7 septembre, 00h15.

"Bel, va me chercher une nouvelle bouteille de Dom Pérignon dans l’arrière-boutique, t'veux bien ?"
Pourquoi t'y irais pas toi-même, feignasse ?
"Une nouvelle tournée, ma p'tite dame !"
Ma p'tite dame ? Il est sérieux, lui ?
"Quelqu'un a cassé un verre près des machines à sous au fond. Tu t'en occupes ?"
Raaaaaah !

Les demandes - et exigences - des collègues et des clients se sont accélérées depuis les coups de minuit. Les premiers sont surmenés et épuisés, les seconds, ivres comme des huîtres et impatients. Tu virevoltes à travers la salle, un plateau en équilibre sur une main, un chiffon dépassant de ta ceinture, t’arrêtant çà et là pour déposer des commandes ou nettoyer des accidents. Sans surprise, ces derniers aussi se multiplient à mesure que l'heure tourne. Et dire que t'es coincée ici jusqu'à 2h... envieuse, tu mates les croupiers manier les tas de cartes avec une dextérité digne des plus grands magiciens. Au moins, ils s'amusent, eux ! Pis ils ont pas à traverser la salle vingt-six fois en une heure. Leur uniforme est plutôt cool, en plus de ça. Pas de chiffon à la ceinture, eux. Manque de bol, t'es pas encore assez dégourdie de tes dix doigts pour espérer prétendre à un poste en table. Déjà que tu galères à débarrasser les tables sans faire tomber des couverts à tout bout de champ... prends ton temps Bel, y a rien qui presse. Ah si, y a ces mecs qui te zieutent avec insistance parce qu'ils attendent leurs cocktails depuis vingt minutes. Alors, tu te bouges ?

De retour derrière le bar, tu assembles les ingrédients et plouf ! des gouttes pétillantes s’écrasent autour du verre lorsque tu lâches un morceau de citron dans le premier. T'attrapes une deuxième boule jaune, agrippe le couteau pour la découper mais celui-ci te glisse de la main, tranchant la pulpe de ton doigt au lieu de celle du fruit. "Putain !" vocifères-tu entre tes dents avant de mener l'entaille à tes lèvres pour recueillir les gouttes écarlates. "Tout va bien ?" s'enquiert un membre du staff en passant en coup-de-vent derrière toi. Nan, j'suis une catastrophe ambulante. "Mhm !" rétorques-tu en hochant la tête sans lâcher ton doigt. Après quelques secondes, t'enroules une serviette en papier autour de ton membre estropié, déposes les cocktails sur un plateau et trottines jusqu’à la table centrale des Trois Mousquetaires. "Messieurs," dis-tu en les servant, dardant un œil à leur abeille attitrée. Souvent dans les parages, butine les clients les plus friqués et surtout, les encourage à consommer plus, toujours plus, bourdonnant des paroles mielleuses à leurs oreilles, les ailes frétillant de vanité et d’avidité. Un des types, le bouclé avec une chemise à fleurs déboutonnée sur son torse poilu, lève un sourcil moqueur en te voyant déposer les verres avec précaution. "C'est pas trop tôt ! J’me demandais si t’allais nous les faire goûter à l’heure du petit-déj’," qu'il ricane. Les autres éclatent de rire. Tu forces un sourire poli malgré la boule de frustration qui t’étreint la gorge.

"Laisse tomber, Carlos, faut pas trop en demander. Elle est un peu... lente, la petite," ajoute un autre, un type à la bedaine proéminente et au crâne luisant sous les néons. "Mais bon, elle est mignonne au moins, hein, les gars ?" Il t'adresse un clin d'œil exagéré. Tu réprimes l'urgence de lever les yeux au ciel et de le fouetter à l'aide de ton chiffon.

"Autre chose, messieurs ?

