@Scarlett Bridgers

« Depuis combien de temps tu le connais ? » Ruben déteste l’idée qu’ils soient en train de discuter sans lui, mais il adorerait néanmoins qu’ils prennent ce temps pour faire de lui et lui seul le sujet de toutes les discussions - ou presque. Il y a bien d’autres sujets qu’il aurait à coeur d’aborder avec une personnalité telle que Scarlett mais il cherche avant tout à comprendre comment lui et elle ont pu en arriver jusque là. Le problème a beau être tourné et retourné dans tous les sens, c’est à n’y rien comprendre et l’idée qu’il ne soit même pas attiré sexuellement par elle est sans doute une première dans la vie dense et sans gêne du chirurgien. Déjà, Ambrose se demande pourquoi Ruben avait tant insisté pour qu’ils n’échangent pas leurs téléphones, comme si le pire allait arriver - et il se demande d’autant plus ce que cela peut être alors que sa femme vient d’apprendre l’existence pas seulement d’un amant mais bien de deux.

Du bout des doigts, il pioche une frite aussi grasse que salée pour en croquer un bout, le dîner n’ayant rien de fait maison, rien de chic, et rien de sublime. Ils ont fait venir un livreur au salaire atroce, ce que tout le monde sait mais ce qui ne laisse pas quiconque changer ses habitudes pour autant. Déjà, Ambrose s’intéresse d’un autre point. « Qu’est-ce que tu sais et que je ne dois surtout pas apprendre ?» Pourquoi a-t-il autant insisté pour le ramener chez lui avant qu’ils puissent trouver le temps d’échanger plus de deux mots ? De toute évidence, Scarlett donnait la nature de leur relation - il le savait dès le départ ou presque, mais puisque Ruben n’a fait preuve d’aucune pudeur au moment des au-revoirs, cela a confirmé son idée - mais il n’est pas certain de comprendre à son tour toutes les nuances de la leur, de relation. L’idée que la balance puisse être aussi déséquilibrée entre eux ne le rend pas à l’aise. L’idée même que quiconque connaisse la nature de leur relation n’est déjà pas pour le mettre à l’aise, ni même en confiance. Ruben est son vilain petit secret, il est le sien. Si on leur retire l’aspect de “secret”, il ne reste que peu de choses. « Tu as cru à son numéro du parfait gendre ? » Elle fréquente les meilleurs menteurs ; est-ce qu’il a su la berner un seul instant, elle ? La réponse ne lui apportera sans doute rien mais elle ne le rend pas moins curieux, parce qu’il veut comprendre la dynamique derrière leur duo parfaitement atypique. Peut-être qu’une part de lui nourrit une certaine jalousie à son égard, même alors que leur relation est bien différente de celle qu’il entretient lui-même avec le chirurgien.

L’ambiance est étonnemment détendue. Le sel et la graisse collent leurs doigts, les petites bulles du coca claquent dans la gorge de Scarlett. Elle se demande vaguement comment elle est en arrivée à partager un dîner avec Ambrose Constantine, dont elle ignorait le lien avec Ben il y a encore quelques heures de ça. « Depuis combien de temps tu le connais ? » Scarlett plisse les yeux, fait le calcul silencieusement. « Environ cinq ans. » C’est long, se dit-elle, pour elle dont les connaissances vont et viennent dans sa vie sans beaucoup d’attachement ou de loyauté. « Il était tuteur à l’université où je prenais des cours du soir en mathématiques », elle explique, avouant avec un certain sourire que Ruben a été son tuteur (quel enfer de nourrir son égo ainsi). « On s’est bien entendu, on est resté en contact. C’était censé être une connaissance avec qui je dînais quelques fois par an. Ne me demande pas comment il a fini par vivre à moitié chez moi, je ne saurais pas l’expliquer.  », elle admet avec une pointe d’humour qui cache pourtant quelque chose de tout à fait sérieux. Elle ne sait pas comment elle s’est retrouvée là. Ne sait toujours pas exactement ce que sa relation avec Ruben est. Un mot traîne dans sa tête, mais elle ne l’a jamais vraiment appliqué à qui que ce soit, à Brisbane, et ne saurait pas comment l’utiliser. « Et toi ? Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? » Elle demande, parce que Ruben n’a pas eu le temps de détailler. Ambrose ne voudra peut-être pas le raconter, et elle ne le blamerait pas pour un peu de pudeur.

