Noah par ci, Noah par là, on dirait que notre petite tornade s’est fait un nouveau copain. Lennon s’acharne à lui apprendre à faire ses lacets, alors que j’ai déjà abandonné l’idée. On verra l’année prochaine. Lui apprendre à être autonome, c’est pour son bien. Oui c’est vrai, mais c’est aussi mon petit bébé, et je n’ai pas envie qu’elle grandisse trop vite non plus.« Surtout ne t’habille pas trop vite. » me murmure ma compagne au creux de l’oreille dans un sourire malicieux, alors que je suis encore en pyjama, tasse de café à la main, appuyée contre le mur de l’entrée. Je ne suis pas vraiment du matin, je l’ai été avec la naissance des filles, par la force des choses, mais j’aime bien traîner un peu quand je n’ai pas de rendez-vous ou d’audience sur mon planning, ce qui est le cas de ce matin. Dans ce cas, c’est Mommy qui s’occupe de déposer notre fille à l’école. J’ai le droit à mon câlin et mon bisou, et je les regarde partir. Une fois la porte claquée, je lâche un long sourire et vais m’enfoncer dans le canapé. Juste le temps que la caféine fasse effet.

C’est la bouille enfarinée de Nicola, tout juste levée, qui me sort de mes pensées. J’arbore un large sourire. « Tu es sortie hier soir, non ? » Elle grogne quelque chose, se sert un café et me rejoint sans tarder. Je lui propose une journée shopping, pour profiter de ma journée off, et de sa présence ici à Brisbane. Elle n’est pas là à temps plein, et j’aime pouvoir passer du temps avec elle quand elle est ici. Je ne peux pas toujours me le permettre à cause du boulot, mais quand je peux, je prends le temps. C’est important pour notre relation mère-fille, et je crois que c’est entre autre grâce à ça qu’elle n’a jamais vraiment fait de crise d’adolescence. Grand bien me fasse, j’ai peur de ne pas réussir à y couper avec la 2ème.

C’est vers les coups de quinze heures que je reçois un appel de Lennon qui me demande si je compte aller chercher Mae à l’école. Nous sommes déjà sur le chemin. La petite fille a son cours de karaté juste après l’école, je passe chercher un goûter pour ne pas qu’elle joue les enfants malheureuses. Quatre ans, et déjà un tyran. On est mal barrées. Devant l’école, je pianote quelques instant sur mon téléphone, pendant que Nicky est aussi au téléphone, il me semble avec sa coloc, à Wellington. La cloche sonne et les enfants sortent, me tirant de mon email professionnel. Mae me court dans les bras et se retourne pour me montrer son camarade et nouveau meilleur ami visiblement, le petit Noah. J’ignore pourquoi elle n’en a pas parlé plus tôt. Est-ce qu’il est nouveau ? Elle adresse un signe de main, de loin, à son camarade, alors que son père nous fait face, à une dizaine de mètres à peine. Son… père ? Leo. Mon coeur s’arrête un instant, avant de reprendre une course vive et presque douloureuse dans ma poitrine. C’est bien la première fois que ça arrive depuis un an et j’en suis perturbée.

J’ignore pourquoi mais je m’avance vers eux, tirée par la main de Mae qui semble vouloir absolument me présenter son nouvel ami. Sa grande soeur elle, est restée plus loin, happée par son coup de fil. Une fois réunis, les deux enfants se prennent dans les bras et mon cerveau semble avoir fait un court circuit. Je relève les yeux vers lui, les mains moites et le coeur tremblant. « Il semblerait qu’on ait à faire à un remake de Bonnie and Clyde. » Je tente un sourire, bien que la sensation soit étrange. « Salut… » dis-je finalement à l’attention de Leo, puisqu’il n’y a plus lieu de faire semblant que nous ne nous sommes pas vus… La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était il y a cinq ans, et on sait ce que ça a donné. Espérons qu’il ne fasse pas le lien avec l’âge de ma fille… Notre fille. Mon dieu…

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/californiadreams

Je raccroche le téléphone avec un soupir, dans mon autre main une chaussette sale abandonnée probablement depuis trop longtemps sur le sol de la salle de bain. J’essaie de faire un peu d’ordre, en réalité, je me donne plutôt l’impression de bouger le désordre. Heureusement, Eva est plus efficace que moi et a accepté de me donner un coup de main. « Tout va bien, Leo ? » Je m'installe sur le bord de la baignoire, il n’a pas d’autre mot pour le dire, je suis exténué. Cet après-midi devait être de repos. C’est ce que la directrice m’a dit alors qu’elle me mettait dehors, bien que je suspecte que la vraie raison soit qu’elle avance plus vite sans moi dans ses pattes. « C’était l’école de Noah… Il me convoque à 15 heures. » Un rire un peu las s'échappe de ma bouche. Je me fais l’impression d’être à nouveau un enfant qui va se faire réprimander. « Il a fait quoi cette fois ? » J'hausse les épaules. « J’imagine que je te le dirais ce soir, un nouvel épisode dans les aventures extraordinaires de Noah Carlson. » J’essaie d’en rire, mais je ne suis plus sûr de bien savoir comment gérer cette situation. 
 
Assis dans le bureau du principal, je ne fais pourtant pas le malin. Noah a toujours été un peu casse-cou, un peu farceur, mais depuis 6 mois, les bêtises ont fait une accélération assez impressionnante. « Monsieur Carlson, je peux vous appeler Leo ? » Franchement, à force de se côtoyer, on pourrait bien se tutoyer ou partager un lit. « Je sais que ce que vie votre famille une épreuve complexe et douloureuse, mais il vous faut lui mettre un cadre. » Je sais bien qu’il a raison, mais je n’arrive déjà pas à m’en mettre un à moi-même. Puis, franchement, depuis la mort de sa mère, je n’ai plus cœur à lui faire des remontrances. 
 
Bon, si je suis tout à fait honnête. 
 
Je n’ai jamais eu cœur à le faire, c’était Sloane, la mère autoritaire, moi, je me suis toujours contenté d’être le papa cool. Un rôle facile que je n’avais pas prévu de lâcher. Évidemment, j'hoche la tête, je réponds oui à tout ce que le proviseur me dit. Je n’esquisse même pas un sourire quand il m’explique qu’il a cette fois fait une coupe de cheveux à l’iroquoise à son copain de classe. Une fois le sermon fini, je sors dans la cour pour retrouver mon fils, monté sur pile. Noah ne semble même pas se rendre compte qu’il a fait une bêtise et que je suis supposé le sermonner à ce propos. « Regarde papa ce que je fais. » Suspendu la tête en bas à une barre métallique, il m’arrache cette fois un sourire. « Splendide, mon grand ! Allez, on y va. » Je le décroche comme je peux, mais je vois que son regard est attiré un peu plus loin. « Attends, je dois dire au revoir à Mae ! » Mae est de toute évidence devenue sa meilleure amie, il ne parle que d’elle depuis des semaines.