"Ben ouais, en fait," répond le type à la chemise à fleurs. "On aurait bien besoin d'une autre bouteille de Dom Pérignon, mais j'suis pas sûr que tu sois assez rapide pour ça. Qui sait, t'es peut-être encore en train de chercher la première." Les rires redoublent. Ton rictus faiblit un peu, mais pas moyen que tu leur donnes le plaisir de voir que ça t'affecte.

"Je m'en charge." Tu fais volte-face et presses l'allure, chaque pas vers l’arrière-boutique interminable. La coupure sur ton doigt te lance douloureusement, et des jurons lâchés à mi-voix accompagnent ta course.

Une fois dans l’arrière-boutique, tu fouilles dans le frigo de ta main valide. Tu récupères la bouteille, la plonges dans un seau de glace et te retournes pour arpenter la salle en chemin inverse. De loin, tu les vois penchés les uns vers les autres, rigolant toujours comme des hyènes.

"Cinq minutes pour trouver la bouteille... vous voyez qu'elle s’améliore !"

Mâchoire serrée, tu poses le seau sur la table d'un geste sec. "Votre champagne," assènes-tu en espérant que ça les fera taire, déjà prête à tourner les talons.

"Attends, on a une autre question pour toi," intervient le moustachu en se penchant vers toi. "Tu sais ce qu’on pourrait vraiment apprécier ce soir, c’est un petit... divertissement en plus de tes services."

"C'est-à-dire ?"

"On se disait qu’une petite danse pourrait vraiment mettre de l’ambiance. Une danse privée, toutes les deux ensemble," répond le chauve avec un sourire salace, désignant du menton la brune à ses côtés. "Bien sûr, on est prêts à te payer pour ça. Je parie qu’on pourrait tous passer une excellente soirée."

Tu lèves un sourcil, rétines braquées vers la sirène, tes lèvres s'entrouvrant sur... la surprise ? Un éclat de rire ? Un hurlement ? T'en es pas certaine, mais y a rien qui te vient, là tout de suite.

hj:

Confortablement installée entre deux faux gentlemen aux mains graveleuses, Danaë joue son rôle telle une maîtresse de salon. Ce sont des clients importants - fortunés, et sa présence les incite à claquer de folles sommes, dans l'espoir de la séduire, de la rendre plus "ouverte" avec de petites bulles mordorées dans le sang. Sa robe fine, volontairement courte, laisse dérouler ses longues jambes; le décolleté, offert impunément aux regards de ses aînés, donne à entrevoir ce qu'elle ne leur accordera jamais. Ils connaissent les règles : même une main sur la cuisse n'est pas tolérée - à moins que Raelyn n'ait besoin d'une faveur, ou d'en savoir un peu plus sur le poisson en question.

Cette nuit, Danaë doit se forcer à être indulgente, réceptive, alors que son cœur n'y est pas, la mort d'Amos planant toujours dans sa tête à lui en broyer les synapses. Le sourire est faux, mais l'habitude le rend pratiquement authentique; la conversation, inintéressante, tourne successivement de sa personne à une autre, qu'elle surveille du coin de l’œil. Isabel, qui effectue un service à plein régime ce soir. Si la grande perche doit encore se faire une idée à son sujet, plusieurs points viennent de prime abord à son esprit : elle ne doit pas se mêler des affaires de la table, au risque d'y perdre son innocence, elle ne doit pas se mêler des affaires du Club, encore plus important, et le dernier point qui l'amuse - oui lui sert de distraction, Danaë la trouve excessivement mignonne, et envisage d'en faire une proie.

