L’ambiance est électrique. Une enceinte crache une chanson de Reneé Rapp, le son à peine audible par-dessus les rires des gens présents. Tout le monde est couvert de paillettes, de confettis, de plumes, les tenues sont excentriques, créatives, des sequins, du cuir, des froufrous. Cleo se sent parfaitement à l’aise, dans cette univers qui pourtant lui était inconnu il n’y a même pas deux ans. Mais ici, personne ne la juge, peu importe son attitude ou ses vêtements, elle a l’impression qu’elle peut explorer n’importe quelle facette de sa personnalité. Elle n’est plus l’adolescente qui devait se cacher derrière Primrose, sa meilleure amie, dont le charisme servait de bouclier face aux gens qui auraient sûrement moqué Cleo, autrement. Parce qu’elle était une gamine timide, aux joues qui rougissent trop vites, qu’elle bégayait quand elle était nerveuse. Dans le monde du drag, elle a l’impression d’avoir rencontré son alter-ego, cette Supernova étonnante et loufoque, et qu’à force de la fréquenter, la Cleo de tous les jours est influencée. Et c’est ça, qu’elle voudrait faire transmettre aux gens qui découvrent le drag aujourd’hui : combien cet art peut aider à se découvrir, s’exprimer, s’amuser.

Alors Cleo est surexcitée à l’idée de faire partie des référentes de l'événement. Elle prend la mission très à cœur, est arrivée tôt ce matin pour aider à l’installation et l’organisation, elle court partout et l’adrénaline lui fait oublier d’être introvertie. Elle a mis une  tenue spéciale pour l’occasion, qu’elle a terminé de coudre il y a quelques jours, et qui lui donne l’impression de sortir d’un remix camp d’Alice au Pays des Merveilles.

Penchée au-dessus du visage de Shiloh, Cleo se concentre, les yeux plissés, terminant le maquillage de son amie. Elle colle l’une des dernières gems, inspire, s’écarte, et annonce d’un ton théâtral : « Tadaaam ! Tu peux ouvrir les yeux ! » Son cœur bat à cent à l’heure, parce qu’elle espère que ça plaira à Shiloh - elle a essayé de faire quelque chose d’accessible, de ne pas y aller trop à fond pour une première fois. Cleo est déjà tellement ravie que Shiloh montre de l’intérêt pour le drag, et que leur amitié n’ai pas explosé en cours de route à cause du crush un peu mal placé de Cleo, qu’elle veut juste que Shiloh passe un bon moment et que tout se passe bien. « Si ça te plaît pas, je peux changer un truc. »


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event : brisbane pride festival

La musique bat son plein et elle doit se retenir de ne pas gigoter sur son siège au risque de gâcher tout le travail de Cleo. Elle chantonne doucement lorsqu’une chanson lui plaît tout particulièrement. Si habituellement elle sait parfaitement tenir en place, il faut avouer que cette journée d’un genre nouveau la rend aussi intenable qu’un enfant à la veille de Noël. Shiloh veut tout voir, tout observer à la loupe, tout comprendre également de ce milieu qu’elle ne connait que très peu. L’invitation de Cleo avait été lancée dans un élan de timidité encore teinté par le léger dérapage de la dernière fois. Cela n'avait aucune importance à ses yeux, mais elle voyait bien à quel point Cleo marchait sur des œufs. Cette journée allait changer la donne, elle en est certaine. Cette fois, c’est elle qui met un pied dans l’univers de Cleo et pas l’inverse. Elle est prête à recevoir toute sa connaissance, à participer autant que le cœur lui en dit et, surtout, elle souhaite sincèrement en apprendre plus sur la cause. Ce n’est pas qu’elle ne s’est jamais intéressée au milieu, mais elle avait eu besoin de se défaire de l’influence de son ex pour se rappeler qu’elle n’avait jamais été du côté des homophobes. Sans réellement savoir se situer sur le moindre spectre, elle cherche simplement à donner plus d’attention à ceux qui sont encore trop souvent rejetés par la société. Et quoi de mieux que de se laisser complètement entraîner dans cette bulle faite de paillettes, d’excentricité et de rire ?