Quand je relève la tête, ce n’est pourtant pas la petite fille que je vois, mais bien sa mère. « C’est pas… » Je ne peux même pas finir ma phrase tant je reste abasourdi. « Kay... » Je souffle son nom dans un soupir alors qu’elle s’approche de moi. Mon corps m’envoyant des signaux contradictoires à son approche, il y a longtemps que je ne sais plus ce que je dois ressentir pour elle. « Il semblerait qu’on ait à faire à un remake de Bonnie et Clyde. » Je reste encore abasourdi, je crois même que je ne rigole pas, que je ne bouge pas. Incapable de croire à ce qui est en train de se dérouler. « Salut… » Sa salutation semble enfin me sortir un peu de ma torpeur alors que je réponds un faible  « Salut… » En écho au sien. Je ne peux décoller mon regard du sien, je voudrais presque me pincer tellement, je n'y crois pas.  « Tu es là… » Mon corps est parcouru d’un frisson, les émotions me submergeant sans que je ne puisse les identifier ou les canaliser. Instinctivement, je m’approche un peu plus d’elle et sans réfléchir, je me retrouve à l’enlacer, mon corps retrouvant le contact du sien comme un automatisme, m’arrachant un frisson incontrôlé. Une accolade sans doute un peu trop rapide et un peu trop intense pour l’administrer à quelqu’un que je n’ai pas vu depuis de si longues années.  « T’es bien là… » Ma main se posa dans ses cheveux, pour la garder un peu encore près de moi. Pour m’assurer qu’elle est bien là, car je ne suis pas sûr de vraiment y croire. 
 
Quand je finis par la relâcher, j’ai presque les larmes aux yeux, je ne sais même pas pourquoi je me sens aussi ému. Peut-être simplement parce qu’elle m’a manqué, ou parce qu’il y a cinq ans, je me suis laissé entraîner par mes pulsions sans trouver des mots pour exprimer mon ressenti, avant d’aller dire oui à une autre. Ou encore parce que les derniers mois ont bouleversé toute ma vie, et que Kay me ramène à une période où tout était encore en ordre. « Désolé, je… Je suis vraiment heureux de te voir. » C’est probablement l’émotion qui prime sur le moment. Quoique… La surprise arrive en bonne place.

Je m’attendait à tout sauf à ça en entendant ma fille prononcer le même prénom depuis des semaines, celui d’un petit garçon prénommé Noah. Ce petit garçon qui a le même âge qu’elle, s’avère aussi avoir le même géniteur. Gé-nial ! Mon retour à Brisbane n’était déjà pas serein, voilà que ma fille se noue d’amitié avec le fils de mon premier amour. En approchant de lui, je sens déjà à l’intérieur de moi que c’est une très mauvaise idée. Mon coeur me le fait bien comprends d’ailleurs, vu la vitesse à laquelle il s’affole. Le cardiologue m’a bien dit de ne pas le malmener, vivre une vie posée malgré mon travail prenant et ma petite tornade qui me tire encore plus près de lui. Si elle savait. Je tente un trait d’humour, sans doute pour masquer un peu mon trouble, mais ça n’a pas l’air de faire mouche. Son regard en dit long, il est complètement abasourdi de me voir là, et je peux le comprendre. Après tout, j’ai quitté Brisbane il y a bien longtemps, sans donner aucune nouvelles. Les seules qu’il a pu avoir il y a cinq ans n’ont pas été avec des mots. La preuve se tient dans ma main.

« Tu es là… » On dirait bien, oui. Il s’approche et je n’ai ni le temps ni l’envie de faire un pas en arrière. Au lieu de ça, je sens ses bras s’enrouler autour de moi dans une étreinte qu’on pourrait penser amicale, mais qui n’en est rien. Nous n’avons jamais été amis, et je doute que nous puissions l’être un jour. Juste de vieux amants, voilà tout. Pourtant, mon coeur bat si fort dans ma poitrine que je suis presque sûre que Leo pourrait le sentir à travers nos peaux, nos vêtements. Il me faut une ou deux bonnes secondes avant de venir à mon tour entourer mes bras autour de son buste, me laissant emporter par cette sensation qui ne devrait pas être aussi agréable. « T’es bien là… » Je ne comprends pas mon corps qui semblerait vouloir rester là une éternité. Je m’étais pourtant promis de ne jamais replonger. Ne pas refaire la même erreur qu’il y a cinq ans.

Leo s’éloigne finalement, créant un vide assez désagréable. Ses yeux sont humide, je ne pensais pas qu’il serait aussi touché de me voir. « Désolé, je… Je suis vraiment heureux de te voir. » Je n’arrive pas à le quitter des yeux, et pourtant je ne réponds pas, me contente simplement d’un sourire. « Mais… vous vous connaissez ? » demande Mae comme pour nous sortir de cette bulle étrange teintée du passé, dans laquelle nous venions de nous engouffrer. Je baisse alors les yeux sur ma petite tornade. « Le papa de Noah et moi on était ensemble à l’école. On se connaît depuis longtemps. » Enfin, on se connaissait. Nous ne sommes définitivement plus les mêmes personnes aujourd’hui. Je replonge mon regard dans celui de l’homme quia fait battre mon coeur pour la première fois avec cette intensité rare, et lui demande finalement. « Comment vas tu ? » Je vois son air fatigué, j’ignore s’il existe encore une connexion impalpable entre nous, mais je sens qu’il n’est pas au mieux de sa forme. Je ne vois pas ce que je pourrai faire pour lui, tout en prenant en compte la dangerosité de le retrouver, mais je ne m’imagine pas tourner les talons et oublier que je pourrai bien le croiser chaque matin et chaque soir ici, devant l’école.

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Je respire vite, ma poitrine se levant, comme déjà en manque de cette étreinte. L’espace d’un instant, il m’a semblé qu’il était possible de tout oublier, de revenir 20 ans en arrière, d’être à nouveau ce jeune homme plein de fougue qu’il était fou amoureux de Kay. Ce même jeune homme qui ne se doutait pas qu’elle lui briserait le cœur. Je voudrais la haïr pour ça, mais j’en ai toujours été incapable, le lien entre elle et moi étant bien plus fort que ça. Je n’ai jamais compris pourquoi elle avait fui… Je n’ai jamais demandé non plus, ni cherché à la retrouver. Et pourtant elle est à nouveau ici, si près de moi. Je ne peux décrocher mon regard du sien, un sourire un peu triste encore accroché à mon visage. Je tente de faire cesser les battements incessants de mon cœur qui semble pulser jusque dans mon cerveau et m’empêcher de réfléchir. « Mais… Vous vous connaissez ? » La voix de la petite fille me sort de ma torpeur. Je pose enfin les yeux sur la petite Mae. Son visage doux et ses yeux bleus, je n’ai pas besoin de lui demander, c’est évident que c’est sa fille. Je fais un pas en arrière, réalisant que Noah et Mae nous regardent toutes les deux incrédules. « Le papa de Noah et moi, on était ensemble à l’école. On se connaît depuis longtemps. » Je lève une petite main pour faire signe que oui, c’est moi le papa de Noah. Offrant un sourire à la petite fille chez qui je vois la même lueur d’espièglerie que dans le regard de Noah. Ça ne m’étonne pas qu’ils soient amis. 
 
