterie pour continuer à détendre l’atmosphère, elle n’en reste pas moins ravie de voir que sa collègue prend la perche. « Ah ouais t’as vachement réfléchi au truc déjà. » Difficile de faire autrement, en même temps. « J’avoue j’ai parié sur ce soir. » Le reste du temps, ils aiment trop faire comme s’ils étaient super occupés H24 et que tout le monde se faisait des films. « Avec l’alcool et tout, y aura sûrement un move de fait. » A deux doigts de proposer d’aller jouer les entremetteuses parce que ça va bien cinq minutes, les tensions à la con comme ça.
Au barman, Dina lui fait un simple signe pour lui dire “la même chose”, pas besoin de lui compliquer la vie alors que le gin convient très bien. L’excuse de Marceline fait doucement ricaner la brune qui se contente de hausser les épaules. « Bah… Je l’ai un peu cherché en te ramenant de force. » Après tout, le plan pour sa soirée, ça avait plutôt l’air de partir sur une énième soirée sans sortir de son trailer pour broyer du noir sur cette fameuse relation foirée. « En tout cas, ça fait plaisir de te voir un peu hors du boulot, je commençais à me demander si j’avais pas fait une connerie. » Ou si sa réputation d’actrice sympa et facile à vivre n'était pas un peu exagérée (auquel cas, très bonne équipe de PR, rien à redire sur leur boulot). Pour l’heure, les boissons sont servies et Dina prend un des shooters qu’elle fait légèrement tourner entre ses doigts avant de le présenter à la Griffiths pour trinquer. « Merci pour les verres, au fait. » Promis, la prochaine tournée est pour elle. « Du coup, si t’as des trucs à extérioriser, c’est le moment, j’écouterai en faisant semblant d’avoir un truc intelligent à dire pour que tu te sentes mieux, » qu’elle plaisante en renfilant sa veste de psy de comptoir.

@Marceline Griffiths

« Ah, ouais, le genre un peu lourd et insistant ? » « Le genre pseudo-torturé qui pense qu’être acteur équivaut à être un géni qui sauve le monde », répliquai-je avec un sifflement qui appuyait à quel point bosser avec un mec pareil avait été agaçant. Je ne savais pas grand chose de Dina, mais je savais qu’elle avait été actrice jeune, trop jeune, et ça m’intriguait autant que ça m’inquiétait pour elle. J’avais été protégée de ça, petite, à la différence de mes cousines qui avaient terminé dans des concours de beauté, quelques tournages de publicités et autres étrangetés que mon oncle et ma tante voulaient pour elles. A l’époque, j’étais jalouse, rêvant d’être moi-même sous le feu des projecteurs. Maintenant que j’avais exhausé ce souhait, fréquenté des tournages, qu’on me reconnaissait dans la rue, je ne pouvais pas m’empêcher de me dire que c’était complètement dingue de foutre un enfant au milieu de ça. Je me demandais comment Dina avait géré ça, à l’époque, et si c’était pour ça qu’elle avait pris une longue pause dans sa carrière. En tout cas, elle semblait avoir autant d’histoires de tournage glauques que des acteurs vétérans. « Hmmm… Là comme ça, je dirai quand j’ai dû bosser avec quelqu’un qui était du genre à tout le temps vouloir imposer ses idées à l’équipe, qui demandait systématiquement des changements de script en dernière minute ou qui se mettait à improviser constamment tout en me reprochant de pas suffisamment suivre. » J’eus un petit rire jaune. « Oh je vois totalement le genre », appuyai-je avec une mine de dégoût. C’était vrai, ce qu’on disait : les acteurs avaient les pires égos. « C’était sur une série et j’avais genre… J’sais pas, sept ou huit ans la première fois que j’ai dû tourner avec ? » Je m’imaginais à sept ans, sur un plateau de tournage, et je trouvais ça incongrue, même si j’étais persuadée que la Marceline de l’époque aurait adoré. J’avais été habituée très tôt à faire mon cinéma comme disait mes parents. « Elle a plus ou moins arrêté son cinéma du jour au lendemain et on a jamais eu d’explication, du coup je soupçonne ma mère d’y être pour quelque chose. » Je levai un sourcil, surprise. « Oh, t’avais une momanager ? » Demandai-je, intriguée.

Cette discussion nous permettait de réchauffer un peu l’ambiance avec nous ; mes sautes d’humeur ne m’avaient pas rendu une très bonne co-star. « T’inquiète, la première séance est pas facturée. » J’eus un petit rire. C’était plus drôle de plaisanter autour de verres que d’aller vraiment s’asseoir dans le divan d’une psy pour dire que je foirais toutes mes relations amoureuses. « Ah merde. Désolée de l’apprendre. » J’haussai les épaules, l’air de dire : bah, c’est comme ça. Honnêtement, si j’ouvrais la bouche, je risquais de pleurer.