Elle peut sentir le souffle concentré de Cleo sur sa joue et la caresse du pinceau contre ses paupières. Elle se demande à quoi va ressembler le résultat. Vêtue de sa tenue de ville, elle se demande ce que Cleo lui réserve pour la suite. Est-ce que son maquillage sera un indice ? L’impatience la gagne à chaque seconde jusqu’à ce qu’elle sente Cleo s’éloigner. « Tadaaam ! Tu peux ouvrir les yeux ! » Dans l’appréhension, sous l’effet de la surprise également, elle garde les yeux fermés une seconde de plus. Avant de souffler et de les ouvrir. Il lui faudra une seconde pour s’habituer à l’éclairage et une de plus pour se pencher vers le miroir. « Si ça te plaît pas, je peux changer un truc. » Elle n’entend pas les propos de son amie, son regard restant rivé sur le miroir. Et durant quelques secondes, le silence perdure alors qu’elle prend pleinement conscience du travail de Cleo. « Wow. » Qu’elle murmure doucement avant de s’approcher encore de son propre reflet. « Cleo, c’est si joli. » Elle ose à peine lever un doigt pour venir effleurer l’un des gems. Cela fait un moment qu’elle a repris l’habitude de se maquiller quotidiennement, mais c’est bien la première fois depuis des années qu’elle a sincèrement l’impression de se trouver jolie sans que l’affreuse voix de Lawrence ne résonne dans un coin de son esprit. « Merci. » Relevant les yeux, elle croise le regard de son amie dans le miroir. « J’aime tellement !! Merci, merci, merci ! » Et sans prévenir, elle se jette presque dans les bras de la jeune artiste, empreinte d’une certaine émotion qu’elle ne saurait traduire autrement que par un geste d’affection.

Shiloh ne dit rien pendant un instant, se contente d’observer son reflet dans le miroir. Cleo retient sa respiration, anxieuse. Même si Shiloh ne lui a jamais fait payer son comportement de la dernière fois, Cleo a l’impression qu’elle est en période d’essai pour se rattraper - elle est la seule qui se l’impose, car Shiloh est beaucoup trop loyale et adorable pour punir Cleo. Comme toujours, c’est Cleo qui est son pire jugement. Alors en invitant Shiloh aussi, elle veut bien faire, et elle sait qu’elle sort de la zone de confort de son amie, y compris avec ce maquillage. Elle a essayé de faire quelque chose de différent, mais pas trop exubérant, comme pour aider Shiloh à mettre un premier pied dans le genre du drag. Elle regarde les yeux de Shiloh, qui semble pétiller. « Wow. » Le coeur de Cleo sursaute, et elle pousse un petit soupir de soulagement. « Cleo, c’est si joli. » Les lèvres de Cleo s’étire d’un immense sourire. « C’est assorti avec ton visage alors », elle réplique, un petit compliment qu’elle n’espère ne sera pas déplacé. Elle a compris que leur relation avec Shiloh sera amical, et à vrai dire, elle le préfère : elle a besoin de gens bienveillants autour d’elle, et Shiloh et elle partagent beaucoup, leur amour de la couture, leur passé compliqué avec les garçons. Cette complicité est précieuse, bien plus qu’un petit crush comme Cleo semble en développer sur la plupart des filles qu’elle rencontre en ce moment. D’après ses amis queer, c’est assez commun, ils plaisantent et lui disent qu’elle rattrape l’adolescence qu’elle n’a pas eu.

« Merci. » Cleo secoue la main, l’air de dire que ce n’est pas grand chose, mais le visage de Shiloh brille d’enthousiasme. « J’aime tellement !! Merci, merci, merci ! » Et, sans prévenir, elle se lève et saute dans les bras de Cleo, la prenant par surprise. Cleo n’a jamais été très démonstrative physique - à part avec Primrose, peut-être - mais elle se surprend à répondre à l’étreinte avec facilité. La joie de Shiloh est toujours si communicative. Elle la serre dans ses bras avec un étrange soulagement. « Merci à toi », elle répond, sincère, « d’être venue, d’être intéressée par tout ça. C’est… ça veut dire beaucoup pour moi ! » Elle avoue, le cœur au bord des lèvres de son aveu et sa propre vulnérabilité. Elle ne sait pas comment dire l’importance que c’est pour elle qu’une amie hétérosexuelle (?) s’intéresse à son univers à  elle, sans jugement. Cleo a grandi dans une homophobie si affichée et acide qu’elle est toujours surprise que tout le monde ne partage pas cette opinion. « Je sais que tu es là avec tes talents de couturière, et que Megan te rejoint aussi, mais tu as réfléchi à si tu voulais défiler ? » Elle demande avec un sourire curieux en coin.