« Comment vas-tu ? » Un rire mélangé de soupir sort de ma bouche alors qu’il me semble que je touche à nouveau terre. « Ça va, je… » Tout mon corps transpire une sorte de malaise, je sais qu’il serait normal que je lui explique ce qui m’arrive, mais je n’ai pas envie de faire taire cette émotion intense qui m’a pris en la voyant, en parlant de ma situation. « Vous pouvez aller jouer encore un peu les enfants, on a du temps à rattraper. » Une petite caresse sur les cheveux de mon fils. Je n’ai pas à le dire deux fois que les deux crapules sont déjà en train de courir vers la place de jeu. Je les suis du regard, continuant à regarder les enfants comme pour ne pas lui faire face à nouveau, pour ne pas mélanger toutes les émotions. « Les derniers mois n’ont pas été simples. » Je ne doute pas qu’elle s’en rende compte à ma dégaine. Au moins, mon T-shirt est à l’endroit aujourd’hui  « Je… Sloane, ma femme, elle est décédée il y a 11 mois. C’était soudain et… On se reconstruit comme on peut avec les garçons. » Je me rends compte que si elle connaît l’existence d’Archie, elle ne savait rien de Noah. « J’en ai deux, Archie que tu as rencontré je crois, il a 12 ans maintenant. Et Noah, la petite tornade là-bas. » Je souris en y pensant, Noah qui a toujours le sourire. Noah, qui réclame parfois sa mère, il n’a pas compris, il est trop jeune. Il pense qu’elle reviendra. Je sens à nouveau mes yeux s’embrumer un peu, mais je me reprends aussi vite, n’ayant pas envie de me donner en spectacle dans la cour de l’école. « Enfin, ça va maintenant, et toi, Kay ? Comment tu vas ? » Je lui adresse enfin un petit regard, elle est toujours aussi belle. Comme si les années ne pouvaient pas avoir d’emprise sur elle. « Tu es vraiment de retour ? » J’ai encore de la peine à y croire, je ne sais rien de ces années qui se sont écoulées. Tout ce que je sais, c’est qu’elle m’a manqué. 

Je n’ai aucune conscience du temps qu’a duré cette étreinte. La sensation qu’elle a duré une heure comme quelques secondes. Le temps est impalpable quand nous sommes ensemble, et de toute évidence, les choses n’ont pas changé de ce côté là. Lorsque je présente Leo à ma fille, j’ai un pincement au coeur de tous ces non dits. Est-ce que les choses auraient été différentes si je lui avais annoncé il y a 22 ans que j’étais enceinte de lui ? Est-ce qu’il aurait réussi à être le père que j’aurai voulu qu’il soit ? C’est pour lui que j’ai décidé de ne rien dire, pour lui permettre de vivre sa vie sans la contrainte d’un enfant si tôt. J’essaie de ne pas penser à ce qu’auraient été nos vies si j’en avais parlé. Mais il n’y aurait pas eu ses garçons, et il n’y aurait pas eu Mae.

Lorsque je lui demande s’il va bien, je sens que la réponse n’est pas aussi simple qu’un ‘oui’ ou un ‘non’, même si je doute qu’il n’aurait pas simplement répondu non, encore moins devant son fils. Et un oui sans rien d’autre, je ne l’aurai pas cru, même si je pense que je n’aurai pas insisté non plus. « Ça va, je… » Ok. Il y a quelque chose de grave, ou au moins de très important. Il envoie nos enfants jouer un peu plus loin, preuve que sa réponse nécessitait l’absence de son garçon. Tout ce temps, mon cerveau a le temps de se retourner dans tous les sens et imaginer les pires scénarios, mais je ne m’attendais pas à celui-ci. « Je… Sloane, ma femme, elle est décédée il y a 11 mois. C’était soudain et… On se reconstruit comme on peut avec les garçons. » Je sens mon corps vaciller. Il est … veuf ? « J’en ai deux, Archie que tu as rencontré je crois, il a 12 ans maintenant. Et Noah, la petite tornade là-bas. » 12 ans déjà, il n’avait que 7 ans quand j’ai fait sa connaissance… « Leo je.. je suis désolée, vraiment. » Désolée pour lui, désolée pour ses enfants, et pour la situation délicate dans laquelle il doit se trouver actuellement. Un décès soudain, c’est le pire qu’on puisse vivre je crois. Je tends la main pour simplement la poser sur son bras, dans un geste qui se veut compatissant. Peut-être que le prendre à nouveau dans mes bras serait une solution, mais j’ai peur que ce soit un peu trop, pour des retrouvailles de ce type.

« Enfin, ça va maintenant, et toi, Kay ? Comment tu vas ? » Ça va maintenant. Pourquoi j’en doute ? Un an c’est si peu pour faire son deuil, surtout quand on a vécu avec une personne pendant si longtemps. Il me faudrait plus d’un an je crois pour me remettre du décès de Lennon si il devait lui arriver quelque chose. Je préfère ne pas y penser. « Tu es vraiment de retour ? » Je lui offre un sourire et hoche la tête. « De retour oui, pour le moment. » Je hausse un peu les épaules, et choisis de prendre les choses à la légère. « Tu connais ma bougeotte, on est pas à l’abris que je décide de repartir dans quelques mois. » Même si maintenant que je viens de le ‘retrouver’, la donne semble avoir changé. « Et je vais bien. Mieux disons. Je suis revenue à la mort de mon père l’année dernière, j’ai eu quelques soucis de santé mais tout est rentré dans l’ordre. » Je ne m’étale pas sur ma situation familiale, d’autant que Nicky n’est pas très loin, et que j’espère secrètement que son appel téléphonique durera plus longtemps que prévu. Sauf que bien sûr, la voilà qui déboule. « Euh Mae avait pas son cours de Karaté ? » Elle pose son regard sur Leo et lui lâche un « Bonjour » Pas nécessairement très intéressée, fort heureusement. « Merde le karaté… MAE ! » Que je crie pour faire revenir la petite fille. « Tu veux bien l’amener ? C’est juste au coin de la rue, elle sait où c’est. » Ma fille aînée me regarde avec un air.. que je ne saurai qualifier, haussant un sourcil, avant de regarder à nouveau Leo. « Ok. » dit-elle finalement en récupérant la main de sa soeur. « Au revoir. » Bonjour au revoir. Voilà très bien.