Je préférais largement qu’on discute d’histoires d’amour d’autres personnes, comme les gens sur le set. « Ah ouais t’as vachement réfléchi au truc déjà. » J’hochai la tête. « Les gens croient que je chiale dans mon trailer, mais en fait, je brainstorme », plaisantai-je, parce qu’il était assez évidemment que je pleurais dans mon trailer. « J’avoue j’ai parié sur ce soir. Avec l’alcool et tout, y aura sûrement un move de fait. » Je ricanais. « Ok, game on, s’ils concluent ce soir, j’te dois un truc, et inversement, ok ? Mais interdit d’aller leur payer des verres ou les pousser dans les bras de l’autre », précisai-je, parce qu’on ne pouvait pas pousser le destin soumis à un pari.

Par contre, nous, on pouvait boire sans souci. « En tout cas, ça fait plaisir de te voir un peu hors du boulot, je commençais à me demander si j’avais pas fait une connerie. » Je secouais la tête et grimaçais un peu. « Désolée, désolée », répétai-je, mal à l’aise à l’idée de ne pas être universellement adorée sur le set, ce à quoi j’étais plutôt habituée avec mes grands sourires, mes blagues, et mon numéro de charme. « Mon agente est terrifiée que ça fuite dans la presse, elle arrête pas de me dire de me reprendre », murmurai-je. D’habitude, j’adorais mon agente Sam, mais là, j’avais du mal à avaler la pilule - ne voyait-elle pas que je faisais ce que je pouvais ? « Merci pour les verres, au fait. » On trinqua, et je m’enfilais le shot. « Du coup, si t’as des trucs à extérioriser, c’est le moment, j’écouterai en faisant semblant d’avoir un truc intelligent à dire pour que tu te sentes mieux. » L’offre était tentante, et habituellement, j’étais du genre à les prendre, parce que j’adorais parler de mes émotions, pleurer, avoir l’attention sur moi. Mais c’était différent, cette fois-ci. « Honnêtement…J’ai même pas envie de pleurer sur ton épaule en te racontant le fiasco qu’est ma vie amoureuse.  J’en ai juste marre d’être moi-même, j’aimerais… Pouvoir éteindre ça, tu vois ? » Je poussai un soupir dramatique et attrapai le deuxième shooter, avant de commencer à siroter ma bière - et par siroter, j’entendais commencer une compétition avec moi-même pour la boire le plus vite possible sans que Dina me juge. « Bref, ça n’a rien à voir avec toi… Au contraire, t’es la plus normale pour moi, sur ce set. Alors que… » Je marquais une pause. « Je sais pas si ça t’es revenue aux oreilles, mais tu sais Mac, la responsable de comm ? C’est l’ex de Margot, l’autrice. Sauf que, bah, c’est aussi mon ex à moi. On est sortie ensemble quand elle était avec Margot, dont elle avait gentiment oublié de me mentionner l’existence. Bref, c’était y a deux ans déjà, mais ça laisse quelques petites traces. » Au moins, là, elle avait toutes les cartes en main.

Dina avait une bonne descente aussi, et on commanda une autre tournée. Le volume de la musique avait été augmentée, et quelques personnes étaient debouts, discutaient, presque prêtes à danser.  Plus loin, Ronnie et Tom discutaient avec animation. Je tournais mon visage vers Dina. « Aïe, ça a l’air bien parti pour toi », admettai-je. Je commençais à me sentir légèrement ivre, et de bien meilleure humeur au fil de la conversation, me rendant plus détendue, plus tactile. Je posai la main sur l’avant-bras de Dina, comme si je la mettais dans la confidence. « Bon, et toi, sur le set ? T’as des vues sur quelqu’un ? C’est quoi ton genre de filles ? » Demandai-je, persuadée que Dina aimait les filles - je veux dire, elle avait été castée dans un film super queer, elle était cascadeuse, faisait de la moto, si elle était hétéro et que mon gaydar se trompait, je pouvais rendre mon badge de lesbienne.