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Il lui faudra un instant pour pleinement réaliser que le reflet qui lui fait face n’est pas celui d’une inconnue, mais bel et bien le sien. Si elle a peu à peu repris le contrôle de son apparence, jouant avec ses fringues pour s’affirmer à nouveau, Shiloh ne s’est jamais réellement replongée dans le maquillage, usant toujours de quelques fards neutres et d’un fond de teint si léger qu’il n’était presque pas nécessaire. Elle n’avait pas envisagé que cela représente une étape supplémentaire, mais à se redécouvrir ainsi dans le miroir, elle prend conscience de tout ce qu’elle ne s’était pas autorisée à nouveau. L’émotion la prend à la gorge alors qu’elle se sent belle, mise en valeur et appréciée pour tout cela. « C’est assorti avec ton visage alors. » Un sourire timide vient étirer ses lèvres à peine colorées, mais si justement souligné. Si elle arrive à ressentir la légère gêne qui émane de Cleo, elle n’en a que faire. C’est son instinct qui parle lorsqu’elle se précipite vers elle pour enrouler ses bras autour de sa nuque. Il n’y a rien de déplacé dans son geste, si ce n’est l’expression d’une gratitude à laquelle aucun mot ne pourrait réellement faire justice. « Merci à toi d’être venue, d’être intéressée par tout ça. C’est… ça veut dire beaucoup pour moi ! » Un instant, elle serre les doigts de Cleo dans les siens, lui assurant alors que ce n’était pas un effort insurmontable, encore moins une corvée. Elle avait envie d’être là, de découvrir ce pan de sa personnalité. Et c’est un sourire bien plus franc, bien plus éclatant qui s’invite sur son visage, alors qu’elle se recule à nouveau pour mieux faire face à son reflet. « Je savais même pas que j’avais besoin de ça. » Est-ce que Cleo comprendra ? Elles ont vécu des histoires similaires toutes les deux, dans une relation où il leur était interdit d’exprimer leur réelle personnalité. « Je me sens bien ! » Elle l’affirme sans honte, sans rougir. Même avec sa tenue encore très simple, Shiloh se sent bien dans ses baskets et c’est ce que ce genre de journée devrait amener à chacun des participants.

« Je sais que tu es là avec tes talents de couturière, et que Megan te rejoint aussi, mais tu as réfléchi à si tu voulais défiler ? » Effectivement, Megan devrait la rejoindre dans peu de temps, pour un petit maquillage s’alliant à la thématique de l’évènement. Mais elle n’avait pas envisagé de faire le moindre usage de ce maquillage et encore moins des merveilles de tissus qui s’agitent sous son nez depuis le début de la journée. « Tu vas le faire, toi ? » Cleo lui avait parlé de la scène, de ce qu’elle aime, mais elle n’a jamais eu l’occasion de la voir en action. « Je crois que je serais trop pétrifiée pour avancer. » Créer pour les autres, c’est une chose, mais s’exposer ainsi aux regards des autres, c’est encore une étape de plus à franchir. « Il va y avoir beaucoup de monde, non ? » Personne ne l’obligera à le faire, elle en a conscience, mais une part d’elle voudrait être capable de relever le défi.

