for everything i put you through let me start with this: i started it.
@Kieran Halstead + Autumn Galloway
lieu: cimetière, toowong
crédit gif (c) harley

Tu avais été choquée d’apprendre le décès d’une de tes amies du temps que tu étais à l’université la première fois. On ne pouvait pas dire que tu avais été la meilleure pour garder contact au fil des nombreuses années qui avaient filé depuis ta première tentative universitaire, mais vous aviez continué d’échanger des messages ici et là, des rencontres aléatoires pour un café quand vos horaires vous le permettaient, rien d’extraordinaire mais assez pour dire que tu avais tout de même été secoué lorsque l’annonce de son décès s’était propagée sur les réseaux sociaux. Un bête accident de voiture, elle n’avait eu aucune chance de s’en sortir, elle qui avait toujours été pleine de vie, un vrai soleil pour ceux qui la côtoyait. Du moins, c’est ce que les nombreux témoignages répétaient, des visages de gens que tu ne connaissais pas, mais qui semblaient tous profondément touchés par le départ précipité de la jeune femme. Tu ne peux t’empêcher de trouver cela injuste, incompréhensible, que quelqu’un avec autant de vie, tant d’avenir devant elle, un cœur sur la main et tant à offrir puisse trouver la mort d’une manière aussi brutale alors que toi, toi qui as si souvent été imprudente avec ta vie, au point de parfois vouloir trouver la mort, tu continues d’avancer comme si de rien était. Tu te faisais petite derrière la foule lors de l’enterrement, ayant tenu à être présente mais préférant rester aussi discrète que possible puisque tu n’avais pas vu Jade depuis plusieurs années. Tu réalisais maintenant plus que jamais à quel point vos vies avaient pris des chemins différents, reconnaissant quelques têtes familières de ton passage à l’université mais sans plus. Joaquin t’avait proposé de t’accompagner aujourd’hui, probablement inquiet que les funérailles puissent déclencher beaucoup de mauvais souvenirs – et surtout de mauvaises pensées – pour toi, mais tu l’avais assuré que tu gérais la situation et tu avais même réussi à le convaincre de faire sa journée comme prévu et de se rendre à la caserne.

Tu étais prête à rentrer lorsqu’une silhouette bien particulière attira ton regard. Tu avais beau de ne pas avoir posé les yeux sur Kieran Halstead depuis un an et neuf mois (environ, mais qui compte vraiment?) il était plus qu’évident qu’aucune durée de temps ne serait assez longue pour que tu en oublies sa présence, que tu cesses de le reconnaître même au milieu d’une foule. Tu t’arrêtes brusquement dans ton élan, le souffle soudainement court de l’avoir à quelques mètres de toi pour la toute première fois depuis si longtemps. Il y a une petite voix dans ta tête qui te crie de continuer ton chemin, de ne pas aller vers lui, que ta vie va bien pour une fois et que de forcer des retrouvailles après ce qui s’est passé la dernière fois ne peut pas être une bonne idée. Mais il est là et c’est plus fort que toi, tu as besoin de savoir comment il va. S’il va mieux, si lui aussi a repris le bon chemin, maintenant que tu n’es plus là pour le tirer vers le bas. C’est bien ce qu’il t’a dit après tout, non? Tu détestes le pincement au cœur qui te prend à simplement le regarder, qui te rappelle trop facilement l’emprise que cet homme peut avoir sur ta vie. Ça devrait suffire pour te convaincre de ne pas aller vers lui, pour continuer de préserver le semblant de paix auquel tu avais droit depuis plus d’un an maintenant, mais non. Tu n’écoutes pas les signaux d’alarmes qui sont incessants dans ton esprit, tes pas te guidant un à un vers lui, ton cœur battant la chamade à simplement vous retrouver dans cette simple proximité. « Je pensais pas te voir ici aujourd’hui. » est ce avec quoi tu le salues, regrettant presque d’avoir ouvert la bouche. C’est que tu en oublies presque parfois qu’il a partagé tes amis et tes connaissances pendant de nombreuses années Kieran, qu’il a tout autant le droit d’assister aux funérailles de Jade que toi. « Je suis contente de te voir. » Ton corps en entier semble crier le contraire, mais tu le penses vraiment. Tu es contente de le voir, droit, debout, vivant. « Comment tu vas? » Il te mentira sûrement, mais ça ne t’empêche pas de vouloir l’entendre te dire que tout va bien, qu’il va mieux et que sa vie roule tellement plus doucement depuis que tu n’en fais plus partie. Enfin, la dernière partie risque de faire mal, mais tu es prête à prendre le risque.

