Ce n’est pas un date. Ce n’est pas un date, mais elle a tout de même pris le temps de choisir une tenue qu’elle aime, des bijoux qui font du sens, des cheveux plaqués avec soin. Ce n’est pas un date, mais son cœur bat tout de même à un rythme différent depuis qu’elle est dans cet appartement, sans qu’elle ne puisse pourtant dire si cela est dû à la présence seule de Kendall ou au contexte dans son entièreté. Il y a sans doute de tout, elle ne pourrait mentir sur ce point, et sentir l’odeur du brûlé à peine la porte de l’appartement passée a été une véritable madeleine de Proust pour elle. A son message, elle avait répondu d’un simple “ok”, avant de mimer l’indifférence tout au long de la semaine lorsque leurs chemins étaient amenés à se croiser au bureau.

Le risotto a été troqué pour une commande de livraison sans que cela n’ait pu étonner l’un ou l’autre des protagonistes de cette histoire. Au contraire, ça aussi cela a fait partie des souvenirs qu’elle associe immédiatement à Kendall, pour avoir passé une longue partie de sa courte vie à ses côtés. La soirée, elle, a déjà été longue. La bouteille de vin a été vidée et elle est à peu près certaine qu’il leur en a sortie une deuxième de Dieu sait où. Elle aussi a été vidée, si tel est le cas. « Je veux sortir. Faire quelque chose. » Sa tête se balance contre le dossier du canapé sur lequel elle est appuyée. Ses yeux trouvent un instant le plafond, avant de se replonger dans le bleu rassurant de ceux de Kendall. « Tu veux aller en boîte ? » Ils resteront tous les deux, ils continueront ce “Dieu sait quoi” consistant à les rassurer avant qu’ils replongent tête baissée dans une énième histoire d’amour. « J’ai des amis qui sortent. Je pourrais te les présenter. » Le présenter comment, elle ne le sait pas encore, mais Ken sait bien que si elle cherche à le présenter à ses proches alors cela signifie qu’il se trouve en bonne voie. En bonne voie pour quoi, justement, cela reste encore à préciser. Le simple fait qu’elle ferme son poing sur le canapé pour s’appuyer dessus et mieux se rapprocher du brun pour embrasser sa mâchoire est pourtant un premier indice sur l’étiquette qu’elle pourrait lui donner ; autant que sur une consommation d’alcool lui ayant déjà fait oublier toutes ses fausses bonnes idées qu’il doive faire ses preuves pour la “mériter”. « Sauf si t’as de quoi faire ici. » De quoi l’amuser, la divertir. Peu importe ce dont il s’agit: il la connaît assez pour qu’elle n’ait pas à décrire ses goûts.

Charlie lui a demandé de la mériter, de lui prouver qu’il était digne de revenir -encore une fois- dans sa vie et c’est ce qu’il a décidé de faire, d’essayer du moins. Il avait prévu de faire des efforts en l’invitant chez lui et en lui préparant lui-même un plat. Grand habitué des services de livraison ou des déjeuners à l'extérieur, il est très loin d’être le roi des fourneaux. Chez ses parents c’était un chef privé qui préparait les repas de la famille, personne ne lui a donc jamais appris à cuisiner. Dans son excès de confiance habituel, Kendall a décidé de se lancer dans la confection d’un risotto. Un jeu d’enfant dans son esprit, il n’y avait qu’à suivre la recette étape par étape et le tour était joué. Résultat ? Du riz brûlé accroché au fond de la poêle et une affreuse odeur de cramé qui l’a obligé à faire de grands courants d’air dans son appartement. Mais l’intention était là et c’était le principal, après tout, Charlie n’était pas venue pour juger la cuisine.