@Dina Esteves

« Lame, » que tu souffles en ricanant à sa description du fameux acteur relou. C’est dingue à quel point ça en lance certains sur un power trip à peine dissimulé, le genre qui croit avoir le droit de tout faire sous prétexte qu’il a une belle gueule et une notoriété dont il n’hésite pas à abuser. « Ouais. » Momanager, le terme te fait doucement rire alors tu acquiesces. « Elle avait déjà un pied dans le milieu du coup elle connaissait du monde. » Et elle a charbonné pour vous trouver les meilleures opportunités, à Elena et toi. « Elle l’avouera jamais mais son projet c’était de nous faire prendre la relève des jumelles Olsen. » Le léger rire un peu pincé qui t’échappe se retrouve vite noyé dans le fond de ton verre de bière. « ‘fin elle aimait pas trop ça, ma soeur, du coup c’était que moi. » C’est probablement le plus triste dans l’histoire, parce que toi, t’aurais bien aimé l’avoir à tes côtés, ça aurait été bien plus amusant et surtout, tu te serais sentie bien moins seule et t’es sûre qu’elle aussi. Sans parler qu’aujourd’hui, vous seriez probablement bien plus que deux étrangères résidant dans la même ville et échangeant à peine un message pour les anniversaires et la nouvelle année. « ‘fin bref, ça avait ses avantages et ses inconvénients, d’avoir une momanager. » Qui sait, peut-être que le sujet reviendra, t’as jamais trop été habituée à en parler et certainement avec tes collègues.
Pour l’heure, le sujet dérive sur les véritables stars de ce soir, aka Tom et Ronnie. Tu pensais franchement pas Marceline serait aussi investie dans leur histoire, mais tu ne vas clairement pas te plaindre de découvrir cette facette bien plus joviale de la blonde. Elle prend avec beaucoup d’autodérision ses heures passées seules dans son trailer et ça te fait un peu marrer, il faut l’avouer. Enfin probablement pas autant que le petit pari qu’elle s’empresse de lancer. « On interfère pas, ok. Enfin j’espère que t’es prête à perdre. » La vérité, c’est que c’est quitte ou double et que t’as toujours été mauvaise pour lire les autres, alors si ça se trouve t’es complètement à côté de la plaque les concernant.
« Hey non, c’est rien, t’excuse pas. » Surtout pas, merde, la dernière chose que tu voulais, c’était la blâmer ou la faire se sentir mal pour son attitude. Tu te trouves bien stupide, maintenant que tu en sais un peu plus. Elle a ses raisons qui sont plus que légitimes, du moins t’imagines, t’as encore jamais vécu de grande rupture significative tellement tu n’as trouvé personne avec qui ne serait-ce qu’essayer de t’engager. A moins que ça ne soit qu’une excuse pour couvrir le fait que c’est le genre de changement qui te fais peur, parce que ça voudrait dire pleinement assumer qui tu es dans le fond et surtout ce que tu veux, et t’es pas encore prête pour ça. Pour l’heure, c’est bien plus facile de t’afficher au bras de types un peu connus et de faire passer ça pour une relation bien saine et bien solide alors que derrière, tu sais pertinemment que ça ne mènera jamais à rien.
« Oh wow, okay. » Ca fait beaucoup de points à connecter, mais au moins ça a l’avantage d’expliquer pas mal de choses, à commencer par l’ambiance glaciale chaque fois que la dénommée Mac se ramenait dans la même pièce que l’autrice ou que ta collègue. « J’veux dire, je me disais bein qu’il devait y avoir un passif vu… L’ambiance générale, mais là… J’imaginais pas autant. » Si ça n’avait pas l’air de la toucher autant, t’aurais pu trouver ça drôle. Une part de toi a un peu envie de lui sortir le fameux mieux vaut en rire qu’en pleurer, mais tu préfères t’abstenir, te rendant bien compte à quel point ça serait inapproprié. « Mais t’sais quoi, pour ce soir on peut boire jusqu’à ce que tout ça soit éteint, » Ce qui se passe dans son crâne, ses regrets, sa tristesse, tout le panel des émotions trop fortes qui bouffent petit à petit. Pas besoin de grand chose en vérité, ou peut-être un second round de shots vu la vitesse à laquelle le premier descend.
Elle semble bien plus détendue, Marceline, bien plus ouverte à la discussion et ça fait du bien. « Hm ? » que tu marmonnes en jetant un oeil vers les deux autres. Effectivement, ça avait l’air en bonne voie leur histoire. « Merde, j’sais même pas quoi demander si je gagne, » t’as pas encore eu le temps de trop y réfléchir et l’alcool qui commence à faire son effet n’aide en rien. Au moins ça aide à garder un semblant de poker face à sa question suivante. « Moi ? » Des vues sur quelqu’un, houla, non, quelle drôle d’idée, vraiment. « Bof, non. » La dernière discussion du genre que t’as eue doit remonter au lycée, c’est dire si ça date. « Les relations c’est pas tellement mon truc. » Et puis ton genre de fille ? T’es si obvious que ça ? « en tout cas pas les meufs en couple, ou les ex de mes ex, » c’est pas du tout ce que t’avais en tête, mais y a personne autour de vous et t’es sûre que si tu demandes gentiment, elle ira pas le répéter. A la place, tu la tances gentiment sur ce qu’elle a expliqué plus tôt, un sourire amusé au coin des lèvres avant de redescendre un shot. Peut-être que c’est le bon moment pour arrêter là, t’es un peu trop à l’aise pour ton propre bien. Et puis t’as chaud, et tu sais pas si c’est le bar ou l’éthanol ou la main sur ton bras, mais t’as sacrément besoin de t’aérer l’esprit. « Tu fumes ? » Toi non, enfin occasionnellement, mais là ça relève plus du prétexte pour aller se dégourdir les jambes qu’autre chose.

