10 octobre, 17h32.

Something's going on.

Des couleuvres rampent contre les murs, des abeilles récoltent du pollen dans les poches des clients, des corbeaux croassent dans l'ombre et des poules caquettent dans la basse-cour, sans se douter que des oreilles curieuses traînent dans les parages. "C’était un pion de... tu-sais-qui. Je l'ai vu monter là-haut," murmure un collègue avec un geste vers l’étage, pendant que tu astiques des verres à pied - il faut que la vaisselle brille sous l’éclat des néons. "Vu sa tronche en redescendant, il a dû se faire taper sur les doigts," répond un autre. Ils ricanent alors qu'un troisième ajoute, "T'es sûr qu'il lui restait bien tous ses doigts ?" Tu interromps ton geste brutalement, manquant de faire tomber un verre et le rattrapant à la dernière seconde entre ton index et ton pouce. Tous... ses doigts ? Feignant l'innocence, tu te retournes pour ranger la vaisselle propre sur les étagères. "Vous parlez de quoi ?" Les voix se taisent alors que trois paires d'yeux se posent sur toi. "Rien qui te regarde, chaton." Ton poil se hérisse... mais si tu as appris à montrer les crocs, tu sais aussi attendre le moment opportun pour le faire plutôt que partir au quart de tour à la moindre provocation.

Au lieu d'insister auprès des idiots qui ne te lâcheront clairement aucune info, tu arpentes le sol derrière le bar jusqu’à une autre collègue, Sasha. "Qu'est-ce qu'il y a, à l’étage ?" Sourcils froncés, elle hausse une épaule avec nonchalance. "Des salons privés et des bureaux. Rien de super intéressant, pourquoi ?" Son ton indifférent laisse deviner soit l'ignorance la plus totale, soit un secret très bien gardé. Ce n'est pas la première fois que tu surprends quelques messes basses, que tu attrapes quelques indices au détour de conversations entre employés ou clients, surtout ceux qui ont un coup dans le nez. In vino veritas. Cependant, ce n'est jamais assez pour compléter le puzzle et répondre aux questions qui pullulent dans ta tête. Le casino semble abriter une ruche en son sein, invisible à ceux qui n'y prêtent pas attention. Mais le bourdonnement ne t’échappe pas, et plus les jours passent, plus il s'amplifie, cacophonie obsédante que tu ne parviens pas à te sortir du système.

Something's going on.

"Y a un bar, dans les salons privés ?" "Ouais, mais j'y suis montée qu'une fois. C'est là qu'on garde les bouteilles les plus chères, pour la clientèle spéciale." La curiosité te démange, telle une croûte qu'on ne pourrait s’empêcher de vouloir gratter. C'est drôle, tout de même... que tu n'aies commencé à te poser ces questions qu’après l'avoir vue monter plusieurs fois dans cet ascenseur, en face du bar. Celle dont tu ne connais toujours pas le prénom et qui pourtant, a tissé une toile solide dans les méandres de tes pensées. Presque un mois s'est écoulé depuis votre dernière interaction, et même si tes rétines semblent programmées pour repérer automatiquement sa silhouette parmi la foule à chaque fois qu'elle butine dans les parages, tu t'es toujours débrouillée pour que tes coups d'œil soient brefs, discrets, sporadiques. Surtout ne pas capter son regard. Surtout ne pas lui donner l'impression qu'elle a réussi à t’ébranler. Tu t'es promis de ne pas te laisser distraire, de résister à cet élan implacable qui a pris possession de ton corps ce soir-là où ses griffes se sont resserrées autour de ton cou.

"J'sais pas, j'ai l'impression qu'il y a autre chose là-haut, et qu'on nous prend pour des cons." Sasha se redresse, un sourire narquois prenant naissance au coin de sa bouche. "T'as qu'à y aller, si ça t’intéresse à ce point. Moi, cet endroit me fout les boules. Ça fait trois jours que Brendan m'a demandé d'aller récupérer un caisson et j'ai toujours pas osé y remettre les pieds. Ça m'arrangerait si t'allais me le chercher, tiens." Un mélange d’apprehension et d'excitation grouille dans ton estomac. "Faut pas... un pass spécial ou je-sais-pas-quoi ?"