« Qu’est-ce que tu sais et que je ne dois surtout pas apprendre ?» Scarlett a un petit rire, et répond avec honnêteté : « Qu’il est insupportable, mais tu le sais déjà ça, non ? » N’importe qui passant plus de deux heures avec Ruben le sait. Elle prend une bouchée de son burger, réfléchit à quoi rajouter. « Qu’il fera tout pour rester avec Nina, mais ça aussi, tu le sais déjà. » Ce n’est même plus une question, mais bien une affirmation. Elle ne connaît pas Ambrose, mais de ce qu’elle sait de lui, elle estime assez son intelligence pour ne pas le prendre pour un imbécile - bien que ses opinions politiques idéalistes pourraient faire de lui un éternel romantique qui attend le déclic de Ruben.

Elle se demande ce qu’Ambrose cherche avec Ruben. Mais elle attend que la conversation s’y prête pour poser la question. Elle sent qu’Ambrose a besoin de comprendre qui elle, d’abord, avant de pouvoir exactement lui faire quelques confessions. « Tu as cru à son numéro du parfait gendre ? » C’est une question facile, à laquelle Scarlett peut répondre sans mentir. « Non. » Elle penche la tête, rajoute : « Peut-être un peu, au tout début. Mais ça n’a pas duré longtemps. » Elle se félicite de cerner vite les gens, et même si elle n’aurait pas imaginé que Ruben soit aussi messy, à avoir non pas un mais deux amants, elle n’est pas non plus surprise qu’il ne soit pas le mari idéal. « Je n’ai pas un caractère facile, lui non plus, je pense qu’il a senti qu’il pouvait se permettre d’être lui-même devant moi. Enfin, en privé, évidemment. En public, c’est autre chose. Pour lui, comme pour moi », elle précise. Parce que c’est aussi ça qui les lie : leur ambition, leur façon de se présenter au monde.

« Tu cherches quoi, avec lui ? » Elle finit par demander. « Tu pourrais avoir qui tu veux. C’est le frisson du secret qui te plaît ? » Parce qu’Ambrose est jeune, beau, charismatique, si ce n’est pas Ruben, ça pourrait être quelqu’un d’autre. Pourquoi vouloir Ruben, spécifiquement ? « Ne me dis pas que tu es vraiment amoureux de lui », elle ajoute avec un trait d’humour, mais aucun jugement.


@Ambrose Constantine  

Finalement, il ne sait pas s’il est plus curieux de connaître Scarlett, ou bien le lien qui l’unit étrangement à Ruben (étrangement, parce que les proches du chirurgien sont rares et qu’il connaissait jusque là dans sa vie des membres de sa famille, des collègues et des amants - à noter qu’il avait trouvé le moyen de lier par deux fois les deux derniers genres). Il est néanmoins soulagé qu’elle se plie au jeu des questions et réponses sans chercher à protéger leur secret. « Environ cinq ans. » Un bout de vie, donc. Elle n’est pas arrivée dans sa vie hier et Ambrose ne sait pas quoi faire de cette information, hésitant entre soulagement et vexation : puisqu’ils se connaissent depuis autant de temps, pourquoi Ambrose n’avait jamais eu le droit de la rencontrer avant ça ? S’ils sont si proches, l’un de l’autre ? « Il était tuteur à l’université où je prenais des cours du soir en mathématiques » Décidément, Ruben a un petit quelque chose pour le lien de maître-élève et cette remarque tire à Ambrose un sourire particulièrement amusé bien qu’il n’en fasse aucun commentaire. Malgré cette pensée, Ambrose n’en écoute pas moins le reste des explications, qu’il assimile avec une curiosité sincère. Il ne comprend pas comment ils sont passés de simples connaissances à véritables confidents mais il n’en demande pas davantage, respectueux des tenants et aboutissants de leur amitié. « Et toi ? Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? » - « On se connaît depuis huit ans. » Ce n’est pas un concours, certes, mais si c’en était un alors il aurait gagné. Il ne rentre pas dans le jeu de Scarlett à lui préciser depuis combien de temps ça dure, choisissant volontairement de tourner sa réponse différemment pour qu’elle ne court pas trop rapidement vers les conclusions. En parallèle, il fait aussi attention à ne pas lui mentir, trop peu conscient de ce que Ruben aurait pu choisir de lui dévoiler au non au cours de leurs cinq ans de discussions et confessions. Elle a beau ne pas être son ennemie, il a besoin de temps avant de s’assurer qu’elle peut être son amie. « On s’est connu dans un bar. Bien moins original. » Il l’admet dans un sourire simple, ses pensées déjà occupées à vagabonder à cette époque, quand tout était si simple.

