Les choses s’étaient enchaînées rapidement depuis que la galerie avait été le lieu de rencontre de différentes personnes qui n’auraient jamais dû se retrouver au même endroit au même moment. Il s’agissait d’une coïncidence qui avait laissé Diego dans un état second, incapable de comprendre comment réagir, se sentait presque obligé de choisir le chemin le plus compliqué quand il en existait un plus simple. Ce point cumulé avec l’ironie qui frappait encore au sein de l’hôpital ne lui avait laissé que peu de temps pour vivre sa vie comme il le faisait normalement et il avait inévitablement laissé amis et famille de côté. Même ceux qui auraient pu être présents pour lui et l’aider étaient devenus pour lui une source d’inquiétude, comme si chaque réaction serait similaire à celles d’Emery et Cesar. Plus il y pensait, plus il imaginait son petit frère s’empresser d’aller raconter ce qu’il avait appris - ou plutôt ce qu’il pensait avoir appris- à Sara, et elle était devenue un dommage collatéral, subissant elle aussi son silence. Diego s’était dangereusement refermé sur lui-même et avait fait de son mieux pour que la façon dont il avait repoussé l'échéance avec Cesar ne paraisse qu'être une succession de coïncidences fâcheuses. Mais son frère n'était pas dupe, et sa foudre avait été encore plus compliquée à gérer. Ce moment avait été difficile mais était devenu le meilleur exemple à ne pas suivre avec les autres, et s'il n'était pas encore en mesure de confier la totalité de la vérité à ses soeurs, il pouvait au moins cesser de les repousser. Tenter de leur dévoiler une partie de ce qu'il cachait. C’était ce dont il avait tenté de se convaincre avant qu’elle ne sonne à la porte de son appartement - y pénétrant comme la tornade qu’elle était, tantôt agacée, tantôt ravie de le voir.

Lui aussi, était heureux de voir le sourire et la bonne humeur de sa soeur, pourtant persuadé qu’il finirait peut-être par l’en priver. « Pardon j'étais pas mal pris au travail, comment tu vas ? » avait-il fini par demander alors que le sourire qu’il tentait de maintenir sur ses lèvres commençait à réellement le déranger. Il ne pouvait pas continuer de mentir à tout le monde, surtout pas aux personnes les plus proches de lui. Mais même s’il savait Sara extrêmement différente de Cesar, il craignait que sa réaction en apprenant tout ce qu’il lui cachait soit encore pire que la sienne.  « Je suis content de te voir. » Il cherchait lui-même à comprendre à quel moment les nuances qu’il mettait sur ses propos finiraient par se transformer en mensonges, à quel moment il ne pourrait plus se défendre en prétendant simplement éluder une partie de la vérité.  « T’as parlé à Cesar récemment ? » Il savait que cette question allait attiser la curiosité de Sara qui était loin d’être assez naïve pour n’y voir qu’une façon de prendre des nouvelles. Mais il devait comprendre où elle en était dans tout cela, ce qu’elle savait déjà, ce qu’elle devait encore apprendre.