@Marceline Griffiths

J’étais presque fascinée par l’expérience de Dina, d’avoir une mère investie dans sa carrière. Mon oncle et ma tante étaient investis, eux aussi, mais d’une façon étrange, trop proche et trop lointaine à la fois. Mes cousines s’étaient pris le pire, et moi, j’avais été un peu de côté, ce qui m’avait toujours agacé. J’étais jalouse, je voulais l’attention, moi aussi, et pourtant, en grandissant, je réalisais à quel point cela avait été affreux pour Mabel et Maddy. Mais de mon côté, mes parents étaient désintéressés par moi, ma vie, ma personnalité, et tout ce que je voulais, c’était que l’on s’occupe de moi, même si ça devait être étouffant. « Elle l’avouera jamais mais son projet c’était de nous faire prendre la relève des jumelles Olsen. » Je levai un sourcil, surprise. « ‘fin elle aimait pas trop ça, ma soeur, du coup c’était que moi. » « Wow, je rêvais d’avoir une jumelle, quand j’étais gamine », avouai-je avec un sourire émerveillé. J’étais jalouse de mes cousines, de leur lien de soeur, même si en grandissant, j’avais fini par former plutôt un duo avec Mabel, rendant son départ encore plus déchirant. « ‘fin bref, ça avait ses avantages et ses inconvénients, d’avoir une momanager. » J’hochai la tête. Pour ma part, j’avais l’impression qu’avoir eu des parents absents émotionnellement, ce n’était que des inconvénients, mais je ne voulais pas continuer à casser l’ambiance en me plaignant de ma vie, après avoir déjà manqué de pleurer sur ma rupture.

Heureusement, Dina ne semblait pas trop m’en tenir rigueur, car malgré ma mine sombre et mon histoire au final assez banale et qui pourtant me crevait le cœur. Dina me demanda de pas m’excuser, et j’eus un petit sourire, l’air de dire merci, et je secouais la tête pour chasser l’humeur maussade. J’en profitais au passage pour donner un peu plus d’histoires à Dina, qu’elle comprenne où elle avait mis accidentellement les pieds. « Oh wow, okay. » Je lui fis un sourire désolé. « J’veux dire, je me disais bein qu’il devait y avoir un passif vu… L’ambiance générale, mais là… J’imaginais pas autant. » « Désolé, ta agente, euh, ta mère ? savait probablement pas où tu foutais les pieds », m’excusai-je avec une grimace, et quelques petits battements de cils, parce que mon numéro de charme n'était jamais loin. « Mais t’sais quoi, pour ce soir on peut boire jusqu’à ce que tout ça soit éteint, » Je levais mon verre, pour appuyer ses propos. Au moins, on était enfin sur la même longueur d’onde.

On commençait à se détendre, Dina et moi, aidées par tous les verres qu’on enchaînait. « Merde, j’sais même pas quoi demander si je gagne, » Main sur son avant-bras, je me penchai déjà vers elle, le regard rieur. « Oh t’inquiète, on trouvera bien quelque chose », répliquai-je, sourire aux lèvres, peut-être un peu en train de me laisser m’emballer par ma tendance à flirter avec la terre entière. Et puis, ça tombait bien, la conversation tournait à présent vers Dina, son genre de filles, si elle avait des vues sur quelqu’un. « Moi ? » Dina faisait l’innocente, ok, ça m’allait aussi. Je pressai mes doigts sur son avant-bras pour qu’elle continue. « Bof, non. Les relations c’est pas tellement mon truc. » J’éclatai de rire. « Oh, une fille qui ne veut pas de relation. T’es 100% mon genre, Dina », dis-je dans un grand rire et un petit clin d’oeil. Bon, je plaisantais, en vrai… J’avais juste un peu bu, et en ce moment, je ressentais le besoin compulsif de plaire aux autres. En ce moment... Bon, ok, tout le temps. Mais qu’importe. « En tout cas pas les meufs en couple, ou les ex de mes ex. » « Et t’as bien raison ! Tu m’apprendras comment faire », ajoutai-je.

