the rest is still unwritten
Megan Williams & @"Ginny Williams" ☆ crédit/starwarsnews

« J’ai appris que vous alliez divorcer, Auden et vous. Je suis désolée. » J’ignore si je dois lui adresser des félicitations – elle est partie à cause de lui, elle l’a presque dit. Ou bien l’ai-je lu entre les lignes ? Je ne sais plus. Ce que je sais en revanche, c’est qu’il ne s’agit peut-être pas de la meilleure amorce pour une conversation.

Les lumières vives, néons autour de nous ne se prêtent pas à ce genre de conversation. Ou peut-être que si. Peut-être que ces bornes d’arcades, ces musiques réconfortantes pour une nerd comme moi, ces rires d’enfants, peut-être que tout ça est exactement dont nous avons besoin, Ginny – plus pour longtemps - Williams et moi. Je suis sûre que si des paris avaient été ouvert si qui de nous deux porterait ce nom là le plus longtemps, j’aurais été donné perdante par tous les flambeurs.

« Désolée. » Sloan est trop absorbée par ce jeu avec des petites taupes qui sortent leur tête à tout bout de champ et qu’il doit frapper avec un marteau en plastique pour avoir entendu mes paroles, et c’est bien pour ça que je me suis permise d’évoquer la chose. Sans savoir ce qui a été dit au petit garçon où non, je ne m’y serais pas risquée. Sloan. Son rire me fait toujours sourire, mais il faut aussi un peu mal au cœur, ces dernières semaines. « Ce que je veux dire, c’est que je pense pas que vous méritiez tout ça. » Je l’ai traitée durement moi aussi, lors de notre première discussion après son retour. Je l’ai traitée avec mon regard d’enfant qui a pleuré l’absence de sa maman pendant trop d’années. Mais Sloan est heureux avec elle, je ne suis pas assez butée pour le reconnaître, pas alors qu’il s’amuse comme un petit fou et qu’il était tout autant excitée à l’idée de cet après-midi avec elle au Laser zone. Sloan est bien plus heureux et insouciant en sa présence que je ne l’étais en présence de ma mère, alors il n’est pas abîmé et je peux rester, je peux m’autoriser à ressentir une empathie dévorante à son égard, une qui me fous un coup de pied dans le ventre. Et ce que je peux surtout faire, cette fois, c’est la traiter comme un être humain.

Sloan passe le peu de rage qu’un gamin de son âge peut entretenir sur les taupes qui l’agacent sans relâche depuis les cinq dernières minutes. Autant il peut être un enfant calme, posé, autant il a des élans de chaos qui surprennent tout le monde. Des élans sortis de nulle part, qui font les frais de ses livres qu’il déchire ou des crayons qu’il casse en deux. La seconde d’après, il reprend son attitude de long fleuve tranquille. Il me fascine. « J’ai appris que vous alliez divorcer, Auden et vous. Je suis désolée. » il me fascine autant que Megan, qui à chaque nouvelle rencontre me donne l’impression de m’offrir une nouvelle version d’elle. « Oh. » aujourd’hui, c’est celle qui dégage un brin d’empathie face à Auden et moi. « Merci? » il lui a dit, parce qu’il doit le dire à tous ceux qui croisent son chemin tant il est fier et soulagé de ne plus porter le boulet Ginny à son pied. Charmant.

Megan n’y est pour rien, dans nos enfantillages. Elle semble sincèrement déçue, son regard ne la trahirait pas. « Désolée. » et ses prunelles qui dérivent vers mon fils me confirment qu’elle n’a pas dit ça pour me faire plus mal que c’est déjà le cas. Sloan sait ce qu’il doit savoir ; de toute façon, il n’a presqu’aucun souvenir de son papa et de sa maman ensemble, dans la même pièce. Le divorce ne fera que du sens pour lui, lorsqu’il le comprendra complètement. « Ce que je veux dire, c’est que je pense pas que vous méritiez tout ça. » si c’était une question de mérite par contre, je mériterais pire. Auden aussi. Mais je comprends le sens de ce qu’elle amène, et c’est un sourire triste mais un sourire tout de même qui trouve mes lèvres. Les néons qui nous entourent jurent avec le sérieux de la scène, surtout lorsque Sloan me pointe avec envie l’immense machine de pinball de Zelda qui trône au centre de l’arcade. « Tu crois qu’on aurait été amies? » suivant les pas de mon fils, j’invite Megan à nous suivre et même à jouer une partie en lui tendant quelques jetons. Sloan me grimpe dans les bras pour être aux premières loges des lumières et autres animations de la machine en marche. « Si y’avait pas eu tout ça. » ma fuite, les Williams, ses secrets et les miens. « J’aurais aimé. » qu'elle et moi, on se soient rencontrées ailleurs et dans d’autres circonstances, dans une autre vie même, peut-être.

