Swann se tient à l'écart, observant la scène qui se déroule devant lui avec un mélange de fascination et d'inquiétude. Le Queensland Museum a organisé une réception en grande pompe pour accueillir l’un des sarcophages les plus précieux découverts dans la nécropole égyptienne récemment mise au jour. Le sarcophage d'Ânkhti, richement orné de dorures, est un spectacle éblouissant. L'équipe de chercheurs semble animée par une excitation palpable alors qu'ils préparent l'exposition. Pourtant, Swann ne peut échapper à une vague de malaise. Le musée, habituellement un havre de savoir, est envahi par une atmosphère étrange et oppressante.

Le sarcophage, dans son cercueil de verre, semble presque briller d’une lueur inquiétante sous les lumières du musée. Les visiteurs se pressent autour de l'exposition, mais Swann reste en retrait, scrutant le moindre détail. Il observe les gestes fébriles des chercheurs, l’attention quasi religieuse qu’ils portent au précieux artefact. Il y a quelque chose dans l’air, un frémissement presque imperceptible qui semble indiquer que la momie n'est pas aussi paisible qu’elle en a l’air.

Swann se tourne vers Ruben, un collègue qu'il connaît bien pour sa passion et son scepticisme envers les légendes. « Ruben, tu ne trouves pas que tout cela semble un peu… trop parfait ? » Son regard se pose sur le sarcophage, le reflet doré sur le verre accentuant son malaise. « J’ai l’impression que nous avons peut-être réveillé quelque chose que nous n’étions pas prêts à affronter. » Swann jette un coup d'œil furtif autour de lui, comme s’il s’attendait à voir quelque chose surgir des ombres. Il a le pressentiment que quelque chose ne va pas bien se passer et, plus terrible encore, il a surtout le pressentiment que quelque chose s'est déjà mal passé. Il a beau ne pas être le plus optimiste des hommes que cette Terre a pu porter, n'en reste pas moins qu'il a un plutôt bon instinct en temps normal, ce qui n'est une fois de plus pas pour le rassurer. Il pose son regard sur le profil de Ruben, à la recherche d'une once d'espoir.

(dimension momie #1)

Ruben faisait partie de ceux qui pensaient que l’histoire pouvait être appelée ainsi une fois que les découvertes avaient été faites, analysée, classées mais en privé. Ici, ils mettaient aux yeux du monde à découvert quelque-chose qu’ils auraient du garder plus longtemps pour eux à son goût, et attendre justement de le montrer aux yeux du monde quand c’était ce que ça devrait être: de l’histoire. Il ne croyait pas aux superstitions et autres idioties dans ce genre, mais il n’aimait pas, tous ces regards tournés vers quelque-chose qu’ils ne pouvaient même pas simplement entre eux entre nommer.

Et en parlant de croyances, superstitions et autres… « Ruben, tu ne trouves pas que tout cela semble un peu… trop parfait ? » Il leva les yeux au ciel, retenant un soupir quelque peu exagéré et exaspéré surtout, alors qu’il penchait quelque peu sa tête en direction de Swann à ses côtés. « J’ai l’impression que nous avons peut-être réveillé quelque chose que nous n’étions pas prêts à affronter. » - « Tu vas encore essayer de me faire croire à tes histoires de malédictions, ou je sais trop quoi encore ? » Ce n’était pas la première fois qu’ils avaient cette discussion là, entre eux; Ruben avait même l’impression que c’était la douzième fois cette semaine que c’était le cas - et surement que ça l’était, qui plus était. Tout était tourné vers cette journée, en réalité, alors peut-être était-ce normal qu’ils en parlent en long, en large et travers. « Tout ce que je dis, c’est qu’on aurait du laisser de côté les choses qu’on maitrise pas tant qu’on a pas de meilleures réponses à apporter au grand public. » Il tourna son regard vers la foule amassée dans le hall du musée. « Regarde tout ce monde: il n’a rien à faire ici. On devrait découvrir ce sarcophage en petit comité, avec seulement les personnes habilitées et méritantes de poser leur regard sur ce dernier. Là, c’est juste du spectacle gratuit pour des gens qui n’en ont rien à faire de participer à établir l’histoire. »

Swann observe la foule un instant, silencieux, avant de soupirer doucement. Il comprend le point de vue de Ruben, mais ne peut s’empêcher de voir les choses différemment. Il prend finalement la parole, toujours aussi  calme, sa voix à peine plus forte que le bourdonnement ambiant. « T’as pas totalement tort… On aurait peut-être dû prendre plus de temps. Mais je crois que ce n’est pas si simple. » Il jette un coup d’œil au sarcophage, puis à Ruben. Sa peur se lit dans les nuances brunes de ses yeux. « Je crois pas aux malédictions, tu le sais. Mais ça veut pas dire qu’on ne doit pas être prudents. » Lui est du genre à ne jamais être trop prudent alors que Ruben, lui, est du genre à ne jamais être prudent tout court. Il fait une pause, comme pour choisir ses mots, avant de l’écouter d’une voix plus posée lorsqu’il affirme qu’ils auraient dû prendre davantage de recul sur cette histoire. Swann, en réponse, esquisse un léger sourire presque amusé. « C’est sûr, mais tu sais quoi ? Le public fait partie de l’histoire. Ces gens, même s’ils ne comprennent pas tout, ils sont là, ils ressentent quelque chose. Et ça, ça compte. On ne peut pas tout garder pour nous. » Il s’approche un peu du sarcophage, son regard se faisant plus attentif, presque curieux. Swann  n’est pas de ceux à vouloir garder l’Histoire comme un secret bien gardé, accessible uniquement aux plus hautes strates de la société. Au contraire, cela appartient à la société toute entière.

Swann secoue légèrement la tête, tout en continuant de scruter l’artefact. « Je comprends ton point de vue, mais ils sont là pour une raison. L’histoire n’est pas juste pour les érudits ou les experts. Elle appartient à tout le monde. Et qui sait ? Peut-être que ce qu’on découvrira aujourd’hui leur apportera plus que ce qu’on imagine. » Il se tourne soudain vers Ruben, plus sérieux. Il ne sait pas ce qu’ils pourraient réellement découvrir mais cela ne l’empêche pas de croire plus que jamais à ce qu’il avance. « Mais… tu as ressenti ça aussi, non ? Ce truc qui ne colle pas. Tout est trop bien conservé, trop… parfait. Comme si ça attendait qu’on vienne. » Il reprend son souffle, perdu dans un bourdonnement d’idées. « Et si ce n’était pas simplement une coïncidence ? » Il tourne lentement la tête vers Ruben, cherchant son regard. « Si ce sarcophage avait été placé là, précisément pour qu’on le trouve, maintenant, à cet instant ? Comme une sorte de… message à travers le temps. » Comme une porte. Une putain de porte. Une idée qui n’a rien de scientifique, rien d’attestée et qui pourtant résonne particulièrement dans le coeur de Swann.