« Qu’il est insupportable, mais tu le sais déjà ça, non ? »
« Evidemment »

Il n’y a même pas besoin de connaître Ruben depuis cinq ou six ans pour savoir qu’il est insupportable. Le premier venu serait d’accord avec eux, à la seule exception peut-être de ses patients avec qui il est obligé d’interragir différemment. Pour le reste du monde, cela passe tout à fait inaperçu, pour sûr. « Qu’il fera tout pour rester avec Nina, mais ça aussi, tu le sais déjà. » Cette affirmation est bien moins amusante, de toute évidence. Il ne va pas moins en son sens mais ne se retient pas pour souffler longuement. « Je sais pas ce qu’il peut encore espérer après ce qu’il lui a fait. » Tout objet brisé ne peut pas toujours être réparé, et puisqu’il évolue dans le domaine médical, il devrait à son tour savoir que tous les patients ne peuvent pas être sauvés. Tous les couples ne le peuvent pas non plus, et le sien en est sûrement un bon exemple. Elle ne lui pardonnera jamais de l’avoir trompée avec deux personnes, et qui plus est avec une d’elles sous son propre nez.

Scarlett gagne des points dans son estime en avouant avoir cru à son numéro du parfait gendre seulement au début de leur amitié, ce qui est une prise de conscience que peu peuvent se vanter - lui-même a encore du mal à se faire à l’idée que Ruben n’est pas aussi parfait qu’il voudrait le faire croire. « Je n’ai pas un caractère facile, lui non plus, je pense qu’il a senti qu’il pouvait se permettre d’être lui-même devant moi. Enfin, en privé, évidemment. En public, c’est autre chose. Pour lui, comme pour moi » Elle n’a pas besoin de préciser davantage ce dernier point, Ambrose hochant déjà bien assez la tête pour lui faire comprendre qu’il a compris et qu’elle n’a pas à s’en faire. Lui aussi est différent dans le cadre privé et dans celui professionnel. Ils n’ont pas le choix dans leur milieu ; pour Ruben, c’est différent, il a simplement besoin de se faire aimer par tout le monde. « Il a besoin d’avoir des personnes qui lui tiennent tête, ça lui fait les pieds. » Ambrose est parfois ce genre de personne ; parfois pas. Cela dépend à son tour ce dont il a envie et besoin chez le Hartfield. Scarlett, elle, n’a pas ce genre de question à se poser, et tant mieux. « La vie ici ne doit pas être de tout repos. » Avec deux forts caractères sous le même toit, il imagine déjà le pire, surtout alors qu’il connaît parfaitement au moins l’un des deux.

« Tu cherches quoi, avec lui ? » Tout et rien, sans doute. Bien plus “tout” plutôt que “rien”, en réalité. « Tu pourrais avoir qui tu veux. C’est le frisson du secret qui te plaît ? » Cette fois-ci, il répond par un rire un brin amusé, un brin gêné. S’il pouvait vivre sans le moindre secret, il serait heureux de le faire. « Ne me dis pas que tu es vraiment amoureux de lui » Et la voilà qui pose sans doute la question de trop, poussant Ambrose à préférer répondre aux premières plutôt que de prendre le risque de répondre positivement à celle-ci - parce que oui, il est assez stupide pour l’aimer et ce n’est pas un secret pour Ruben. « Il fait partie de ma vie depuis longtemps. Il est comme une madeleine de Proust. » Ou plutôt un vieux doudou tâché, usé et troué dont un enfant devenu adulte refuserait de se délester sous couvert qu’ils ont traversé beaucoup de choses ensemble et qu’il ne veut pas l’abandonner. C’est un peu ce que représente Ruben à ses yeux, même s’il faut évidemment rajouter tout l’aspect des sentiments amoureux pour venir (malheureusement) complexifier tout le tableau. « Mais non, je suis pas grisé par l’idée d’un secret. Encore moins un du genre. » Il reprend son sérieux, parlant face à une personne qui, il le sait, comprendra parfaitement ce qu’il explique. « Je n’ai pas caché être bisexuel, ce n’est pas le sujet, mais être l’amant d’un homme marié serait un désastre d’opinion public. » Il perdrait la confiance de trop de personnes ; bien plus qu’il ne peut se le permettre à son petit niveau, d’ailleurs. « Être l’amie d’une personne du genre le serait presque tout autant. J’ai été étonné d’apprendre que vous étiez proches pour cette raison. » Au-delà du simple fait qu’il ne la connaissait pas, il a été étonné que ce soit elle qui ait décidé de rester aux côtés du Hartfield malgré ses nombreuses décisions désastreuses et questionnables. « Tu dois vraiment l’apprécier pour lui offrir autant. » Il n’essaie pas de gratter à la surface pour savoir si elle ne serait pas amoureuse, elle aussi. Il comprend bien que non ; ce qu’il ne comprend pas, c’est pourquoi elle lui offre autant alors qu’elle a vraisemblablement tout à y perdre et rien, absolument rien à y gagner.