Je repose mon regard sur Leo, puis sur Noah qui déboule à son tour. « Est-ce que tu serais dispo pour un café ? » Maintenant, plus tard, dans quelques jours, quand il voudra. Mais je crois qu’on a un peu de temps à rattraper, comme il l’a si bien dit un peu plus tôt…

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/californiadreams

Parfois, je me demande combien de temps il faudra, combien de temps pour que l’émotion ne me dévore plus quand j’évoque la mort de ma femme. Ou ex-femme ? Je ne sais même plus vraiment comment je dois l’appeler maintenant qu’elle est morte. Onze mois, ce n’est pas suffisant de toute évidence, ça n’a pas suffi en tout cas pour reconstruire une vie, pour combler son absence. Mais je ne suis pas sûr qu’on puisse un jour le faire. Personne ne remplacera la mère de mes enfants, celle qui les a mis au monde et aimés comme seules elle et moi pouvons le faire. Et cette simple pensée me déchire le cœur. « Leo je.. je suis désolée, vraiment. » Je sais qu’elle l’est, qu’elle compatit. Un très léger sourire se pose sur mes lèvres alors que sa main vient se poser sur mon bras. Instinctivement, je la recouvre de ma main, comme pour l’empêcher de rompre ce contact qui semble faire repartir mon cœur à nouveau, tout mon corps retrouvant vie à son simple contact. J’avais presque oublié ces sensations. Alors j’en profite un peu, faisant durer le silence pour empêcher ce simple effleurement de finir trop vite. 
 
Finalement, quand je reprends la parole, le contact cesse à nouveau et un poids semble à nouveau peser sur moi. « De retour oui, pour le moment. Tu connais ma bougeotte, on est pas à l’abris que je décide de repartir dans quelques mois. » Ces simples paroles semblent avoir l’effet d’une douche froide pour moi, il est simple d’oublier quand elle est près de moi. Il est simple de se laisser aller à ressentir à nouveau, de ne pas penser au passé et au mal que ce mode de vie a engendré. C’est vrai, je la connais, je me souviens d’avoir eu le cœur brisé à son premier départ, d’être resté dans l’incompréhension la plus totale. Sans jamais aucune réponse. Alors quand je l’ai revu il y a 5 ans, il n’y a pas eu de question, juste la pulsion de vie, celle de la retrouver, de la sentir à nouveau contre moi. Puis plus rien à nouveau. À cette simple idée, mon cœur semble se fermer à toute forme de sentiment. Instaurant à nouveau un espace réglementaire de sécurité entre nous. « Oui… Rien ne peut te retenir… » En-tout-cas, pas moi, je n’ai jamais suffi. Mon ton est un peu triste, lasse, mais je tente de me reprendre.
 
« Et je vais bien. Mieux disons. Je suis revenue à la mort de mon père l’année dernière, j’ai eu quelques soucis de santé, mais tout est rentré dans l’ordre. » Il y a beaucoup d’informations dans cette phrase, et il me semble difficile de tout traiter. « Ton père est mort et tu as eu des soucis de santé, je… Je… » Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, coupé par une jeune fille qui déboule dans la conversation. « Euh, Mae n’avait pas son cours de Karaté ? » Elle me jette un regard et semble comprendre qu’elle m’a coupé. « Bonjour ». « Bonjour. » Je lui réponds sobrement, me demandant qui elle peut bien être. Une fille au pair ? Une baby-sitter, elle semble pourtant bien familière. Une cousine peut-être. Je n’ai pas le temps de me questionner plus qu’elle s’en va déjà, accompagnée de la petite Mae. « Est-ce que tu serais disponible pour un café ? » Noah vient de débarquer pour se coller dans mes jambes, manquant de me faire tomber. « Hem, je ne sais pas… » Je ne sais plus si j’en ai envie maintenant, si je veux la laisser à nouveau rentrer dans ma vie, pour en repartir aussi vite. Et pourtant, je ne peux m’en empêcher. « Enfin, j’ai Noah, mais, si tu veux passer à la maison, je peux nous faire des cafés sans doute ? » Un sourire incertain. Eva n’est pas là, et je n’ai pas vraiment d’autre moyen de garde sous le coude pour mon fils. J’en oublie presque que ma maison est en ce moment un peu en chantier, et probablement pas apte à recevoir de la visite. « Ou peut-être qu’on peu se poser dans le jardin plutôt. » Ca sera sans doute plus safe.

Est-ce que je suis bien là ? Oui. Pour le moment. Et il doit savoir mieux que personne que je ne suis pas du genre à rester quelque part très longtemps. Sauf qu’au moment où les mots traversent mes lèvres, je me rends compte que ce que je viens de dire. Alors que lui, je l’ai lâchement abandonné il y plus de vingt deux ans, sans rien dire ni donner de nouvelles ou d’explications, je suis sors un truc pareil ?! Mais merde Anderson ressaisis-toi ! Il perd de nouveau ses couleurs et la culpabilité revient me ronger. Celle là même qui m’a fait me poser mille questions alors que j’étais enceinte de Nicola, et même après sa naissance. La priver d’un père, était-ce la meilleure idée ? Et ne même pas lui donner la possibilité de prendre lui même sa décision ? Une bêtise sans aucun doute. Mais j’étais jeune, et tout aussi immature que lui sur certains points. Alors le temps ayant passé, je n’ai jamais réussi à trouver le courage de le retrouver pour lui en parler. Pour lui dire quoi, de toute façon ? Il était trop tard. « Oui… Rien ne peut te retenir… » Je baisse les yeux, honteuse d’avoir remis sans le vouloir cette étape de notre passé sur le tapis. Je ne voulais pas ça, mais c’est fait et je ne peux - comme pour tout - pas revenir en arrière.