L’ambiance de la soirée semblait s’emballer, la musique plus forte, les rires des gens - ou bien était-ce l’alcool qui me donnait l’impression que tout brillait un peu plus, tout à coup ? « Tu fumes ? » « Je peux », parce que c’était pas dans mes habitudes, mais qu’après quelques verres, je pouvais me laisser tenter, surtout s’il s’agissait d’être un peu tranquille avec Dina, quitte à faire, maintenant que je découvrais qu’on s’entendait plutôt bien. On quitta notre comptoir, on piqua des clopes à l’un des cameraman qui avait assez bu pour être particulièrement généreux. Il faisait frais dehors, mais c’était agréable, surtout après autant de verres. J’allumais ma cigarette, et allumai celle de Dina. Elle plaça ses mains pour couvrir du vent, et après avoir inspiré, je finis remarquer. « Tes mains sont toutes petites », je tendis la mienne en comparaison avec un petit rire enfantin, laissant quelques secondes de silence qui laissaient une délicieuse tension dans l’air. « Et du coup, tu - » Mais je ne terminais pas ma phrase, la porte du bar s’ouvrant à nouveau à la volée, à quelques mètres de nous, et Ronnie et Tom sortirent en riant, faire quelques pas dans la rue. Par réflexe, je posai ma main sur l’épaule de Dina, pour la repousser légèrement contre le mur du bar, pour nous cacher dans l’obscurité. De toute évidence, Ronnie et Tom ne nous avaient pas remarqué. Ils s’arrêtèrent, regardèrent les étoiles dans le ciel dans une scène pseudo romantique, et finalement, Tom eut un geste, et finalement, ils s’embrassèrent, et je retins un petit cri, toujours coincée, un peu cachée avec Dina, nos cigarettes qui se consumaient entre nos doigts. Ronnie et Tom riaient, et ils s’éloignèrent, avec l’air euphorique qui vient avec le rush d’un premier baiser. Je m’écartais très légèrement de Dina, les doigts piquant encore du contact physique. « Wow, bien joué », murmurai-je. Je plantai mes yeux dans les siens. « Tu veux quoi pour ta victoire ? » Il y eut un coup de vent, et une mèche de cheveux de Dina barra son visage à demi-éclairé - d'un geste de la main, je l'écartais et le reposionnai derrière son oreille. Je flottais dans une tièdeur simple, réconfortante. Le bout de de mes doigts était toujours pris dans les cheveux de Dina, et je n'ôtai pas ma main. « J'ai une idée, mais il va me falloir ta permission », dis-je avec un sourire en coin, le visage légèrement penché vers elle, dans un instant de flottement.