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Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/starwarsnews

Parler de son futur divorce à une femme qui voit progressivement sa vie lui échapper entre les doigts n’est pas l’amorce la plus intelligente que j’ai trouvé. Elle ne vit certainement pas la chose comme une libération, Ginny. Son regard la trahit ; si je ne suis pas la plus fine des interlocutrices, ces choses-là sont limpides pour moi. Pas parce que je les comprends, pas parce que je les devine, mais parce que je les ressens, les émotions des autres, si je ne fais pas attention et que m’aventure dehors sans mon blindage et mes murs hauts de six-mètres. Je les ressens presque aussi fort que je ressens les miennes et, parfois, j’aimerais que ce ne soit pas le cas. J’aimerais qu’elles se taisent, j’aimerais qu’elles ne m’envahissent pas puisque j’ai déjà bien assez à faire avec les miennes. « Oh. Merci ? » - « Il l’a dit à Damon. » L’identité du il n’a pas besoin d’être précisée, elle est évidente pour toutes les deux. Ginny a été la femme du célèbre peintre, sans doute sait-elle que mon mari à moi est en réalité le fils du sien. « A moi, il ne parle presque jamais. » Peut-être parce que je le dérange, plus vraisemblablement parce que je l’indiffère. Moi, je m’en moque. Mais pour Damon qui cherche à tout prix une figure paternelle à laquelle se raccrocher – quoi qu’il en dise – je préfèrerais que ce soit différent.

Sloan veut changer de jeu, Sloan tient aussi peu en place qu’un chiot qui découvre un tout nouveau jeu, ou plutôt une multitude de nouveaux jeux et il veut tout essayer, tout découvrir en un minimum de temps. Quand je pose les yeux sur lui, je ne peux m’empêcher de me demander s’il ressemblerait à ça, l’enfant que je pourrais avoir avec Damon. S’il aurait pu. J’imagine plutôt une petite tête blonde. Du reste, je suis mauvaise pour les projections lorsqu’elles peignent des scènes de bonheur – j’ai longtemps pensé que je ne le méritais pas – et je le suis davantage encore lorsqu’il est question de photos de famille. Peut-être que, lorsque je l’observe, je caresse de façon presque imperceptible mon abdomen parfaitement plat du bout du pouce l’espace d’une poignée de secondes. « Tu crois qu’on aurait été amies ? » - « Hum ? » Je réalise que je me suis perdue dans mes pensées et ma main retombe mollement le long de mon flanc immédiatement. « Si y’avait pas eu tout ça. J’aurais aimé. » J’esquisse un sourire. Je n’ai plus la moindre goutte de combativité en moi. Je ne sais pas si je l’apprécie, mais je n’ai plus la force de la détester en tout cas. « Je n’ai pas des masses d’amies. » Le féminin, qui ne s’entend pas à l’oreille, est important dans cette phrase. « De femmes. » Je prétends parfois que j’ignore pourquoi. « J’ai du mal à m’attirer leur sympathie. » Je suis trop belle. Trop aguicheuse sans même le vouloir. Trop regardée par les maris, les frères et les amants.

Je pose les yeux sur Ginny, et je crois que cela me frappe. Elle est à peine plus vieille que moi. La méchante que j’ai invitée dans l’histoire de Sloan est certainement une gamine perdue aussi, au fond. « Peut-être. » Je concède alors, empathique. « Tout dépend à quel point tu étais mise de côté aux dîner de famille. » Moi je le suis, bien malgré Damon. Peut-être qu’on aurait eu un coin de table elle et moi pour nous moquer de ces pauvres fous qui ont de l’argent mais à qui il manque sans nul doute quelques cases. Je ne le remarque pas, le passage au tutoiement.

« Il l’a dit à Damon. » Megan n’a pas besoin de me faire l’historique de qui raconte quoi et comment, mais j’apprécie qu’elle calme les eaux. Je m’attends à recevoir les papiers d’une minute à l’autre, à ce qu’un matin mes cartes d’identité soient passées de Williams à McGrath sans que je l’ai même remarqué.  « A moi, il ne parle presque jamais. » une part de moi voudrait lui dire que c’est une bonne chose. Mais ce serait injuste, Auden n’est pas ce monstre que je dois détester du plus fort de mes tripes pour arriver à croire qu’un jour je ne l’aimerai plus comme l’amour de ma vie qu’il est - a été. « Il observe beaucoup. Quand il te parlera, ça vaudra la peine. » je pourrais bien vouloir effacer toutes nos conversations et jurer à Megan que je me porterais bien mieux ainsi, c’est faux. Et si elle ne le sait pas, je le sais pour deux.

Parler d’Auden fait mal, encore, éternellement. Parler de nous deux, d’elle et de moi, pique étrangement un peu moins. « Hum ? » ses yeux étaient perdus sur la silhouette hyperactive d’un Sloan qui se perd entre les arcades et les néons fluorescents. « Je n’ai pas des masses d’amies. De femmes. » arriver d’un endroit comme là-bas où il n’y avait que des femmes, que des artistes inspirantes et inspirées, j’ai du mal à imaginer ma vie sans un cercle serré d’elles. De soeurs, d’alliées, de miroirs. « J’ai du mal à m’attirer leur sympathie. » mes sourcils se froncent doucement, j’ai de la difficulté à comprendre. Megan, mis à part lors de nos premiers échanges, est à mes yeux quelqu’un qui arrive à charmer qui que ce soit. Avec son sourire, avec sa voix douce, avec ses idées, avec tout son bagage. Quelque chose cloche, surtout lorsque je vois un voile se dessiner sur ses iris. « Ça te manque? » de ne pas être entourée de semblables. Est-elle lassée de vivre dans un monde d’hommes et de rancoeurs familiales?