Scarlett n’aime pas s’attarder sur sa relation avec Ruben, ou essayer d’y apposer des mots ; cela la force à se mettre face à ses propres contradictions quand à la position qu’il occupe de sa vie, et elle dans la sienne. Elle se demande vaguement comment Ruben la décrirait, lui, si on lui demandait ce qui l’unissait à Scarlett. Il utilise des mots, souvent, évoque une amitié, une proximité, une affection. Scarlett n’a jamais confirmé, mais pour autant, elle n’a pas  - étonnemment - pas protesté. « On se connaît depuis huit ans. » Il y a une pointe de fierté dans la voix d’Ambrose, quand il affirme ce huit contre son cinq à elle, et cela l’amuse : ce n’est pas une fierté, à ses yeux, d’être coincé avec Ruben depuis plus longtemps qu’elle. A vrai dire, plus elle s’engage dans son lien avec Ruben, sur la durée et l’investissement, plus elle cherche des stratagèmes pour s’en sortir, si besoin. Elle a toujours besoin d’une porte de sortie, Scarlett. « On s’est connu dans un bar. Bien moins original. » Elle imagine les yeux plus jeunes, leurs regards amusés, leur flirt, la vie plus facile, et pourtant l’ombre de Nina qui est bien vite venue se mêler de tout ça. Sans faire fuir Ambrose, pourtant.

L’agacement que peut provoquer Ruben ne semble pas le faire fuir non plus, puisqu’Ambrose en est conscient, et décroche un sourire. « Evidemment » Ils ont un signe de tête qui marque la connivence, un petit rire mesquin. Scarlett imagine les oreilles de Ruben siffler, même s’il est probablement ravi que l’on parle de lui, de toute façon. Lorsque Nina est évoqué, cependant, Ambrose semble moins amusé. « Je sais pas ce qu’il peut encore espérer après ce qu’il lui a fait. » Sur ce point-là, ils sont encore en accord. « Je souhaite sincèrement à Nina de trouver quelqu’un qui la traite avec plus de respect. » Elle n’est pas gênée de l’affirmer, elle l’a déjà fait devant Ruben. Elle ne le juge pas pour sa tromperie, mais ne dit pas à amen à tout ce qu’il fait non plus. « Mais je suppose que Ruben est biaisé dans son espoir : regarde comment il se comporte avec toi et son autre maîtresse, et pourtant… » Pourtant, vous êtes encore là, manque-t-elle d’ajouter. Quoi, Ruben est-il un si bon coup que ça ? (Elle ne veut pas savoir.)

Scarlett, elle, est bien moins conciliante avec Ruben. « Il a besoin d’avoir des personnes qui lui tiennent tête, ça lui fait les pieds. » Elle a un petit sourire mesquin, une sorte de fierté. « C’est assez jouissif de le remettre à sa place, oui », elle avoue avec une moue amusée. « Mais il dirait sûrement la même chose de moi. » Parce que peu de personnes se permettent avec elle ce que Ruben se permet. Personne, à vrai dire. « La vie ici ne doit pas être de tout repos. » Elle se retient de rire, et réalise avec horreur que c’est une certaine affection qui peint son sourire. Elle secoue la tête, comme pour la chasser. « Je n’arrive pas à croire que je vais dire ça mais… On s’habitue. » Et c’est horrible, parce que c’est vrai. Elle espère que Ruben n’a pas laissé un micro traîner pour enregistrer cette conversation.

Mais qu’est-ce qui motive Ambrose à tenir cette relation, lui qui pourrait sûrement avoir qui il désire ? Il a un petit rire, quand Scarlett pose la question, et elle sent qu’il est moins assuré qu’il ne veut. « Il fait partie de ma vie depuis longtemps. Il est comme une madeleine de Proust. » Scarlett a une sorte de grimace malgré elle. « Mauvaise pioche dans le paquet de madeleines », elle répond avec un petit haussement des sourcils. « Mais non, je suis pas grisé par l’idée d’un secret. Encore moins un du genre. » On touche ce qui surprend Scarlett depuis le début : la complexité et le danger pour Ambrose de se mettre dans cette situation. « Je n’ai pas caché être bisexuel, ce n’est pas le sujet, mais être l’amant d’un homme marié serait un désastre d’opinion public. » Elle hoche la tête. « Tu l’aimes vraiment. » Ce n’est pas une question, cette fois-ci. Elle a compris. Et elle est partagée entre trouver Ambrose stupide, et être presque peinée pour lui. « Être l’amie d’une personne du genre le serait presque tout autant. J’ai été étonné d’apprendre que vous étiez proches pour cette raison. »  Scarlett se raidit un peu sur sa chaise. « Amis, proches… C’est les mots de Ruben, ça, hmm ? » Elle répond avec un étrange haussement d’épaules. Elle a une drôle d’impression, comme si elle jouait la montre. « Tu dois vraiment l’apprécier pour lui offrir autant. » Elle pince les lèvres, et malgré elle, détourne le regard - une admission de sa faiblesse qui l’agace, parce qu’elle a l’impression d’être une enfant qui s’est faite prendre en train de faire une bêtise. « Ruben est… » Elle réfléchit. « Accidentellement attachant. » Elle a un petit mouvement d’épaule, presque dégoûtée par sa propre admission. « Et Ambrose, si tu lui répètes que j’ai dit ça, sincèrement, je ferais de ta vie un enfer. » Ce n’est pas une blague.