Je choisis alors de répondre à la question qui m’a été posée, si je vais bien. Oui je crois, si on exclut le bouleversement de me retrouver là face à lui avec tous ces non dits. Et pas de ceux qui n’ont pas vraiment d’importance, en plus. « Ton père est mort et tu as eu des soucis de santé, je… Je… » Il n’a pas le temps de terminer sa phrase que ma fille - notre fille - aînée pointe le bout de son nez. Tout va très vite, et tant mieux en un sens, je ne sais pas comment j’aurai pu lui présenter comme ça, de but en blanc. Une fois nos progénitures envolées, je repose les yeux sur lui et sans réfléchir plus loin que le bout de son nez, lui propose un café. Evidemment, ce n’est pas le meilleur moment puisque son fils est là, lui aussi. « Hem, je ne sais pas…  Enfin, j’ai Noah, mais, si tu veux passer à la maison, je peux nous faire des cafés sans doute ? » Allez chez lui ? Je n’avais pas pensé à cette éventualité, et je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée en soi. Je m’apprête à revenir sur mes pas, et fuir, une nouvelle fois, quand il me coupe dans mon élan. « Ou peut-être qu’on peu se poser dans le jardin plutôt. » A l’instant où il prononce ces mots, je tourne la tête en direction du jardin dont il parle, celui où les parents emmènent leurs enfants après l’école pour les laisser se défouler. « Oui, pourquoi pas. » Je lui offre un léger sourire, et nous prenons la direction du jardin en question. J’en profite pour envoyer un sms à Nicola pour lui dire que je vais m’éterniser un peu, mais que je serai là pour la fin du cours. Evidemment, je ne précise pas où je serai ni avec qui, je ferai face à la salve de questions un peu plus tard. Chaque chose en son temps.

Après quelques pas, je sens la main du petit garçon venir se loger dans la mienne, alors que son autre main se trouve dans celle de son père. Mon coeur rate un battement, ou deux, ou dix. « Tu étais l’amoureuse de papa quand il était petit alors ? » Oh wow. Je m’attendais à tout sauf à ça. « Euh.. » Je ne peux m’empêcher de tourner la tête en direction de son père, comme si tout notre passé me revenait en pleine tête. « Pas à ton âge non, mais un peu plus tard. Avant qu’il rencontre ta maman… » En disant ça, mon coeur se serre. Sa mère, qu’il ne verra plus jamais. Pauvre gosse. Une fois arrivés au parc, le petit garçon nous lâche la main et court retrouver les jeux qui s’y trouvent, alors que nous prenons place sur un banc un peu plus loin. « J’imagine qu’il est un peu petit pour comprendre. Et Archie, comment il le vit ? » demandé-je en le regardant avec une intensité involontaire.

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/californiadreams

En sa présence, il me semble que je suis capable de tout oublier, de me plonger en elle, de n’être plus que son Leo. Redevenir celui qui a brûlé de désir pour elle, celui qui ne voyait plus que la vie par elle. J’ai aimé être ce Leo, je ne l’ai plus jamais été après son départ, il n’y a qu’elle qui a fait naître des sentiments aussi puissants. Alors je voudrais pouvoir me souvenir uniquement de ça, oublier le reste. Je voudrais étendre le temps pour continuer à partager son oxygène encore un peu. J’accède à sa demande, lui proposant de nous poser dans le jardin un peu plus loin. « Oui, pourquoi pas. » Bien sûr, j’aurais préféré avoir du temps en tête-à-tête avec elle, mais c’est un petit lilliputien au nom de Noah qui nous emboîte le pas. Pas décidé à nous laisser entre adultes. Ma main va rapidement attraper celle de mon fils pour lui faire baisser la cadence, et, sans que je n’ose rien dire, il va aussi chercher celle de Kay. 
 
De loin, je ne doute pas que nous ayons l’air d’une jolie famille, ce que nous sommes pourtant loin d’être. Cette pensée me fend le cœur alors que je regarde ses deux mains entrelacées. « Tu étais l’amoureuse de papa quand il était petit, alors ? » L’innocence de mon fils m’arrache un petit sourire. « Euh. » Je croise son regard, et je sais que tous les deux, nous pensons à cette époque de notre vie. « Pas à ton âge non, mais un peu plus tard. Avant qu’il rencontre ta maman… » Il me semble que la réponse lui suffit, mais il ajoute tout de même. « Du coup, tu es aussi un peu ma maman si tu es amoureuse de mon papa. » Ces mots brisent mon cœur un peu plus, je sens un pincement dans ma poitrine. Je m’agenouille en face de lui quelques secondes pour reprendre. « Mon cœur, tu sais qu’une maman, c’est celle qui t’a porté dans son ventre. Kay, c’est la maman de ta copine Mae. Mais vous pouvez être amis. » Je reprends en relavant la tête pour chercher un peu d’approbation auprès de Kayna. « Bon, tu peux aller jouer maintenant, mon amour. » Je lui pince le nez avant de le laisser courir près des toboggans, le gardant toujours en joue. 
 
À nouveau, je suis seul avec Kay, et cette simple notion semble enflammer mon corps. « J’imagine qu’il est un peu petit pour comprendre. Et Archie, comment il le vit ? » Un simple hochement de tête. Mes yeux qui ont de la peine à quitter Noah du regard alors que je réponds. « Noah pense qu’elle va revenir. Parfois, il la réclame, c’est très dur. Pourtant, depuis quelques semaines, j’ai l’impression qu'il commence à comprendre, mais que du coup, il cherche une nouvelle maman. » Ce qui me fait sans doute encore plus mal, ne sachant comment l’accompagner et lui expliquer qu’il ne pourra pas la remplacer. Même si une nouvelle femme prend un jour sa place dans nos vies. « Archie, c’est différent, c’est très dur pour lui, il était très proche de sa mère, ils se ressemblent beaucoup tous les deux. Il a de la peine à accepter que les choses changent depuis qu’elle n’est plus là… » Je laisse un petit instant de silence avant de reprendre. « Et moi aussi. » Ça m’est étrange de parler de ça avec une femme que je n’ai pas vue depuis des années, mais avec Kay tout coule de source, ça a toujours été le cas. « Et toi, tu m’expliques un peu mieux ? Qu’est-ce qui est arrivé à ton père ? Et ta santé ? C’est ton cœur ? » Je ne suis pas sans savoir qu’elle est née avec une pathologie cardiaque. Bien que cette dernière ne l’ait jamais arrêtée par le passé, elle restait une épée de Damoclès sur sa vie. 

Lorsque Noah me demande si j’étais amoureuse de son père, je ne peux m’empêcher de regarder l’objet de la discussion, et lui adresser un petit sourire. ‘Amoureux’ est un terme presque un peu léger pour parler de ce que nous avons vécu, je trouve. Mais pour un petit garçon de quatre ans, ça suffira amplement. « Du coup, tu es aussi un peu ma maman si tu es amoureuse de mon papa. » Wait, what ?? J’écarquille un peu les yeux, surprise de ses raccourcis, et si au départ sa réflexion me fait un peu rire intérieurement, lorsque je regarde Leo à nouveau, je vois que cette idée semble lui briser le coeur. Oui. Sa mère. Qu’il a perdu, et qu’il semble chercher partout. Le papa s’arrête pour se mettre au niveau de son petit garçon et lui dire quelques mots. Mon coeur s’accélère à nouveau alors que Noah n’a pas lâché ma main. Je la serre un peu plus juste pour lui témoigner mon soutien, et caresse même ses petits doigts de mon pouce. Lorsque Leo redresse son regard dans ma direction, je lui adresse un sourire compatissant, et qui veut peut-être aussi lui dire qu’il se débrouille très bien. Voilà que le petit garçon s’envole en direction des structures de jeu, et des autres enfants présents dans le parc.