Un ange passe, quelques autres. « Peut-être. » sur mon visage, un sourire dessine une fossette d’enfant. « Tout dépend à quel point tu étais mise de côté aux dîner de famille. » c’est en riant que je laisse aller les quelques bribes de tension qui restaient entre nous, aujourd’hui. « Je suis la fille avec les doigts tachés de peinture qui a eu son premier enfant à 18 ans et qui a presque une décennie de différence avec leur fils à problème. » pour une famille italienne aussi classique et exigeante que les Williams, j’arrivais avec un bagage aussi lourd que possible. « Son père m’adorait. » un nouveau rire, ironique celui-ci, fend la musique électronique sur laquelle Sloan a décidé de danser comme un gamin qui profite de chaque seconde. Bien sûr que le père d'Auden me détestait. Sa mère avait appris, doucement, à me faire une place après un énième voyage en Italie où j’avais fièrement utilisé la dizaine de mots en italien que j’avais appris strictement pour elle. « Savannah. C’est avec elle que tu dois rôder. » c’était elle mon alliée à l’époque. Elle l’est encore, et je ne lui dirai jamais assez merci pour cela. « Ariane me fait peur, et Saül est à regarder de loin. » eux deux avaient su voler la vedette tellement de fois aux fameux dîners de famille qu’Auden et moi avions pu vivre un peu à part, un peu tout court. Ils doivent avoir repris leurs lettres de noblesse depuis, j’imagine. « Comment c’est, maintenant? Les dîners de famille. »

Spoiler:

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« Il observe beaucoup. Quand il te parlera, ça vaudra la peine. » Je me dis qu’elle est plus âgée, mais qu’elle a surtout l’air plus naïve Ginny. Ou bien ce trait de caractère ne s’étend-t-il qu’à son futur ex-mari ? « Je crois surtout que je ne l’intéresse pas vraiment. » La première fois qu’il m’a adressé plus de quelques mots polis a été l’autre jour, parce qu’il avait besoin d’avoir des nouvelles de Damon, ce que je respecte, mais que je trouve ironique étant donné qu’il a blessé son fils en lui faisant comprendre qu’il se moquait de notre mariage et de notre relation. Nous jouons aux adultes à ses yeux, mais nous semblons pourtant en être de bien plus accomplis que lui et la mère de Sloan. « Et que ma relation avec Damon ne l’intéresse pas vraiment beaucoup non plus. » J’y suis résignée. Je ne lui en veux à ce propos que parce que cela fait de la peine à Damon, à moi, le mépris des Williams n’en fait plus.

« Ça te manque ? » Je l’observe avec des yeux songeurs, des yeux qui la sondent, aussi. Ils la sondent pour savoir si ça l’intéresse vraiment, si elle voit en moi autre chose qu’une petite chose affriolante. Je n’ai pas envie de lui dire que non, que j’ai malgré tout su m’entourer de quelques personnes – la mort de Charlie pique et cette pensée me fait mal au cœur, elle me fait briller les yeux – et que ça suffit. Je n'ai pas envie de repousser la main qu’elle tend discrètement dans ma direction alors que je viens de perdre l’une de mes seules amies. « Je m’y suis habituée. » Mais le vide autour de moi n’est que plus flagrant maintenant que Charlie n’est plus là.

« Je suis la fille avec les doigts tachés de peinture qui a eu son premier enfant à 18 ans et qui a presque une décennie de différence avec leur fils à problème. » Mais il l’a choisie. Moi, j’ai le tort de ne pas avoir été choisie, ou en tout cas pas tout de suite. Je porte certainement aux yeux d’Auden la marque de Saül, comme je l’ai longtemps portée aux yeux de Damon, avant qu’il ne parvienne à m’en distancer en tombant amoureux de moi. « Son père m’adorait. » Je n’ai pas eu l’occasion de rencontrer la grand-mère de Damon, et sa grand-mère et moi n’avons échangé que quelques mots à des rares occasions. Mon mariage en a été une, et il n’y en a pas beaucoup eu d’autres depuis. « Savannah. C’est avec elle que tu dois rôder. » Damon n’est pas assez proche de sa tante pour qu’il m’ait été donné de faire sa connaissance. Lorsque je l’ai rencontrée, j’ai trouvé qu’elle donnait l’impression d’être bien loin de toutes ces horribles histoires. Elle a certainement raison. « Ariane me fait peur, et Saül est à regarder de loin. Comment c’est, maintenant? Les dîners de famille. » - « Y’a plus de dîners de famille depuis longtemps. » Saül est évoqué au présent, je comprends qu’elle ne sait donc pas ce qu’il est arrivé au patriarche de la famille. Ce qu’il a fait, plutôt. « C’est ironique. J’étais contente de rejoindre un vrai clan, j’avais envie de découvrir ce que ça faisait. » J’avais envie d’épouser sa famille avant que je n’ai eu envie d’épouser Damon. Je voulais appartenir à un tout, je voulais avoir le sentiment d’avoir des gens derrière moi, des gens gris et loin d’être parfaits, mais des gens soudés. Les Williams ne sont plus certainement qu’une jolie couverture depuis longtemps, et je ne l’ai découvert qu’après avoir dit oui. « J’aimais bien Ariane, avant qu’elle n’abandonne ses enfants. C’est la seule qui me faisait pas me sentir comme une indésirable. » Lorsque l’on m’a imposé de faire les boutiques pour trouver une future robe de mariée avec mes deux belles-mères, elle a aidé à rendre ça supportable. « Ils sont même plus un clan en apparence maintenant. » Et, pour éclaircir mon propos, j’ajoute. « Saül est mort au début du mois. » J’ajouterai bien que personne ne l’a pleuré, mais je sais que c’est faux, que malgré tous les sentiments conflictuels que ressent Damon, il a été terrassé par cette nouvelle.