"Si," répond-elle en fouillant dans un tiroir avant de passer un cordon rouge autour de ton cou. "Tu me le ramènes, fissa, pigé ? J'suis pas censée le filer aux p'tites nouvelles dans ton genre. Mais ça fait trois mois que tu bosses ici, alors... j'peux te faire confiance ?"

"Je fouine pas," lui assures-tu alors que les portes métalliques se referment sur son visage pas tout à fait rassuré. Tu n'appelles pas ça fouiner, de toute façon, juste... observer. Faire le tour du propriétaire. Prendre tes marques. Élargir tes horizons. Tu montes, tu récupères ce qu'il faut en jetant un œil au passage et... le tour sera joué.

Quelques secondes plus tard, l'ascenseur te dépose dans un couloir à la moquette rouge foncée. Un gorille en costard patiente devant une large porte en bois. "Vot' pass," gronde-t-il. Muette, tu brandis la carte accrochée au cordon dans sa direction. Il te gratifie d'un regard de la tête aux pieds avant de se décaler et d'ouvrir le Sésame dans son dos, dévoilant  une salle spacieuse aux murs sombres, agrémentée de canapés somptueux et de tables basses qui luisent sous la lumière tamisée. Tu pousses un petit sifflement impressionné en avançant vers le bar au fond. Damn... si le rez-de-chaussée affiche des couleurs tapantes, sans doute pour exciter les cerveaux et pousser à la consommation, les salons privés transpirent le luxe et la discrétion. Mais à quoi servent-ils...? Et puis c'est quoi, une clientèle spéciale ? Tes doigts curieux caressent le velour, s'attardent sur les moulures de la cheminée... puis tu te rappelles que ton temps est compté. Passant derrière le bar, tu ouvres la porte menant au stock et récupère le Graal. Les bras chargés, tu ressors et déposes le caisson sur le comptoir. Il te reste bien cinq petites minutes pour... explorer ? Pas fouiner, évidemment. Juste prendre le temps de t’imprégner des lieux, de lever les yeux vers ce grand lustre en cristal, de t'imaginer les mille et un scénarios qui pourraient bien se dérouler dans un tel endroit...

Le baryton du vigile retentit derrière la porte. Une autre voix inconnue, puis... celle d'une femme que tu reconnaîtrais entre mille, pour l'avoir entendue glisser un avertissement au creux de ton oreille. Reste loin de moi. Sans réfléchir, tu t'accroupis derrière le bar. Ton pouls martèle tes tempes lorsque tu entends la poignée s'abaisser.

Something's going on... and I'm fucked.

Les derniers jours ont été compliqués. La période en elle-même est déjà particulièrement pénible, mais ce sentiment s'est encore renforcé depuis peu. Le retour de Seth et "l'incident" avec Bel ont largement marqué son esprit - qui n'était pourtant pas en reste jusque là. Sa troisième année de licence commence sur les chapeaux de roues, le diplôme universitaire et le travail à l'Octopus complètent la triade des épuisantes responsabilités, et le deuil dans tout cela.. Module plus ou moins chaque journée.

Pas le temps pour les broutilles, les amourettes et autres enfantillages. Danaë se révèle pragmatique, plus efficace et tranchante qu'à l'accoutumée - certainement pas la fille qu'on rêve de croiser, encore moins celle qu'on désire côtoyer au quotidien. Son job, elle le tient d'une main de maître; la patte experte d'une habituée qui vit au Casino depuis plusieurs années - pratiquement la moitié de sa vie, et qui ne laisse rien ni personne la déconcentrer. Encore moins depuis l'autre nuit, et ce visage qu'elle esquive comme la peste. Bel est la dernière personne qu'elle a envie de croiser, et accessoirement la première - mais ses sentiments ne comptent pas vraiment, délaissés dans le rétroviseur.