L’énergie de l’évènement permet à tout le monde d’être à l’aise, on sent une atmosphère sans jugement, où chacun explore, par le maquillage, les froufrous d’une tenue extravageante, et la musique tourne en fond, chacun semble comme monter sur ressorts, les gens chantonnent, font des petits pas de danse, se préparent pour aller sur scène ou encourager dans le public. Tout ça pour une bonne cause, en plus, que demander de plus ? Cleo en est surexcitée, elle se sent dans son élément, elle qui pourtant n’a découvert cet univers il n’y a à peine deux ans de ça. « Je savais même pas que j’avais besoin de ça. » Cleo a un immense sourire. Elle sait que Shiloh a besoin de douceur, elle le sait parce qu’elle aussi, au fond, a besoin de ces atmosphères bienveillantes, de s’amuser avec soi-même, son expression, sans imaginer la critique acide d’un partenaire qui prétend vous aimer. Cleo adresse un regard entendu à Shiloh, parce qu’elles savent toutes les deux que chaque moment heureux qu’elles vivent est une victoire de plus, et Cleo est particulièrement touchée d’avoir une amie qui la comprend sur ces choses-là. Elle n’a pas parlé de ces choses-là à beaucoup de gens, Cleo. « Je me sens bien ! » Cleo tape dans ses mains avec excitation. « C’est l’essentiel ! » Elle s’exclame, parce que c’est le but, au fond. Pas d’être la mieux maquillée, la mieux lookée, la plus folle ou talentueuse. Simplement d’être là, de se retrouver, de former une communauté qui laisse chacun fleurir.

La question du défilé est abordé, et Shiloh est plutôt sur la réserve, ce que Cleo comprend tout à fait. Elle ne poussera jamais qui que ce soit à tenter ça, de toute façon - elle est assez timide pour comprendre que ce n’est pas la tasse de thé de tout le monde. « Tu vas le faire, toi ? » Cleo hoche la tête. « J’ai déjà prévu un petit numéro », chaque participant à une trentaine de secondes pour défiler, en choississant un extrait de musiquede son choix, « et puis je me suis portée volontaire pour coacher les gens, leur donner des trucs et astuces. Non pas que je sois une pro, évidemment », elle ajoute précipitamment, toujours aussi modeste. « Je crois que je serais trop pétrifiée pour avancer. » « Je comprends tout à fait, la première fois que j’ai fait du drag, j’ai vomi avant de monter sur scène », elle confie avec une grimace. « Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi j’aime tant ça alors que je suis si timide. » Elle hausse les épaules, consciente d’être un paradoxe. « Mais c’est ce que j’aime bien avec le drag, tu peux te construire un alter-ego, et c’est comme une armure. » Du moins c’est comme ça qu’elle se sent quand elle prend les traits de Supernova. « Si tu veux, je t’inviterais à un show la prochaine fois ? » elle propose avec un petit sourire, ne sachant pas à quel point Shiloh est curieuse, ou simplement polie.

« Il va y avoir beaucoup de monde, non ? » Un coup d’oeil vers le reste des gens présents, qui s’agitent, le confirme. « Je pense, oui. Mais tout le monde sera bienveillant, c’est ce que j’adore avec ces endroits », confie Cleo. « Mais t’es pas obligée d’aller sur scène si t’es pas à l’aise de toute façon. » Shiloh est là pour s’amuser, pas se faire violence. « Tu veux que je te montre quelques tenues qui ont été créées ou prêtées pour l’évènement ? » Elle propose, en faisant un signe vers les portants remplis de vêtements extravageants, consciente


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« C’est l’essentiel ! » Elles échangent un regard qui en dit bien plus long que n’importe quel discours. Elles se comprennent, elles savent à quel point il est nécessaire de pouvoir se sentir libre à nouveau. Et Shiloh apprécie tellement ce moment, qu’elle aimerait tout photographier pour ne rien oublier. Sa vie n’a pas changé en un claquement de doigt, mais elle s’est réellement battue pour en arriver là. Et ne pas avoir la boule au ventre en se voyant maquillée ainsi, c’est une petite victoire comme une autre. Ce n’est pas grand-chose aux yeux du reste du monde, mais pour elle et pour Cleo également, c’est la possibilité de s’affirmer à nouveau en s’amusant.