***

Le temps a filé à une vitesse folle et Kendall a perdu la notion du temps. A voir l’état des deux bouteilles de vin vides posées sur le bar de la cuisine, il est déjà tard et la soirée est loin d’être finie. Le vin l'enivre et lui fait légèrement tourner la tête et c’est une sensation plus qu’agréable. Pour la première fois depuis plusieurs mois il a vraiment l'impression de lâcher prise et d'être détendu. Cette soirée a réussi à effacer tous les soucis du quotidien qui sont restés sur le palier de la porte quand Charlie est entrée. Ils ont parlé de tout, de rien, ils se sont chambrés et on ri comme avant. Retomber dans leurs vieilles habitudes et retrouver leur complicité n’est absolument pas raisonnable, au fond, Ken le sait pertinemment, mais il n’a jamais été quelqu’un de raisonnable, il ne le sera jamais et n'en a aucunement envie. « Je veux sortir. Faire quelque chose. » Il porte son verre à ses lèvres avant de le poser sur la table basse devant eux. « Tu veux aller en boîte ? » L’idée est tentante et lui rappellerait les soirées festives qu’ils ont pu faire à la fac quand ils se sont rencontrés. “Mmh. Pourquoi pas.” Il se souvient des moments où, après que Ken ait planté ses amis pour Charlie, ils dansaient tous les deux comme s’ils étaient étaient seuls avant de s’éclipser discrètement de la soirée pour pouvoir se retrouver seuls dans la chambre de l’un ou de l’autre. « J’ai des amis qui sortent. Je pourrais te les présenter. » Les émotions se mélangent dans le cerveau du policier. S’il est d’un côté heureux d’apprendre qu’il réussit à remonter suffisamment dans l’estime de la blonde pour qu’elle veuille le présenter à ses amis, il est un peu déçu à l’idée de ne pas pouvoir prolonger la soirée seulement avec elle. Elle embrasse sa mâchoire ce qui le fait frissonner. Il a définitivement marqué des points ce soir, il en est absolument certain désormais. « Sauf si t’as de quoi faire ici. » Il plante ses yeux bleus dans les siens, un petit sourire sur les lèvres. Bien sûr qu’il avait de quoi les occuper chez lui. “J’ai toujours de bonnes bouteilles ici, une enceinte..” Entre la proximité qu’il y a entre eux, le souvenir des papillons dans son ventre quand il a senti ses lèvres sur son visage et la désinhibition de l’alcool, la tentation est grande. Il s’approche pour l’embrasser à son tour sur la mâchoire pour finalement légèrement descendre dans son cou avant de lui chuchoter à l’oreille “et j'ai quelques idées pour nous occuper ici”. Il se redresse ensuite, un sourire mutin aux lèvres, pour finir l’ultime gorgée de vin qui lui reste, comme si de rien n'était. Il ne peut pas s'empêcher de lui montrer qu'il la désire énormément et de la titiller un peu pour la provoquer. “Mais si tu préfères sortir c’est comme tu le sens, ça me va aussi.”

Déjà, elle en est à ce moment de la soirée où l’alcool dans son sang la pousse à vouloir faire toujours plus de choses, toujours plus d’activités et à toujours vouloir aller au bout d’idées qui n’ont rien de bonnes. “Mmh. Pourquoi pas.” Il ne saute pas au plafond mais ne refuse pas la proposition pour autant, ce qui est un point sur lequel Charlie s’accommode parfaitement: ils iront en boîte, donc. Ils renoueront avec le bon vieux temps et avec l’époque où tout allait aussi bien que mal entre eux ; époque à laquelle rien ne les empêchaient de faire les quatre cent coups ensemble. Comme d’un argument supplémentaire, elle ajoute simplement avoir des amis à lui présenter, ce qui est un point qui dénote de leur histoire commune : ils ont toujours eu les mêmes amis, les mêmes connaissances. Toujours.

