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you're dead to me

Il n’a pas réellement imaginé quoi que ce soit d’extravagant. Un simple déjeuner en compagnie de son paternel, le jour de son anniversaire. Voilà ce qu’Arthur s’imagine lorsqu’il pénètre dans l’établissement dans lequel il a rendez-vous. Il ne saurait se souvenir de la dernière fois où il a déjeuné seul avec son géniteur, encore moins de la dernière fois où il a célébré son anniversaire avec un membre de sa famille, mais les tensions s’étant apaisées ces dernières semaines, il imagine la possibilité qu’une relation de confiance puisse s’installer. Il s’est démené, Arthur, à enchaîner les présentations, à rendre possible ce projet qui assurerait l’avenir de l’entreprise familiale. Il n’a pas démérité et le simple fait que son père l’invite au restaurant lui donne le sentiment d’avoir peut-être réussi quelque chose. Il le sait, les décisions vont tomber dès la semaine prochaine et il se demande si son père n’a pas reçu quelques exclusivités. Sans jamais se rappeler que ce sont toujours les perdants que l’on prévient en premier dans ce genre de dossier. 

L’hôtesse le dirige vers la salle du fond, elle paraît surprise de le voir, mais s’exécute avec un sourire impeccable. Arthur semble comprendre son hésitation lorsqu’on l’amène devant son paternel déjà attablé, à une table où n’est dressé qu’un seul couvert. James Coventry n’adresse aucun regard à son fils alors qu’il aboie sa commande au serveur présent à ses côtés. « Et je prendrai un verre de votre meilleur vin rouge. » Arthur s’est arrêté en bout de table, incapable de savoir s’il peut tirer la chaise et l’emprunter ou s’il devra rester debout. À son tour, le serveur l’observe sans réellement savoir quelle serait la marche à suivre. « Mon fils ne va pas s’attarder. » Et en un claquement de doigt, James répond aux questions de tout le monde d’un ton sec et impérieux. « Je pensais que tu m’avais invité à déjeuner. » Et il pensait pouvoir, peut-être, passer un moment agréable avec son père. Ce n’est pas qu’Arthur accorde une véritable importance à son anniversaire, mais c’est loin d’être un jour comme les autres, malgré tout. « Tu sais très bien que je n’ai pas de temps à perdre pour ce genre de chose. » La sentence est irrévocable. Arthur n’a pas été invité, il s’est fait convoquer tel un gamin que l’on aurait amené tout droit dans le bureau du proviseur. « Et encore moins avec toi. » Et malgré ses trente-trois années de vie, Arthur arrive encore à être surpris de la remarque de son père. Il cherche à se tenir droit, refusant de flancher pour si peu, il a entendu bien pire après tout, non ? « Alors, je peux savoir ce que je fais là ? Je n’ai pas de temps à perdre non plus ! » Son père ne le prend peut-être toujours pas au sérieux, mais Arthur a encore une réunion à animer dans l’après-midi avant de rejoindre Greta qui n’a eu de cesse d’être mystérieuse quant au programme de la soirée.