Prendre la défense d’Auden est devenu plus qu’un hobbie, il fût un temps où c’était une habitude. Ça l’est resté, avec les années, même s’il n’en a jamais vraiment eu besoin de ma part, ne l’a jamais sincèrement voulue ni encouragée. « Je crois surtout que je ne l’intéresse pas vraiment. » et ce n’est pas plus mal, au sens où c’est un peu la confirmation qu’elle n’est pas vue par lui comme une menace pour Damon. « Et que ma relation avec Damon ne l’intéresse pas vraiment beaucoup non plus. » s’il la détestait, s’il en avait faite son ennemie, elle le saurait et n’aurait pas le même discours, que ce soit face à moi ou face à qui que ce soit d’autre. Mais aujourd’hui elle peut au moins se vanter d’être neutre face à Auden. Des gens l’ont espéré longtemps sans jamais le vivre.

Sloan est impossible à arrêter, maintenant qu’il a décidé de s’élancer entre les arcades à la recherche de celle qui brille le plus, qui fait le plus de bruit. Moi, je m’intéresse à la vie de Megan, à ce qui gravite autour d’elle, à son noyau. Elle parle comme si elle n’en avait pas.« Je m’y suis habituée. » « Ça peut changer, si un jour t’en as envie. » que ce soit des amies, ou simplement des oreilles attentives. Je sais que je ne suis probablement pas celle qu’elle aimerait avoir dans les parages pour lui partager son avis, pour échanger sur des questions existentielles ou juste pour ventiler sur ce qui lui mine le coeur et le moral. « Y’a plus de dîners de famille depuis longtemps. » en espérant lui partager quelques pistes pour adoucir les moments avec les Williams de ma propre perspective, Megan en profite pour m’informer elle aussi. « C’est ironique. J’étais contente de rejoindre un vrai clan, j’avais envie de découvrir ce que ça faisait. » mes doigts jouent distraitement avec l’un des tickets colorés d’arcade que Sloan est venu me donner avant de retourner s’émerveiller ailleurs. « J’aimais bien Ariane, avant qu’elle n’abandonne ses enfants. C’est la seule qui me faisait pas me sentir comme une indésirable. » la pique ne fait pas mal, pas parce que je ne prends pas au sérieux la comparaison mais plutôt parce que je sais que si Megan avait vraiment voulu me blesser, elle ne l’aurait pas fait sur le dos d’une autre. « Ils sont même plus un clan en apparence maintenant. » doucement, j’arque la nuque, curieuse mais en sachant très bien que je n’ai pas le droit de l’être. Ce ne sont pas mes affaires, ce ne sera bientôt même plus mon nom de famille. « Saül est mort au début du mois. » oh, forment mes lèvres, silencieuses.

Évidemment que je pense à Auden, à leur relation, à la haine, à tous leurs secrets, à - « Il… comment l’a pris Damon? » mais comme leurs histoires ne me regardent pas, la réaction d’Auden face à la mort de son frère ne me regarde pas non plus. Damon, par conte, était ce qui ressemblait le plus à un troisième fils à mes yeux, pendant aussi longtemps qu’il l’a voulu. Mes pensées se vrillent presqu’exclusivement vers lui. Je vois bien que Megan n’est pas particulièrement affectée, mais Damon a tout de même vu Saül comme un père pendant presque toute sa vie. C’est à lui que vont toutes mes sympathies. « Je l’ai vécue, la famille soudée. » après un temps, je retrouve le regard de Megan du mien. « C’est pas aussi fascinant que ça en a l’air. » les parents intrusifs qui le font “pour notre bien”, le grand frère suffoquant d’amour et de protection, la soeur aux frasques plus grandes que nature, les drames sous la forme d’un demi-frère qui fait plus partie de la famille que bien des membres. Les mariages arrangés, les avis qui pointent de partout, les comptes à rendre, la discorde à tous les rassemblements. Elle mérite plus doux que ça.

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« Ça peut changer, si un jour t’en as envie. » La plupart des gens diraient ça sur le ton de la conversation, persuadés que c’est ce qu’ils doivent dire mais sans réellement le penser. Lorsque Ginny s’exprime, tout en elle transpire la sincérité. Elle ne propose pas pour les convenances ou parce que c’est ce que ma déclaration la pousse à me dire sans même réfléchir. C’est surprenant de la part d’une femme avec laquelle j’ai été si dure il y a quelques mois à peine sans jamais chercher à présenter des excuses – je considère que j’étais dans le vrai, pourquoi le ferais-je ? Rien ne l’oblige à me tendre une main et, peu habituée à ce qu’on le fasse – ou en tout cas, à ce que cela soit fait sans idée derrière la tête – je suis sincèrement surprise. Surprise, et assez choquée pour que ma réponse ne soit qu’un sourire gêné et un hochement de tête. Ma main gauche dans la droite, j’arrache les peaux de mes ongles en signe de nervosité.