Et déjà, elle désamorce l’idée et passe à une autre. Ils ne seront jamais mieux servis que par eux-mêmes, non ? Alors pourquoi perdre du temps pour aller dans un endroit où ils critiqueront sûrement la musique ? Pourquoi ne pas simplement pimenter un brin l’instant présent pour en profiter davantage ? La demande sonne comme un défi, si bien qu’elle ne quitte pas Ken des yeux un seul instant. “J’ai toujours de bonnes bouteilles ici, une enceinte..” Plus. Elle a besoin de plus ; et Charlie n’y pense déjà plus lorsqu’il l’embrasse contre la mâchoire et finit par l’embrasser contre son cou ensuite. Elle a déjà renoué avec son éternelle habitude de toucher avec Kendall, mais jusque-là tout n’était qu’à sens unique, sans doute d’ailleurs parce qu’elle avait plutôt claire dans l’idée de mettre une barrière entre eux et qu’il ne pouvait pas anticiper quelle serait la réaction de la blonde. Sur l’instant, sans surprise, elle en oublie la longue liste de ses requêtes pour plutôt se laisser aller, ses paupières venant fermer l’accès au clair de ses yeux pendant une seconde et une autre. “et j'ai quelques idées pour nous occuper ici”. Il se redresse trop vite au goût de Charlie, qui ne prend pas la peine de cacher sa frustration dans le regard qu’elle lui porte et dans ses sourcils qu’elle fronce légèrement. Kendall est, au contraire, particulièrement amusé de la situation. Cela n’a rien d’étonnant. “Mais si tu préfères sortir c’est comme tu le sens, ça me va aussi.” La réponse de Charlie ne tarde pas à arriver. « Oh, ferme-la. » Il sait très bien ce dont elle a envie et il sait tout autant qu’il gagne haut la main face à une simple proposition de sortie entre amis. « Embrasse-moi. » Elle se laisse retomber en arrière sur le canapé, ses mains posées à la même hauteur que ses épaules pour arriver à garder un certain équilibre malgré tout. Elle veut que Kendall vienne à elle, elle veut qu’il montre par les gestes qu’il a tout autant envie qu’elle de ne pas être raisonnables (une fois de plus) et de retomber dans leurs vieux travers (une fois de plus). Ils connaissent la chanson, et ce n’est pas parce qu’ils l’ont jouée à de nombreuses reprises qu’elle en devient moins grisante avec le temps. « A quel point je t’ai manqué ? » Elle peut accepter une réponse verbale comme non-verbale, se faisant pour une fois bien moins pointilleuse. Son sourire s’étire en coin, arrogant, teinté par le trop plein d’alcool. « Des idées, tu disais ? » Elle ne demande qu’à voir, donc.

Charlie veut sortir, aller en boîte et l’idée n’emballe pas Kendall. Dans un autre contexte il aurait sûrement accepté spontanément mais pas ce soir. C’est la première fois depuis des années que Charlie et lui passent une soirée ensemble sans se traiter de tous les noms d’oiseaux. L’ambiance est plus que détendue, les bouteilles de vins vidées jusqu’à la dernière gouttes n’y sont sûrement pas pour rien, et il n’a pas envie que ce moment prenne fin. Il lui fait une réponse mitigé, si elle a vraiment envie de retrouver les amis dont elle parle il la suivra mais il a d’autres projets pour la soirée.

Quand elle lui demande s’il a mieux pour les occuper chez lui, Ken y voit une opportunité dont il se saisit immédiatement. Il commence en douceur par parler des prochaines bouteilles qu’ils peuvent descendre ou encore de la musique qu’ils pourront mettre à fond pour faire chier les voisins. Et puis il décide de tenter de se rapprocher d’elle physiquement pour lui donner une idée de ce qu’il peut bien avoir en tête. Il l’embrasse dans le cou avant de se redresser pour la provoquer et il n’y a qu’à voir la tête de Charlie pour savoir que c’est plus que réussi. Kendall, lui a un petit sourire plus que satisfait de voir qu’il lui fait toujours autant d’effet. Satisfait de se dire qu’en un contact physique et deux trois mots susurrés à l’oreille il arrive encore à lui faire changer ses plans pour la soirée. « Oh, ferme-la. » Son sourire espiègle s’agrandit un peu plus. «[color=crimson Embrasse-moi.[/color] » Elle est désormais allongée sur son canapé et il se place au-dessus d’elle à son tour. “Puisque c’est demandé si gentiment.” Et sans attendre davantage il s’exécute, en appui sur son avant-bras gauche alors que sa main droite est posée à cheval sur la mâchoire et le cou de la blonde. Ses lèvres se posent sur celles de Charlie comme ils l’ont fait des centaines de fois par le passé. Le geste est familier, naturel mais les sensations, elles, sont toujours aussi intenses et l’alcool n’y est pour rien : elle lui a manqué. Il se détache de ses lèvres pour plonger son regard plus que pétillant dans le sien le temps d’un instant. « A quel point je t’ai manqué ? » Elle le provoque à son tour, elle le défie et Kendall adore ça. Il préfère lui montrer plutôt que de lui dire, il a toujours été comme ça Ken, préférant les actions plutôt que les mots dans le vide. Elle verra bientôt à quel point elle lui a manqué, à quel point il a imaginé son corps, à quel point il a pensé à ce moment, à leurs retrouvailles sur l’oreiller. Il l’embrasse à nouveau, plus passionnément cette fois avant de descendre dans son cou progressivement alors que le parfum de Charlie est une véritable madeleine de Proust pour lui. Leur baiser prend fin et il n’y a qu’à voir le sourire de Charlie pour voir qu’il lui a manqué aussi. « Des idées, tu disais ? » Il se redresse légèrement, pour pouvoir poser sa main sur la clavicule de Charlie, laquelle se promène jusqu’à la bretelle de son haut qu’il fait glisser sur son épaule pour dévoiler son épaule. Il s’approche dans le creux de son cou pour lui glisser à l’oreille “Je crois qu’on est un peu trop habillés pour ce que j’avais en tête” Tandis que ses mains parcourent le corps de la blonde au-dessus de ses vêtements en attendant qu'elle décide de les retirer -ou non- : bien qu'il préfère diriger, il a aussi envie de voir à quel point il a pu lui manquer.

