Son corps la démange. Elle baisse les yeux pour découvrir des centaines de petites punaises de lit qui court sur ses jambes, et elle s’agite, essaie de les ôter, mais elles semblent provenir de ses propres pores. Elle connait ses créatures, l’appartement en est constamment infesté, le conseil municipale qui gère l’immeuble n’a pas assez d’argent - ou d’envie - pour envoyer des professionnels régulièrement. Ils viennent parfois, une fois par an, peut-être. Mais les punaises reviennent toujours. Scarlett secoue ses jambes, se met à courir dans la rue pour s’en libérer - elle remarque alors qu’elle est dehors, dans son quartier, que tout est gris, comme en noir et blanc. Une impression de solitude la brûle, parce que les visages autour d’elle ne sont pas familier, et elle ouvre la bouche pour parler à quelqu’un, mais aucun son ne sort. Elle emprunte des escaliers inconnus, qui descendent trop longtemps, dans un sous-sol infini. Il fait froid, et Scarlett se sent minuscule - elle ne sait plus quel âge elle a, ses mains semblent être celles d’une adolescente. Une porte ramène à l’appartement, elle reconnaît le canapé tâché, la table basse sale où traînent détritus et cachets. Elle reconnaît une petite créature, au milieu, Ten, son hamster. Elle l’a appelé comme ça, à cause de Doctor Who - elle l’a eu d’une portée de sa voisine, et elle garde toujours des bouts de son maigre repas pour le nourrir. Elle prend l’animal dans sa main, le caresse. Il est tiède, couine doucement, arrache un sourire à Scarlett. Sourire qui s’éteint, quand elle entend du bruit dans la petite cuisine. Une figure émerge : Clayton, son sourire un peu édenté, l’anneau à son oreille, ses cheveux mal coiffés.

Immédiatement, Scarlett lui dit de partir. Ou plutôt, elle essaie : elle se retrouve à nouveau muette sans savoir pourquoi. Alors elle essaie de se réfugier dans sa chambre, mais la porte ferme mal, elle pousse une chaise devant - c’est drôle, c’est une chaise de chez elle, à Brisbane, elle la reconnait, une chaise de designer qui coûte cher, qu’est-ce qu’elle fait là ? - Ten, toujours dans ses mains, ses mains toujours plus petites, Scarlett n’est plus une adulte ou une adolescente, elle est une gamine, minuscule, son coeur qui bat, et elle murmure à Ten de l’aider à sortir de là, mais Ten est rigide, tout à coup, rigide comme une brique, rigide comme quand elle l’avait retrouvé, mort, parce qu’il avait mangé accidentellement un comprimé d’ectasy qui trainait sur la table basse, pourtant il était vivant la seconde d’avant, elle l’a sauvé, elle y a cru, elle le secoue en pleurant, paniquée, parce qu’il est le seul qui restait avec elle, et elle entend les coups contre la porte, Clayton qui arrive, et elle sait ce qu’il va faire, elle sait ce qu’il a fait, pourquoi est-ce qu’elle n’est plus adulte, pourquoi est-ce qu’elle à nouveau sans défense, alors elle crie, elle crie le plus fort possible pour qu’on vienne la chercher, mais aucun son ne sort, aucun, rien, elle hurle, encore et encore, elle -

Son corps est pris d’une décharge éléctrique, elle sursaute, se redresse, entend sa respiration paniquée, elle est dans un lit, le sien (?), une présence est à côté d’elle, elle a un mouvement, parce qu’elle ne sait pas qui c’est, qu’elle ne reconnait pas immédiatement le visage, qu’elle entend encore les coups contre la porte - ou est-ce son coeur qui bat fort ? « Où est-ce que je suis ? » Elle demande, paniquée.


@Ruben Hartfield  

my sleepless night, my winless fight, this has frozen my ground

@scarlett bridgers

lieu: bayside, logements.
(c): zendayas (gif), luleaby (codage).