« Mais Ruben n’est pas une personnalité publique, moi non plus. Je n’ai pas les mêmes enjeux que toi », elle explique. « Et je ne t’apprends rien en te disant que mon métier m’associe à des gens bien pires que lui. » Des fraudeurs, des menteurs, des tricheurs - tout, sauf des agresseurs sexuels, cela dit. « De l’extérieur, il est simplement un petit chirurgien prodige et charmant qui vient parfois à des galas avec moi. Les investisseurs l’adorent », elle avoue avec un sourire amusé, parce qu’Ambrose connait le numéro de charme de Ruben. « S’il nuisait un jour à ma réputation, je reconsidérerais notre relation. Il ferait pareil, d’ailleurs. » Elle plisse les yeux. « Tiens, voilà, c’est ça qu’il faut savoir sur lui : ce n’est pas Nina qu’il sauvera à tout prix, c’est sa carrière. Mais ça aussi, tu le sais. » Encore une fois, ce n’est plus une question. « Tu es prêt à prendre tous ces risques pour lui en sachant qu’il ne te donnera jamais ce que tu veux ? »


@Ambrose Constantine  

« Je souhaite sincèrement à Nina de trouver quelqu’un qui la traite avec plus de respect. » Lui n’en dirait pas autant, notamment parce qu’il ne cherche pas à souhaiter quoi que ce soit à Nina. Il ne l’estime pas, il ne pense rien d’elle non plus, pas même après avoir eu un bref échange avec elle. Ambrose préfère rester silencieux, sans doute parce qu’il n’a aucune envie que le sujet de leur discussion dérive vers Nina. Elle est déjà le centre de trop d’attention pour qu’il ait la moindre envie d’exacerber cette idée. Il est au moins heureux de constater que Scarlett n’a pas peur d’avancer une telle idée face à lui, et ce même alors que leur loyauté va à Ruben. « Mais je suppose que Ruben est biaisé dans son espoir : regarde comment il se comporte avec toi et son autre maîtresse, et pourtant… » Elle sait donc aussi pour l’autre maîtresse, et il note mentalement que cette information ne s’accompagne pas d’un prénom, signe qu’elle n’est peut-être pas totalement briefée sur la situation. « C’est différent pour nous deux. » Il coupe assez rapidement. Ils savent qu’ils ne peuvent se contenter que de ce qu’ils trouveront sur leur chemin, et pourtant ni lui ni Mavis n’envient particulièrement Nina. Elle est celle sur le devant des projecteurs, mais elle est surtout la femme trompée et bafouée. « Il est capricieux. Il veut tout et est habitué à l’obtenir. » Tout mais surtout tout le monde, sans que le besoin de préciser cette pensée ne fasse son bout de chemin dans l’esprit d’Ambrose. Ruben a beau ne pas être un enfant unique, c’est comme tel qu’il agit.