Une fois assis côte à côte, je prends la mesure de la difficulté de la situation pour ses enfants. « Noah pense qu’elle va revenir. Parfois, il la réclame, c’est très dur. Pourtant, depuis quelques semaines, j’ai l’impression qu'il commence à comprendre, mais que du coup, il cherche une nouvelle maman. » Mes lèvres se pincent dans une grimace désolée. Ça me fend le coeur d’imaginer ces deux gosses privés de mère. Ils sont si jeunes… Leo enchaîne sur Archie, son plus grand fils, la situation semble, comme je l’imaginais, encore plus difficile pour lui. « … Il a de la peine à accepter que les choses changent depuis qu’elle n’est plus là…Et moi aussi. » Je ne réfléchis même pas quand je viens poser ma main sur la sienne pour la serrer doucement, juste pour lui témoigner mon soutien. « Je suis sûre que tu t’en sors très bien avec eux. C’est dur mais il faut vous laisser du temps. » Je ne me prétends pas psy, mais je sais que le temps est la seule chose véritable qui pourra panser leur peine.

« Et toi, tu m’expliques un peu mieux ? Qu’est-ce qui est arrivé à ton père ? Et ta santé ? C’est ton cœur ? » A sa question, je récupère ma main, lâchant un soupire, ou peut-être est-ce plutôt une forme de courage que je m’injecte pour répondre à ses questions. « Mon père avait des problèmes cardiaques aussi, on sait d’où je tenais les miens… » D’une petite moue j’ajoute : « Il est mort dans son sommeil, d’une crise cardiaque. » Je hausse un peu les épaules. Je ne vais pas dire que je m’en fous, parce que perdre un parent, même lorsqu’on ne s’entend pas avec eux, ça reste un pilier qui vacille. Et même si j’ai voulu faire la forte, on sait ce qui est arrivé ensuite. « Et oui, ça a déclenché quelques soucis de mon côté, mais tout va bien maintenant, j’ai été opérée, je suis comme neuve ! » Je lui offre cette fois un sourire rassurant. « Et puis il n’y a pas de hasard, tout ça m’a ramenée ici. » Et ici, je parle de Brisbane, mais aussi de ce banc, sur lequel je suis assise à côté de mon premier amour. « Tu es entouré au moins ? Tu as de l’aide, pour les enfants, pour prendre du temps pour toi ? » C’est important je crois dans ce processus. Il a besoin de souffler un peu…

the past is not dead
Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/californiadreams

Parfois, j’ai l’impression qu’il n’y a plus que ça, que cette mort, cette perte est devenue le centre de ma vie, la chose qui me définit. Je déteste ce sentiment, cette réalité qui fait de moi le veuf de l’école, du quartier. Le père débordé et un peu paumé. Il me semble que je n’avais pas signé pour ça, pour le meilleur et pour le pire avec elle, j’avais dit oui. Pas pour en être privé. Et pourtant, quand la main de Kay vient se poser sur la mienne, il me semble qu’elle fait taire un peu la douleur. Qu’elle me rappelle que je suis plus que ça, que je suis un homme, avec des désirs et des envies, un homme qui a aimé cette femme à côté si passionnément, presque démesurément. Ce n’est pas un sentiment qui peut s’éteindre si facilement, qui peut disparaître. « Je suis sûre que tu t’en sors très bien avec eux. C’est dur, mais il faut vous laisser du temps. » Un faible soupir, mélangé à un petit rire de circonstance. « Et c’est quoi le temps réglementaire ? Un an ? Trois ans ? Et pour les gosses ? » Je suis presque un peu sur la défensive, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je n’en peux plus de m’entendre dire qu’il me faut du temps… Les gens n’ont que ce mot à la bouche. « J’ai l’impression que ça va bousiller leur vie… Et que je ne peux rien y faire. » Je ne me sens pas à la hauteur, je ne pense pas que je le suis. Sloane aurait su elle, elle savait tout faire, survivre à ma mort n’aurait sans doute pas été si compliqué pour elle. 
 
Quand sa main quitte la mienne, il me semble sentir une brûlure à la place, je voudrais la reprendre. Je voudrais plus d’elle, j’en ai toujours voulu. Mais aujourd’hui, je ne pense pas que j’ai le droit de ressentir ça, je ne pense pas que c’est ce qu’on attend d’un homme en deuil. Alors je tais mon envie. Gardant ma main vide.  « Mon père avait des problèmes cardiaques aussi, on sait d’où je tenais les miens… Il est mort dans son sommeil, d’une crise cardiaque. » « Oh… » Je ne suis pas bien sûr de la manière dont je dois réagir à cette information. « Je suis désolé, Kay… Je sais que tu n’avais pas la relation que tu aurais espérée avec lui, mais il reste ton père alors... désolé. » Et je suis bien placé pour savoir que perdre un parent est douloureux, même si je préfère taire cette information. Une annonce de mort par conversation me semble suffisante. « Et oui, ça a déclenché quelques soucis de mon côté, mais tout va bien maintenant, j’ai été opérée, je suis comme neuve ! » Je la regarde d’un coup avec un air un peu amusé. « Wouah, du coup, t’as une super cicatrice maintenant ? » Je joue les enfants émerveillés pour tenter de ramener un peu de chaleur dans une conversation un peu trop sinistre pour nous deux. « Je suis content que tu ailles bien aujourd’hui Kay, vraiment. » Je lui donne un léger coup d’épaule. Il me semble à cet instant que nous ne nous sommes jamais quittés, que j’ai 20 ans de moins. « Et puis il n’y a pas de hasard, tout ça m’a ramenée ici. » Ici, avec moi. 
 
« Tu es entouré au moins ? Tu as de l’aide pour les enfants, pour prendre du temps pour toi ? » Mes mains vont jouer avec quelques brins d’herbe alors que je garde un fin sourire sur le visage. « Tu me proposes tes honoraires de baby-sitter ? » Parce que franchement, je ne dis pas non. « Mais oui, j’ai des amis qui m’aident. La meilleure amie de Sloane a emménagé récemment dans la chambre d’amis, c’est une aide très précieuse. » Eva qui a rendu notre vie plus douce et bien plus simple depuis son emménagement. Je sens que je pourrais vite m’y faire. « Et toi ? Tu as un… mari ? » Je me dis qu’il doit bien y avoir un père pour sa fille, peut-être que quelqu’un a finalement fini par lui mettre le grappin dessus pour de bons. 

