Les mots étaient dits, et chez les Belov, on ne plaisantait ni avec la vodka ni avec les hommes nus. Kipplin se jaugea dans le miroir d’un regard critique, les sourcils légèrement froncés. Non, décidément, il ne pouvait pas sortir dans cet état. “ Installe-toi, parce que ça va prendre un moment.” Quoi ? Kipplin Belov ne pouvait pas simplement enfiler une chemise et sortir. Oh non. Il devait être fabuleux, quoi qu’il fasse. Encore plus lorsqu’il s’agissait d’aller glisser des billets verts dans le slip moulant de prétendus dieux grecs – ou du moins, leur version contemporaine sur une scène tamisée, dans une brume légère de fumée et de paillettes. Il attrapa son verre de vin posé sur le bord de sa coiffeuse et fit un pas vers son immense dressing. Là, il s’arrêta un instant, le regard songeur, comme un général observant le champ de bataille. Face à lui, une mer de vêtements impeccablement alignés, rangés par couleur, matière et occasion. Chaque pièce avait son rôle, chaque détail comptait. Les vestes italiennes aux coupes précises côtoyaient des chemises en soie aux imprimés exotiques. Les pantalons attendaient, minutieusement pliés, comme des soldats prêts à servir leur maître. Une subtile odeur de bois précieux et de cuir flottait dans l’air, apportant une touche de luxe au sanctuaire vestimentaire de Kipplin.

Il porta son verre à ses lèvres, savourant une gorgée de vin tandis que son esprit calculait les combinaisons possibles. Il lui fallait quelque chose à la hauteur : une tenue qui mêle provocation et élégance, qui dise au monde “je suis là” sans en faire trop. Son regard s’arrêta enfin sur un ensemble en lin crème, léger mais terriblement raffiné. Parfait pour la saison. Il l’assortirait d’une chemise pourpre, éclatante juste ce qu’il faut pour capter l’attention. Pas de cravate – cela aurait été trop sage, et Kipplin Belov ne faisait jamais dans la sagesse. Du moins, pas en soirée. Il déposa son verre vide et enfila la tenue avec une précision méticuleuse. Puis, après avoir noué sa montre au poignet d’un geste rapide, il chaussa une paire de mocassins noirs, luisants, parfaitement cirés, qui ajoutaient la touche finale à sa silhouette. Avant de quitter la pièce, il passa une main dans ses cheveux noirs aux mèches blanches argentées, ajustant le tout avec un soin étudié. Ce contraste dans sa chevelure, il l’aimait. C’était un rappel que même la perfection pouvait accepter les traces du temps. Son reflet lui renvoya un sourire satisfait. Ses yeux bleu glacier brillaient d’une lueur de contentement : il était parfaitement prêt.

Sans perdre une seconde, il avala d’un trait la fin de son vin, puis se tourna vers Izan, qui patientait sur le canapé avec une nonchalance feinte. Pendant une fraction de seconde, les lèvres de Kipplin esquissèrent un sourire narquois. Il balaya ensuite le pianiste d’un regard presque paternel. “Tu ne veux pas que je te prête une tenue ?” Le ton n’était ni méchant ni condescendant. Chez Kipplin, les conseils en matière de style étaient une forme d’attention sincère. La mode n’était pas une option : c’était une obligation. Le sourire de Kipplin s’élargit, amusé malgré lui. Ces deux-là étaient faits du même bois : rapides à lancer une pique et tout aussi prompts à s’offenser. Un duo improbable, dysfonctionnel, mais étrangement fascinant. La vie avait parfois une manière surprenante d’assembler les gens. Kipplin haussa les épaules avec une désinvolture élégante. “Je suis prêt !” Il frappa fort dans ses mains, puis tourna les talons pour se rendre dans la salle de bain. “Non. Attends.” Il s’arrêta pour vaporiser un peu de parfum sur son cou. Une fragrance épicée et boisée qui laissait une empreinte subtile mais marquante. Une dernière vérification rapide dans le miroir, puis il retrouva Izan, le dépassant d’un pas léger pour attraper ses clés et son portefeuille.

“Bon, je t’attends”, déclara-t-il d’un ton faussement agacé, comme si c’était lui qui avait dû patienter. Pour Kipplin, la vérité sortait toujours de sa bouche à lui. Avec une énergie décidée, il ouvrit la porte. “Tu vas adorer ! On prend ma berline !” Il avait cette façon de prendre les choses en main qui pouvait agacer, mais il savait se faire pardonner. Après tout, il offrait sa voiture, son argent et son temps, ce qui lui donnait, selon lui, un certain droit à diriger les opérations. De toute façon, il n’avait jamais vu Izan au volant, et il était hors de question de marcher. Quant à prendre le bus ? Impensable. Il lança un regard rapide par-dessus son épaule. “Allez, sors et attends-moi dans la voiture. Je vais libérer Miss Pacman de sa prison.”

Il disparut dans une autre pièce et revint peu après, un petit sourire satisfait aux lèvres. Ils montèrent enfin dans la berline. Une fois au volant, Kipplin mit le contact et démarra en trombe, filant dans la nuit avec une aisance familière. Quelques minutes plus tard, ils étaient arrivés. “Nous y voilà.” Un grand sourire étira les lèvres de Kipplin alors qu’il apercevait le néon rose et bleu qui clignotait joyeusement à l’entrée du club. “L’Hermaphrodite. Ici, tu trouves tout ce que tu veux... et même plus.” Il lança un regard complice à Izan, un éclat malicieux au fond des yeux. “Je connais une des danseuses. On aura un salon VIP.” Il avait de quoi payer, bien sûr. Mais c’était toujours mieux quand c’était gratuit. D’un geste fluide, il entraîna presque Izan à l’intérieur du club, où une musique vibrante emplissait l’air. Ils pénétrèrent dans un charmant salon à l’écart, avec des banquettes en cuir noir, moelleuses et accueillantes. Kipplin s’assit avec aisance et fit signe à Izan de le rejoindre. “Alors, champagne ou vodka ?” Son regard brillant ne laissait aucun doute : la soirée ne faisait que commencer.