« Il… comment l’a pris Damon ? » - « C’est Damon. » Comme si cette affirmation répondait à toutes les questions à propos de son ressenti et de sa réaction. Tout le monde sait qu’il est doux, qu’il est sensible et parfois fragile. « Aussi mal qu’on pouvait s’y attendre. » Il s’est effondré, même s’il a lutté de toutes ses forces pour que cela n’ait pas lieu devant Sloan. Je l’admire pour ça, j’ignore si j’aurais eu la force suffisante pour ça. « Et on avait pas vraiment besoin de ça en plus du reste. » Le reste que j’évoque sans y prendre garde, sans faire attention ou me méfier, peut-être simplement à cause de la main qu’elle a tendue dans ma direction. « Je l’ai vécue, la famille soudée. C’est pas aussi fascinant que ça en a l’air. » - « C’est mieux que rien. » Et dans mon cas à moi, ce rien n’est pas là que pour l’expression, il n’est pas juste une façon de parler. J’ai grandi sans rien à ce niveau-là, et c’est pour ça que Saül Williams a réussi à me mettre dans sa poche ; en me faisant briller les yeux. Une rapide enquête à mon sujet a suffi à lui apprendre mon prix. Il n’était pas bien difficile à déterminer.

« Auden ne veut pas en parler à Sloan. » J’observe le petit garçon qui semble inépuisable et déterminé à exterminer chaque taupe qui sort de son trou. Il ne se lasse visiblement pas, il n’est pas ce genre de bonhomme. « Je le précise, au cas où. » Je doute qu’elle l’aurait fait, mais lui donner les codes et la conduite à tenir est ma façon – certes un peu détournée – à moi de lui tendre la main à mon tour. « Vous avez un autre fils, non ? » Je relève les yeux vers elle, l’interrogeant comme j’aurais interrogé une mère si j’en avais eu une. « Un adolescent m’a dit Damon. Vous deviez être jeune quand il est né. » Autant que je l’aurais été si je n’avais pas perdu le bébé dont nous ignorions l’existence, Damon et moi ? « Qu’est-ce que ça vous a fait ? » C’est maladroit, mais c’est à l’image de ce que le sujet me bouleverse et me fait réfléchir, ces derniers temps.

« C’est Damon. » elle le dit comme si c’était un glas, une raison en soi. On connaît tous Damon, on sait tous à quel point il est sensible, comment cette histoire et toutes celles qu’il a vécues avant l’ont marqué, le marquent encore. « Aussi mal qu’on pouvait s’y attendre. » j’imagine qu’Auden est déjà passé sur ce terrain avant moi, qu’il l’a probablement mieux fait, qu’il a les outils et le droit de s’en mêler, d’être là pour son fils. « Et on avait pas vraiment besoin de ça en plus du reste. » mais Megan me coupe dans mes pensées en ajoutant des éléments, des miettes de quelque chose, d’un non-dit qu’elle semble trop à vif pour commenter. « Je - si jamais, je peux aider… » elle comprendra sûrement que je parle de l’aider, elle. Peu importe la forme qu’une aide pourrait prendre - mon regard ne dévie pas, tant qu’elle ne baisse pas les yeux de son côté.

Une famille soudée et étouffante, « C’est mieux que rien. » selon la blonde. J’aurais envie de prouver mon point, de lui sortir tous ces arguments qu’on m’a moi-même renvoyés au visage tant les gens étaient incapables de concevoir la famille avec laquelle j’ai dû vivre pendant toutes ces années avant d’enfin m’en sortir, de respirer et de vivre pour moi et pour Noah. Mais ce serait mentir de dire que j’ai envie d’ajouter un voile sombre de plus aux yeux de Megan. Elle semble déjà se perdre dans trop de démons, secouer trop de ressentis pour que je casse cette vision parfaite à laquelle elle aspire toujours. « Auden ne veut pas en parler à Sloan. » son calme, cette complicité qu’elle m’offre comme si de rien n’était ne meurt pas dans l’oeuf. J’hoche de la tête, docile, je prends ce qu’elle me donne. « Je le précise, au cas où. » « Il a raison. Sloan est trop jeune pour comprendre ce que ça veut dire. » un merci, soufflé et muet, finira par glisser sur mes lèvres. Mes yeux s’assurent que Sloan, même s’il est trop jeune, profite encore un peu à travers les jeux et l’infinité de fluorescents. C’est donc à cela que ressemblera ma famille, maintenant, avec Auden. À quelques pistes de pensées et de comportements, à des tuyaux et des conseils donnés par d’autres pour que le tout se passe au mieux. Étrangement, ça fait moins mal que ce que je croyais. J’aime me mentir, à ce sujet.