trigger warning
deuil, mort
Il lui a fallu plusieurs jours et d’âpres négociations avec lui-même avant de s’autoriser à rendre un dernier hommage à Jade. Kieran s’était persuadé que sa présence à cette cérémonie ne serait qu’un pied de nez douteux au Destin et à son sens du hasard ; Jade n’a pas survécu à un accident de voiture alors qu’elle était pleine de vie et lui n’a pas réussi à rejoindre les ténèbres alors qu’il ne rêvait que de ça. Ce sentiment d’imposture quant à voler la place de quelqu’un sur cette terre a toujours été le sien, mais s’est voulu particulièrement exacerbé depuis l’annonce. Là où il est de ceux qui attendent que le bonheur et la vie lui tombent dessus, Jade s’est toujours assurée de leur courir après pour mieux en profiter. Elle n’était pas de ceux qui reculent face à l’adversité, qui usent de la distance en guise de condamnation silencieuse comme lui a pu le faire avec ses proches. Non, Jade n’a jamais été une amie proche, mais elle est toujours restée dans les parages, d’une façon ou d’une autre et ce n’est qu’à l’annonce de ce décès qu’il a pris conscience de l’importance qu’elle avait eue à quelques moments de sa vie, et de l’affection qu’il lui portait réellement. Sa rupture avec Autumn aurait pu, aurait dû, les éloigner, mais la jeune femme s’était toujours assurée de garder contact avec lui ; elle le félicitait quand elle voyait une création signée de son nom, elle l’appelait à chaque anniversaire, exigeait toujours un déjeuner (au moins) quand elle revenait en ville, elle écoutait réellement ses doutes et ses questionnements, et s’assurait à intervalles réguliers de son état, aussi physique que mental, ne se laissant pas aussi duper que d’autres, débarquait parfois au hasard pour en prendre la température d’elle-même. Et lui, dans tout ça ? Il n’avait pas vu tous ses efforts pour l’éveiller, n’avait pas considéré la bienveillance dont elle faisait preuve ; il répondait à ses larges sourires par des rictus distraits, à ses grands discours d’encouragement par un merci murmuré. Comme si ses efforts étaient certes naturels, mais qu’elle n’était pas assez importante pour réaliser l’ampleur de petits gestes, qui mis bout à bout, formait un ensemble qui valait bien plus que ce que d’autres lui avaient adressé au cours de son existence tout entière.

Et c’est ce qui le ronge aujourd’hui : cette certitude de ne pas avoir assez apprécié la jeune femme, de ne pas pouvoir lui dire qu’il comprenait enfin l’inquiétude qui avait pu être la sienne ; il n’aurait jamais l’occasion de lui montrer sa reconnaissance et de lui rendre un peu de l’affection qu’elle lui avait donnée. Il avait été trop aveuglé par ses propres ténèbres pour remarquer la discrétion de certains gestes, la subtilité de certaines paroles, qui lui explose aujourd’hui à la figure, formant une négligence involontaire qu’il ne pourra désormais jamais réparer.

Face au cercueil désormais mis en terre, tandis que la foule se disperse lentement, son regard croise une silhouette familière et ses pensées tournent en boucle. Jade, Autumn, lui-même ; il avait toujours cru que la vie lui accorderait du temps, pour rattraper ce qu’il avait raté, pour comprendre ce qu’il avait mal fait, pour se donner une chance. Et depuis quelques mois, Kieran comprenant à quel point il s’était fourvoyé depuis tant d’années, à quel point cet état de stagnation qui avait été le sien ne lui avait apporté que colère ravalée, tristesse insupportable et regrets accumulés, toutes ces émotions qui se dressaient autour de lui comme un mur. Un mur qui éclatait sans pour autant le libérer, laissant derrière lui le goût amer d’une explosion incomplète, d’une douleur non résolue. Et il en voulait encore. Une autre explosion, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, jusqu’à ce que la douleur devienne, enfin, la sérénité qu’il avait tant cherchée pendant des années. Qu’il croyait avoir acquise, ce soir-là, lorsque ses peurs s’étaient muées en fatalisme à l’égard d’Autumn, que ses mots tranchaient mieux que n’importe quelle lame sur ses poignets, que sa supposée condamnation enfin révélée ne lui avait pas offert la libération tant espérée.

« Je pensais pas te voir ici aujourd’hui. » - « Je ne pensais pas venir. » Il reconnaît et elle ne s’en surprendra sans doute pas, considérant que Kieran a toujours été du genre fuyant ; les funérailles sont un contexte pour lequel il trouve généralement des excuses. « C’est un peu étrange d’être ici. » Et le regard qu’il porte sur elle ne laisse aucun doute quant au sous-entendu qu’il n’essaie même pas de dissimuler plus que de raison ; c’est étrange d’être réunis dans ces conditions, c’est étrange de mettre Jade en terre, mais c’est surtout étrange qu’ils aient la légitimité d’être dans un tel endroit considérant leurs actions respectives. « Je suis contente de te voir. » - « J’aurais préféré que les circonstances soient différentes. » Il se contente de rétorquer en un haussement d’épaules, se refusant de statuer quant à ce qu’il ressent à retrouver Autumn après tant de temps, à la sentir aussi proche de lui. « Comment tu vas? » - « À ma manière, ça va. » Ça va, si on oublie tout ce qui ne va pas. Kieran pince les lèvres dans une tentative de sourire convaincu ; mais dans l’ensemble, ça va, oui. Plus qu’il ne l’aurait cru en prenant en compte les circonstances de leur dernière rencontre, à la suite de laquelle il s’était persuadé que les regrets autant que le manque ne tarderaient pas à l’assaillir. Mais ça n’a pas été le cas. Il a avancé, avec la même difficulté qu’autrefois, mais avec un étrange sentiment de soulagement, qui a été la source d’une multitude d’émotions : honte, culpabilité, confusion, angoisse, toutes ces choses avec lesquelles il aurait cru devoir composer en sortant ainsi Autumn de sa vie, toutes ces choses qui n’avaient été, finalement, que passagères. « Tu veux en parler ? » Kieran finit par l’interroger plutôt que de lui retourner une question dont la réponse est évidente, ou anticipée comme étant douloureuse. Une interrogation qui, malgré une formulation concise, n’est volontairement pas claire.

@Autumn Galloway