Comme une partie intégrante des murs et de l'organisation, la perche brune ne se formalise quasiment plus d'un port de badge; ici, staff et habitués la connaissent, et chacun sait qu'elle n'agit que dans l'intérêt du Club, et celui de Raelyn. Une conversation s'imposera bientôt avec la blonde, absente de ses miroirs sombres depuis trop longtemps; elle se retient d'aller enfoncer sa porte, pour éviter de prendre une balle perdue ou d'attiser inutilement le feu de sa mentor. Cependant, tôt ou tard, un énième échange devra prendre place; pour Amos, pour Micah, pour le deuil qu'elles partagent, et pour les projets qui doivent être mis en place - car en dépit de tout, le monde continue d'avancer, et c'est là la seule dynamique qu'il convient d'adopter.

- ça t'embêtes de venir checker l'installation des loges ? Ramos et trois de ses acolytes ont réservé une salle pour ce soir. la brune opine pour toute réponse, consciente qu'il faut assurer. Ce sont de gros clients, des portefeuilles bien remplis qui se vident pour l'achat des meilleurs alcools - et des plus belles filles. De temps à autre, lorsque l'humeur lui en dit, Danaë offre elle-même le show - et fait grimper les prix. Arrivée à l'étage, Cerbère leur défend l'accès. Elle lève les yeux au ciel; chacun fait sa part, mais devoir justifier d'être bel et bien Danaë la fatigue plus que de raison. Sa collègue râle ouvertement, et c'est finalement la brune qui obtient le dernier mot : - Je traîne dans le coin depuis des années.. Dois-je demander à Raelyn de te tatouer la liste des employés dans les rétines ? le petit oiseau est bien le seul qui puisse avoir une quelconque influence sur un colosse pareil; il s'écarte, bredouille un "désolé" dont elle se fiche royalement, et les voilà qui pénètrent le salon des privilégiés.

- Bon.. Ben elle est prête, ta salle. Tatiana va t'accompagner pour la danse ce soir, j'ai souvenir qu'un des gus préfère les latinos. tout est propre, tout est prêt à recevoir leurs invités d'honneur. - Okay.. Et pour les boissons, on a assez ? mon dieu, faut-il tout faire ou cette donzelle est-elle simplement dépourvue de la moindre initiative ? - Va faire un tour aux stocks, en bas. J'vais jeter un coup d’œil au bar, et j'te texte ce qu'il manque. ni une, ni deux, et sa complice prend congé pour se diriger vers le rez-de-chaussée.

Quant à Danaë, c'est donc vers l'espace boissons qu'elle se dirige.. Avant d'y découvrir une vilaine surprise, qui n'a rien d'une employée prévue en ces lieux, et qui n'a, de plus, aucunement l'air de travailler. Un badge pend à son cou - badge qui ne lui appartient pas, et qu'elle n'est pas censée porter. - Isabel. ça l'écorche de la voir, autant que ça peut la remuer intérieurement. La simple vision de son petit corps lui inspire une profonde colère, et toute une boule de désir associée - le souvenir d'un baiser, le frisson du grand saut à son côté. - J'peux savoir ce que tu fais ici ? autrement dit : tu n'es pas à ta place, t'as rien à foutre là, dans mes pattes. - Qui t'a donné le badge ? demande-t-elle, la même froideur impassible transpirant de son timbre courroucé. J'vais te faire regretter d'être montée, quelle qu'en soit la raison. J'vais te faire regretter de m'avoir approchée, cette fois pour de bon.