@Dina Reyes

C’est marrant comme ça toujours l’air de fasciner les gens, l’histoire des jumeaux. Ils sont toujours surpris et curieux, peut-être un peu fascinés et se font l’idée d’une relation solide et fusionnelle. Pas de chance ici, vous êtes pas la bonne paire pour ça. Y a trop de distance depuis toujours, et c’est pas faute d’avoir tenté de réparer, ça n’a jamais pris comme il fallait. « J’te prête la mienne si tu veux. » C’est plus facile de plaisanter et d’aller dans son sens plutôt que d’admettre que c’est en vérité très surcoté. A moins que ça ne soit votre relation à toutes les deux qui est foireuse au point où t’aimes pas en parler. « Bon du coup ça marcherait bof mais- » tu ricanes en haussant les épaules d’un air amusé. Elle a compris où tu voulais en venir, difficile pour Marceline et sa chevelure blonde de se faire passer pour ta jumelle ou pour celle d’Elena.
Chacune votre tour, vous avez ce petit moment de malaise. Toi quand ça concerne ta famille, elle quand ça concerne ses anciennes histoire de coeur qui s’entremêlent avec le boulot. Pour cette fois, tu veux bien lui accorder la victoire du passif le plus compliqué à gérer au boulot. « Pour le coup je peux m’en prendre qu’à moi-même. Ce projet-là, je l’ai choisie toute seule. » En plus c’est sûr que Miranda t’aurait jamais proposé quelque chose d’aussi niche que cette adaptation. « A la base je devais juste être dans la stunt team, c’est Margot qui est venue me voir. » Sur le coup, t’as fait genre d’avoir besoin de temps pour réfléchir alors que finalement, t’as pas trop attendu avant de la rappeler pour lui donner ta réponse. « Ça fait quelque temps que je bosse plus avec elle, c’était… Un peu compliqué. » Ca ne l’empêche pas de continuer à te chercher des rôles et à te proposer tout un tas de projets que tu ne prends même plus la peine de lire. T’es sans doute passée à côté de plein de trucs intéressants, mais tant pis. « Si ça marche je vais devoir envisager de trouver un nouvel agent, par contre. » Le retour sous les spotlights risquent d’attirer des opportunités et tu ne sauras clairement pas tout gérer toi-même. Ca te fatigue d’avance cette histoire.
Pour l’heure, le plus important c’est de penser au pari en cours, des verres qui s'enchaînent à vitesse grand V et des doigts de Marceline qui ne décollent plus de ton bras. En étant un peu moins bourrée, t’aurais pris soin de prendre tes distances et t’aurais même trouvé de quoi dévier la conversation qui commençait à aller dans une direction un peu dangereuse, seulement voilà, avec tout l’alcool que t’as dans le sang, tu te fiches pas mal qu’on puisse te voir être aussi proche de ta collègue qui est très clairement en train de flirter avec toi. « Tu verras c’est super facile. » Etape 1 : dire qu’on veut pas de relation, étape 2 : pas se prendre la tête. (Etape 3 : ghoster au besoin.) C’est casse-gueule et c’est surtout ta technique pour ne rien assumer et éviter toute potentielle complication.
Un vol de cigarettes plus tard et vous vous retrouvez dehors, les autres sont retournés au bar ou ont décidé de rentrer se coucher. Il ne fait pas moins chaud, le fond de l’air est humide et s’il y a une légère brise, ça reste presque aussi étouffant qu’à l’intérieur. « T’es complètement bourrée, » tu ricanes à sa remarque sur tes mains. Pour autant, tu joues le jeu de la comparaison et effectivement, elles sont plus petites que les siennes. « Elles sont genre… Normales, » c’est vraiment le seul constat qui te vient alors que la porte du bar s’ouvre avec fracas. Cette fois, c’est Tom et Ronnie qui sortent d’un air pressé et sans que tu comprennes ce qui t’arrives, tu te retrouves contre le mur. Ton crâne cogne légèrement sur les briques et tu grimaces en lâchant un “aoutch” juste histoire de ; t’as même pas mal, c’est vraiment pour le principe de râler. Wow, à quel point toi aussi t’es bourrée pour avoir aussi peu de réflexes ? Toute ton attention est portée vers Marceline et sa proximité, t’as déjà oublié la présence des autres et c’est seulement quand elle en parle que tu jettes un oeil. « Hein ? » Le cou à moitié tordu pour regarder dans la direction des deux stars de la soirée, tu retiens à ton tour un “woohoo” sonore qui aurait très probablement grillé votre couverture, à Marceline et toi. A la place, tu te contentes d’un sourire victorieux accompagné d’un léger rire un peu niais de meuf trop bourrée pour contrôler le volume émis. Tu ne te souviens même pas de la dernière fois que tu as gagné un pari, généralement t’as plutôt tendance à miser sur le mauvais cheval. Pas ce soir, on dirait. « Heu… » Pour être tout à fait honnête, t’as toujours pas réfléchi à ce que tu voulais pour cette fichue victoire et ça n’avait pas vraiment la moindre importance jusqu’à maintenant. Si c’était arrivé plus tôt dans la soirée, t’aurais simplement demandé un verre ou encore un autographe juste pour la blague, mais là… « Ah ouais ? » “Je crois que j’ai la même idée”, tu t’entends penser alors que tes yeux décrochent vers sa bouche et son foutu sourire en coin. Elle est proche, bien trop proche et tout ce à quoi tu peux penser maintenant, c’est que t’as envie de l’embrasser. Ta main libre se pose sagement sur son flanc, comme pour l’ancrer à toi tandis que ton regard revient vers le sien, curieux, l’air de demander si tu peux. Après probablement trop d’hésitation pour votre bien à toutes les deux, tu viens poser tes lèvres sur les siennes. D’abord un peu hésitante, tu raffermis ta prise sur sa hanche pour la rapprocher davantage de toi. « Rassure moi c’était bien ça ton idée ? » tu glisses après un temps, soudainement inquiète d’avoir foiré toutes les lectures de messages envoyés jusqu’ici.

