Surtout, ne pas être en retard. Voilà le mantra que se répète Leslie toute la journée lorsqu'elle arpente les couloirs de l’hôpital, qu’elle reprend tranquillement sa place qu’elle a délaissé plusieurs mois plutôt. Elle n’avait jamais déserté le St-Vincent’s aussi longtemps que la dernière fois. Leslie a toujours fini par revenir aux sources - et elle le fait encore aujourd’hui malgré tout. Si elle ne reprenait pas de gaieté de cœur son poste ici à la base, elle doit tout de même admettre que ça lui a manqué plus qu’elle ne l’avait pensé. Trop obnubilée par son paysage paradisiaque, elle a oublié l’euphorie du retour à la maison, l'excitation de retrouver les personnes qu’on a délaissé. Elle a oublié à quel point la maison à ce quelque chose de réconfortant. Elle a aussi oublié que le monde continue de tourner sans elle. Que la vie de ses proches ne se met pas sur pause quand elle part. La vie continue son cours sans elle. Des changements, il y en a plusieurs. Des nouveaux collègues, des vieux visages qu’on ne revoit pas, des couples qui se démolissent, d’autres qui se reconstruisent, des enfants qui grandissent, qui évoluent surtout. Leslie en a encore pour plusieurs jours à simplement se remettre à jour sur tout ce qu’elle a manqué pendant ces (trop) nombreux mois où elle a disparu.

Le rattrapage professionnel attendra toutefois à plus tard. Voilà déjà cinq jours qu’elle est revenue à Brisbane, mais ce soir, ce sera la première fois qu’elle revoit sa fille aînée depuis longtemps. Elle aura sûrement encore pris plusieurs centimètres. Il lui manquera sans doute plus de dents que la dernière fois. Elle aura appris des tonnes de nouvelles choses. Elle aura mille-et-une histoire à raconter à sa maman. Elle parlera tellement vite qu’on ne comprendra pas la moitié des choses qu’elle dit. Leslie peut encore en profiter pendant les quelques années qu’il lui reste pendant que ses enfants soient tellement heureux de la voir plutôt qu’ils la détestent pour ces nombreuses absences. Il lui reste sûrement bien moins d’années qu’elle le pense. Ça reste toutefois le problème de la Leslie du futur.

Ne surtout pas arriver en retard, c’est ce qu’elle a dit.
Et ce n’est évidemment pas ce qu’elle a fait.

« Viens là toi! » Leslie se penche pour attraper Ella au vol. Combien de temps elle attend que sa mère arrive au travers de la fenêtre ? Aucune idée. La brune ne se pose même pas la question. Ella est heureuse de la voir et ça lui suffit. De toute façon, elle n’arrive pas les mains vides. Logiquement, elle est déjà à moitié pardonnée, n’est-ce pas ? « J’ai pris des pizzas. » qu’elle annonce en tendant la boîte d’abord sous les yeux d’Ella qui sont directement liés à son estomac qui gargouille presque immédiatement. Leslie pose ensuite son regard sur Eve, choisissant de ne pas détecter si elle lui en veut ou non. « J’me suis dis que tu avais sûrement des trucs à m’dire. » qu’elle ajoute. À l’autre bout du monde, Leslie n’a pas pris la peine de mémoriser quelle journée était les activités de sa fille, si elle avait une quelconque responsabilité à tenir pendant qu’elle était chez elle. C’est aussi le temps de parler des choses qui sont anodines lorsque l’autre n’est pas présent, mais qui le devient lorsque la garde partagée reprend. « On peut aussi s’appeler pour en discuter si tu préfères. » Toujours respecté les limites de son ex. Voilà au moins une chose pour laquelle Leslie tient parole. SI Eve n’a pas envie qu’elle s’introduise chez elle, dans son intimité, Leslie retournera chez elle avec sa fille sans insister.