Les festivités sont désormais lancées et bien sûr que son amie allait lui parler du reste du programme. Elle sait ce qui attend ceux qui se sont réellement inscrits, mais c’est quelque chose qui l’effraye un peu pour être sincère. « J’ai déjà prévu un petit numéro et puis je me suis portée volontaire pour coacher les gens, leur donner des trucs et astuces. Non pas que je sois une pro, évidemment. » Elle lève les yeux au ciel, certaine que Cleo a un niveau bien plus élevé que la plupart de ceux qui sont venus relever un défi personnel. « Je me suis proposé pour des avis sur les tenues aussi. » Ce n’est pas grand-chose, mais si son œil aguerri et surtout sa capacité à résoudre des problèmes avec une aiguille peuvent servir, alors autant filer un coup de main. Mais défilé, c’est bien une tout autre affaire à ses yeux, et l’idée même de monter sur scène lui tords le bide. « Je comprends tout à fait, la première fois que j’ai fait du drag, j’ai vomi avant de monter sur scène. » Elle grimace légèrement, mais imagine parfaitement la sensation. « Encore aujourd’hui, je me demande pourquoi j’aime tant ça alors que je suis si timide. » - « Pourtant ça te correspond si bien. » Elle ne sous-entend absolument pas cela sous un reproche et, même si elle n’a jamais vu Cleo sur scène, Shiloh n’a pas de mal à l’imaginer briller sous les projecteurs. « Mais c’est ce que j’aime bien avec le drag, tu peux te construire un alter-ego, et c’est comme une armure. » - « Il s’appelle comment le tien ? » Est-ce qu’elle lui avait dit ? Elle en doute, mais sa curiosité est piquée désormais. « Si tu veux, je t’inviterai à un show la prochaine fois ? » Elle hoche la tête bien plus enthousiaste à cette idée. « Alors ça, avec grand plaisir ! J’aimerais beaucoup te voir. » Et surtout, elle aimerait en apprendre plus sur ce milieu qu’elle découvre seulement.

« Je pense, oui. Mais tout le monde sera bienveillant, c’est ce que j’adore avec ces endroits. » Elle n’en doute pas dans le fond, mais quelque chose la bloque encore. « Mais t’es pas obligée d’aller sur scène si t’es pas à l’aise de toute façon. » Elle lui adresse un sourire timide. « Je crois pas être prête pour cette fois. » Elle se sent rougir alors qu’elle sait parfaitement que Cleo ne lui en tiendra pas rigueur. « J’adore le make-up, mais le regard des autres de cette façon… C’est encore une étape qu’il faut que je franchisse. » Et elle aura besoin de le faire lentement, dans ses termes et en se sentant pleinement en sécurité. Alors peut-être une prochaine fois, au fond d’elle, Shiloh n’en doute pas, ce n’est que partie remise. « Tu veux que je te montre quelques tenues qui ont été créées ou prêtées pour l’évènement ? » Ses yeux se mirent à briller comme ceux d’une enfant à qui l’on proposerait d’aller dans un magasin de jouets. « T’as pas à me le dire deux fois ! » Enroulant son bras à celui de Cleo elle l’a suivi dans les coulisses pour retrouver les portants où attendent les différentes tenues qui seront proposées dans la soirée. « Mon Dieu, c’est Noël en mieux ! » Et si elle n’avait pas de retenue, ou si elle n’était pas aussi timide, Shiloh aurait probablement sautillé sur place sous l’effet de l’excitation ambiante ! « C’est le moment où je te dis que je me suis toujours pas défait de mon idée de potentiellement démissionner ? » Elles en avaient parlé par messages, mais Shiloh ressent le besoin de relancer la conversation de vive voix, quelque chose lui disant que Cleo saura probablement l’aider à faire pencher la balance.