La pauvrette est mise à rude épreuve, les trois requins s'en donnent à cœur-joie. Son instinct de femme pourrait caler un coup de talons dans leurs parties, mais la muse vénale qu'elle incarne les considère surtout à l'état de portefeuilles sur pattes, bons à plumer. Ils sont sur le point d'aller trop loin, elle le voit venir depuis un moment déjà; partagée entre la volonté de défendre son petit moineau, de la garder comme un précieux joyau dont elle se chargera elle-même, ou de l'observer dans ses retranchements, tout en s'assurant qu'elle ne commette pas l'irréparable. Danaë contemple l'ampleur de son désarroi, de sa colère, d'une sourde frustration, ce cocktail pêle-mêle qui la fixe sans trouver de répartie; il y a un monde entre une danse lascive et un simple boulot de barmaid. - Les tarifs sont différents avec elle. C'est quadruple pour trois minutes. plus de trois mois de salaire négociés en dix secondes, quoique Bel ignore probablement tout des détails de ce juteux marché. Elle lui en voudra sûrement de la "vendre", mais Danaë a sa mire sur l'argent, le pactole a proximité, et le défi qu'elle lui propose, sous couvert de la protéger. - Et pour nous deux ensemble.. Il va falloir sortir le chéquier. pas de remue-popotin endiablé sans les cinq chiffres adéquats placés entre ses seins. Parmi les prédateurs, elle dirige les enchères; son regard retourne inévitablement vers Bel, consciente de ce qui lui est proposé. Aussi se lève-t-elle, ondulant éhontément pour que son fessier capte les regards, puis se tourne légèrement; - Celui qui me laisse une bonne prime et une caisse de champagne repart avec mon sous-vêtement. c'est une enchère, et sa dentelle lui rapportera gros. Elle se rapproche de Bel, la surplombe volontairement pour la couper des regards pervers; c'est un test, évidemment, mais sans obligation. - T'as quoi dans l'ventre, ma Bel ? la brunette est son propre petit oiseau, que personne ne touchera sans prendre des représailles en retour. Es-tu à la hauteur de ce challenge ?    

Heureusement que t'as appris à ne rien laisser paraître, parce qu’à l’intérieur… c’est le bordel. Tes émotions jouent les acteurs sur une scène privée, comme dans un de ces minuscules théâtres new-yorkais à comité réduit.

Colère : Elle a dit QUOI, là ?!
Dégoût : Rien qu’à imaginer leurs sales pattes sur notre peau... j'en ai la nausée.
Envie : Attendez, attendez, attendez... on parle d'une grosse somme d'argent, hein. Genre, plus que ce qu'on pourrait gagner en plusieurs mois, rien qu'en UNE soirée. Ça vaut le coup d'y réfléchir.
Colère : Et depuis quand on fait le tapin ? On en est vraiment arrivées là ?
Envie : C'est une danse. Pas de quoi fouetter un chat. Ils ont même pas le droit de toucher !

La naïade s'est glissée devant toi et te surplombe de son perchoir, venant ajouter une touche comique à ce tableau grotesque. T'as l'air d'un poussin à côté d'elle, cygne gracile aux jambes interminables. Tes billes se lèvent pour jauger les siennes, dans lesquelles flotte une invitation au défi. Et puis soudain, la réalité te frappe comme ce ballon de basket reçu en plein nez en cours de sport au collège. Elle, toi... y a pas photo. T'auras l'air d'une croûte à côté d'un Monet. Un vulgaire piccolo à côté d’un Stradivarius. Un Playmobil à côté d’une sculpture de Rodin. Le contraste est... tragique. C'est une invitation à l'humiliation, qu'ils me proposent. Évidemment que c'est pas pour ton joli fessier ! Ils veulent juste que tu t'abaisses à accepter, que tu te rétames, ou que tu craques sous la pression de leurs remarques toujours plus salaces. C'est un jeu, pour eux, et tu en es la souris. Pas le trophée.

Une œillade en biais vers les trois lascars te confirme cette impression. Ils patientent gaiement, l'exultation au bord des lèvres. L'habitude que tout leur soit dû, qu'on les traite comme la royauté, qu'importe leur apparence repoussante ou leur comportement infernal. Combien de filles leur ont dit oui, juste pour toucher leurs rêves du bout des doigts à l'aide de quelques centaines de dollars ? D'un autre côté, ne sont-ils pas les dindons de cette farce ? Ils se croient puissants, malins, sans se rendre compte qu'ils ne sont que des pantins entre les filets de toutes ces sirènes. Mais... toi, une sirène ? Tu n'en possèdes ni l'allure ni la patience. Et si tu étais prête à vendre un peu de ta dignité pour accélérer ton ascension professionnelle, hors de question de vendre ton humiliation. Ta fierté s'oppose à un tel manège de cruauté.