« Et c’est quoi le temps réglementaire ? Un an ? Trois ans ? Et pour les gosses ? » Je n’ai pas besoin d’avoir fait un master de psychologie pour entendre une certaine forme de colère sous-jacente. Pas contre moi non, mais contre la vie qui lui a arraché injustement la personne qu’il aimait. Et il me fend le coeur. Je choisis de ne pas répondre à cette suite de question, premièrement parce que personne n’a la réponse, et deuxièmement parce que ça ne ferait qu’empirer les choses. Il le sait lui même, il n’y a pas de règles pour guérir d’un deuil. Certains s’en remettent bien, d’autres passent leur vie entière à essayer de s’en remettre. J’espère qu’il ne fera pas partie de cette catégorie. « J’ai l’impression que ça va bousiller leur vie… Et que je ne peux rien y faire. » Je sens mon coeur lourd. « Tu peux soulager leur peine en étant présent. Ça ne l’enlèvera jamais en totalité, mais ils ont besoin de toi. Et ils ont besoin que tu prennes soin de toi, aussi. » Parce que perdre leur mère et voir leur père dépérir, c’est ça qui pourrait les bousiller. Je ne veux pas lui mettre la pression, il prendra le temps dont il a besoin pour guérir, mais il ne faut pas qu’il s’oublie dans la bataille.

La conversation est retournée dans ma direction. Mon père. Je ne sais toujours pas comment je me sens, un an après son décès. Je ne ressens pas de manque puisque je n’avais plus de contact avec lui depuis très longtemps. C’est plus de voir le chagrin dans les yeux de ma mère qui me pèse. « Je suis désolé, Kay… Je sais que tu n’avais pas la relation que tu aurais espérée avec lui, mais il reste ton père alors... désolé. » Je hoche la tête, entendue. Je vois bien qu’il est désolé, c’est gentil. J’enchaîne sans tarder sur mes soucis de santé, et finis par une note plus joyeuse, parce que l’ambiance a été largement assez ternie par nos pertes respectives. « Wouah, du coup, t’as une super cicatrice maintenant ? » Son changement de comportement me fait rire, et je hoche vivement la tête, sans me démunir de ce large sourire. « Oui ! Grande comme ça, de là à de là ! » Je lui montre mon cou, et la naissance de mon pubis, soit la totalité de mon buste. J’exagère évidemment, ma cicatrice ne fait qu’une petite dizaine de centimètres, nichée juste là entre mes seins. Elle est de moins en moins visible, mais encore parfois un peu sensible.

Je relance malgré moi le sujet de sa situation, m’inquiétant de sa santé mentale. « Tu me proposes tes honoraires de baby-sitter ? » Un fin sourire s’étire au coin de mes lèvres, retrouvant le sien. « Ça peut s’arranger. » Si je peux faire ça pour lui, après ce que je lui ai fait subir, je pense que ce serait un grain de sable dans le Sahara que je lui dois - dans ma tête. « Mais oui, j’ai des amis qui m’aident. La meilleure amie de Sloane a emménagé récemment dans la chambre d’amis, c’est une aide très précieuse. » Je suis soulagée de savoir qu’il a quelqu’un sur qui compter. Elle ne remplacera pas la mère de ses enfants, mais si ils peuvent au moins se soutenir dans l’épreuve du deuil, c’est toujours ça de pris. « Et toi ? Tu as un… mari ? » Oh ! Wow ! Comme ça là ? De but en blanc ? J’avoue que je suis surprise de la question, la manière dont il l’amène, le timing, tout. Je lâche un rire aussi nerveux qu’amusé, un savant mélange assez détonnant. « Oulà, vaste question… » Je me racle un peu la gorge, je ne sais même pas par quoi commencer. « Pas de mari non… loin de là d’ailleurs ! » Je me pince les lèvres, cherchant dans ma tête la meilleure façon de lâcher un truc pareil. Et puis même si je sais qu’il sera surpris d’apprendre ma configuration ‘familiale’, je n’ai aucune honte. « J’ai une compagne. Ça fait quelques années maintenant, et on élève Mae ensemble. » Voilà, on va dire que c’est une bonne entrée en matière. Evidemment, je ne pouvais pas passer à côté de son regard surpris. Je m’en amuse. « Ne fais pas cette tête, je me fous pas de toi c’est vrai. J’ai jamais réussi à trouver un mec qui me convenait. En même temps, passer après ce qu’on a vécu toi et moi, tout me semblait un peu trop pâle… » Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, et d’ailleurs, je n’ose même pas le regarder, je préfère tourner les yeux pour regarder les enfants jouer un peu plus loin. Faire l’autruche, un peu.

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Leo & @Kayna Anderson ☆ crédit/californiadreams

Je suis souvent en colère ces dernières semaines, je le sens, je me dis que c’est sans doute une de ses nouvelles phases du deuil, celles qui me rapprochent du moment où je suis supposé accepter que la vie nous a privés de Sloane, d’une femme, d’une fille, d’une mère. « Tu peux soulager leur peine en étant présent. Ça ne l’enlèvera jamais en totalité, mais ils ont besoin de toi. Et ils ont besoin que tu prennes soin de toi, aussi. » Un léger rire qui ressemble presque à un soupir, je me doute de la raison de son propos. « Je suis si négligé que ça ? » Je rigole un peu, mais je sais que je ne suis plus le Leo de notre époque et encore moins celui qu’elle a retrouvé à son mariage il y a 4 ans. J’ai activé le mode survie depuis des mois maintenant, et même moi, j’ai parfois de la peine à me reconnaître quand je me regarde dans le miroir. Comme si j’avais perdu une partie de mon âme. Pourtant, avec Kay, je pourrais presque avoir l’impression qu’elle me revient. Ça me fait du bien de blaguer avec elle, de prendre un peu à la dérisoire nos problèmes, et j’apprécie plus encore qu’elle rentre dans mon jeu. « Oui ! Grande comme ça, de là à de là ! » Je ris sincèrement l’imaginant avec cette énorme cicatrice. « Ton chirurgien, c'était pas la chips la plus croustillante du paquet, je me trompe ? » Un nouveau coup d’épaule. J’aimerais lui en demander plus à propos de cette opération, mais pour le moment, je profite de ce moment facile et sympathique qui me change de mon quotidien des derniers mois. 
 
Si j’évoque rapidement Eva et l’aide qu’elle m’apporte au quotidien, je me rends aussi compte que je ne sais plus rien de la vie de Kay : est-elle mariée, amoureuse, qu’est-ce qu’elle fait dans la vie. Il y a quatre ans nous n’avons pas beaucoup parlé, ce sont les gestes qui ont pris le dessus. Aujourd’hui, il me semble que nous sommes bien plus responsables. « Oulà, vaste question… Pas de mari non… Loin de là, d’ailleurs ! » Je ris un peu étonné de cette confession. « Tu es devenue bonne-soeur ? » J’aurais bien de la peine à le croire. « J’ai une compagne. Ça fait quelques années maintenant, et on élève Mae ensemble. » « Oh… Une compagne... » Je ne m’y attendais pas, mais quelque part, ça ne devrait pas me choquer, Kay a toujours été très intéressée par les humains, et ce, peu importe leur sexe. Mais apprendre qu'elle est casée avec une autre personne me fait quelque chose. Il semble que le destin ne nous laissera plus nous retrouver.