Le temps lui paraissait incroyablement long alors qu’il passait tous ses jours à se torturer l’esprit avec tout un tas de suppositions qu’il savait pourtant n’être que le fruit de son imagination. Diego n’avait pas pour habitude de tout voir de manière négative, il était même de ceux qui conseillaient aux autres de ne pas se contrarier avec des choses qui pouvaient tout aussi bien se passer de la meilleure des façons. Et c’était le problème, il n’arrivait absolument plus à appliquer tout ce qu’il s’était évertué à transmettre à ses proches à lui-même. Paradoxalement, si ses journées semblaient interminables, il se rendait tout de même bien compte de la rapidité à laquelle les mois s’enchaînaient, au point que la façon dont il s’était mis en retrait devenait  bien trop évidente aux yeux de tous. Aux yeux de Sara, qui, lorsqu'elle était entrée, n’avait pas tardé à indiquer à son frère son mécontentement à l’aide d’un simple regard. « Ça va, et toi ? À part le travail, j'veux dire. » Bien sûr que sa cadette n’était pas dupe, au final, elle avait toujours été celle la plus capable de mettre des mots sur les émotions qu’il tentait au mieux d’enfouir. Et à la voir s’affirmer à peine la porte franchie, il avait réalisé à quel point il s’était mal comporté, alors même qu’il pensait encore avoir mille choses à faire pour se rattraper auprès d’elle. Ce n’était qu’une de ses nombreuses craintes infondées, il savait que Sara ne lui en avait jamais tenu rigueur pour cet appel, mais il restait convaincu qu’il devait se racheter. « Moi aussi. Ça faisait longtemps. » Un maigre sourire avait habillé ses lèvres alors qu’il tentait de dissiper cette atmosphère étrange, l’évidence d’une discussion lourde de sens pesant dangereusement sur eux. « Non. » avait-elle répondu lorsqu’il avait demandé si elle avait parlé à Cesar récemment et l’étonnement dans sa voix était évident. De son côté, Diego avait bien du mal à imaginer que Sara n’ait pas parlé à leur frère durant deux mois, ces deux-là bien plus proches que lui ne le serait jamais d’eux. « Pourquoi, j'aurais dû pour avoir de tes nouvelles ? » Devant l’animosité pourtant si caractéristique de sa petite soeur, Diego avait soupiré, comme pour lui indiquer à quel point elle lui rendait la tâche difficile. « Tu vas me dire ce qui se passe ou je dois te cuisiner ? Ou te faire des guilis comme avec Ale ? » Sara avait dû réaliser à quel point il était tiraillé, pour venir lui arracher un rire avec ses derniers mots. Cette expression sur son visage n’avait pas duré, ses traits étaient redevenus durs quelques instants après et il s’était passé une main dans les cheveux avant d’enfin oser prendre la parole. « Je disais ça parce que je sais que les nouvelles vont vite dans la famille et que ça s’est pas super bien terminé, à la galerie. » Sara n’avait pas assisté à la scène, et heureusement, le nombre de Gutiérrez présent n’ayant pas augmenté après l’arrivée de Cesar. Diego cherchait ses mots, parce que s’il voulait lui expliquer ce qu’il se passait, pourquoi il évoquait Cesar, il devait lui livrer une part de la vérité mais était convaincu de ne pas être capable d’être totalement honnête. « Et j’ai vu Cesar y a pas longtemps pour en discuter, on s’est engueulés. » C’était une vérité, et rien qui ne viendrait étonner une Sara habituée aux disputes entre ses frères. Il était resté un instant appuyé contre le comptoir de la cuisine, les yeux plantés dans ceux de Sara, et alors qu’il avait été envahi par ce même sentiment de culpabilité qui ne le quittait jamais en présence de sa cadette, il avait eu une idée. Une mauvaise idée. « En gros Cesar et Em’ m’ont vu parler à la meuf que j’ai embrassé le soir où ça s’est terminé entre elle et moi. Ils se sont imaginés qu’on était ensemble, et ça a créé un drame pas possible. » Si Cesar était maintenant au courant de cet écart de conduite qu'Emery avait gardé pour elle - plus pour sauver son propre égo que celui de Diego - Sara n'était pas au courant de la façon chaotique dont les choses s'étaient terminées entre eux. Mais trop concentré sur sa relation avec un homme, il n'avait même pas réalisé l'aveu qu'il venait de faire. Et alors que son mensonge semblait bien établi, Diego continuait pourtant de nier, continuait de prétendre que son frère et son ex s’imaginaient des choses. « Depuis c’est un peu compliqué parce que j’avais pas prévu qu’elle refasse irruption dans ma vie, tu vois ? » Oh comme le problème semblait bien plus futile alors qu’il dissimulait la réelle identité de Mateo.

Diego était devenu cette sorte d’exemple pour la famille Gutiérrez, une position qu’il n’avait jamais souhaité avoir, surtout lorsque celle-ci le mettait sur un pied d’égalité avec un père absent et créait des jalousies dans la fratrie. Ses frères et sœurs s’étaient éloignés de lui, ou plutôt Diego s’était éloigné d’eux pour se concentrer sur ses études et sa carrière était devenue un problème même avant d’avoir officiellement commencé. Aujourd’hui, il n’avait plus l’étoffe du médecin qu’il avait choisi de devenir, et s’il ne s’était jamais autorisé à montrer ses faiblesses à quiconque, le masque qu’il s’efforçait de maintenir sur son visage semblait peser de plus en plus lourd. Et à cette pression professionnelle s’ajoutaient les problèmes personnels, et jamais il n’aurait pu s’imaginer en arriver à avoir des discussions aussi animées concernant Mateo. Concernant un homme, tout court.