"J'sais pas danser," lâches-tu enfin, catégorique. Tu mords l’intérieur de ta joue, mais ça ne suffit pas à réprimer l’élan impulsif qui s’empare de ta langue - fallait pas te chercher. "Par contre j'sais embrasser. Ça vous ferait kiffer, ça, hein ? Je lui roule une pelle pour cinq-cent dollars." Parce que c'est ça qu'ils cherchent au fond, non ? Un spectacle. Et puis, c'est quoi, cinq-cent balles pour eux ? Quelques centimes ? Ça te paierait un sixième de cette foutue formation, te rapprocherait un peu plus de ton but. Toute ta frustration, accumulée depuis le début de la soirée, déborde dans ton intonation. Obscène proposition, qui sert surtout de vengeance contre l’araignée pour t'avoir piégée dans sa toile - alors, ça fait quoi d’être traitée comme un accessoire ? -, et de provocation pour leur en boucher un coin et surtout, les faire payer - littéralement - pour t'avoir emmerdée toute la soirée. Autant que tu en retires quelque chose. Les regards agréablement surpris se posent sur la grande perche, dont tu ne connais même pas le prénom. Nymphe que tu embrasserais probablement gratos - mais certainement pas devant ces bouffons. S'ils veulent profiter du show, ne serait-ce que pour quelques secondes, ils sortiront le porte-monnaie. Tu voulais jouer ? Alors jouons.

hj:

Shy but spicy girl.
C'est un jeu ridicule, mais qui a le mérite de valoir son pesant d'or. Sans quoi, aucun de ces trois rustres n'aurait eu l'ombre d'une chance. C'est un jeu malsain, mais qui a le mérite de la rapprocher de Bel. L'oiseau sensible aux émotions prégnantes, effervescentes dans son regard; est-elle réellement si fragile, ou se cache-t-elle derrière une attitude fallacieuse ? Danaë ne la connait que de nom, et d'emploi; du reste, cette fille est un mystère et, jusqu'à preuve du contraire, une petite perle à protéger. Les requins rôdent en ces lieux; pour les femmes, des accidents sont vite arrivés.

Mais l'appel du fric ne fait vraisemblablement pas l'unanimité. C'est quelque chose que Naë ne comprend que difficilement : quelques centaines de dollars (ou plus) pour trois minutes de danse, c'est du pain béni. Elle se moque bien de la méthode, tant qu'elle dépouille les poches d'autrui pour faire le plein des siennes. Il suffit de se vendre, même pour ce qu'elles ne sont pas. Le reste de la nuit serait tout à fait disposé à les écouter cracher sur ces trois pervers, tout en reniflant la fragrance enivrante du salaire. Pourtant, Bel s'apprête à décliner. Son visage de porcelaine ne s'accommode point d'une idée toute prête, négociée par la responsable, la Médusa du royaume enchanté. Quoique...

Surprise, motherfucker.
Le p'tit gabarit a finalement de la répartie. Est-ce l'esprit de contradiction qui lui joue un tour, ce "non mais oui" qui visualise soudain le pactole à portée de main ? Ou simplement la peur d'être faible, ou d'être écrasée par le talon de sa comparse ? Bel ne la connait pas assez pour savoir qu'elle l'aurait couverte, et qu'elle la couvrira, quel que soit le plan de jeu; c'est une règle, un crédo de la maison, qui vaut naturellement pour les filles et d'autant plus pour la brune - allez savoir ce qu'elle lui trouve, tiens. - T'es excessivement mauvaise en négociation, darling. considérant le fait qu'un baiser se joue à deux, elle n'empochera quasiment rien à l'arrivée. Danaë ne se formalise pas d'être une clause d'un pseudo-contrat - c'est banal, compte tenu de son expérience, et clairement utile à leur profit commun. Sauf que le prix a été énoncé de vive voix, et qu'un accord a été formulé.
- Et cinq mille pour ta culotte, chérie. ricane le babouin, qui s'empresse de tirer une liasse de sa veste. - C'est un string, pour information. histoire d'avoir le dernier mot, de reprendre l'ascendant verbal sur son vis-à-vis.