« Vous avez un autre fils, non ? » la question de Megan me prend de court, non pas parce que je souhaite lui cacher l’existence de Noah, simplement parce que je pars toujours du postulat qu’elle ne souhaite pas particulièrement passer de temps avec moi. Qu’elle me méprise. J’ose espérer qu’aujourd’hui plante des graines d’un joli début, entre nous. « Un adolescent m’a dit Damon. Vous deviez être jeune quand il est né. Qu’est-ce que ça vous a fait ? » je confirme tout d’un nouvel hochement de tête, la question qu’elle finit par avancer suggérant quelque chose qu’elle n’approfondit pas non plus. D’autres auraient facilement fait le lien, mais pour ma part, je ne me permets pas de faire des rapprochements entre ses paroles et mes impressions. Si elle souhaite m'en dire plus, elle le fera. De toute façon, Megan sait parfaitement que je ne suis pas du genre à avoir un quelconque pouvoir de la juger. « Peur, » un sourire se dessine sur mes lèvres, le mot vient tout seul, d’un naturel frappant. « Mais je ne l’ai jamais regretté. » Noah est littéralement celui qui m’a sauvé la vie au moment où j’en ai eu le plus besoin. Je l’ai aimé dès les premières secondes - et je l’aimerai toute ma vie, sans le moindre doute. « Ça te force à arrêter de jouer les victimes, à prendre tes propres décisions, à grandir vite et fort. » je n’ai pas non plus l’intention de romantiser la chose, Megan le comprendra assez facilement. C’est difficile, mais les leçons qui en proviennent sont incroyablement puissantes. « C’est mon histoire, ça. » la précision vient doucement, pour qu’elle ne tombe pas dans le piège de croire que toutes les grossesses sont pareilles, qu’avoir un enfant jeune est la même chose pour nous toutes. « La tienne, la vôtre sera différente. » et déjà, un élément la distingue de moi, à son âge. « Vous serez deux. » et le fait qu’elle ait un joueur aussi sensible, aussi bon que Damon dans son équipe change tout.

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« Je - si jamais, je peux aider… » Je lui adresse un sourire plus doux que tous ceux auxquels elle a eu le droit jusque-là. Bien plus doux que celui auquel Auden a eu le droit lorsque nous avons eu une conversation similaire. Lui s’inquiétait pour Damon. Lui n’a pas proposé son aide d’ailleurs, mais le regard que Ginny pose sur mon me fait comprendre que, là, tout de suite, c’est pour moi qu’elle est désolée. « Le temps aidera. » Pour guérir de la mort de Charlie, de celle de Saül, de ma fausse-couche aussi. Il n’y a pas grand monde qui puisse faire quoi que ce soit pour que ces choses-là semblent moins douloureuses d’un coup, il n’y a que l’aveu de Damon – il aurait voulu garder un enfant avec moi – qui m’a semblé prendre un peu de ma douleur pour l’ôter de mes épaules.

« Il a raison. Sloan est trop jeune pour comprendre ce que ça veut dire. » - « Il connaîtra pas Saül, il a de la chance. » Damon aurait certainement plus de chance s’il n’avait pas eu à être le cousin du petit garçon, s’il avait été son frère comme les choses auraient dû être. « Il se souviendra même plus de lui. » Je ne connais pas le détail des relations entre le patriarche et le peintre, mais je sais que l’homme d’affaires a quitté le pays quand Sloan était à peine capable de formuler quelques mots : il ne garder aucun souvenir de tout ça. « On a une maison maintenant. Avec un jardin et une piscine. » J’ai vu le regard que Ginny a posé sur son fils. Je n’étale pas mon bonheur matériel et notre propriétaire pour le simple plaisir de le faire. « Vous pourrez venir passer du temps avec Sloan quand il vient chez nous. Il vient souvent, ça fait du bien à Damon de passer du temps avec son cousin. » J’appuie juste assez sur le mot pour qu’elle comprenne que je sais, mais pas assez pour qu’elle se doute de quoi que ce soit si elle ignore tout. J’en doute mais je n’ai pas l’intention d’être celle qui trahira ce secret de famille là, alors je préfère être prudente. Damon aime Sloan bien plus qu’il n’a jamais cherché à apprendre à aimer Abel et les deux jumelles et je ne le lui reproche pas. Je suis triste pour ces enfants qui grandiront sans parents, mais je n’ai pas le pouvoir de changer quoi que ce soit à tout ça.

« Peur, mais je ne l’ai jamais regretté. » Etrangement, je n’ai pas peur. Je ne suis pas enceinte – je ne le suis plus – l’idée de devenir mère germe à peine dans mon esprit mais je crois pouvoir l’affirmer sans me tromper : je n’aurai pas peur le moment venu. Je craindrai seulement de ne pas être celle qu’il faudra à mon enfant : j’ai eu un modèle désastreux. « Ça te force à arrêter de jouer les victimes, à prendre tes propres décisions, à grandir vite et fort. » J’ai déjà grandi vite et fort. Je suis devenue adulte quand d’autres jouaient encore aux jeux-vidéos ou à la poupée si bien qu’aujourd’hui je n'ai pas l’impression d’être une enfant jouant à la grande personne, contrairement à ce que certains pensent peut-être. « C’est mon histoire, ça. La tienne, la vôtre sera différente. Vous serez deux. » Mes yeux quittent Sloan, et je me dis que Ginny a peut-être mal interprété ma main qui s’est posée à plus d’une reprise sur mon abdomen pendant notre conversation. « Je suis pas enceinte. » Je ne le suis plus. Je clarifie la chose, poussée par la sensation que c’est ce qu’elle a pensé et que c’est pour ça qu’elle parle de nous, qu’elle tente de me rassurer. « Je… » Je détourne les yeux un instant, avant de me mordre très fort l’intérieur de la joue. « J’ai fait une fausse couche. On essayait pas. Mais maintenant on y pense. » Quelques mots à peine pour résumer une situation bien plus compliquée que ça. « Ca va être compliqué avec ma reprise d’études, mais j’ai pas envie d’attendre. »

« Le temps aidera. » « Je déteste quand on me dit ça, mais c’est vrai. » un sourire en coin vient ponctuer ma phrase, Megan doit probablement penser la même chose lorsqu’on le lui formule. De l’entendre relativiser, d’avoir accès à cette petite miette de sagesse de sa part adoucit le reste. Il n’y a rien d’autre qui puisse être fait, personne n’a le contrôle de quoi que ce soit, et surtout pas des dommages collatéraux.