Il est trop tard pour aller se terrer à l’arrière : le bar est ton seul refuge, barricade fragile contre l'ouragan que tu sens déjà gronder. Tu pourrais bêtement agripper le caisson et t'excuser avant de disparaître de leur chemin, mais la peur te retient. Ce sentiment viscéral qui t'a saisi les tripes au moment où ses ongles se sont enfoncés dans ta peau. Evidemment, il fallait qu'elle vienne ici. Accompagnée d’une cruche, apparemment. Mais... ne serait-ce pas l'occasion d'en découvrir un peu plus sur les rouages obscurs qui t’échappent encore ? Ce n'est pas ton choix que d’écouter aux portes... juste une contrainte - après tout, personne n'a encore découvert comment fermer les oreilles.

Ça discute de danse, de boissons... rien de particulièrement révélateur. La présence de salons privés implique automatiquement des événements importants et des clients fortunés, voire privilégiés. Cependant, sa manière de parler de la "préférence" d'un d'entre eux laisse deviner une sorte de faveur plus indécente. Alors, quoi... il s'agirait de proxénétisme ? Tu n'as pas le temps de faire plus de rapprochements que ta némésis congédie sèchement sa partenaire avant de se diriger vers... Non, putain, noooon, pas le bar ! Ça hurle, dans ta tête, chaque pas qui se rapproche déclenchant un râle silencieux, agonisant dans ton crâne. Tu fermes fort les paupières, comme si ça allait te faire disparaître de sa vue.

Shit.

Une décharge électrique te traverse de la tête aux pieds en entendant ton prénom dans sa bouche. Quels sont donc ces picotements ridicules qui parcourent ton épiderme sous l’intensité de son regard courroucé ? Quel tableau ridicule... Pitoyable souris tassée sur elle-même face au chat qui la domine de toute sa hauteur. Tu te relèves en époussetant tes cuisses, feignant de t’être accroupie pour ranger quelque objet sur les étagères sous le comptoir. C'est inutile. Elle sait.  

Tu te redresses dignement, ignorant les battements fébriles dans ta poitrine. "Alors, tu sais comment je m'appelle mais moi, j'ai pas le droit de connaître ton nom ?" Pourquoi cette obsession, pourquoi ce besoin de mettre un mot sur ce visage captivant, sur cette présence envoûtante ? Tu aurais pu demander aux collègues, c'est vrai... mais quelque chose t'a retenue. Comme si connaître son identité ouvrirait une porte jusque-là verrouillée, marquerait sa présence au fer rouge dans ton esprit, y créerait un trône pour la belle. Une manière de te préserver, donc... mais la question demeure, lancinante.

Who are you? Who are you? Who are you?

Hors de question de mettre Sasha dans le pétrin pour t'avoir accordé sa confiance... et à entendre son ton menaçant, c'est exactement ce qu'elle s’apprête à faire si tu lui révèles la fautive. "Ça ?" lâches-tu en saisissant le badge entre tes doigts innocents, "C'est la patronne qui me l'a donné." Impossible d'incriminer la Big Boss, n'est-ce pas ? Seule figure d’autorité intouchable en ces lieux. La brune n'en croira rien, mais peu importe. Du moment que tu ne te mets pas ta collègue du bar à dos.

Son magnétisme envers toi n'a pas faibli depuis la dernière fois, au contraire. Tu avances d'un pas - sombre folle - sans quitter son regard, malgré la terreur que tu sens poindre dans tes entrailles. Frisson similaire à celui que tu chasses dans tes aventures nocturnes avec ta colocataire, lorsque l’envie vous prend d’aller titiller les limites de la prudence : cette attirance inexorable vers le danger, quitte à y laisser quelques plumes."Pourquoi ? Vous cachez quoi, ici ? Des cadavres dans les placards ?" Un autre pas. "Des jeux illégaux ?" Et un dernier, avant de t’arrêter à quelques centimètres de ses talons. "Des... faveurs pour les clients les plus friqués ?" La question chargée de sous-entendus pend à tes lèvres, un sourire insidieux apparaissant à leurs commissures.