L'attention, qui s'était retournée sur le lascar, revient à leur duo improvisé. Le sourire s'étire doucement, amusé, l'air de dire "tu aurais définitivement pu en tirer plus". Bien sûr, Danaë ne fera pas le premier pas; si Bel veut son argent, elle viendra la chercher.  

Il est encore temps de reculer. Ils auront l'air bien cons d'avoir accepté et toi, tu... quoi, au juste ? Repartiras la tête haute ? Les poches vides, surtout. L’appât du gain facile est un acide qui ronge tout : dignité, principes... volonté. Mais il y a quelque chose qui te titille, au-delà du fric. Les gens font des rapprochements vulgaires, souvent liés à l'apparence. Petite stature et poids plume à leurs yeux équivalent fragilité. Naïveté. Immaturité. Combien de fois t'a-t-on demandé de sortir ta carte d’identité pour prouver que oui - tu as bien plus de dix-huit ans ? Sans doute est-ce pour ça que tu te plais à faire l'inverse de ce qu'on attend de toi. Là où l'œil crédule façonne une ingénue, tu dévoiles un esprit audacieux et provocateur - une tête qui brûle aussitôt surgit l'étincelle.

Tu aurais pu exiger plus, c'est vrai. S'il étaient prêts à accepter une danse fugace au goût de millier de dollars, pourquoi se priveraient-ils d'une chorégraphie langoureuse ? Mais la naïade a raison : tu n'as pas l'habitude de négocier, encore moins pour ce genre de choses. Cinq-cent dollars te paraissent déjà énormes, accessibles via un effort loin d’être pénible. Alors... who cares, right?

"La ferme," lâches-tu entre tes dents, à peine assez fort pour que seules les oreilles féminines saisissent ton filet de voix. Ces histoires de culottes - ou string - te passent par-dessus la caboche - tu n'attends que le consentement de la poupée pour passer à l'attaque. Quand glisse le sourire à cette bouche moqueuse, c'est ton ego qui rugit. D'un mouvement possessif, légèrement excédé, tu viens cueillir le sarcasme sur les lippes de la brune. Est-ce son air hautain que tu tentes de dominer en t'imposant comme chef d'orchestre de cette performance ? Tu bats la mesure, oui... les trois premières secondes. Rapidement une alchimie grisante s’opère - tu n'as plus besoin de faire semblant, oubliant même qu'il ne s'agit que d'un jeu.

A spark.

Ta peau frissonne de cette osmose inattendue, déroutante. Tes lèvres capturent les siennes, encore et encore, avides de s'abreuver de ce courant électrique. Tu n'entends même pas les éclats de voix ni les sifflements qui fusent en provenance de la table, juste un bourdonnement entre tes tempes... l'abeille s'est glissée sous la cloche de verre.

What the fuck...?

Tu t’écartes aussi brusquement que tu t'es rapprochée. Une seconde de flottement, pendant laquelle ton regard fiévreux interroge le sien. L'a-t-elle senti, elle aussi...? Ne reste qu'un seul instrument à ce concert improvisé : le tambour dans ta poitrine, qui martèle avec la force d'une cadence militaire.