@eve daxson

« Ouiiii ! » Ella saute de joie et ne perd pas une seule seconde pour prendre la boîte des mains de Leslie. À croire qu’elle a peur qu’elle s’envole sans prévenir. Eve ne semble pas partager la joie de leur fille. Leslie est même assez bête pour ne pas associer son retard au visage fermé de son ex. La discussion ne serait pas la même sans la présence de leur fille et de ses petites oreilles qui écoutent tout. C'est sans doute pour le mieux. Ce serait bête de se prendre la tête dès la première journée. Les deux mères ont toujours tout fait pour que leur conflit n’atteigne jamais Ella. Enfin, le conflit vient plus du côté de Eve que de celui de Leslie - va savoir pourquoi hm. « Il y a quelques nouveautés, oui, » L’australienne ne se sent pas tellement la bienvenue ici. C'est sans doute pour cela qu'elle propose qu’elles s’appellent pour en discuter si elle le préfère. Au moins, par téléphone, elle peut s’imaginer que son ex a un joli sourire quand elle lui parle - elle peut bien rêver, oui. Il y a longtemps qu’elle n'y a plus droit à ce sourire qui l'a fait craquer la première fois. « Non, maintenant que tu es là autant en parler de vive voix. Et puis tu as apporté des pizzas. » - « D’accord. » qu’elle conclut tout simplement avant de faire officiellement son entrée dans la maison d’Eve. On est loin de l’appartement dans lequel elle vivait la dernière fois qu’elle est venu chercher Ella. Au moins, ce sera bien plus simple qu’elles vivent maintenant dans le même quartier.

« Abby est pas avec toi ? » Eve parti à la cuisine, Leslie vient prendre sa fille dans ses bras. Elle fait une tentative du moins. Ella a grandi. Elle ne se prend plus aussi bien qu’avant. Bientôt, Leslie n'y arrivera plus. C'est épatant de les voir grandir à distance. Les filles changent énormément même après quelques mois seulement. Ça devrait sans doute lui faire réaliser tout ce qu’elle manque… mais non. « Elle est à la maison, mais elle a suuuper hâte de te voir. » Au loin, elle entend Eve les appeler pour rejoindre la cuisine. Probablement que plus vite elles mangent cette pizza, plus vite Eve sera débarrassée de son ex. Qui pourrait vraiment lui en vouloir ? Leslie échange une dernière énorme étreinte avec sa fille avant de la redéposer au sol pour aller s’installer à la table. « Tu veux raconter à Maman Leslie comment ça se passe à la danse maintenant ? » Elle le fera après avoir englouti sa part de pizza… ou pendant. « Je suis passée dans le groupe des plus grands, Magali est partie alors maintenant c'est Lila la maîtresse à la danse. Elle a les cheveux roux comme Tata Jenna. » Okay ? C’est sans doute pas le moment de dire qu’elle n’a aucune foutu idée de qui est Magali et encore moins de quoi elle a l’air. Ce n’est pas le genre d’information qu’elle a pris le temps d’assimiler - oui, tout le monde est surpris. « Ses cours sont le samedi maintenant. À 16h. » Évidemment, ce n'est pas simplement pour la mettre au courant des dernières nouvelles en ce qui concerne les activités de Ella qu’elles ont abordé le sujet. Non, c'est parce que ça vient avec des responsabilités. Comment gâcher une journée de congé ? Mettre un cours de danse en fin de journée. Leslie garde pour elle le fait qu’elle préférait quand c'était un soir de semaine. C'est mieux pour sa survie si elle se tait. Elle se contente plutôt d'enregistrer l’information. « Samedi, 16h. C'est noté. » Ce n'est pas comme si elle pouvait faire autrement de toute manière. Son absence l'a privé d’avoir son mot à dire pour les choix et les horaires des activités. « Autre chose ? » Est-ce qu’elle aura autre chose à ajouter à son horaire déjà bien chargé ? Elle espère bien que non. « Ça se passe bien à l’école ? » La question s’adresse autant à Eve qu’à Ella. Leslie n’a pas vraiment de doute que tout se passe bien pour leur fille. Elle est parfaite comme sa mère - laquelle ? mystère (ou pas). C’est peut-être parce qu’elle ne s’en occupe pas assez souvent qu’elle ne lui a encore trouvé aucun défaut.