« Merde. » Voilà comment Sara avait réagi à l’annonce d’une énième dispute entre Cesar et Diego. Et il le savait, qu’elle comprenait que celle-ci n’était pas comme toutes les autres, qu’elle était bien plus lourde de conséquences parce qu’il n’aurait sinon eu aucun intérêt à la faire venir jusque là. Et avec toute la délicatesse du monde, en oubliant sa petite arrogance et ses remarques acerbes, Sara avait posé la question. « Il s'est passé quoi à la galerie ? » Diego avait réfléchi un temps avant de répondre pour s’assurer de trouver les bons mots et de pouvoir raccourcir au maximum sa réponse tant il ne souhaitait plus s’attarder sur le sujet. Mais il avait été maladroit, ne réalisant pas qu’il s’était trahi lui-même, dévoilant un de ses secrets les mieux gardés. « Oh, c'est pour ça que ça s'est terminé, Emery et toi ? » L’image lisse, presque ennuyeuse qu’avait Sara de son grand frère convenait parfaitement à Diego qui mettait un point d’honneur à prendre soin d’elle, mais cette image venait d’éclater en mille morceaux. Il le savait, qu’elle faisait de son mieux pour dissimuler chacune de ses émotions, mais il la connaissait bien trop, cette façon de plisser le nez qui ne l’avait jamais quittée depuis l’enfance. Sara était étonnée, presque déçue. Il ne connaissait pas sa relation avec Emery mais savait qu’elle n’accueillerait pas cette nouvelle d’un bon oeil dans tous les cas alors il avait tâché de nuancer. « Ecoute… J’avais bu, on s’était engueulés avant, avec Em’. Sur un sujet sérieux, qui aurait de toute façon ruiné ce qu’on avait. Elle a disparu et j’ai continué à boire et … » Attrapant ses cheveux un temps, Diego avait laissé sa phrase en suspens. Il avait trompé Emery, et l’annoncer à sa cadette continuait de le faire creuser ce trou dans lequel il semblait s’enfoncer de plus en plus. Il avait repris, tentant de se recentrer sur sa dispute avec Cesar et de rester logique pour que Sara réussisse à le suivre. « Ouais je vois. » Ses mots et son attitude ne coïncidaient pas : Sara était légèrement perdue. Et pour cause, lui-même n’arrivait plus à suivre. « Mais il se passe vraiment un truc entre vous, du coup ? » « J’en sais rien, vraiment. J'avais pas prévu tout ça, c'était une inconnue, un soir. Mais on s’est revus après toutes ces années parce qu’on a des amis communs et … y a un truc. C’est indéniable qu’il y a un truc. Une attirance, au moins. » Tout paraissait plus facile à dire alors qu’il avait utilisé cette poudre aux yeux d’une Sara qui l’écoutait attentivement et l’idée de lui mentir ainsi, les yeux dans les yeux, lui brisait le coeur. « Mais tu vois selon Cesar, on est ensemble et j’ai fait exprès de l’amener à la galerie pour faire souffrir Emery alors que non, elle était là parce qu’elle y bosse. » Il était dangereux, ce mensonge, autour duquel Diego ajoutait des vérités qui devenaient des indices - ils n’étaient pas des milliers à travailler à la galerie. « T’imagines l’image qu’il a de moi ? Sérieux je sais que c’est pas simple entre nous mais je pensais qu’il me considérait un peu plus. » Et le fait que la dispute ait eu lieu après que Diego ait osé lui dire à quel point il était fier de lui l’avait anéanti encore un peu plus, le timing était mauvais, pour tout un tas de raisons. « J’aimerais bien qu’ils se concentrent sur leur couple, pas sur moi. Conseil hermanita : ne partage pas d’ex avec Alma. » Avec Alma. Seulement Alma. Parce qu’il n’y avait qu’une seule possibilité chez les Gutiérrez et elle était hétérosexuelle, le moment était bien choisi pour le souligner et venir enfoncer le dernier clou de ce mensonge grossier.