« Pourtant ça te correspond si bien. » Les joues de Cleo rougissent. La façon dont Shiloh la voit pour qui elle est elle, en entier, sans jamais la juger, et avec une bienveillance incroyable, c’est toujours une émotion particulière ; quelque chose à laquelle Cleo n’a pas été habituée. C’est Primrose qui a été la plus proche de la saisir complètement, et Cleo s’est enfui avant de pouvoir être complètement honnête avec sa meilleure amie. C’était plus simple de ne pas risquer le rejet en rejettant en premier. Cleo n’aurait jamais supporter que quelqu’un qu’elle aime tant, et qui l’aime (aimait ?) tant aussi puisse ne pas la comprendre. Alors elle a préféré couper les ponts.  « Il s’appelle comment le tien ? » Demande Shiloh alors que Cleo évoque les alter-egos. « Supernova. Tu sais, c’est comme ça qu’on appelle les étoiles qui implosent », elle raconte avec un petit sourire, parce qu’elle a cherché longtemps son nom de scène et qu’elle est contente de celui qu’elle a choisi. Il lui correspond bien - l’implosion, la lumière, les étoiles, le renouveau, le vide. Elle sera ravie de montrer tout ça à Shiloh. « Alors ça, avec grand plaisir ! J’aimerais beaucoup te voir. » Une nouvelle fois, Cleo est émue, plus qu’elle n’est capable de l’expliquer à son amie.

Si Shiloh est intéressée par tout ça, elle n’est pas encore tout à fait prête à se lancer sur scène. « Je crois pas être prête pour cette fois. » Cleo hoche la tête, compréhensive. Bien sûr qu’elle ne juge pas Shiloh, et si son amie n’est jamais prête à monter sur une scène, ça ne changera rien. Tout le monde est différent. « J’adore le make-up, mais le regard des autres de cette façon… C’est encore une étape qu’il faut que je franchisse. » « Je t’amenerais à un show, et après on pourra sortir danser si tu veux, dans notre bulle, ça sera très bien ! » Elle décrète. Comme ça, Shiloh pourra voir que ces milieux-là sont remplis de bienveillance.

Mais pour l’instant, changement de programme, et direction les tenues et la couture. « T’as pas à me le dire deux fois ! » Les coulisses sont agitées, et les deux amies commencent à fouiller les portants en se montrant leurs tenues favorites, touchant le tissu, les pailettes. « Mon Dieu, c’est Noël en mieux ! » « Regarde ça », commente Cleo en montrant une robe longue avec des manches en plume colorée, « réussir à coudre les plumes comme ça, c’est dingue ! » Elle a les yeux qui brillent, admirative. Elle est heureuse de partager ça avec Shiloh. « C’est le moment où je te dis que je me suis toujours pas défait de mon idée de potentiellement démissionner ? » « Ooooooh ! Pour te créer ta propre marque ? » Cleo repose le cintre qu’elle tenait et se tourne vers son amie, les yeux brillant. « Franchement, si ça te passe pas, c’est peut-être que ton instinct essaie de te parler, non ? » Elle fait remarquer. « C’est quoi, le plus gros truc qui te retient pour te lancer ? La peur de pas réussir ? »


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« Supernova. » Ce serait mentir que d’affirmer que Shiloh est surprise. C’est comme si le nom était une évidence, qu’il correspondait parfaitement à la personnalité de son amie. « Tu sais, c’est comme ça qu’on appelle les étoiles qui implosent. » Elle hoche la tête, buvant les paroles de la jeune femme qui se tient si fièrement face à elle. Elle a bien du mal à la superposer à cette fille apeurée qu’elle a rencontrée dans un cinéma. Cleo paraît se dévoiler dans ce milieu et Shiloh est heureuse de pouvoir en être le témoin. « Ça te va à ravir ! » Elle n’a aucune réelle idée du makeup et des tenues que Cleo peut associer à son alter ego, mais elle ne doute pas une seule seconde qu’il s’agit d’une détonation de couleurs et de bon goût. Et si elle est sincèrement curieuse à l’idée de découvrir ce milieu dont elle ignore tout, elle ne se sent pas encore capable de se mêler aux artistes qui s’agitent dans cette loge en préfabriqué. Sa panique est un peu trop palpable soudainement et ce n’est pas l’idée qu’elle s’est faite de cette journée. Il n’est pas question de se donner une crise d’angoisse, elle est venue pour profiter et passer un bon moment, et ce n’est pas grave si elle ne trouve pas le courage de faire plus. Un pas après l’autre, n’est-ce pas ? « Je t’amènerais à un show, et après on pourra sortir danser si tu veux, dans notre bulle, ça sera très bien ! » Un sourire bien plus lumineux vient étirer ses traits après cette proposition. « C’est un programme qui me plaît ! » Elle imagine déjà la soirée comme un bon moment passé en compagnie de la jeune femme. « J’ai déjà hâte ! » Qu’elle ajoute sans jamais forcer le trait, elle est sincèrement impatiente. 

