Le maître et l'apprenti. w/  @Kipplin Belov

La fin de ses études marquait un événement pour la plupart des gens et Norah n’y faisait pas exception. S’il s’agissait d’une délivrance après tous ces cours, ces révisions et ces examens, il était aussi question de valoriser son travail pendant les cinq dernières années. Car il fallait voir la Sawyer au début de son cursus, grimaçante et traînant les pieds pour venir en amphithéâtre. Le droit, c’était pour faire plaisir à papa et maman, pas une passion. Enfin, c’est ce qu’elle croyait. Au fur et à mesure, elle trouvait sa place et son naturel curieux était clairement stimulé. Au bout de quelques semaines, elle semblait aussi investie que ses camarades de promotion pour lesquels le droit était une vocation. Quand bien même elle s’était illustrée pour ses connaissances et ses travaux, elle avait pu compter sur quelques personnes pour tenir le coup et affirmer sa place. Parmi ces dernières, il y avait forcément ses amis de fac, mais aussi certains professeurs ou professionnels qui avaient croisé sa route. Un nom revenait souvent quand elle racontait ses études, celui de Kipplin Belov. Kipplin était arrivé dans la vie de Norah au moment où elle en avait le plus besoin. Son stage de deuxième année, loin d’être la simple formalité qu’elle imaginait, s’était révélé être une étape charnière dans son parcours. Outre, la première expérience sur le terrain, il s’agissait en réalité d’un test important pour la Sawyer. Belov, mentor attentif, avait su voir en elle plus qu’une simple stagiaire en quête de validation. Avec une patience qui l’avait d’abord étonnée, il l’avait guidée, l’encourageant à repousser ses limites, bien loin du stage imprimante et machine à café. Leurs échanges étaient vifs, passionnés parfois, car Norah avait en face d’elle un puit de connaissances et de compétences. Avec le temps, Kipplin était plus qu’un simple maître de stage mais bien un allié, une présence rassurante qui – en plus de la former – lui donnait des astuces qu’elle pourrait tant appliquer dans sa vie professionnelle que privée. Si bien que cette relation avait marqué Norah bien plus qu’elle ne voulait l’admettre.

Ce soir-là, Norah s’apprêtait à rejoindre Kipplin dans son appartement. Une invitation rare, car elle ne le voyait plus autant qu’avant, son emploi du temps d’étudiante étant surchargée. Mais ici, l’occasion s’y prêtait : il voulait célébrer la fin de ses études, et plus encore, l’avenir qui s’ouvrait devant elle. Alors qu’elle descendait les marches de son immeuble, elle réalisa qu’elle ne pouvait pas se présenter les mains vides. Déjà parce que ce n’était pas son genre mais surtout parce qu’elle devait marquer le coup. En remontant la rue principale, Norah aperçut une petite épicerie fine qui venait d’ouvrir ses portes. Une occasion de mêler découverte et plaisir, elle se souvenait avoir passé devant plusieurs fois sans y prêter attention. Mais ce soir, l’enseigne avait su attirer son attention. Poussant la porte pour entrer, elle fut immédiatement enveloppée par l’odeur des pâtisseries et autres douceurs sucrées. Plusieurs vitrines se succédaient, chacune renfermant ses propres trésors. Norah se promena entre les rayons, fut tentée par un peu tout. Surtout qu’elle avait très bien enregistré les goûts de celui qui l’avait convié et qu’il serait à même de tout apprécier. Alors, stratégique, elle demanda un assortiment de plusieurs petits gâteaux, tartelettes et entremets, histoire de varier les plaisirs. Son achat terminé, Norah reprit son chemin, le sac de provisions bien calé contre sa hanche. Le trajet jusqu’à l’appartement de Kipplin lui permit de laisser vagabonder ses pensées. Chaque pas la rapprochait non seulement de son ancien maître de stage, mais aussi d’un chapitre nouveau de sa vie. Devant la façade, elle prit une grande inspiration avant de monter les marches. Le battement de son cœur s’accéléra légèrement, un mélange d’excitation et de nervosité qu’elle ne parvenait pas totalement à maîtriser. Norah se demanda brièvement ce que Kipplin avait préparé pour la soirée. Peu importait en réalité, elle savait qu’il serait fidèle à lui-même, aussi accueillant et attentionné que jamais. Le plus important était le moment qu’ils allaient partager, un moment de transition entre le passé qu’elle laissait derrière elle et l’avenir qu’elle s’apprêtait à construire. Elle appuya sur l’interphone et la porte s’entrouvrit. « Monsieur le juge. » Un grand sourire sur son visage, elle entra avant de complimenter l’intérieur. Elle connaissait les bons goûts de son hôte. « Tiens, c’est pour toi. » Elle sortit le coffret plein de gourmandises, avant de reprendre. « Je suis très contente de te voir mais où est la star ?? » Par là, elle faisait référence à la chienne de Kipplin qu’elle – après en avoir autant entendu parler – se devait de rencontrer. Chose qui allait sensiblement arriver, maintenant.

