@Akira Satō

(pride festival ; rainbow picnic) Je déambule parmi les couvertures colorées du Rainbow Picnic, l’ambiance est vive et bruyante, un contraste frappant avec mon humeur morose. Les éclats de rire et les éclats de couleurs m’entourent, mais je me sens comme un étranger dans ce tableau de joie. Je déteste l’ambiance, je déteste les personnes présentes autour de moi et je regrette profondément de ne pas avoir pris la peine d’emmener Sloan, qui lui au moins aurait su apprécier l’instant. Je me contente au lieu de ça du chien qu’il faut bien promener, lui qui devient une excuse parfaite pour sortir le nez d’un chez moi que je n’aime de toute façon pas réellement tant il est temporaire et impersonnel avant que la construction de ma maison soit (enfin) achevée. Mon regard parcourt la foule avec mépris, l’overdose de couleurs me faisant mal au cœur. Toutes ces personnes ayant besoin d’un mois en particulier pour célébrer la diversité sexuelle me donnent envie de me noyer dans un verre d’eau. Seul un inconnu assis sur un banc, un carnet de croquis sur les genoux et vraisemblablement perdu dans son dessin me donne un peu moins envie de vomir que les autres. Ou disons simplement qu’il attise d’abord ma curiosité, le reste se voulant secondaire. Après tout, je ne me soignerai jamais sur ce point: l’art m’intéressera toujours, même s’il est souvent médiocre quand réalisé par le premier venu pensant révolutionner le monde. Spoiler, ils ne révolutionnent jamais rien, pas même leur vie.

Je m’approche discrètement, observant les coups de crayon qui naissent sous ses doigts. Mon regard est attiré par la fluidité et la spontanéité du trait, quelque chose que j’ai du mal à retrouver dans ma propre création en ce moment. Ma carrière est au plus bas, la muse m’a abandonné, et je me sens comme un peintre déchu incapable de retrouver son inspiration - ce qui, ironiquement, a tout d’un tableau particulièrement artistique. Seulement, je suis incapable de le créer moi-même. Je ne peux m’empêcher de comparer cet inconnu à Léo, celui qui a fini par me manquer, celui qui avait su voir la beauté dans le chaos de mon art et qui m’aidait à créer des œuvres aussi subversives que je le voulais. Léo qui était plus qu’un simple assistant – un amant, disons-le. « C’est pas si mauvais. » Je m’arrête à quelques pas du banc, attendant une réaction, mes pensées tourbillonnant entre jalousie et désir de retrouver cette étincelle qui m’a quitté. Mes compliments sont rares, un “pas si mauvais” en étant déjà un à part entière venant de ma bouche. « Tu recrutes dans les parcs maintenant, Williams ? » Une voie familière, un visage qui l’est tout autant. Une personne de passage qui ne récolte pas un quelconque sentiment nostalgique. « Ta gueule. » Je me contente donc de grogner, avant de reposer mon attention sur l’inconnu sur son banc. « C’est pas le cas, qu’on soit clairs. C’est pas un film, la vie. » Qu’il n’y pense pas une seconde, il n’y a rien qui puisse être aussi incroyable que ça dans une discussion lancée à la volée. Un travail ne se trouve pas après une si brève rencontre.