« Je te tiendrai au courant si un anniversaire tombe sur un de tes week-ends, » Leslie confirme d’un simple hochement de tête. Ça lui semble tout simplement logique que ce soit le genre d’information qui vienne d’Eve et non qu’elle dégote par elle-même. Elle risque pas trop de voir des cartons d’invitation chez elle vu qu’elle n’est chez elle que le week-end. Elle doute même qu’aucun parent de ses amis ne sachent comment rejoindre la deuxième maman qui s’implique dans presque rien. Pourquoi le faire quand Eve gère le tout d’une main de fer ? Leslie détourne ensuite le sujet vers l’école même si elle se doute déjà un peu de la réponse. Après tout, même à distance, Eve lui aurait sûrement dit si leur fille avait une quelconque difficulté en classe. « Ella a toujours de bonnes notes et fait beaucoup d'efforts en mathématiques. » Elle en conclut donc que les mathématiques sont la matière faible d’Ella. Elle se sent bête pendant une fraction de seconde de ne pas savoir ce genre d'informations sur sa propre fille. « Les multiplications c'est difficile, » qu’elle renchérit la bouche à moitié pleine. « Tu as de la chance, j’suis la pro des multiplications. Je vais t'apprendre tous mes trucs. » qu’elle lui répond en lui souriant doucement. À l’époque, aucune matière ne résistait vraiment au cerveau de Leslie. Sans doute qu’aujourd’hui ce serait différent. Ça remonte à bien trop longtemps. Elle a oublié tout ce qui n’est pas important. Mais, ça va, les multiplications, ça reste des multiplications. Son regard se tourne par la suite vers Eve. Elle aussi, elle passe toutes ses journées en classe après tout. « J'ai une classe beaucoup plus agitée que l'année dernière, et c'est encore pire quand les vacances approchent. J'ai convoqué deux parents la semaine prochaine, je sens que je ne vais pas m'amuser. » N’est-ce pas ce que tous les enseignants disent ? Que le plus difficile à gérer ce ne sont pas les enfants, mais plutôt les parents ? « J’suis certaine que tu vas gérer. » Eve a toujours été apprécié par les deux parties. Leslie ne doute aucunement que ce soit toujours le cas. Qui ne peut pas apprécier une personnalité comme la sienne ? « Et toi, tu as déjà repris à l'hôpital ?  Ça se passe bien ? » Quel question! Leslie étant Leslie, elle a fait son retour au travail avant même de venir voir sa fille. Elle hoche donc la tête par l’affirmative, avale sa bouchée avant de reprendre la parole. « J’suis juste aller pour me remettre à jour. Je commence officiellement lundi. Ça va juste être la routine qui reprend. » Après tout, ce n’est pas la première fois qu’elle met son poste en pause et qu’elle le reprend des mois plus tard. Ces retours se sont toujours bien déroulés, alors elle ne verrait pas pourquoi les choses seraient différentes aujourd’hui.

Les pizzas engloutis, Leslie sent déjà que sa fille est impatiente d’aller chez elle - probablement plus pour voir sa soeur que pour sa mère, soyons honnête. « Ton sac est prêt ma puce ? Tu n'as rien oublié ? » Bien sûr que son sac est prêt, il l’est sans doute depuis longtemps vu le (léger) retard de sa mère. « Non, Maman l'a fait avec moi! » Aucune chance qu’elle n’oublie rien, donc. « Va quand même refaire le tour de ta chambre pour être sûr. » qu’elle lui demande en indiquant sa chambre d’un coup de tête. Ella semble tout sauf enchantée, mais y va quand même sans s’obstiner. Leslie calcule qu’elle doit avoir au moins deux minutes et demie seul avec Eve pour avoir les conversations d’adulte. Celle qu’on a pas vraiment envie d’avoir, mais qu’il faut avoir quand même. « On a un.. dîner de famille demain si on veut. Ma mère, elle… » Elle ne termine pas sa phrase. Elle ne sait même plus ce que Eve sait ou non de l’évolution de la maladie de sa mère. Elle en sait quand même assez pour comprendre par son silence que ce n’est pas une bonne période. C’est même moins que ça si on lui demande son avis. « Bref, j’veux juste que tu me dises si c'est trop difficile pour Ella. Elle se confie plus à toi qu’à moi. » Ça n’étonnera personne que Ella soit plus proche de Eve que de Leslie. Les quelques années ratées y sont pour quelque chose, mais le temps n’est pas au reproche aujourd’hui. « J’passe pour une sans coeur à chaque fois que j’leur dit que j’veux pas imposer ça aux filles. » qu’elle confie par la suite. Elle comprend pas trop à quoi ça sert d’infliger la maladie de sa mère aux petits-enfants. Ça ne fait de bien ni à elle, ni à eux. Elle ne va pas finir par se rappeler comme le reste de sa famille le pense si bien. Ça va simplement être de pire en pire. Un moue triste passe sur son visage alors qu’elle ose lui dire : « J’fais assez pitié pour avoir droit à un câlin ? » La brune n’est même pas certaine de savoir à quand remonte la dernière fois où elles ont eu un contact physique toutes les deux. La veille de leur séparation sans doute. C’est si loin que ça semble venir d’un autre monde. Connaissant le karma de Leslie, Ella choisira ce moment pour revenir. Eve sera soulagée. Leslie sera déçue.