Lorsqu’il prend le temps d’essayer de comprendre la relation entre Scarlett et Ruben, il se retrouve plutôt positivement surpris. « C’est assez jouissif de le remettre à sa place, oui » Il n’en doute pas un seul instant, pour avoir experimenté cette idée à quelques reprises. La réponse de la brune lui arrache un sourire sincère. « Mais il dirait sûrement la même chose de moi. » Sûrement, oui. Il a beau ne pas la connaître, il ne remet pas en question sa réponse, ni même ce qu’elle implique. Il connaît d’elle sa figure publique et cela lui suffit pour avoir une image d’ensemble de la personne qu’elle est. « Mauvaise pioche dans le paquet de madeleines » Sans doute que oui. Il n’est pas assez aveugle pour chercher à lui donner tort sur ce point. Ruben est particulier, et il n’est pas une bénédiction à tous les jours qui passent. « Tu l’aimes vraiment. » Ce n’est déjà plus sous la forme d’une question et il ne lutte pas davantage. Il refuse de le statuer de lui-même face à elle mais ne fait pas davantage d’efforts pour cacher une vérité qui est de toute façon évidente. Il n’y aurait que l’amour pour le pousser à continuer à côtoyer un Ruben qui ne le mérite certainement pas et ne fait rien en ce sens. « Amis, proches… C’est les mots de Ruben, ça, hmm ? » -  « Non, pas vraiment. » Il ne saurait exactement dire comment Scarlett a été qualifiée à travers les mots de Ruben, mais il est plutôt certain qu’il n’a pas utilisé ces mots-là en particulier. Ce qu’il sait, cependant, c’est qu’il n’y aurait pas n’importe qui pour accueillir un parfait inconnu chez elle, alors qu’elle semble avoir autant à cœur de préserver son cadre privé.  « Il faut au moins ça pour vouloir le supporter au quotidien. » Ou être son amant, mais il a déjà été statué qu’elle ne rentrait pas dans cette case là. « Ruben est… Accidentellement attachant. » Et lui de sourire à nouveau, amusé par son attitude autant que par les mots choisis. Il est accidentellement attachant ; et par cet accident il devient souvent trop attachant. « Et Ambrose, si tu lui répètes que j’ai dit ça, sincèrement, je ferais de ta vie un enfer. » -  « Motus et bouche cousue. » Il dit vrai : ces mots ne seront jamais répétés, et certainement pas au premier intéressé. « Tu l’as bien cerné. » qu’il se contente simplement de rajouter, tentant ainsi de lui faire comprendre qu’ils sont dans la même équipe, même si leurs objectifs divergent.

Ils n’ont pas les mêmes enjeux, ils jouent dans des cours différents. Ambrose le sait sans que Scarlett n’ait à lui tenir un cours à ce sujet, si bien qu’il l’écoute furtivement d’une seule oreille distraite. « De l’extérieur, il est simplement un petit chirurgien prodige et charmant qui vient parfois à des galas avec moi. Les investisseurs l’adorent » Pas seulement les investisseurs. Il a joué ce rôle face à Ambrose, et il s’est volontiers pris dans ses filets. « Tiens, voilà, c’est ça qu’il faut savoir sur lui : ce n’est pas Nina qu’il sauvera à tout prix, c’est sa carrière. Mais ça aussi, tu le sais. » L’aspirant politicien se recule simplement contre le dossier de sa chaise, ses bras serrés contre son torse. « Je sais pas. Je suis pas si sûr. » Son image vaut autant que sa carrière à ses yeux, ce qui est la raison pour laquelle il relativise la capacité de Nina à être reléguée au second plan. Pas qu’il l’aime de tout son petit cœur ; là n’est pas la question. Perdre son mariage serait l’équivalent d’un véritable échec, et ils savent tous les deux à quel point Ruben ne peut pas accepter l’existence d’échecs dans son quotidien. « Tu es prêt à prendre tous ces risques pour lui en sachant qu’il ne te donnera jamais ce que tu veux ? » Ils ne parlent pas le même langage. Ambrose ne prend pas des risques pour Ruben, il les prend parce que c’est à lui qu’ils profitent, à lui qu’il fait plaisir aussi. Lui-même qu’il rend heureux. « Il choisirait son image avant tout le reste et moi aussi, au final. » Ce n’est sans doute qu’une question de temps avant que ce jour finisse par arriver, et de ça aussi Ambrose se rend bien conscient. Le secret éclatera un jour, d’une façon ou d’une autre. « En attendant ce moment, on ne fait qu’en profiter. » Et à ainsi en profiter depuis presque une décennie, il est le seul à penser sincèrement que tourner la page serait un jeu d’enfants. Sans transition, il reprend sur un sujet qui l’intéresse bien plus que sa propre addiction au brun sur toutes les lèvres. « Qui a émis en premier l’idée qu’il vive ici ? » A quel point Ruben Hartfield s’est-il fait briser le coeur pour la première fois de sa vie ?

« C’est différent pour nous deux. » N’est-ce pas ce que tous les amants se disent ? Que leur histoire est différente, qu’ils sont un secret, mais pour une bonne raison, qu’ils ne sont pas les clichés des personnes qu’on appelent tard le soir, qu’on aime comme un frisson ou un lot de consolation. « Il est capricieux. Il veut tout et est habitué à l’obtenir. » C’est une excellente représentation de Ruben, et si Scarlett sait qu’elle est un peu trop gentille avec lui, à le laisser crecher chez elle, elle se console en se disant qu’elle ne se gène pas pour lui dire ses quatre vérités quand il faut. « Il faudrait peut-être arrêter de lui donner, parfois », elle répond, en regardant Ambrose. Une part d’elle se demande bien ce que le jeune homme fait, à subir ainsi sa relation secrète, à prendre tant de risques. Tout ça pour quoi ? Pour l’amour ?