Sur l'échelle des problèmes, le cas "Isabel" crève désormais le plafond. Le mieux qu'elle puisse faire, pour leurs intérêts respectifs, est de l'éviter comme la peste. Mais la soubrette semble en avoir décidé autrement. Présente là où on ne l'attend pas, là où elle ne devrait pas se trouver, tout simplement. S'il s'agit d'une manœuvre pour agacer la sirène, ou se la mettre définitivement à dos, c'est une grande réussite. Danaë la contemple de son perchoir, la toise à l'image de la première fois, tel un volcan prêt à l'ensevelir sous une montagne de poussières toxiques.

Non seulement elle n'a rien à faire ici, mais en plus elle minaude de fausses intentions. Le bar n'a pas été ouvert et, à en croire sa posture, elle se cachait délibérément. L'enquête ne dure qu'une seconde dans la psyché de Lescaut, et la conclusion tombe comme un couperet sur toute fantasmagorie d'une relation avec son petit oiseau. Fouineuse, ou taupe ? C'est une chose de l'attaquer personnellement, ou de chercher à l'approcher, elle, en tant qu'entité individuelle; c'en est une autre de viser l'Octopus, de fourrer son nez dans des affaires qui ne la concernent pas. Sur ce point, elle sera intransigeante. - La règle en vigueur est toujours la même. ne m'appelle pas, ni maintenant, ni jamais, tel est le message transmis par son regard ténébreux. - Si tu voulais connaitre mon nom, tu aurais trouvé un moyen de l'obtenir. elle ne veut pas le découvrir, ou du moins, pas complètement. Danaë a plusieurs hypothèses sur ce point, quoiqu'elle se moque finalement de la raison finale.

La petite peste joue avec ses nerfs, sa patience, et la déraison qui songe à lui coller une bonne gifle, pour s'être ouvertement foutue de sa gueule. Avec son visage de poupée et son air innocent, la brune ne rêve que de l'étrangler. - Je veux un nom, Isabel. c'est une sommation, un premier avertissement; tu ne partiras pas sans me l'avoir donné. La patronne, c'est probablement la pire excuse qu'elle pouvait trouver. Mais Bel sera-t-elle assez stupide pour oser prononcer le nom de sa mentor, et ainsi remettre verbalement la responsabilité sur Raelyn ? Ira-t-elle au bout de sa démarche inconsciente ? C'est le test que lui impose Danaë. Personne n'irait toucher à la blonde, à son incontestable autorité; et pour le bien du Casino, pour le bien du Club, de leurs intérêts et de leurs secrets, elle ne peut certainement pas laisser passer pareille infraction. Quelqu'un lui a donné le badge; autrement dit, quelqu'un a ouvert une brèche dans la sécurité, et représente donc un risque pour le fonctionnement global des lieux.

Mais voilà que la petite fanfaronne. Qu'elle prend ses aises, et défie l'ange noir. Avançant inexorablement jusqu'aux griffes de la succube, qui ne demande qu'à lui tordre le cou. Ou l'embrasser. Mais ses conneries du jour tendent à faire passer la colère en premier plan. Elle a entendu - et Danaë irait parier qu'elle était venue dans ce but. - Un peu de tout ça, oui. un sourire narquois pour contrecarrer la suffisance de sa petitesse, qu'elle désire écraser plus que de raison. - Un badge autour du cou et voilà que tu fais la maligne.. ricane-t-elle, l'air mauvais. - Peut-être qu'on devrait mettre ton minois aux enchères. Puisque tu aimes vivre dangereusement. son index, gracile et fourbe, s'est glissé sous son menton, puis a vaguement décrit l'angle de sa mâchoire. Je vais te mordre. Te briser. T'embrasser. Elle pourrait lui faire tant de choses dans ce salon, sans que personne ne daigne lui accorder le moindre secours, la moindre attention; pire, elle ferait en sorte que Bel y trouve son compte. - Après tout.. T'es latino, non ? je sais que tu as entendu, et que tu sais de quoi je parle. Le visage s'incline de côté, affiche l'outrecuidance de sa toute-puissance; personne ne touchera Bel, son avis n'a pas changé, mais il lui plait de faire croire qu'elle pourrait la tendre au vautours. Reste à ta place, petit agneau.