Ces moments avec Kendall lui avaient manqué. Ce final de leur éternel jeu du chat et de la souris lui avait manqué autant que le contact de son corps contre le sien et le sentiment de se sentir plus que jamais aimée et désirée. Elle s’en mordra les doigts tôt ou tard, elle le sait bien, mais sur l’instant ce n’est pas un problème auquel elle veut penser. Elle retrouve le regard clair de l’homme qu’elle a tant aimé, elle retrouve ses lèvres encore et encore en même temps qu’elle se dévête de ses vêtements pour qu’ils passent à une autre étape, Kendall semblant soudainement douter de l’envie de Charlie à finaliser leur soirée. “Je crois qu’on est un peu trop habillés pour ce que j’avais en tête” Ca tombe bien, elle ne se faisait pas un tableau d’une fin de soirée qu’ils passeraient en étant habillés, sans doute justement un peu trop habitués à ce qu’ils ne le soient rapidement plus. « Ça tombe bien, j’ai la solution à ça. » Et ses gestes retrouvent leurs habitudes avec une rapidité qui la déroute un brin, son esprit encore ancré dans l’idée qu’elle s’était faite de ne plus jamais retrouver le contact avec Ken. Lorsqu’il l’embrasse dans le cou de cette façon si particulière, pourtant, elle ne peut tenir cette promesse désuette.

* * *

« J’ai l’impression que rien n’a changé. » Un nouveau t-shirt de Kendall volé et posé sur elle, Charlie déambule dans l’appartement avec un certain sentiment de complétude. « Ca, ça. » Le premier ça désigne les bouteilles vides, le deuxième ça le seul habit étant devenu un t-shirt volé. « Sauf qu’on est… dans la police. » cette dernière réflexion lui tire un sourire particulièrement amusé alors qu’elle nourrit l’impression qu’ils ont bien réussi leur vie, enfin. Elle est surtout amusée de cette idée que deux têtes de mule comme eux ont finalement pu suivre une voie professionnelle aussi éloignée de leurs aspirations premières, lorsqu’ils étaient encore des adolescents et voulaient tout prouver, tout essayer. « T’es vraiment rentré dans les rangs ? » Après avoir traversé l’appartement de long en large, c’est auprès de Kendall qu’elle revient, tel un aimant attiré par sa source magnétique. Elle retrouve naturellement une place sur ses genoux, ses lèvres contre les siennes, un sourire espiègle venant finalement se poser contre la mâchoire qu’elle embrasse. « Ou est-ce qu’on pourrait trouver de quoi s’amuser ? » Parce qu’elle a connu une vie dans laquelle ils ne s’arrêtaient certainement pas aux petites bouteilles d’alcool et peut-être que ça aussi, ça lui manque en même temps que tout le reste. La madeleine de Proust n’est pas complète.