Mais pourquoi Scarlett passe-t-elle tant de choses à Ruben, elle aussi ? Il clamerait probablement haut et fort qu’ils sont amis. Est-ce pour ça qu’Ambrose utilise ces mots-là ? « Non, pas vraiment. » Elle plisse les yeux, fait un signe du menton, l’air de dire j’attends la suite. « Il faut au moins ça pour vouloir le supporter au quotidien. » Ambrose n’a pas tort, sur ce point, elle ravale un sourire taquin, parce qu’il a visé juste. Elle ne s’explique toujours pas elle-même comment elle a accepté cette situation, elle qui a toujours vécu seule, depuis qu’elle a quitté l’Angleterre. Oui, Ruben est insupportable, mais on finirait presque par s’y habituer, à s’y attacher, même si elle préférerait se jeter dans l’océan avec une ancre au pied plutôt que lui dire « Motus et bouche cousue. » Scarlett ne sait pas exactement si elle peut faire confiance à Ambrose, mais elle lui accorde un bénéfice du doute accidentel - elle connaît son secret, dans tous les cas, et ce pouvoir la rassure. « Tu l’as bien cerné. » Elle hoche la tête. « Les habitudes du métier », elle répond, sourire en coin. Elle a fait carrière dans savoir lire les gens, analyser, anticiper.

La carrière, voilà ce que Ruben sauvera toujours. « Je sais pas. Je suis pas si sûr. » La réponse d’Ambrose la surprend, elle lève un sourcil, curieuse. « Vraiment ? Tu penses qu’il préférerait perdre son mariage que sa carrière ? » Elle est sincèrement intriguée du point de vue d’Ambrose, qui connait Ruben non seulement très bien, mais surtout d’une façon intime que Scarlett n’a pas - et ne veut surtout pas avoir.

Alors Scarlett essaie de comprendre les motivations d’Ambrose, ce drôle de lien qui le lie à Ruben. « Il choisirait son image avant tout le reste et moi aussi, au final. » Au moins, Ambrose ne se berce pas d’illusions. Ou du moins, elle l’espère sincèrement pour lui. Car elle a l’impression que ce n’est pas si simple que ça, en réalité. « En attendant ce moment, on ne fait qu’en profiter. » Oui, bien sûr, profiter. C’est si facile, pas vrai. « Et tu penses que le jeu en vaut la chandelle ? » Elle lui demande sans détour. Elle ne cherche pas à trop le bousculer, et il ne lui doit rien, au fond. Il pourra détourner la conversation, mentir, répondre à côté, elle le comprendra, ne le jugera pas.

« Qui a émis en premier l’idée qu’il vive ici ? » Elle a un petit rire, manque d’avaler de travers sa frite. « Lui, évidemment, voyons », elle réplique. « Je n’aurais jamais proposé. Il a juste débarqué devant ma porte. C’était censé être l’affaire de deux trois jours… Bref, typique Ruben quoi », elle dit d’un ton entendu. « J’étais surprise qu’il vienne ici. Pourquoi pas chez toi, ou chez l’autre… » Elle marque une pause. « Tu la connais ? J’ai eu droit à ton prénom, pas le sien. » Est-il plus spécial qu’elle ? Est-elle en train de nourrir l’amour stupide d’Ambrose avec ce genre de remarques ?


@Ambrose Constantine  

« Il faudrait peut-être arrêter de lui donner, parfois » Il n’y a pas de secret dans ce reproche qu’elle ne tente même pas de voiler mais il ne baisse pas les yeux, Ambrose. Il ne baisse pas même la tête. Il est aussi capricieux que l’est Ruben sur le pan de leur relation, occupé à décider que tout est terminé pour mieux demander à ce qu’ils reprennent là où ils s’étaient arrêtés ensuite. Il a fait ça, il le referra sûrement, et il ne peut pas laisser tous les reproches sur le dos de Ruben sur ce point. Il en porte beaucoup et le mérite, mais certains sont partagés, si bien qu’il ne donne pas davantage de poids aux paroles d’une amie qui, bien que renseignée sur la situation, ne la connaît pas dans les moindres détails - et tant mieux. « L’hospitalité aussi, il faudrait ? » Il demande simplement par un sourire en coin, loin de chercher la guerre pour autant. Ce qu’il dit, simplement, c’est qu’elle a presque autant de torts que lui - ce qu’elle considère comme des torts, du moins, alors qu’Ambrose n’y voit que les aléas de la vie.