Ce tournant inattendu l'aura fait sourire de prime abord. Une situation telle que cet imprévu révèle forcément les forces et faiblesses de son petit oiseau. Un petit caractère bien trempé contraste avec sa pseudo-innocence dans le bassin des requins. Elle apprend sur le tas, sans trop se démonter, Danaë lui accorde ce point. Mais elle devra être prudente à l'avenir : ses failles sont bien trop exposées, et n'importe quel type suffisamment mal intentionné pourrait en tirer parti. Cela lui rappelle, d'ailleurs, qu'elle avait failli en faire les frais, à l'époque, avant que Raelyn ne lui sauve la mise.

- Mooh.. volontairement, pernicieusement moqueuse, la brune toise son petit miroir d'une moue provocatrice. L'embrasser sera un jeu d'enfant, bien qu'elle n'ait pas réellement - pour une fois - considéré cette intention auparavant. Bel est une ravissante jeune femme, et ses lèvres ne se priveront pas d'une offrande pareille. Est-ce son égo qui la transcende ainsi ? Peu importe, Lescaut aime ce qu'elle voit. Ça gronde sous le visage de porcelaine. Et elle vient la chercher. Incisive, décisive, fougueuse et déterminée, Bel prend ce qui semble lui revenir de droit. La mécanique est simple sur le coup, puis le feu de l'action prend une toute autre ampleur; l'étincelle fait surgir une flamme, dévorante et langoureuse, qui vient ronger l'écorce du simple challenge. Danaë répond au baiser, entrouvre ses lippes pour mieux l'accueillir, crochète ses hanches de ses doigts en la tirant à elle, bonne araignée qu'elle représente, quitte à écorcher sa peau. Sa main disponible n'est pas en reste, et aura fondu dans la chevelure brune, électrisant sa nuque et remontant dans sa crinière, d'un élan possessif.

Brutalement, Bel s'écarte. C'est aussi soudain que sa façon de venir la chercher. La bulle éclate, et avec elle reviennent les sons enjoués d'une tribu de connards excités. Ils sont le cadet de ses problèmes; un autre facteur dans son équation tordue vient de signer une brûlante apparition. Si ce n'était pour le casino, Danaë se risquerait à lui faire des choses moins catholiques. Mais d'abord, c'est la colère que respire son regard, deux spirales ténébreuses qui la maudissent pour cet instant passionnel, une complication supplémentaire dont elle se serait bien passée. Je te déteste autant que je te veux. Les billets sont sortis sur la table, dans son dos, et une voix la rappelle à l'ordre, coupant court à ce feu croisé interminable. - Voilà pour le bisou. On aurait presque dit que vous faites ça tous les jours. il ricane, mais sa réflexion ne tombe pas dans l'oreille d'une sourde. Bel a bousculé quelque chose, forçant une place dans sa psyché, et la grande perche ne l'avait pas vue venir. - Et ça, c'est pour le reste. mais Danaë ne daigne pas récupérer plus que la somme promise au baiser. - Ça suffit, c'est tout pour ce soir. Si vous êtes pas contents, faites une réclamation. pas de culotte au programme, la liasse est renvoyée à son propriétaire.

Son regard foudroie les trois compères, qui se décident finalement à partir, tandis que ses doigts jouent machinalement avec le reste des billets verts. What have I done... Again ? - Ton fric. maugrée-t-elle, prenant sa main d'un geste déterminé pour y mettre l'argent récolté. - Ne refais jamais ça. siffle-t-elle, la fusillant sur place pour ne point laisser de place à tout ce que son geste a ouvert. Avec les temps qui courent, elle ne peut se permettre d'être faible, enjouée comme une gamine par un baiser échangé sur un coup de tête. Cette futilité doit en rester une, pour le bien des affaires, de ses projets, de ses relations scandaleuses qu'elle n'arrive déjà pas à gérer. Aussitôt fait, la jeune femme s'échappe vers le stock, d'où Bel avait sorti une bouteille de champagne; il lui faut quelques verres, de l'alcool fort, n'importe quoi pour effacer ce fatras de pensées, pour gommer l'image de la brune dans sa cervelle. Petite conne, que m'as-tu fait ? 