En attendant, elles s’éloignent de la station de maquillage pour mieux aller se perdre entre les portants de vêtements. Autrement dit, ce qui se rapproche le plus du paradis sur terre aux yeux de Shiloh. Elle est telle une enfant que l’on vient de lâcher dans un magasin de jouets : tout brille, tout l’attire et elle pourrait noter une idée à la seconde si elle avait son calepin sous la main. « Regarde ça. Réussir à coudre les plumes comme ça, c’est dingue ! » Elle s’émerveille de la beauté de la robe, la subtilité de la couture et l’ensemble qui détonne sans jamais en faire trop. « Ça demande clairement des heures et des heures. » Elle connaît un peu, elle n’oubliera jamais le soir où James lui a demandé de rajouter des sequins sur une traîne la veille d’un défilé. Elle y avait laissé sa nuit et ses doigts. Et parler de son travail actuel la ramène toujours à cette idée folle qu’elle a déjà su évoquer auprès de Cleo. C’est de la folie, elle en a parfaitement conscience, mais c’est quelque chose qui ne cesse de l’obséder malgré tout. « Ooooooh ! Pour te créer ta propre marque ? » Elle sent le rouge grimper le long de son cou pour venir s’étaler sur ses joues. « Oui… » C’est de la pure folie, elle en est persuadée désormais et Cleo va lui dire la même chose. « Franchement, si ça te passe pas, c’est peut-être que ton instinct essaie de te parler, non ? » Elle hausse les épaules, toujours aussi timide sur ses envies. « Mais c’est de la folie, non ? » Elle lui a déjà posé la question, mais elle la posera mille fois encore s’il le faut. « C’est quoi, le plus gros truc qui te retient pour te lancer ? La peur de pas réussir ? » - « Ça et l’argent. » Elle se mord la lèvre, ayant l’impression de sonner assez pingre. « Enfin, tu vois ce que je veux dire, je gagne très bien ma vie actuellement et j’aime trop mon appartement, je peux pas… Fin j’ai trop peur que tout se casse la gueule parce que j’ai eu une idée folle et que je suis en réalité juste pas capable de le faire. » Parce que certes, Shiloh est douée avec les tissus, mais le reste ? « J’ai aucune connaissance en droit ou en marketing, je veux dire… Faut faire sa compta non ? Je sais à peine faire un calcul simple sans vérifier sur ma calculatrice. » Et voilà qu’elle se met à paniquer sans raison, comme aspirer par la spirale de ses pensées, comme depuis que cette idée lui colle à la peau. « Lewis veut bien me faire le site Internet, mais après ? Je dois faire quoi ? Faut que j’ouvre une entreprise ? Est-ce que je démissionne direct ? » Elle se force à fermer la bouche pour ne pas inonder Cleo de questions en moins de trois secondes.

Cleo n’a pas vraiment grandi en partageant beaucoup de ses passions avec son entourage. D’abord, parce qu’elle a l’impression qu’on lui a imposé beaucoup de ses goûts, et qu’elle avait du mal à trouver ses propres opinions au milieu de tout ça, et que ça compliquait le partage, l’échange. Ses parents l’avaient poussé à faire du solfège et du piano, ce qu’elle adorait, mais voilà qu’elle devait se plier à faire du classique, surtout pas de la pop comme elle aimait écouter en cachette à la radio. La seule personne avec qui elle a eu l’impression de pouvoir un peu partager avec sincérité, c’était Primrose, et encore aujourd’hui, à chaque fois qu’elle voit un bon film, ou joue un nouveau morceau au piano, c’est son ancienne meilleure qu’elle veut appeler, pour lui raconter - une ironie, quand Cleo est celle qui a coupé les ponts et c’est privé de cette présence. En tout cas, c’est aussi pour ça que ce moment partagé avec Shiloh lui fait autant de bien - elle sent en elle une joie enfantine à vivre ce moment, à montrer les jolis tissus à Shiloh, à rire ensemble. C’est une douceur particulière que de savoir Shiloh sincèrement aussi passionnée qu’elle devant les tenues incroyables. Cleo se demande si c’est aussi pour cela que son amie se tourne vers elle pour discuter de cette idée de quitter son travail et lancer sa propre marque ; la couture est quelque chose sur lequel elles se comprennent, une sorte de langage commun. « Mais c’est de la folie, non ? » Cleo a un sourire en coin attendri devant la nervosité de Shiloh. C’est tout elle, ça, de douter constamment d’elle. Cleo ne le juge pas, elle est pareil, et elles savent toutes les deux que des relations avec hommes qui les ont rabaissé constamment ne les ont pas aidé à affirmer leurs opinions. « Pas si tu prévois ça bien. Ce que tu feras, te connaissant », elle répond d’un ton qui se veut encourageant.