Le maître et l'apprenti. w/  @Kipplin Belov

En arrivant chez le juge, Norah était à son aise, comme si elle rendait visite à un ami. Car même s’ils avaient eu un temps une relation de tuteur et stagiaire, une bonne entente s’était de suite installée, si bonne qu’ils devenaient naturellement proches au point de se voir en dehors des heures de travail. Malheureusement, au vu de leur emploi du temps respectif, ils ne pouvaient se voir autant qu’ils le voulaient mais maintenant que la Sawyer avait terminé son cursus, du temps se libérait. Elle adressait à Kipplin le même sourire qu’il affichait sur son visage et ne put s’empêcher de répondre à l’étreinte de juge, moment tendre qui marquait leurs retrouvailles. Mais marquait aussi la rencontre entre elle et Miss Pacman. La chienne arriva rapidement pour poser ses pattes sur les jambes de la Sawyer, comme si elle voulait elle aussi participer à l’accolade. Norah quitta les bras de son interlocuteur pour se baisser, caressant le pelage de son compagnon canin. « Wow elle est trop belle, plus belle qu’en photo ! » Du coin de l’œil, elle remarqua la réaction de Kipplin, boudeur que sa chienne ait accaparé toute l’attention. Un grand sourire sur son visage, l’étudiante pouffa un rire avant de reprendre. « Il faut bien que je me fasse pardonner de ne rien lui avoir apportée… Tout ce qu’il y a dans ce sac, c’est pour toi. » Car oui, toutes les gourmandises étaient pour le juge, c’était la moindre des choses pour marquer le coup. Norah regarda autour d’elle et attrapa un de ces jouets pour chien qu’ils adoraient mordre. Elle le passa devant ses yeux pour appâter Miss Pacman et le lança dans un coin de l’appartement, où elle pourrait s’amuser autant qu’elle le voulait. Entre temps, Kipplin revint avec deux verres et une bouteille de vin. Elle écarquilla les yeux avant de lui répondre. « Juste un verre alors. » Elle tenait très mal l’alcool et ce depuis qu’elle avait l’âge d’en consommer. C’est pour cela qu’elle se restreignait, elle connaissait ses limites et elle était très très basses. Ils trinquèrent avant qu’elle glisse le verre à ses lèvres.

« J’ai fini les cours à l’université, ça y est. Et je viens de commencer ma formation pratique au cabinet Reed & Spencer, auprès de Madeline Edwards. Je ne sais pas si tu la connais ? » Madame Edwards était une avocate pénaliste très compétente, suffisamment que Norah en avait appris énormément en l’espace de quelques jours. « Et toi alors ? J’espère que tu n’es pas trop sollicité au tribunal en ce moment… » Elle savait qu’il y avait des périodes plus dures que d’autres, que les saisons fraiches réveillaient la détresse des plus jeunes, que ces jeunes avaient besoin du corps judiciaire. Forcément, la Sawyer était admirative de son interlocuteur car il n’avait pas choisi la branche la plus calme du droit, bien au contraire. « Tu vas continuer à donner des cours à l’université même si je n’y suis plus ? » Elle plaisanta, il devait sûrement avoir déjà animé les amphithéâtres avant même qu’elle aille en droit et ce n’était pas son absence qui y changerait quelque chose. Elle voulait surtout savoir si cela l’intéressait toujours. Elle ne savait que trop bien à quel point les envies pouvaient changer d’une année à l’autre. Après tout, elle se voyait en droit international et là voilà en train d’explorer le terrain de jeu des pénalistes. « Tu me fais visiter ? » A cet instant, elle n’avait envie que d’une chose : découvrir le cocon de Kipplin. Elle en avait vu quelques morceaux sur des photos mais jamais en totalité. Elle n’avait aucun doute sur les bons goûts du juge et c’est bien pour cela qu’elle avait hâte de s’aventurer dans son espace. « Je le promets monsieur le juge, tout ce que je verrai ne sera pas colporter. Votre jardin secret sera bien gardé. » Un clin d’œil à son interlocuteur, elle disait la vérité et uniquement la vérité. Une véritable boîte à secret, même si elle se doutait qu’il n’y avait rien d’extrêmement honteux dans le loft de Kipplin.