***
Initialement, il était descendu pour se servir un verre d’eau dans la cuisine. Ce dernier était supposé au moins l’occuper un instant et lui donner envie de dormir par la suite - là où le sommeil semblait aux abonnés absents pour ce soir. Il avait beau tourner, encore et encore, dans son lit - qui n’était pas vraiment le sien dans une chambre qu’il avait pourtant renommée comme telle -, fermer les yeux aussi fort qu’il lui était permis, s’inventer mille et une histoires pour se bercer, rien n’y faisait. Il avait fini par se déloger du confort du matelas puisqu’apparemment ce n’était pas ce dernier qui l’aiderait ici pour se réfugier une poignée de minutes dans la cuisine. Le regard rivé au delà de la fenêtre de la pièce, imaginant l’océan qui se trouvait à quelques pas d’ici, bien plus loin que son regard n’était capable de voir dans l’obscurité de la nuit cependant, Ruben évitait de trop laisser ses pensées divaguer comme bon leur semblait: ce n’était jamais une bonne idée, et surtout ce n’était jamais productif quand il était question de retrouver un semblant de sommeil. Il s’était concentré sur les bruits alentours, sur les variations de la lumière de la lune, sur tout un tas de choses qui n’auraient pas mérité tant d’attention de sa part d’ordinaire mais qui pour une fois, pouvait se montrer utile. Ce ne fut que lorsqu’il comprit que cela le mènerait nulle part, voyant le cadran de la cuisine afficher une heure déjà bien trop avancée de la nuit pour tout ce qui l’attendait au petit matin, qu’il vida dans une des plantes à portée de main le reste de son verre d’eau à peine entamé pour reprendre l’escaliers.

Il ne saurait dire si c’était le fait qu’il fut tant concentré sur les bruits autour qui le fit percevoir avec aisance un dans ce silence relatif que la nuit offrait, ou un quelconque instinct qui avait décidé de se montrer efficace, mais au lieu de directement bifurquer vers sa porte de chambre entre-ouverte son visage se haussa pour regarder en direction du second étage de la maison. Il connaissait le chemin et les pièces qui se trouvaient là-bas, savait qu’il n’était pas tant autorisé que cela s’y pavaner comme il le faisait partout ailleurs ici, mais pour une fois ce n’était pas pour cette raison là qu’il poursuivit son chemin vers cet endroit: il avait l’impression d’entendre des gémissements. Pas de ceux qui lui auraient fait tirer un petit sourire en coin amusé, mais de ceux qui ressemblaient à une personne en souffrance, à des pleurs étouffés, à une restriction étrange sur laquelle il n’arrivait pas à mettre le doigt alors que sa main se posait à plat sur le bois de la porte de la chambre de Scarlett.

Il aurait pu rester là un instant, un autre et redescendre ne s’apercevant qu’il n’était en rien à sa place, mais il avait toujours cette sensation d’être comme attiré à cet endroit, qu’il se devait d’attendre encore un instant avant de changer d’avis et de rebrousser chemin. De l’autre côté de la porte, il avait de plus en plus l’impression que c’était effectivement des pleurs qu’il était possible de percevoir - et si son hésitation manquait d’une motivation pour ne plus être de la partie, il n’y avait qu’à attendre une seconde supplémentaires pour que ce soit désormais un cri terrifié et terrifiant qui se fit percevoir, traversant autant la porte que le coeur de Ruben lorsqu’il l’entendit. Sans réfléchir un instant de plus, il l’ouvrit pour entrer dans la chambre de la jeune femme, parcourant le peu d’espace entre lui et le lit de quelques enjambées pressées, alors qu’il s’asseyait à ses côtés sans attendre d’y être invité. « Scar… Scarlett. » Ses mains agrippèrent les épaules de la jeune femme alors qu’elle se mit à se redresser dans son lit. Les yeux de Ben se posèrent sur les traits clairement paniqués de son amie, sur ses joues recouvertes de larmes; ses mains pouvaient percevoir la tension dans son corps alors qu’elle semblait chercher un point de repère pour comprendre ce qu’il se passait. Un cauchemar, à ne pas en douter - mais il n’avait jamais été témoin d’une telle chose chez elle, bien qu’il ait eu plus d’une occasion se profiter de son hospitalité pour adopter la seconde place qu’offrait son lit. « Scar, c’est moi. C’est Ben. » Sa voix était douce, il tentait de cacher la frayeur que lui avait eu à l’entendre crier de cette manière, alors qu’il cherchait à la raccorder à l’instant présent. « Où est-ce que je suis ? » L’une de ses mains se détacha de son épaule pour se poser contre sa joue, son pouce balayant les larmes, sa chaleur tentant d’être rassurante en cet instant. « Dans ton lit, t’es dans ton lit. C’était un cauchemar, respire. » Ou il ne voyait pas d’autre explication, puisque la chambre était vide d’une tiers présence et à la réaction qu’elle avait, il était on ne pouvait davantage évident que son esprit tentait de lui jouer des tours. « T’es en sécurité, t’en fais pas, respire. »