Et pourtant elle reprend. « Ne fais pas cette tête, je ne me fous pas de toi, c’est vrai. J’ai jamais réussi à trouver un mec qui me convenait. En même temps, passant après ce qu’on a vécu, toi et moi, tout me semblait un peu trop pâle… » Il semble que tout mon corps soit pris d’un frisson quand j’entends ces mots, mes poils se hérissant sur ma peau. Des souvenirs emplissant ma tête. Je la regarde, mais elle détourne le regard. N’assumant pas totalement sa phrase, j’imagine. « C’est clair… » Je ne peux qu’acquiescer, moi aussi, pourtant un peu gêné de l’avouer. « C’était fou… Parfois, je me demande même si les souvenirs que j’en ai ne sont pas faussés. » Parce que je n’ai jamais revécu quelque chose de pareil. « Parce que ça ne t’a pas empêché de partir. » Il n’y a pas de reproche dans ma voix, juste une constatation un peu triste, une sorte de questionnement. « Je ne crois pas que j’aurais pu te quitter moi, ça aurait été comme, hors de ma portée… » Je sais que je n’aurais pas pu, pour moi la vie s’est effondrée quand elle est partie. Je n’ai jamais compris. « Un jour, tu me diras ? Tu m’expliqueras pourquoi ? » Je n’ai pas besoin que ce soit aujourd’hui, il y a déjà eu trop. Et je vois déjà Noah qui revient dans notre direction. Un petit regard vers ma montre m’indique que bientôt, je vais devoir partir. « Je dois aller chercher Archie dans 10 minutes… » Je voudrais profiter encore un peu de sa présence. L’idée de ne plus la revoir pendant plusieurs années m’inquiétant d’un coup. 

« Je suis si négligé que ça ? » Je le regarde avec les yeux ronds. « Mais non ! C’est pas du tout ce que je voulais dire… » Alors certes il est plus éteint que lorsque nous avions dix-huit ans, et il était aussi plus animé il y a cinq ans, mais c’est tout à fait normal… Heureusement, Leo décide de bifurquer vers un ton un peu plus léger lorsque nous parlons de mon opération. Maintenant, on peut en rire, puisque tout va mieux et que mes soucis cardiaques sont derrière moi. « Ton chirurgien, c'était pas la chips la plus croustillante du paquet, je me trompe ? » Je ris avec lui, et ce moment me semble hors du temps. Juste une complicité qui semble ne s’être jamais perdue.

Je suis heureuse de savoir qu’il a une épaule contre laquelle se reposer en ce moment, avec la meilleure amie de sa défunte femme. J’espère juste qu’ils ne se tireront pas vers le bas, mais des quelques mots qu’il m’en dit, je n’ai pas trop de craintes à ce sujet. Sauf que ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est la question sur mon potentiel mariage. « Tu es devenue bonne-soeur ? » Je glousse un peu, parce qu’il est drôle. Evidemment que non, je ne suis pas devenue bonne soeur. Je lâche finalement l’information. Ce n’est pas l’info du siècle, je me suis juste rangée dans une autre boîte que celle que la société nous impose, ça ne fait pas de moi un extra terrestre. J’ignore pourquoi je ressens le besoin de justifier mon choix, qui n’en est pas vraiment un au final. Je me file une claque intérieure en disant ça, parce que ça me donne la sensation que je me suis mise avec Lenny par dépit, et ce n’est pas tout à fait vrai.

Je n’ai pas contrôlé mes mots en lui avouant que trouver quelqu’un avec qui vivre quelque chose de plus fort que ce que nous avons vécu, c’était difficile, voire impossible. « C’est clair… C’était fou… Parfois, je me demande même si les souvenirs que j’en ai ne sont pas faussés. » Un sourire étire mes lèvres et je le regarde à nouveau. Je ne crois pas, non. Ce que nous avons vécu était extra ordinaire, nous avons eu de la chance de pouvoir vivre ça au moins une fois dans une vie. Certaines personnes ne le vivent jamais. « Parce que ça ne t’a pas empêché de partir. » Outch. Dans ta face Anderson. Je détourne le regard à nouveau, le posant cette fois sur mes mains, frottant nerveusement mon jean. « Je ne crois pas que j’aurais pu te quitter moi, ça aurait été comme, hors de ma portée… » S’il savait, s’il savait que ce choix a été le plus difficile de ma vie, et que je l’ai regretté si longtemps. Il m’arrive même encore de le regretter, même si je n’aurai de toute façon pas pu faire machine arrière. « Je suis désolée » je marmonne entre mes lèvres à peine entre ouvertes. J’ai honte, j’ai mal aussi parce que je peux ressentir à quel point c’est encore une blessure ouverte pour lui. « Un jour, tu me diras ? Tu m’expliqueras pourquoi ? » A nouveau je prends un instant pour plonger mon regard dans le sien, avec une émotion troublante. Je voudrais le prendre dans mes bras, tout lui dire et qu’il me pardonne pour que tout ça soit derrière nous, mais je sais que rien de tout ça ne pourra arriver. Jamais il ne pourrait prendre à la légère le fait que je lui ai caché mes deux grossesses, et que j’ai choisi de le laisser éloigné de ses deux filles. En me disant ça, je me sens comme un monstre. Au fond, je le suis sans doute. « Oui, promis. » Un jour. Mais pas maintenant. Je ne suis pas prête.

Noah revient et s’installe entre nous deux. Je porte mon attention sur le petit garçon, lui pose quelques questions légères sur l’école, ses copains, ses copines, sur sa relation avec Mae.. J’ai l’impression de ressentir une connexion étrange avec lui, sans arriver à mettre un mot dessus. Et puis les dix minutes s’égrainent à une vitesse folle, et il est temps pour eux de partir, et moi de rejoindre mes filles. Nos filles. Mon dieu… « Ça m’a fait plaisir de te voir, j’imagine qu’on sera amenés à se recroiser régulièrement dans le coin.. » Cette idée me ravit le coeur, je ne contrôle rien. « Prend soin de toi d’accord ? » dis-je en m’approchant de lui, bien incapable de lui dire au revoir sans me fourrer dans ses bras. Juste quelques secondes. Juste sentir sa présence au près de moi, son parfum. Dans quoi je suis en train de m’embarquer au juste ?

end