@Marceline Griffiths  

« Pour le coup je peux m’en prendre qu’à moi-même. Ce projet-là, je l’ai choisie toute seule. A la base je devais juste être dans la stunt team, c’est Margot qui est venue me voir. » Je levai un sourcil, curieuse. Décidément, Margot semblait avoir vraiment une vision particulière de qui elle voulait pour son film, et ça incluait l’ex de son ex, et une stunt woman qui n'avait pas été actrice depuis un moment. Et étonnement, je crois que ça marchait plutôt pas mal. « Wow, toi aussi Margot t’a un peu hand-picked ? » Demandai-je, songeuse. « C’est elle qui est venue me chercher aussi. Je me suis demandée si elle était dingue, compte tenue du fait que j’étais l’ex de son ex, mais en même temps… C’était tellement culotté que ça m’a intrigué », avouai-je en haussant les épaules. Finalement, j’avais presque admiré l’amour du chaos de Margot, et je considérais qu’elle n’avait du coup aucun droit de se plaindre de l’ambiance un peu électrique du set.

« Ça fait quelque temps que je bosse plus avec elle, c’était… Un peu compliqué. » Explique rapidement Dina quand je mentionne à nouveau sa mère-agente. « Si ça marche je vais devoir envisager de trouver un nouvel agent, par contre. » Je penchais ma tête vers elle, avec un faux air de confession. « Je te proposerais bien ma mère, mais honnêtement, je crois qu’elle n’a pas pris la peine de regarder les trois quarts de mes projets, alors niveau momanager on repassera », j’eus un petit rire, qui cachait mon amertume - aux dernières nouvelles, ma mère n’avait vu qu’un seul de mes films, et me l’avait mentionné au détour d’une conversation sans me faire d’autres compliments que c’était bien. Mon père, lui, m’avait envoyé des emojis applaudissement le jour où j’avais gagné un golden globes, et c’est à peu près l’étendu de son soutien à ma carrière.

Mais je repoussais l’image de mes parents, préférant me concentrer sur Dina, son visage mutin - j’avais vraiment trop bu, pensai-je, alors que je me faisais la réflexion qu’elle avait l’air d’avoir littéralement changé de tête à la lumière des lampadaires devant le bar. « T’es complètement bourrée », répliqua Dina fasse à ma remarque sur ses mains (une technique de rapprochement physique que, je devais avouer, j’avais déjà dégainé plus d’une fois). « Hm, si je suis complètement bourrée, qu’est-ce que toi et ton petit gabarit sont ? » Fis-je remarquer, parce que j’avais plus de centimètres et de litres de sang qu’elle pour tenir l’alcool (est-ce qu’on avait plus de sang quand on était plus grand ? wow, il fallait que je google ça. wow, j’avais vraiment trop bu.) « Elles sont genre… Normales. » Je n’eus pas le temps de répliquer, trop occupée à ce qui se déroula sous nos yeux et nos rires un peu stupides de grandes enfants ivres qui avaient la conclusion de leur parti stupide.

Enfin, conclusion, pas tout à fait. Elle se jouait maintenant. L’instant de flottement s’étira un peu trop longtemps, mais je laissais à Dina son libre arbitre, ayant déjà flirté plus ou moins agressivement, et je laissais sa main se poser sur ma hanche. Victoire, pensai-je, malgré la défaite du pari. Je me penchais, elle s’haussa sur la pointe de ses pieds, et quelques secondes plus tard, on s’embrassait, amusées et étourdies comme deux adolescentes qui avaient bu trop de cocktail sucré. Il faut quelques essais avant que Dina paraisse plus assurée, et finalement elle s’écarte, le souffle un peu court. « Rassure moi c’était bien ça ton idée ? » « Non, pas du tout, je suis absolument choquée de la tournure des évènements », répliquai-je avec un sarcasme appuyé avant de me pencher pour l’embrasser plus franchement, l’enlaçant au passage, avant de remonter mes mains dans sa nuque, dans ses cheveux. Je la poussai un peu plus franchement contre le mur, perdant avec plaisir la notion du temps. Je finis par m’écarter un peu, les joues rougies, le souffle emmêlé. « Si on continue, je vais finir par te proposer de rentrer avec moi », dis-je d’un ton mutin, mais tout à fait sérieux. « Mais on peut aussi aller danser à l’intérieur », ajoutai-je avec un signe de la tête vers le bar, laissant à Dina la voix libre pour s’arrêter là, à ce petit moment plaisant partagé ensemble.