Quelle est donc cette règle en vigueur qu'elle s'impose, ou plutôt qu'elle vous impose ? Le message est limpide - il ne peut y avoir de familiarité, ni de rapprochement -, certes, mais pas sa raison. De quoi la brune cherche-t-elle à se protéger en érigeant cette barrière ? Tu finiras bien par gratter la surface. Plus le tunnel est profond, plus tu creuses, petite souris... N'est-ce pas la raison pour laquelle tu t'es retrouvée ici ? Peut-être cherches-tu aussi à obtenir un morceau d'elle, en arrachant le prénom à ces lèvres dont le souvenir te tourmente. Et c'est sans doute exactement pour ça qu'elle se refuse à te le donner. Tant pis... tu t'amuseras à lui décerner un surnom de ton choix - pas sûr que ça lui plaise, par contre.

Tu as bien envie de continuer à jouer avec ses nerfs... puisque cet air inaccessible et hautain qu'elle affiche joue assurément avec les tiens. "T'as déjà un nom : Isabel. Quoique... j'préfère Bel." Un haussement d'épaules, la désinvolture incarnée. "Si quelqu'un doit être puni pour avoir transgressé je-ne-sais quelle règle, c'est à moi qu'il faut s'en prendre." Est-ce une invitation ? L’idée d'une punition serait presque alléchante... du moment que c'est elle qui l'inflige. Elle s'adresse à toi comme si elle détenait un quelconque pouvoir, comme si son statut était supérieur au tien. Pourtant à ce que tu saches, elle est mal placée pour te donner des ordres. Escort, serveuse... vous êtes toutes deux en bas de l’échelle, alors pourquoi cette posture de chien de garde ? Il y a déjà un molosse à l’entrée, et il t'a laissé passer sans grogner. "Je suis venue pour récupérer quelque chose qu'on m'a demandé... tu peux rentrer les griffes."

Elle est visiblement déterminée à te vendre, à t'utiliser, d'une manière ou d'une autre... telle une vulgaire marchandise à échanger contre quelques billets. Or cette fois-ci, sa proposition - ou menace - sonne creux. Si tu aurais pu (avec un bon coup dans le nez) assurer une danse lascive de trois minutes, tu te doutes que les beautés offertes sur un plateau d'argent à une clientèle plus exigeante doivent être triées sur le volet, assez expérimentées pour divertir des millionaires blasés et difficiles à satisfaire. Quel intérêt de leur servir un oisillon maladroit sans une once de sex-appeal ? La caresse de son index sous ton menton est un indice parlant : elle cherche à attiser cette peur dont elle semble se nourrir. L'intimidation est le terrain de jeu préféré des démons dans son genre. Sauf qu'elle n'a pas encore compris que sa concurrente n'est pas le petit ange auquel elle croit avoir affaire.

Tu te dérobes à son contact, réprimant un frisson - de terreur ou de désir ? -, et te détournes vers le caisson contenant trois bouteilles de choix. "Mexicaine porto-ricaine," te vantes-tu avec une pointe d'orgueil en le soulevant du bar. "Mais j'fais pas dans le fétichisme... sauf pour toi, gatita*." Et voilà... il n'y a pas que les idiots du bar pour attribuer des petits surnoms infantilisants. Ce casino et ses intendants ont une mauvaise influence sur toi. Boîte serrée contre ta poitrine, tu lui assènes un clin d'œil provocateur en la dépassant pour traverser la salle vers la sortie. Ne sais-tu pas qu'il ne faut jamais tourner le dos à ses adversaires...?

