Depuis qu’elle avait rencontré Ella, Faith avait l’impression d’évoluer dans un tourbillon qu’elle n’arrivait plus à maîtriser. Elle avait tellement rêvé de revoir sa fille, de pouvoir apprendre à la connaître et ce jour était maintenant arrivé. La douleur qu’elle avait éprouvé suite à cette discussion dans l’agence de voyage était toutefois très intense, vive et refusait de se calmer. Faith savait que sa fille ne serait pas contente de la voir, qu’elle aurait des questions à lui poser, des grieffes à lui crier en plein visage, mais elle ne s’était pas attendu à des mots si crus, si difficiles. Devoir parler de tous ses petits anges qui étaient au ciel et qu’elle n’avait pas pu enfanter, de Noah qui les avait rejoints d’une manière très violente alors qu’elles en étaient à leur première rencontre depuis des années lui avait fait l’impression d’une entrée par effraction dans son passé. Elle lui en aurait très certainement parlé éventuellement, mais elle ne pensait pas être obligée de le faire si vite. Depuis ce moment, Faith s’était isolée. Elle avait souvent de bonnes raisons pour ne pas aller voir Russell ou du moins, quand elle était avec lui, elle se sentait distante. Ce n’était pas ce qu’elle voulait, mais elle ne réussissait pas à avoir cette joie de vivre qu’elle avait acquis depuis pas si longtemps que ça. Elle avait redoublé sa présence aux réunions des alcooliques anonymes. Elle avait peur de retomber et elle savait que si elle retouchait à la bouteille, la chute serait difficile. Elle ne voulait pas imposer à Russell cette épreuve alors qu’ils étaient encore un tout nouveau couple. Elle savait qu’il serait présent pour elle, pour l’aider à se relever, mais elle gardait en tête que le mieux, c’était de ne pas rechuter tout simplement…
Ce soir-là, elle était rentrée directement à son appartement après sa journée de boulot. Elle avait mal au crâne et se sentait fatiguée. Elle avait rêvé de son pyjama et d’une tasse de tisane bien chaude toute la journée alors qu’elle accompagnait de ces gens qui avaient le cancer et qui n’arrivait pas à accepter le diagnostique. Elle adorait son métier, mais elle devait avouer que dernièrement, la pesanteur de toutes ses rencontres commençaient à lui peser sur le dos. Donc, quand elle avait mit les pieds chez elle, elle était allée directement dans sa chambre passer sa tenue de nuit qui consistait en un grand t-shirt qui avait appartenu à son mari et une paire de short en coton rose. Elle avait relevé la moitié de ses cheveux dans un messy buns et avait commandé dans ce restaurant chinois qu'elle aimait bien via l’application uber eats. Elle avait mit à la télévision cette téléréalité où les gens avaient un premier rendez-vous sans se voir, qu’ils se fiançaient par la suite et qui devaient décider en quatre semaines s’ils se mariaient ou non. Elle était en train de manger tout en regardant attentivement son émission lorsqu’elle entendit toquer à la porte. Ses sourcils se froncèrent : elle n’attendait pas de visite. Elle décida d’ignorer les premiers coups, mais se leva lorsque ceux-ci se refirent entendre avec plus de force. ”Bonsoir…” Faith s’était figé lorsqu’elle reconnut Ella sur le pas de sa porte. Elle ne s’attendait pas du tout à la voir chez elle, surtout qu’elle ne l’avait pas contacté depuis leur première rencontre. ”Ella… Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu fais ici ?” Autant leur rencontre lui avait fait mal, autant elle savait qu’elle avait couru après la colère de sa fille. Elle ne pouvait pas lui tenir rigueur de sa réaction. Toutefois, la quinquagénaire ne pouvait tout de même pas lui fermer la porte au nez. Elle se décala légèrement sur le côté. ”Tu veux rentrer ?” Malgré son aspect légèrement négligé ce soir-là, l’appartement de Faith était immaculée. Son repas trônait encore sur la table basse du salon, mais c’était la seule chose qui ne semblait pas à sa place.