« Vraiment ? Tu penses qu’il préférerait perdre son mariage que sa carrière ? » De tous les débats qu’il pourrait avoir, celui-ci est l’un des rares à sincèrement l’intéresser, du plus profond de son cœur. Il s’y intéresse au point où avoir tort ou raison ne le fait même pas sourciller. Cela représente le cadet de ses soucis, et bien moins encore. Il s’intéresse à ce que Scarlett a compris de Ruben, il s’intéresse à ce que lui-même en a compris, et sans doute aussi ce qu’il veut voir pour laisser la possibilité à leur propre histoire d’exister, même un minimum. « Il ne met pas en danger sa carrière. » Là où son mariage, lui, n’a cessé d’être sur le fil avant même qu’il soit justement question d’un mariage. Nina est un bon parti, et sans doute même qu’il l’aime sincèrement ; mais il ne l’aime pas à la même hauteur qu’il aime sa carrière et voir son nom affiché partout où il peut l’être. « Sa femme est un bonus. Sa carrière est nécessaire. » Il peut vivre sans sa femme (et Ambrose est d’ailleurs persuadé qu’il devrait apprendre à le faire dès que possible) mais il ne saurait vivre sans son métier. Les mots d’Ambrose sont froids mais non moins réfléchis. Il est impliqué personnellement dans cette histoire, ce qui remet en question son objectivité, et pourtant il jure avoir réfléchi avec le plus de recul possible. « Elle contribue au tableau mais elle n’est pas nécessaire. » Et qu’on ose lui dire qu’il réfléchit avec la raison dans une situation où seul le coeur régit : il n’en croirait pas un traître mot. « Et tu penses que le jeu en vaut la chandelle ? » La question de la jeune femme le fait rire. Pas à gorge déployée, ça non, mais il en tire non moins un sourire simple. « Oh ça non. » Il n’aura jamais ce qu’il veut (qui il veut) et finira avec le cœur brisé, tôt ou tard. La fin est déjà écrite et seuls les détails lui échappent, mais cela ne l’empêche pas de vouloir jouer jusqu’au bout, simplement parce qu’il est trop habitué à ce jeu pour vouloir s’en défaire par lui-même. « Il se choisira toujours au final. » Ce qui vaut comme un avertissement pour Scarlett aussi, si jamais elle n’avait pas encore conscience de ce point.

Plutôt que de jouer l’éternel oiseau de mauvaise augure, il fait cependant le choix de s’intéresser à l’amitié singulière qui semble les lier tous les deux. Une amitié comme il en connaît très peu, pour ne pas dire pas, en ce qui concerne le chirurgien. « Lui, évidemment, voyons » Elle tient à sa carapace, Bridgers. « Je n’aurais jamais proposé. Il a juste débarqué devant ma porte. C’était censé être l’affaire de deux trois jours… Bref, typique Ruben quoi » - « Typique Ruben. » Il répète, bien conscient de ce que cela implique. Ils parlent la même langue. « J’étais surprise qu’il vienne ici. Pourquoi pas chez toi, ou chez l’autre… » L’autre ? L’insinuation lui échappe un instant, avant que Scarlett n’éprouve le besoin de préciser le fond de sa pensée et qu’il comprenne de qui il est ainsi question. « Tu la connais ? J’ai eu droit à ton prénom, pas le sien. » Elle est encore plus son vilain petit secret qu’il ne l’est, alors. Ambrose esquisse un sourire doux amer, ne sachant réellement quoi en penser. « Je te le donnerai pas non plus, tu sais. » Il sourit une fois de plus, amusé par la situation, autant qu’il est intrigué par le besoin de Ruben de vouloir garder l’identité de Mavis secrète. Il tient autant que ça à leur secret à eux, alors. « Je pensais qu’il te l’aurait dit. » Et à n’en pas douter, il demandera à Ruben pourquoi tel n’a pas été le cas. « Qu’est-ce que tu en penses ? Pour qu’il ait à ce point rien voulu dire à son sujet ? » Il se penche en avant, ses coudes appuyés contre la table, son visage se rapprochant de celui de Scarlett dans un élan pseudo dramatique. Il veut savoir comment elle analyse la situation, elle aussi. Il veut savoir ce qu’elle pourrait penser de cette autre, et ce qu’elle pourrait bien cacher pour que le roi du mensonge en personne refuse d’énoncer son prénom.