Arthur s’attend à une énième remontrance pour une broutille. Il est prêt à entendre les jérémiades de son père, les remarques désobligeantes habituelles. Il est prêt à tout, sauf à ce qui va suivre. « Aurora Holmes, ça te dit quelque chose ? » Le prénom est certainement familier, des filles nommées ainsi, il n’en connaît qu’une seule. « Oui. » Aurora avait été de passage en ville, bien avant que son histoire avec Greta ne se remette sur les rails, quand il passait encore son temps à soirée et à flirter avec la première venue, il y a des mois de cela donc. Des mois. Arthur se sent blêmir tout en cherchant à calculer la dernière fois qu’il a pu croiser cette jeune femme en question. Est-ce qu’elle est allée réclamer de l’argent à son père. « Je te savais ignorant, Arthur, mais là, c’est affligeant… » Il n’est plus certain de comprendre quoi que ce soit. « Mais encore ? » Et il répond, parce qu’il a toujours fait ainsi. C’est le seul langage que son père comprend, la confrontation éternelle. « Si tu t’étais un minimum renseigné avant de baiser la première venue qui s’intéresse à toi, tu aurais su qu’elle est la petite fille de Hobbs. » Henry Hobbs. L’éternel concurrent des Coventry. Un magnat de l’immobilier comme on n’en fait plus de nos jours, un véritable requin dans le milieu. « Comment je pouvais savoir qu’Hobbs serait en Australie ?! » Arthur ignorait qu’Hobbs cherchait à faire affaire en Australie, mais désormais la nouvelle l’effraye. « Il était ravi de venir m’apprendre qu’en plus d’être un tocard de drogué, mon fils a également tendance à s’épancher auprès de ses conquêtes. » Arthur s’était fait avoir, tel un débutant. Il se souvient d’Aurora. Ils ont longtemps joué à se tourner autour, elle lui avait proposé de la poudre un soir, il l’avait suivi sans même hésiter. Ils viennent du même milieu, ont les mêmes histoires. Ils se sont amusés et Arthur s’est confié. Peut-être qu’elle avait insisté en lui servant de la cocaïne sur un plateau d’argent pendant qu’il délivrait une partie de sa stratégie pour le projet à venir. « Hobbs a su se mettre le comité dans la poche dès le départ, usant de tes idées pour commencer, avant d’utiliser ta réputation pour enfoncer le clou. » Il s’était fait doubler comme un débutant. Peut-être pire encore, à en juger par le regard que lui adresse son père. « Ta dernière présentation, en plus d’avoir été bâclée dans sa forme, leur est apparue comme un véritable plagiat du projet amené par Hobbs dès le début des négociations. » Il se redresse, Arthur, près à se défendre, près à travailler deux fois plus dur pour amener quelque chose de différent, après tout, des idées : il n’en manque plus désormais. « Je peux reprendre la présentation, on avait d’autres pistes, c’est pas… » - « Je veux même pas t’entendre, Arthur, c’est la dernière fois que je me fais humilier de cette façon au travers de tes actions. » Il suffit d’une seule phrase pour qu’Arthur redevienne cet enfant qui baisse le regard, incapable d’affronter cet homme qui le terrorise parfois. « Je te faisais confiance, tu étais toujours aussi peu fiable, mais tu avais au moins l’air de t’être remis dans le droit chemin et, au final, tu n’amènes qu’une énième déception, bafouant le travail de toute une vie et la mémoire d’Harding au passage. » Le simple fait d’évoquer le nom du père de son meilleur ami le met mal à l’aise. « Hobbs me fait passer pour un menteur et un incapable. Nous allons perdre des milliers de dollars par ta faute ! » Il peut l’entendre, son père est en train de perdre patience. La sentence va tomber et Arthur ne pourra rien dire. Il a été invité à se taire dès le début de cette entrevue, après tout, aucun couvert n’était prévu pour lui. « Inutile de te présenter au bureau lundi matin. » Il a presque envie de rire, ce serait de la folie, mais Arthur s’attendait à bien pire. Et peut-être que son arrogance se lit sur ses traits. « Ça t’amuse peut-être ? Je n'ai pas fini. » Une fois encore, il se redresse, attendant la suite. Une part de lui cherche déjà à se détacher de l’instant, se répétant sans cesse qu’il n’en a rien à foutre, que ce n’est pas ce vieillard qui va continuer à lui dicter sa vie. Tandis que l’autre part, celle qui s’est donnée à mille pour cent ces derniers mois, est en train de s’écrouler tel un château de cartes. « As compter de ce matin : tu n’as, dorénavant, plus accès au compte en banque que ta mère alimente depuis des années. Je te demanderai d’être sorti de l’appartement dès dimanche soir également. » Il ne connaît que l’arrogance comme arme de défense. « Ce sera tout, Monsieur ? » Il s’attendait à une réaction de son père, mais pas à ce que ce dernier se lève dans un bond pour venir le toiser de toute sa hauteur. « Ne joue pas au plus malin Arthur, je t’avais laissé une énième dernière chance, désormais c’est terminé. Tu ne retrouveras plus jamais le moindre poste dans ce domaine, fais-moi confiance à ce sujet. Et ce n’est pas ton nom qui te viendra en aide désormais. » Et cette fois, il rit, pour de vrai. « Comme si tu allais salir le nom Coventry pour me mettre des bâtons dans les roues. » Il rit encore, avant qu’une paume ne vienne claquer contre sa joue. Trente trois ans aujourd’hui et il vient de se prendre une gifle de la part de son père. « Encore faut-il que tu sois véritablement un Coventry, ta mère a toujours eu tendance à écarter les jambes pour n’importe qui. » C’est la goutte de trop, mais Arthur n’est pas assez vif, il était en train de lever le poing, mais son père vient lui écraser le poignet dans sa poigne de fer. « Réfléchi bien à tes prochaines actions, Arthur, je pourrais faire de ta vie un enfer. » Il ricane encore. « C’est déjà le cas, depuis plus de trente ans, t’en fais pas. » - « Tu as toujours été si ingrat alors que sans moi tu ne serais rien, tu n’es qu’un raté, Arthur, ne l’oublie pas. » Et désormais, plus rien n’allait arrêter James Coventry. « Si peu intelligent que c’est ton ami qui a validé ton seul diplôme à ta place, tellement défoncé que tu as ôté la vie à l’un de tes patients, incapable de la moindre responsabilité envers la seule fille bien que tu avais réussi à nous ramener, tu as laissé ta sœur seule avec tes drogués d’amis pour qu’ils abusent d’elle. Sa vie a été ruinée par ta faute, Arthur. » Le venin s’écoule lentement sur sa peau, imprégnant le moindre de ses pores. « Combien de cures est-ce que tu as faites pour en revenir toujours au même résultat ?! Tu viens de me coûter l’avenir de mon entreprise pour un peu de cocaïne et une baise minable. » Une dernière fois, James resserre son étreinte sur le poignet de son fils. « Voilà ce que ça me coûte d’avoir appeler les secours ce fameux soir. » Le soir de son overdose, lorsque sa mère l’avait découvert inconscient et avait supplier son mari d’emmener leur fils dans le meilleur hôpital de la ville. James avait dépensé une fortune pour garder le silence du personnel médical et pour envoyer Arthur en cure. Et désormais, Arthur pouvait le lire dans ses yeux, il regrettait sincèrement d’avoir autant donné. Désormais, Arthur n’était qu’une merde sous sa chaussure. Une dont il allait rapidement se débarrasser, car James Coventry a bien peu de temps à perdre pour un gamin qu’il n’a jamais considéré comme son égal. Dans un dernier geste sec, il repousse Arthur avant d’épousseter son costume trois pièces. « Disparait de ma vue maintenant, j’ai un déjeuner à terminer. » Et voilà comment il se fait remercier par son propre père.

Et joyeux anniversaire, Arthur.