@Dina Reyes

« Bein, ex ou pas, t’es quand même le genre d’actrice qu’on veut avoir dans son film quoi. » Sacré faire valoir pour la production et potentiellement pour ceux qui voudraient investir dans le projet ; y a des recettes assurées au box office avec un nom comme celui de Marceline Griffiths à l’affiche. Toi en revanche, c’est un peu plus mitigé. Ta fanbase date d’il y a des années, la plupart t’ont oubliée et les dernières vidéos à ton sujet sont des top 10 de “que sont-ils devenus ?” où ton nom figurera entre deux ou trois autres enfants stars ayant mal tourné. « Ou alors c’est une expérience sociale pour voir laquelle de vous va craquer la première. » Tu plaisantes comme si tu connaissais le passif et le caractère de chacune. Qui sait, si ça se trouve c’est un mélange des deux et ça ferait de Margot un génie du mal absolu.
« Petit gabarit ?  Wow, j’vais me vexer attention. » C’est un peu un abus de langage, t’es pas excessivement plus petite qu’elle ou même sur le point de réellement te vexer pour de vrai. Enfin dans la situation actuelle, que tu fasses un mètre douze ou deux mètres, t’as bu suffisamment d’alcool pour que le décor tourne dans tous les sens. Heureusement pour toi, tu peux compter sur le mur derrière toi pour garder un semblant d’équilibre. Encore que. « ‘fin on est complètement bourrés aussi. » Nouveau ricanement débile, et surtout aucune intention de nier l’évidence, à quoi bon ?
C’est d’ailleurs cet état un peu second qui fait que tu rentres dans son jeu et que tu y plonges tête la première, sans penser un seul instant à qui pourrait vous voir et ce que ça pourrait impliquer pour toi et ce que tu tentes de cacher avec autant d’énergie. Les doutes et les craintes attendront que t’aies désaoulé, dans l’immédiat c’est bien plus intéressant de céder à la tentation. Le méfait accompli, tu prends tout de même cinq secondes pour t’en assurer et sa réponse te fait doucement ricaner. « Ah, ouais. » Ouf. « T’as vraiment l’air sous l’choc, » que t’as à peine le temps de marmonner avant qu’elle ne revienne t’embrasser. Maintenant que vous êtes sûres d’être branchées sur la même fréquence, c’est plus franc et t’es bien moins hésitante à laisser tes mains se balader un peu et à rapprocher son corps du tiens.
C’est drôle, l’effet que l’alcool peut avoir sur toi. T’es jamais aussi à l’aise avec une femme que lorsque t’as trois grammes dans chaque bras, jamais assez brave pour te dévoiler complètement alors même que tu ne connais pas plus que ça la personne en face. Ce soir, c’était probablement votre plus longue conversation depuis le début du tournage et ça a été suffisant pour te faire baisser ta garde, c’est pas sérieux, tout ça.
Alors qu’elle s’écarte et lâche ses propositions l’air de rien, tu ne peux t’empêcher de sourire légèrement. Ça serait si terrible que ça, de rentrer avec elle ? La toi sobre répondrait très certainement que oui ; non seulement c’est pas pro, mais en plus c’est une terrible idée qui aura des conséquences d’une façon ou d’une autre. C’était pas supposé arriver, tu pourrais juste arrêter là et lui dire “oui, allons danser”, et pourtant : « crois moi, t’as vraiment pas envie d’me voir danser. » Pour le coup, c’est complètement un mensonge éhonté. Danser, tu sais faire, très bien même, ta mère a pris soin de te payer des cours quand t’étais gamine histoire d’ajouter un talent supplémentaire pour ta future carrière. Mais là, t’es clairement pas en état d’aligner deux pas sans risquer de te prendre les pieds dans une chaise et d’emporter quelqu’un dans ta chute. Et puis si t’es tout à fait honnête, t’en as pas vraiment envie. « Par contre si jamais tu veux rentrer… » Vague haussement d’épaules juste histoire de feindre l’innocence la plus totale. « De toute façon j’suis à peu près sûre que personne remarquera qu’on est parties. » D’une, ils sont au moins tous aussi torchés que vous, de deux, c’est à peine si le reste de l’équipe a calculé Marceline de la soirée, sans doute trop effrayés à l’idée de dire quelque chose qui la ferait repartir aussitôt jusqu'à son trailer en pleurant. Et si quelqu’un demande, tu diras que tu l’as raccompagnée parce qu’elle était ivre et qu’il fallait s’assurer qu’elle rentre à bon port en un seul morceau. Et puis… c’était bien le minimum à faire après l’avoir trainée jusqu’ici alors que clairement, elle avait l’air de vouloir qu’on la laisse tranquille. Vraiment trop sympa comme meuf.

@Marceline Griffiths