Elle continue par questionner Shiloh pour comprendre ce qui la freine autant. La peur de ne pas réussir, c’est sûr. Et autre chose. « Ça et l’argent. » Le nerf de la guerre, effectivement. « Enfin, tu vois ce que je veux dire, je gagne très bien ma vie actuellement et j’aime trop mon appartement, je peux pas… Fin j’ai trop peur que tout se casse la gueule parce que j’ai eu une idée folle et que je suis en réalité juste pas capable de le faire. » Dans un monde idéal, tout le monde pourrait explorer ses passions et sa créativité sans avoir peur de ne pas pouvoir finir les fins de mois, mais ce n’est malheureusement pas le monde où elles vivent. « Je comprends, vraiment », elle dit en hochant la tête. Cleo enchaîne les petits boulots, ne peut pas vivre du drag - et ne pourra probablement jamais en vivre. « T’as de l’argent de côté ? Sinon tuu sais, au pire, tu peux faire un boulot à mi-temps si t’as besoin de sécurité financière le temps que tu te lances. Y a plein d’options possibles. C’est sûr que c’est un risque, mais tu crois pas que tu regretteras de n’avoir jamais essayé ? » Elle suggère, parce que de façon un peu cliché, la vie est courte, on en a qu’une seule, et Shiloh mérite de suivre ses rêves.

« J’ai aucune connaissance en droit ou en marketing, je veux dire… Faut faire sa compta non ? Je sais à peine faire un calcul simple sans vérifier sur ma calculatrice. » Shiloh commence à angoisser et être dans une petite spirale, et Cleo ne la juge pas, au contraire : elle se retrouve tout à fait dans l’attitude de son amie. « Lewis veut bien me faire le site Internet, mais après ? Je dois faire quoi ? Faut que j’ouvre une entreprise ? Est-ce que je démissionne direct ? » Cleo pose une main sur le bras de Shiloh, comme pour l’arrêter. « Eh, ça va pas se faire en cinq minutes, t’inquiète pas, t’es pas obligée d’avoir tout de prêt dans l’instant », elle lui dit d’une voix rassurante. « On peut faire une to-do list des étapes. Comme ça, chaque chose en son temps, ça évitera de se sentir submerger. On peut faire un tableau prévisionnel pour tes comptes, pour les finances, voir si tu pourras te dégager un salaire, ce genre de choses. Y a plein d’outils en ligne pour faire ça maintenant. » Cleo se veut encourageante, organisée. « Tu sais, autour de moi, y a pleins de gens à leurs comptes et dans des trucs créatifs aussi. Je peux te mettre en contact avec eux si t’as des questions, tu seras pas toute seule ! » Elle hésite, et continue : « C’est pas la même chose qu’une entreprise, mais j’ai le statut de freelance moi aussi, c’est plus pratique pour certains de mes petits boultos parfois. J’ai dû faire pleins de trucs administratifs, des factures… Je te montrerais. Et j’ai déjà donné des coups de mains pour la communication d'événements, et je passe trop de temps sur Tiktok, je pourrais te filer un coup de main de ce côté-là aussi, si tu as besoin, enfin, si tu veux, » elle propose, espérant que Shiloh ne pense pas qu’elle essaie de s’imposer.


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