7 septembre, 00h15."Bel, va me chercher une nouvelle bouteille de Dom Pérignon dans l’arrière-boutique, t'veux bien ?"
Pourquoi t'y irais pas toi-même, feignasse ?"Une nouvelle tournée, ma p'tite dame !"
Ma p'tite dame ? Il est sérieux, lui ?"Quelqu'un a cassé un verre près des machines à sous au fond. Tu t'en occupes ?"
Raaaaaah !Les demandes - et exigences - des collègues et des clients se sont accélérées depuis les coups de minuit. Les premiers sont surmenés et épuisés, les seconds, ivres comme des huîtres et impatients. Tu virevoltes à travers la salle, un plateau en équilibre sur une main, un chiffon dépassant de ta ceinture, t’arrêtant çà et là pour déposer des commandes ou nettoyer des accidents. Sans surprise, ces derniers aussi se multiplient à mesure que l'heure tourne. Et dire que t'es coincée ici jusqu'à 2h... envieuse, tu mates les croupiers manier les tas de cartes avec une dextérité digne des plus grands magiciens. Au moins, ils s'amusent, eux ! Pis ils ont pas à traverser la salle vingt-six fois en une heure. Leur uniforme est plutôt cool, en plus de ça. Pas de chiffon à la ceinture, eux. Manque de bol, t'es pas encore assez dégourdie de tes dix doigts pour espérer prétendre à un poste en table. Déjà que tu galères à débarrasser les tables sans faire tomber des couverts à tout bout de champ... prends ton temps Bel, y a rien qui presse. Ah si, y a ces mecs qui te zieutent avec insistance parce qu'ils attendent leurs cocktails depuis vingt minutes. Alors, tu te bouges ?
De retour derrière le bar, tu assembles les ingrédients et
plouf ! des gouttes pétillantes s’écrasent autour du verre lorsque tu lâches un morceau de citron dans le premier. T'attrapes une deuxième boule jaune, agrippe le couteau pour la découper mais celui-ci te glisse de la main, tranchant la pulpe de ton doigt au lieu de celle du fruit.
"Putain !" vocifères-tu entre tes dents avant de mener l'entaille à tes lèvres pour recueillir les gouttes écarlates. "Tout va bien ?" s'enquiert un membre du staff en passant en coup-de-vent derrière toi.
Nan, j'suis une catastrophe ambulante.
"Mhm !" rétorques-tu en hochant la tête sans lâcher ton doigt. Après quelques secondes, t'enroules une serviette en papier autour de ton membre estropié, déposes les cocktails sur un plateau et trottines jusqu’à la table centrale des Trois Mousquetaires.
"Messieurs," dis-tu en les servant, dardant un œil à leur
abeille attitrée. Souvent dans les parages, butine les clients les plus friqués et surtout, les encourage à consommer plus, toujours plus, bourdonnant des paroles mielleuses à leurs oreilles, les ailes frétillant de vanité et d’avidité. Un des types, le bouclé avec une chemise à fleurs déboutonnée sur son torse poilu, lève un sourcil moqueur en te voyant déposer les verres avec précaution. "C'est pas trop tôt ! J’me demandais si t’allais nous les faire goûter à l’heure du petit-déj’," qu'il ricane. Les autres éclatent de rire. Tu forces un sourire poli malgré la boule de frustration qui t’étreint la gorge.
"Laisse tomber, Carlos, faut pas trop en demander. Elle est un peu... lente, la petite," ajoute un autre, un type à la bedaine proéminente et au crâne luisant sous les néons. "Mais bon, elle est mignonne au moins, hein, les gars ?" Il t'adresse un clin d'œil exagéré. Tu réprimes l'urgence de lever les yeux au ciel et de le fouetter à l'aide de ton chiffon.
"Autre chose, messieurs ?"Ben ouais, en fait," répond le type à la chemise à fleurs. "On aurait bien besoin d'une autre bouteille de Dom Pérignon, mais j'suis pas sûr que tu sois assez rapide pour ça. Qui sait, t'es peut-être encore en train de chercher la première." Les rires redoublent. Ton rictus faiblit un peu, mais pas moyen que tu leur donnes le plaisir de voir que ça t'affecte.
"Je m'en charge." Tu fais volte-face et presses l'allure, chaque pas vers l’arrière-boutique interminable. La coupure sur ton doigt te lance douloureusement, et des jurons lâchés à mi-voix accompagnent ta course.
Une fois dans l’arrière-boutique, tu fouilles dans le frigo de ta main valide. Tu récupères la bouteille, la plonges dans un seau de glace et te retournes pour arpenter la salle en chemin inverse. De loin, tu les vois penchés les uns vers les autres, rigolant toujours comme des hyènes.
"Cinq minutes pour trouver la bouteille... vous voyez qu'elle s’améliore !"
Mâchoire serrée, tu poses le seau sur la table d'un geste sec.
"Votre champagne," assènes-tu en espérant que ça les fera taire, déjà prête à tourner les talons.
"Attends, on a une autre question pour toi," intervient le moustachu en se penchant vers toi. "Tu sais ce qu’on pourrait vraiment apprécier ce soir, c’est un petit... divertissement en plus de tes services."
"C'est-à-dire ?" "On se disait qu’une petite danse pourrait vraiment mettre de l’ambiance. Une danse privée, toutes les deux ensemble," répond le chauve avec un sourire salace, désignant du menton la brune à ses côtés. "Bien sûr, on est prêts à te payer pour ça. Je parie qu’on pourrait tous passer une excellente soirée."
Tu lèves un sourcil, rétines braquées vers la sirène, tes lèvres s'entrouvrant sur... la surprise ? Un éclat de rire ? Un hurlement ? T'en es pas certaine, mais y a rien qui te vient, là tout de suite.
- hj:
À toi de jouer
j'ai mis du temps à démarrer car j’étais en déplacement, j’espère que ça te conviendra