Leslie déballe son sac d’un seul coup sur la maladie de sa mère. Elle sait bien que ce n’est pas forcément la meilleure manière d’en faire l’annonce, mais elle n’a que très peu de temps pour le faire dans le dos de sa fille, et ce n’est pas non plus quelque chose qu’elle a envie de faire par téléphone. « Je te dirai si elle me parle de quelque chose. » Elle la remercie silencieusement. Elle ne sait pas trop comment les filles vivront le fait que “grand-maman est bizarre”. Peut-être qu’elles le savent déjà. Sûrement d’ailleurs. Elles n’ont quand même pas passé un an sans la voir même avec l’absence de leur mère. Sa condition reste tout de même pire que la dernière fois qu’elles l’ont vu. « Je suis désolée. » Leslie affiche un petit sourire triste, alors qu’elle hausse les épaules. Tout le monde lui dit être désolé et elle banalise la chose à chaque fois. Qu’est-ce qu’elle pourrait faire d’autre ? Demander un câlin à son ex ? Sûrement pas la meilleure idée qu’elle a eu. « Tu fais pas pitié, » qu’elle lui dit, qu’elle lui confirme à quel point c’était idiot comme demande. La brune se gratte le derrière de la tête pour cacher le semblant de malaise d’un tel refus. Elle est même sur le point de demander à Ella de se dépêcher pour pouvoir se sauver d’ici le plus rapidement possible. « Viens là. » La surprise se lit automatiquement sur le visage de l’australienne, mais elle ne se fait pas prier pour autant et brise directement les derniers centimètres qui les séparent pour se retrouver dans les bras de Eve. Après tout, elle pourrait changer d’idée à tout moment. « Donc, je fais un peu pitié quand même ? » qu’elle murmure alors qu’un petit sourire amusé qu’elle ne peut pas voir se glisse sur ses lèvres. C’est sans doute mal de se délecter autant d’une étreinte qui ne veut, au fond, rien dire. Eve n’a pas particulièrement envie de se rapprochement. Ça ne vient pas de son initiative. On pourrait presque dire que Leslie n’est qu’une profiteuse. Une fois aux dix ans, on peut quand même pas dire qu’elle soit trop exigeante dans ses caprices. « T'es pas une sans cœur, » qu’elle ajoute par la suite. Six petits mots bien simples, mais qui viennent la toucher directement. Simplement parce qu’ils viennent d’elle. Leslie se demande jusqu’où elle peut pousser sa chance. Elle a envie de lui dire qu’elle lui a manqué, mais elle hésite une seconde de trop à le faire. « Moi aussi je peux avoir un câlin ? » Ella doit carrément pas comprendre ce qui se passe sous ses yeux. Elle n’a jamais vraiment vu ses mère avoir autres choses que des rapports cordiaux. En espérant qu’elle ne s’imagine pas trop de chose hm. « Toi, tu peux avoir le plus gros câlin du monde. » Les deux mères s’abaissent pour venir accueillir leur fille dans leurs bras. Peut-être qu’elle a été partie trop longtemps, Leslie, mais ça ne lui en prend pas plus pour que l’émotion la gagne d’un seul coup. Ce n'est pourtant pas trop son genre d'être émotive pour si peu. Elle est presque soulagée quand elles se séparent et qu’elle peut reprendre un semblant de contrôle sur la situation. « Tu es sage avec Maman Leslie, d'accord ? Le décalage horaire c'est pas facile. » Décalage horaire ou pas, Leslie est assez dure elle-même sur son corps pour qu’elle en ressente les dommages. Elle pourrait passer la nuit entière debout avec ses filles sans que ça ne change rien. Mais elle ne fera pas ça, évidemment, elle n'est pas sutpide. « Merci Eve d'avoir pris soin d’elle. » qu’elle lui ajoute en prenant le sac de Ella sur ses épaules. Elle ne lui dit sans doute pas assez souvent, mais Leslie est évidemment plus que reconnaissante pour tout ce que son ex fait pour leur fille. Après les embrassades entre la mère et la fille, elles quittent le domicile d’Eve pour gagner celui de Leslie où Abby les attend avec impatience.