« Il connaîtra pas Saül, il a de la chance. » quelque chose en moi aimerait savoir ce qui s’est passé. Une curiosité mal placée, sûrement, sachant à quel point Auden détestait son frère et tout ce qu’il pouvait représenter. J’aurais espéré que la fin les rapproche, que quelque chose se conclut entre eux, qu’il y ait des discours, des excuses, des apprentissages, du pardon. Mais tout dans ce que Megan avance me confirme que les choses ne se sont pas fermées doucement, ni pour eux ni pour personne. « Il se souviendra même plus de lui. » elle le dit avec tellement de haine et tellement de dédain que je ne fais qu’hocher lentement de la tête. Ce n’est plus ma famille, et ce n’est plus ma place. Celle de tendre l’oreille à la rage ou à la peine (camouflée, évidemment) qu’Auden aurait à ventiler à ce sujet. Il ne m’en a pas parlé et il ne m’en parlera jamais. Étrangement, la réalisation ne me fait pas aussi mal que ce que j’aurais cru. Un peu de progrès, j’imagine.

Voir Sloan s’amuser au loin suffit à ce que mes pensées ne dérivent nulle part d’autre que vers lui. Megan le remarque de suite. « On a une maison maintenant. Avec un jardin et une piscine. » tournant la tête vers elle, je la laisse placer ses cartes avec toute la douceur qu’elle apprivoise encore à mes côtés. « Vous pourrez venir passer du temps avec Sloan quand il vient chez nous. Il vient souvent, ça fait du bien à Damon de passer du temps avec son cousin. » alors les noeuds, même si Saül n’est plus, sont encore là. Damon sait, Auden sait, Megan sait et je sais tout autant. Ce titre, cette étiquette, elle est moins douloureuse que le mensonge qui l’entoure. Parce que ce n’est pas important la manière dont on le qualifie, il est et restera la prunelle des yeux d’Auden, et la nôtre. Mais c’est de savoir que toutes ces années passées à le regarder franchement et à lui créer une vie dans laquelle il jouait innocemment un rôle qui n’était pas vraiment le sien. Le mensonge. Je me jure, sur le moment, d’un jour tout expliquer à Sloan. Sur les raisons qui ont bercer mon départ, sur le début de sa vie, sur tout ce que j’ai fait et sur ce pourquoi je l’ai fait. Ma manière à moi de chasser le mensonge de cette famille à ma façon, sûrement. « J’apporterai mon appareil-photo. Ça fera de jolis souvenirs. » l’opportunité qu’elle me tend est si douce, si belle, si nécessaire que je ferai tout pour ne rien brusquer. Pour ne pas m’imposer dans ces moments qui sont d’abord et avant tout à eux. Quelques clichés pris sur le bord de la piscine, quelques pas de faits un après l’autre dans ce cocon qu’ils ont construit et dans lequel Megan me fait une place que peu - pour ne pas dire pas - de gens m’ont offert et promis, depuis mon retour.

« Je suis pas enceinte. »

Mes yeux quittent Sloan, trouvent ceux de Megan la minute suivante. « Oh, j’ai - » « Je… » ses mots se mélangent aux miens, je prends une inspiration, la laisse poursuivre, confuse. « J’ai fait une fausse couche. On essayait pas. Mais maintenant on y pense. » la main qu’elle laisse glisser sur son ventre me serre la gorge. Un déclic se fait, des soupirs placés les uns devant les autres. Elle - « Ca va être compliqué avec ma reprise d’études, mais j’ai pas envie d’attendre. » « Le bon moment existe pas. Faut juste être prête à l'aimer de toutes tes forces. » ma voix est rassurante, elle prend son temps pour monter à ses oreilles. Megan pourrait attendre d’avoir fini ses études, avoir visité le monde entier, avoir joué toutes les carrières que le moment ne serait jamais parfait. L’envie, l’amour, c’est tout ce qui compte.

« C’est la première fois? » j’avance, sachant depuis nos quelques conversations échangées qu’elle préfère les questions franches et honnêtes aux détours flous. Peut-être que ce n’est qu’une fois, isolée. Peut-être aussi qu’un diagnostic lui a été déjà donné et que l’angoisse s’est invitée à la table. « Ça m’est arrivé, deux fois. » à mon tour, je joue avec le pan de mon t-shirt, sens la froideur de ma peau sous le tissu. « Je dis pas ça pour te faire peur, ou pour nous comparer. » ce ventre qui avait attendu le bon moment avec Isaac, puis le bon moment avec Auden, pour finalement ne rien m’offrir. « Juste, c’est pas une finalité. Ça arrive, c’est horrible lorsque c’est le cas, mais ce n’est pas la fin. » chaque corps est différent, mais c’est important pour moi qu’elle ne le prenne pas comme un signe de tout arrêter. Elle est jeune, Damon aussi, tout pourrait changer d’un claquement de doigt s’ils sont bien suivis, s’ils font tout ce qui doit être fait, s’ils y mettent tout l’amour qu’elle a dans les yeux rien qu’à dire qu’ils y pensent. « Vous faites bien d’y réfléchir. Cet enfant sera tellement aimé. » sa relation houleuse avec sa mère, de ce que je sais, et celle de Damon avec Saül et Elise doivent leur peser. Des épées de Damocles de craindre de répéter leurs erreurs, peut-être. Je suis persuadée que jamais ils n'y arriveraient.