Un prénom est prononcé, le sien, et un autre, Ben. Ben. Son cerveau encore englué n’arrive pas à raccrocher le lien, ses yeux arrivent à peine à déchiffrer son visage dans l’obscurité, c’est une présence qu’elle connait, des traits doux, qu’elle n’associe pas à quelque chose qui l’effraie, mais elle ne se sent pas pour autant en sécurité. Elle voudrait être seule, en cet instant, c’est la seule chose à laquelle elle se raccroche, et pourtant, l’idée qu’on l’abandonne dans le noir lui donne envie de fondre en larmes. Elle réalise que ses joues sont déjà humides à l’instant où Ruben - Ben ! elle se souvient, maintenant - lui touche la joue, et elle a un petit sursaut, parce qu’elle n’aime pas qu’on la touche, qu’elle avait oublié être réelle un instant. Les pièces s’emboitent, elle reconnait l’odeur de sa chambre, sa vraie chambre, pas celle de l’appartement à Londres. Elle ne comprend pas comment elle était là-bas, puis à présent ici, et pendant une demi-seconde, elle a l’idée stupide qu’elle a voyagé dans le temps, parce qu’elle est si désorientée qu’elle n’arrive pas à comprendre qu’elle a simplement fait un cauchemar. Cela a paru si vrai.Elle ne rêve pas souvent, Scarlett, comme si elle avait réussi à entraîner son inconscient à ne rien ressentir aussi. Mais la fracture entamée, ces derniers temps, laisse tout déborder. « Dans ton lit, t’es dans ton lit. C’était un cauchemar, respire. » Respirer, ah, oui, tiens. Elle a l’impression d’être assise à côté d’elle, que son corps n’existe pas, ou n’est pas le sien. Elle ne sait pas comment faire marcher ses poumons. Elle a le regard vrillé vers la porte de sa chambre, se demandant si quelqu’un se cache derrière, si Clayton est là, mais ça n’a aucun sens, elle est dans son lit, pas vrai ? Chez elle, en 2024. Loin du reste. Alors pourquoi cela semble-t-il si réel ?

« T’es en sécurité, t’en fais pas, respire. » En sécurité. La respiration de Scarlett se bloque à nouveau dans sa gorge, et elle entend un bruit étrange, réalise que c’est elle, son demi-sanglot étranglé, et elle essaie de se reprendre, parce qu’il y a quelqu’un avec elle, Ruben, ah, oui, mais elle a du mal à se reconcentrer. Elle a un noeud dans l’estomac, voudrait demander à Ruben de partir, d’arrêter de la regarder, et pourtant, elle tend sa main sans réfléchir, et agrippe celle de Ruben, comme s’il était une ancre. Elle ferme très fort ses yeux, essaie de se reprendre, de se calmer, de ne pas se mettre à vraiment pleurer. Mais une digue a lâché en elle. « Désolée », elle bredouille, d’une voix si appeurée et enfantine qu’elle est surprise elle-même de la profondeur de sa propre terreur.


@Ruben Hartfield