Tes joues se parent d'un voile écarlate. Tes lèvres ne sont pas en reste, gonflées par l'afflux sanguin né de ce contact exaltant. Ton souffle erratique achève de compléter cette scène de crime aux preuves exposées en plein jour. Bel l'imperturbable, Bel l’indifférente a bien du mal à dissimuler le feu qui ravage la façade. Les flammes dansent à la surface des iris opposées - l'incendie s'est-il propagé jusque chez elle ? À en croire les ondes thermiques qui irradient de ses pores... oui. Mais visiblement pas pour les mêmes raisons. L'ire hurle sous ce silence de plomb. Jusqu’à ce qu'elle reporte son attention vers les joyeux spectateurs de ce grossier numéro, les congédiant d'une fermeté visiblement forgée par l'habitude, l’expérience. Fuyez pauvres fous, je me suis assez amusée de vous. Ils en veulent plus, pourtant, la première liasse trouvant rapidement une jumelle plus épaisse - le gros lot pour la dentelle ? - mais l'abeille a assez travaillé ce soir et le pollen supplémentaire est aussitôt rendu.

Elle saisit ta main pour y fourrer ton dû, et si le fric devait te donner tes ailes, il pèse lourd dans ta paume. De l'argent sale. Rien que son contact te paraît gluant, goudronné. L’écarlate vire au cramoisi lorsque tu accuses le coup de cette récompense. Shame, shame, shame. C’est à Eve que tu penses brièvement, à sa déception si elle apprenait ce que tu viens de faire. "Mais il fallait me le dire... je tes les aurais donnés, ces sous, ou même prêtés si tu voulais me les rembourser plus tard." À défaut d'avoir une figure parentale digne de ce nom, la Daxson est devenue ta référence en matière de principes moraux, et c'est souvent son visage qui apparaît lorsque ta conscience inspecte son reflet dans le miroir.

Tu restes coite devant ta collègue, qui bouillonne toujours de ton audace. De quoi parle-t-elle ? De ton initiative, de ce retournement duquel elle aurait difficilement pu s'extirper devant les clients ? Ou de cette situation qui a échappé à votre contrôle...? Parce que la perche est soit une excellente actrice, soit elle a trempé les orteils dans ce puits vertigineux, elle aussi, à en juger par ses mains baladeuses pendant votre baiser. "Aucun risque." Ta voix est blanche, pas aussi déterminée que tu l’espérais. Le goût de la belle perdure sur ta langue, engourdissant un peu de ta volonté. Après t'avoir carbonisée d'un nouveau faisceau laser, elle fuit en direction du stock, et tu ne peux que la suivre du regard, ensorcelée par les courbes qui ondulent sous le tissu. Ce n'est pas la première fois que tu l'observes ainsi... admets-le, Bel. Plusieurs fois tes pupilles ont effleuré ses longues jambes - c'est pour mieux te faire trébucher -, ses bras graciles - c'est pour mieux t’étrangler -, ses lèvres pulpeuses - c'est pour mieux te dévorer, mon enfant.

Ce pacte avec le Diable n’était-il pas l'excuse parfaite pour goûter au fruit défendu ? Ton palpitant s'agite bruyamment alors que tu luttes pour ne pas céder à la force de cette corde invisible qui te happe vers là où la brune a disparu. Ce n'est pas l'effet du désir ni un de ces jeux de séduction dont tu tires habituellement les fils. C'est une vague oppressante, un courant impérieux qui ne tolère aucune résistance. On te retrouvera noyée sur le rivage, victime des charmes de la sirène.

La marée t'emporte, tes pieds aimantés par le sol avancent déjà en direction du stock. Le pognon est caché, enterré dans ton tablier - t'y penseras plus tard - et tu déboules dans la salle mal éclairée, la bouche entrouverte sur la question qui pulse douloureusement dans ta tête. "Tu t'appelles comment ?"