Si elle avait su qu’Ella viendrait chez elle ce soir-là, elle aurait fait attention à avoir une allure un peu moins négligée. Elle aurait tenté d’être un peu plus accueillante que dans un grand t-shirt de Noah, les cheveux dûe pour être nettoyé. Toutefois, elle s’était plutôt convaincue après la première rencontre avec sa fille qu’elle n’aurait plus jamais de contact avec elle. Si Ella avait été particulièrement dure dans ses mots, Faith n’avait pas été de main morte non plus en lui annonçant qu’elle avait fait de nombreuses fausses couches et que son mari s’était donné la mort. Elle s’en voulait d’avoir perdu son sang froid. Après tout, c’était elle qui avait abandonné sa fille. Elle méritait la colère d’Ella. Sauf que l’irlandaise était sur le pas de sa porte. C’était sa chance si elle voulait se faire pardonner, si elle voulait repartir sur de nouvelles bases qui seraient moins douloureuses. « Tu… Tu es sûre que je ne te dérange pas ? » Faith hocha la tête de gauche à droite. Elle était en train d’écouter une télésérie sur netflix, elle ne renverrait pas Ella d'où elle venait pour pouvoir la terminer. Ce serait totalement contraire à ce qu’elle voulait. Un petit sourire prit place sur ses lèvres lorsque cette dernière entra dans son appartement. Elle n’avait jamais osé rêvé à cet événement et pourtant, c’était bien réel : sa fille était chez elle. « C’est sympa, ici… » Faith jeta un regard dans son appartement. C’était vrai qu’elle aimait bien l’endroit et qu’elle avait fait attention à ce qu’il soit chaleureux. Et si Ella portait une attention particulière au réfrigérateur, elle verrait cette photo qu’elle avait également dans son portefeuille que Faith avait fait imprimer en plusieurs exemplaires pour l’avoir à la vue le plus souvent possible. « Merci. On a acheté ici avec mon mari pas longtemps après notre mariage. » Et elle n’avait pas pu se résoudre à vendre après son décès, même si elle n’avait plus jamais rouvert la porte de cette chambre où ce drame s’était joué. Elle passait devant tous les jours, s’arrêtant pour poser son front sur la porte et souhaiter une bonne journée à Noah, mais n’avait pas été capable d’y retourner. « Tu étais entrain de manger ? Je peux repasser, si tu veux… » - « J’avais terminé, je ne me suis juste pas levée pour ranger quand j’ai fini. » C’était un léger mensonge, mais elle voulait mettre Ella à l’aise. Elle se dirigea dans le salon pour attraper le plat, le refermer et le ranger au frigo. Elle le ferait bien réchauffer plus tard pour finir son repas. « Je me sens tellement stupide… Je suis là à tourner autour du pot, à chercher comment t’aborder après la dernière fois… » Faith n’osait pas arrêter Ella sur sa lancé. Elle voulait lui laisser le temps d’organiser ses pensées, de lui exposer sa vision des choses sans avoir l’impression qu’elle était jugée. « Je t’en veux, c’est un fait. J’me suis toujours imaginé ce que je te dirais quand je serais face à toi et j'espérais vraiment que t’en ai chié dans ta vie, mais j’ai jamais voulu que… Mais j’ai jamais voulu que tu vives ces choses-là… » Autant ses paroles lui faisaient mal, autant elle savait qu’elle le méritait et qu’elle était consciente qu’Ella devait lui en vouloir pour son abandon. Faith soupira, elle tendit la main vers son sofa trois places. « Tu veux qu’on s’assoit pour discuter un moment ? » Faith prit place dans un des bouts du sofa, laissant le choix à Ella de faire de même. Elle avait replié un jambe de manière à pouvoir lui faire face si elle s'asseyait à l’autre extrémité. « Je suis désolé pour ma part d’avoir perdu patience, de t’avoir exposé mes malheurs aussi durement. Tu ne méritais pas que je te parle de cette manière. Je me doute bien que tu es en colère contre moi… Et je sais que je le mérite. Mais Ella… » Faith prit une grande inspiration. Elle ne savait pas quel effet aurait ses prochaines paroles. « Je sais que ce n’est pas ce que tu veux entendre et que je m’y suis vraiment prise de la pire manière que j’aurais pu prendre, mais j’avais vraiment seulement l’intention de te protéger… »