the rest is still unwritten
Megan Williams & @Ginny Williams ☆ crédit/starwarsnews

Je n’ai pas envie de me focaliser sur Saül Williams. Je n’ai pas envie de lui accorder plus d’importance qu’il le mérite – mais dans ce cas il en a déjà trop eue – alors quand j’estime que j’ai apporté une conclusion à ce sujet-là, je referme définitivement ce chapitre. Je ne dis pas à Ginny que je ne suis pas triste ou abattue par la perte de mon beau-père. Ou en tout cas, je ne le dis pas de façon si direct mais je ne laisse que peu de doute possible à ce sujet. Au-delà de Sloan, je suis heureuse que Damon et moi ayons pris la décision d’avoir un premier enfant maintenant, heureuse de savoir qu’il ou elle ne vivre pas en même temps que son grand-père. Que jamais l’homme d’affaires ne pourra représenter une menace pour mes enfants.

Tout ce que je veux, c’est que ma progéniture puisse grandir en ayant la certitude qu’elle est aimée, qu’elle sera toujours protégée et qu’il y aura toujours un adulte pour lui venir en aide si elle se retrouve dans une situation dangereuse ou compliquée. C’est aussi ce que je veux pour Sloan, même s’il n’est pas de mon sang, de pouvoir ressentir l’amour inconditionnel de ses deux parents. Alors cela ne représente pas un grand effort à mes yeux que de proposer un terrain neutre pour qu’il soit aimé par sa mère et qu’il ressente la joie de moments simples en famille. « J’apporterai mon appareil-photo. Ça fera de jolis souvenirs. » - « Vous faites de la photo ? » Ma curiosité est piquée. Je ressens la démangeaison de mon ancienne passion, celle qui est en sommeil depuis le décès de ma mère. « J’ai du bon matériel à la maison, vous pourrez l’utiliser. » Après tout, réussir à capturer les meilleurs clichés dans des conditions parfois tout sauf favorables était autrefois mon gagne-pain.

C’est plus facile d’avouer ce qu’il m’est arrivé que de laisser penser Ginny que je suis enceinte. C’est moins douloureux en tout cas : je n’ai pas envie d’entendre d’allusions à une grossesse qui n’existe pas, je n’ai pas envie qu’elle pense que j’ai mal réussi à dissimuler une chose encore tenue secrète. Le pansement fait toujours aussi mal qu’à chaque fois que je l’arrache en apprenant la chose à une nouvelle personne, mais j’arrive à ne pas avoir le menton qui tremble cette fois. C’est déjà ça. « Le bon moment existe pas. Faut juste être prête à l'aimer de toutes tes forces. » Un sourire un peu plus authentique étire mes lèvres. Elle ne se doute certainement pas d’à quel point ce genre de retour est précieux à mes yeux. Il me conforte dans notre décision, il me rassure sur le fait que nous ne sommes pas en train de prendre une décision idiote, inconsidérée, trop rapide. Je suis prête à faire ça et bien plus encore. « C’est la première fois ? » Je mors à nouveau l’intérieur de ma joue, la piqûre de douleur réapparait puisqu’il n’est plus question d’un futur bébé mais de l’occasion manquée. Je hoche la tête de façon presque imperceptible. Jusque-là, je n’avais même pas envisagé que cela puisse arriver une seconde fois. « Ça m’est arrivé, deux fois. Je dis pas ça pour te faire peur, ou pour nous comparer. » Je déglutis, la gorge soudain un peu plus sèche. « Juste, c’est pas une finalité. Ça arrive, c’est horrible lorsque c’est le cas, mais ce n’est pas la fin. » J’ai l’impression d’être une gamine rassurée par sa mère. Ginny est à peine plus vieille que moi mais elle en est une, qu’importe que j’aie pu douter de l’amour qu’elle ressent envers ses fils et qu’importe ses erreurs. Elle me parle comme Billie aurait pu me parler dans un autre univers, si elle avait été une autre personne. « Ma mère est tombée enceinte de deux jumelles en parfaite santé - » Quoi que la question de l’équilibre psychologique se pose pour Molly. « - sans même essayer. Sans même le vouloir. Ça semble presque injuste. » Moi, cela ne m’obsède pas encore. Cela ne me fait pas encore souffrir dans la mesure ou pour l’instant je n’ai été confrontée à l’échec que de façon indirecte : nous n’essayions pas, Damon et moi. « Vous faites bien d’y réfléchir. Cet enfant sera tellement aimé. » - « Je voudrais pas avoir d’enfant avec lui si j’étais pas certaine que ce sera le cas. » Je ne voudrais pas qu’une petite Megan ou qu’un petit Damon de plus vienne grossir les rangs des gamin délaissés ou abandonnés par un de ses parents. « Pour Sloan, vous avez eu à essayer longtemps ? » Je me renseigne puisque Damon et moi avons décidé de plonger sans savoir dans quoi nous mettions les pieds.