*chaton

Les sentiments sont devenus une tare, plus encore s'ils doivent être éprouvés envers une personne de son cadre professionnel. Sur ce point, inutile de négocier, c'est next. L'histoire d'Amos et Raelyn, brutalement et tragiquement terminée, lui offre une leçon digne d'un sale électrochoc; c'est déjà difficile de perdre l'homme qu'elle a tant considéré, aussi n'ose-t-elle imaginer ce que peut ressentir sa mentor depuis le décès de son époux. Et ça, Danaë refuse de prendre le risque d'y être un jour confrontée. On lui a déjà pris sa famille, elle ne perdra pas plus. Ainsi, l'histoire - si l'on peut appeler ça de cette façon, la rixe, les accrochages avec Bel, ne doivent en aucun cas aller plus loin. Elle ne tolèrera pas la moindre émotion, et se fera violence pour ignorer les pulsions, tout ce qui pourrait la tirer pernicieusement vers cette jolie effrontée.

Dans un sens, elle l'épargne. De moi-même. D'un autre, elle se préserve. Pas d'amour, pas de complications, rien qu'un éternel pragmatisme qui lui permettra de décrocher la lune. - Pour c'que j'en ai à faire, de ce que tu préfères. deux désinvoltures qui s'imposent, s'opposent de concert; joli spectacle, quoique assez sournois. - j'te donnerai pas ce plaisir. ou peut-être que si, car la naïade, quoi qu'elle en dise, est faible face aux besoins qui étreignent son corps. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que Bel fait office d'aimant en ce qui la concerne; dès lors qu'elles s'agitent dans un même espace, se joue le remake du Titanic et de l'iceberg : collision imminente.

Danaë possède l'ancienneté, l'expérience et la responsabilité des filles qui dansent en ces lieux; elle gravite assez à l'étage pour savoir que Bel n'a rien à y faire, peu importe l'excuse présentée. Si l'Octopus compartimente ses accès, ce n'est pas pour rien. Seulement, elle l'a vraisemblablement sous-estimée. Bel se dérobe, se montre plus complexe et forte qu'au regard d'une tendre première impression. Elle en a assez pour mordre, répliquer, posséder une véritable répartie et ne pas abdiquer face à la succube. - Intéressant. D'où viens-tu ? question singulière, assez sincère pour percer l'atmosphère tendue comme une anomalie, un rouage rouillé dans le script de leurs affrontements.

Et elle s'en va, se contente de tourner les talons sur cette phrase, comme une mauvaise chute pour conclure leur conversation. Oh, tu crois qu'on en a terminé ? Elle mérite une gifle, cette arrogante qui se croit capable de monter ici, écouter aux portes et repartir comme si de rien était. Qui pense également pouvoir la défier sur son terrain, sans en payer les conséquences. Encore une fois, la colère amorce le mouvement, devient le moteur de leur rapprochement. - Halte là. siffle son timbre avant qu'une main n'atterrisse sur son épaule, les ongles prenant goût à se planter dans ses chairs. Bloquée avec une caisse dans les bras.. Too bad. Danaë ne manque pas de coller sa silhouette dans son dos, de griffer sa hanche de ses phalanges et de porter les lèvres à son oreille. - On sait toutes les deux que t'es pas venue pour ça. susurre-t-elle, sans pouvoir résister à l'idée d'effleurer sa nuque, sa main glissant contre son abdomen pour la maintenir au plus près. - T'es une sale fouine. Une fouine qui se cache sous un air d'ingénue. mais l'intrusion du jour montre qu'elle en a bien plus dans le pantalon. Vêtement autour duquel glisse la main baladeuse, sans être encore trop intrusive. - T'as vraiment envie d'jouer avec moi ? as-tu envie que je continue ? Que j'aille plus loin ? Les baisers fleurissent dans son cou, agrémentés de légères traces d'ivoires, lorsqu'elle se fait carnassière. Doigts immobiles sur sa ceinture, les autres toujours ancrés sur l'épaule, oscillation entre désir et colère, entre deux hémisphères qui se rejettent, et s'accordent pourtant sur la planète Bel.