C’était le moment de crever l’abcès. Même dans ses rêves les plus fous, Faith n’avait jamais cru qu’Ella soit un jour à Brisbane. Elle avait toujours pensé que si elle voulait reprendre contact avec sa fille, elle allait devoir retourner en Irlande, se présenter sur le pas de la porte de la maison où elle avait laissé sa fille plus de vingt ans avant en espérant que ces derniers habitent toujours au même endroit. Elle aurait dût prendre le risque de croiser son frère, des cousins et elle aurait dût jongler avec l’hésitation d’aller voir ses parents dans la maison de retraite où elle savait qu’ils étaient placés. Sauf que ce n’était pas ce scénario qui était en train d’arriver. Ella était maintenant dans la même ville d’Australie qu’elle et était dans son salon. Faith devrait tout lui expliquer et accepter si la jeune femme décidait de quitter sans jamais regarder en arrière, sans vouloir lui adresser à nouveau la parole. Et c’était en tout humilité que la quinquagénaire avait prit la parole, espérant qu’elle trouverait les bons mots pour ne pas blesser sa fille. « Me protéger ? Comment m’éloigner de toi à jamais peut-être une forme de protection ? » Ella semblait mal à l’aise, assise droite dans son coin du sofa et ça faisait mal à Faith de penser qu’elle n’avait jamais eu de relation avec elle. Elle ouvrit la bouche pour tenter de lui apporter une réponse, mais la blonde reprit la parole avant qu’elle puisse le faire. « Je sais que… que tu avais des problèmes avec la boisson, Raj et Amita m’en ont parlé… Mais t’es partie et t’es jamais revenue…» Et le but avait toujours été de se rétablir et de revenir ensuite, mais elle n’avait jamais pensé à ce moment-là que son rétablissement n’arriverait pas avant plusieurs dizaines d’années. Elle avait tellement voulu être capable de se remettre sur pied pour sa fille, mais elle n’y était jamais arrivée… Faith les voyait les larmes dans les yeux d’Ella qui menaçait de couler, mais elle n’osait pas la prendre dans ses bras. Elle était convaincue qu’elle n’avait pas le droit de la toucher. « T’as réussi à te sortir de ton alcoolisme, tu aurais pu revenir me chercher… Même m’écrire de temps en temps ça aurait suffit… » Elle passa sa main dans ses cheveux, essayant de rassembler ses idées pour que ça fasse du sens ce qu’elle allait lui dire, sans jamais s'élever la faute de sur le dos. « J’ai pris la décision d’arrêter d’aller te voir parce que mes visites te faisaient plus de tort que de mal… Tu étais trop petite pour t’en rappeler, mais à chaque fois que je quittais, tu pleurais, tu frappais dans la vitre de la maison… Amita me disait que tu étais irritable pendant deux jours et ensuite, tu redevenais cette petite fille enjouée qu’elle connaissait. Je savais que je ne pourrais pas te rapporter avec moi de sitôt alors j’ai décidé d’arrêter de venir te voir pour tenter de me rétablir le plus vite que je pouvais… » Elle prit une grande inspiration. Parler de ces moments lui faisait mal. Elle avait l’impression de tout revivre encore une fois. Elle se souvenait qu’elle n’arrivait pas à être sobre à cette époque et que les moments où elle était sensé être avec sa fille, elle buvait encore plus pour enterrer la douleur. « Ça me faisait tellement mal de ne plus aller te voir Ella… Mais j’étais convaincue que c’était vraiment la meilleure décision pour toi, que tu pourrais être heureuse là-bas sans moi. » Elle releva ses yeux vers Ella, espérant qu’elle pouvait lire à l’intérieur à quel point elle était désolée, à quel point elle avait été détruite par ses propres gestes. « J’aurais pu t’écrire oui… Mais j’étais convaincue que si je restais silencieuse, tu m’oublierais et que tu ferais ta vie avec Raj et Amita comme si je n’avais jamais existé… Et je sais aujourd’hui que ce n’était pas la meilleure décision. » Faith le voyait bien aujourd’hui la douleur que son absence avait causé à Ella. Et encore, elle n’était pas au courant de tous les impacts que ça avait eu sur elle. « J’suis sobre que depuis 2021… Et je ne savais plus à partir de là comment faire pour te contacter. J’étais convaincue que c’était trop tard, que ma trop longue absence était impardonnable. Et je le comprendrais Ella si tu me disais que tu ne voulais pas apprendre à me connaître. » Elle avait besoin que sa fille sache qu’elle ne lui en tiendrais pas rigueur si elle désirait mettre une croix sur leur possible lien. « Mais si jamais tu décides que ça vaut peut-être la peine d'essayer, j’en serais vraiment heureuse… Peu importe la place aussi petite soit-elle que tu décidera de m’accorder. »