Est-elle cruelle... pour le plaisir d’être cruelle, tout comme les félins peuvent l’être ? Ou y a-t-il une raison plus sensée au traitement qu'elle t'inflige ? Sa répartie est cinglante, claque sur sa langue comme un coup de fouet à chacune de ses répliques. L'objectif semble toujours le même : te rabrouer, te tordre jusqu’à ce que tu courbes l'échine. Tu aurais capitulé, il y a quelques années, quand tu n'étais encore qu'une gamine naïve et influençable. Mais depuis ta rencontre avec une certaine starlette dont le mordant aura inspiré une sacrée prise de confiance, tu refuses de te mettre à genoux devant qui que ce soit. Et... ça a l'air d'éveiller en la belle une violence qui transpire de tous ses pores.

Malgré tout, le volcan cesse de cracher une seconde. Les traits menaçants s'adoucissent brièvement et cet aperçu d'une autre facette, plus humaine, moins... antipathique, te désarme tant que tu es incapable de répondre à sa question, pourtant banale. De toute façon, le sujet est tabou. Avec une mère hostile et la révélation récente de celui que tu croyais être ton père, qu'il n’était finalement qu'un figurant dans ton histoire, trop d'interrogations et de secrets douloureux s'enroulent autour de ton arbre généalogique telles les branches d'un végétal parasite. Aussi, tu ignores sa curiosité, focalisant ton attention sur ta mission pour ne pas faire tomber les précieuses bouteilles.

Avec un tel sésame dans les bras, la concentration est de mise, et chacun de tes pas est lent et prudent... assez pour qu'elle ait largement le temps d'interrompre ton avancée d'une patte crochue sur ton épaule. Une nouvelle décharge électrique te traverse alors que tu fermes les yeux, priant silencieusement pour ne pas tout faire tomber. Ça lui ressemblerait bien, de vouloir te foutre encore plus dans la merde pour se venger de ton audace... mais la diablesse a d'autres desseins, plus sombres encore. La voilà qui vient se plaquer contre ton dos, sa chaleur, son parfum envahissant ton espace vital, et son autre main se glissant par-devant pour te piéger. Et si elle était ta plante vénéneuse à toi...? Tu te retrouves immobilisée, capturée entre ses griffes - une fois encore. Impossible d'esquisser le moindre mouvement sans risquer de lâcher le fameux caisson. Seule ta voix pourrait dresser une barrière, lancer un avertissement, une menace contre la présence oppressante. Alors pourquoi tes cordes vocales restent figées, elles aussi ? Pourquoi vibrent-elles seulement lorsqu'une expiration t’échappe au contact de ses lèvres, de ses crocs dans ta nuque ? Maudite soit cette boîte qui t’empêche d'attraper la main baladeuse, de faire volte-face et de...

De lui en mettre une ?

Ou de la pousser sur un de ces canapés de velour où tu aimerais la voir allongée, à ta merci ?

Ferme donc cette bouche entrouverte, efface cette volupté de ton visage. Rouvre ces paupières derrière lesquelles défile cette scène indécente. Maîtrise-toi. "J'suis peut-être une fouine, mais toi, t'es quoi ?" Bien. Ta voix ne tremble presque pas. Ta respiration saccadée, par contre... trahit un certain émoi. Fais un effort. Montre-lui que tu n'es pas totalement sous son emprise. Pas encore. "T'agis pas comme une simple escort." Son attitude est trop présomptueuse, trop confiante. Celle d'une meneuse qui a l'habitude d'aboyer les ordres, pas de les suivre. "Alors, c'est quoi ton vilain secret, hmm ? Tu baises la patronne, c'est ça ? Ou plutôt... elle te baise." Son souffle chatouille ton cou, et tu n'as qu'une envie : te retourner pour le lui couper. "Ça dépend, quelles sont les règles ? Et... y a quoi à gagner ?" C'est cet esprit de compétition, ce besoin viscéral de victoire qui signera ta perte. Tout comme il te poussera sans doute un jour à sauter de trop haut, à rouler trop vite, à plonger trop profondément, à... mourir trop jeune. Fuis, Isabel, tant qu'il est encore temps. Avant que le parasite ne t’étrangle jusqu’au dernier soupir.