’’Installe-toi, parce que ça va prendre un moment.’’ marmonnant un « oh putain » qui vient du coeur et peut-être même plus profond, le pianiste se tasse davantage dans son fauteuil en chutant de quelques degrés, ses jambes s’allongeant pour qu’il puisse croiser ses chevilles en même temps que ses bras contre son torse, bien décidé à endurer l’attente qui lui est imposée en faisant part de son mécontentement (pour changer) ’’T’es au courant qu’on va pas à un défilé de mode ?’’ il le rappelle sans lever le nez pour voir Kip, ses yeux rivés sur un point fixe devant lui ; toutes ces histoires de mode ne l’intéressent pas, il n’a jamais compris pourquoi les autres accordaient une telle importance à leurs vêtements mais, sachant fort bien que Kip’ ne va formuler aucun effort pour presser le pas, Izan se relève finalement pour attraper un magazine devant lui afin de le feuilleter, regardant plus les images qu’autre chose. ’’C’est bon, t’as fini ?’’ qu’il demande en étant seulement à la cinquième page ’’Et maintenant, t’as fini ?’’ huitième page ’’Toujours pas ?’’ seizième page (il a fait un effort, oui) ’’C’est long, quand même’’ qu’il râle en basculant sa nuque en arrière pour qu’elle s’appuie sur le haut du fauteuil qu’il occupe, faisant retomber le bord de son magazine sur son torse pendant qu’il effectue une petite moue, regardant le juge à l’envers ’’Cette phrase n’est pas à sortir de son contexte.’’ vaut mieux le préciser, sait-on jamais.

Relâchant le périodique qu’il balance sur la petite table devant lui, Izan se redresse juste après (preuve qu’il aurait pu calmement replacer le magazine s’il avait voulu, ouais) pour attraper sa bouteille de soda, puisque le vin n’est définitivement pas pour lui — il ne sait pas l’apprécier et la réciproque est sûrement vraie. ’’Tu ne veux pas que je te prête une tenue ?’’ s’apprêtant à boire une gorgée de sa boisson sucrée, il lève le menton en même temps que les sourcils, un peu surpris de cette proposition pour le moins inattendue ’’Une tenue ?’’ il le demande sans douter de son accoutrement, même s’il a bien conscience que ses habits, composés de ses éternels vans, d’un jean noir et d’un sweat blanc, sont très loin des vêtements de prédilection de Kip. En se retournant vers ce dernier, Izan effeuille visuellement son dressing du regard puis affiche une grimace qu’il ne prend guère la peine de camoufler quand il donne enfin sa réponse : ’’Franchement, je ne préfère pas, non.’’ il pourrait rajouter un ‘’merci d’avoir proposé quand même c’est super sympa d’être généreux comme ça » mais la politesse est en option chez lui, et Kip’ n’a pas le forfait adéquat ’’On y va ?’’ enfin, Kip est prêt. Il est heureux, Izan, il se lève même de son fauteuil dans un bond dynamique, déjà prêt à quitter la demeure de son ami mais ’’Non. Attends.’’ - ’’Oh putain mais t’es pire qu’une meuf, toi.’’ pensant que ça va durer des plombes - encore -, Izan se laisse retomber dans le fauteuil en soupirant bruyamment, commençant à se dire qu’il ferait mieux de rentrer chez lui. Ou de faire une sieste. Il n’y a pas un piano dans le coin ? Mais il est mauvaise langue, Izan, et Kip’ fait son retour triomphant peu de temps après, porteur d’une fragrance qui fait tousser le plus jeune des deux — il exagère à peine ’’Ton parfum m’a débouché le nez.’’ comme il n’est pas certain que le juge soit véritablement prêt (sait-on jamais qu’il doive se recoiffer pour la millième fois), l’hispanique le laisse le dépasser pour récupérer ses effets personnels avant de se lever, attendant la preuve que, cette fois, ils vont vraiment décoller ’’Bon, je t’attends’’ il lui lève son majeur en même temps qu’il abandonne son fauteuil pour le suivre, pas franchement impressionné par la mention du véhicule qu’ils vont emprunter. Les voitures sont comme les vêtements : utiles, de quoi remplir une fonction, pas de quoi s’étendre longuement sur le sujet en somme. ’’Allez, sors et attends-moi dans la voiture. Je vais libérer Miss Pacman de sa prison.’’ pas besoin de lui dire deux fois tant sa phobie des chiens ne lui permet aucune mesure d’assouplissement : pointant Kip’ de son index, il ne perd pas de temps avant de rejoindre l’extérieur, n’ayant aucune envie de croiser le monstre terrible qui est caché dans une pièce.

Enfin, ils quittent la demeure de Kip’ pour rejoindre l’établissement plébiscité par le plus âgé du duo, ce dernier étant bien plus familier des lieux que celui qui penche sa tempe vers la vitre de sa portière pour apercevoir le décor extérieur, et la façade du club. ’’L’Hermaphrodite. Ici, tu trouves tout ce que tu veux... et même plus.’’ ses sourcils se fronçant imperceptiblement, il maintient le contact visuel avec Kip pendant quelques secondes, ne parvenant pas tellement à comprendre ce qu’il sous-entend, et l’élan malicieux de son regard ne le rassure pas vraiment sur ce qu’ils vont trouver à l’intérieur ’’D’accord…’’ - ’’Je connais une des danseuses. On aura un salon VIP.’’ découvrant les lieux avec un regard curieux, il suit Kip jusqu’à l’intérieur en faisant courir ses longs cils noirs sur l’apparat moderne et typique de ce genre d’endroits, en se formalisant davantage de la musique assourdissante que des tenues légères. Ses oreilles, davantage habituées aux sonorités délicates, décrient fortement l’ambiance vibrante et électriques qui bat les murs colorés, sur lesquels sont projetés des néons lumineux mais, sans se plaindre - pour une fois - il emboite le pas à celui qui oeuvre comme s’il était chez lui. Une fois dans le petit salon privé, Izan prend place à côté de Kip en raclant discrètement le fond de sa gorge, pas forcément à son aise mais, peut-être que ça va venir ? ’’Alors, champagne ou vodka ?’’ - ’’Vodka.’’ balayant la position de scène qui est visible depuis leur salon privé, il frotte ses lèvres l’une contre l’autre avant de se tourner vers le juge, demandant alors, curieux : ’’Tu viens souvent ici ?’’

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’’La vie est un défilé de mode, mon grand’’ le ton presque paternaliste du juge le fait grimacer avec ennui tandis qu’il tourne son menton en sa direction pour lui lancer une oeillade confuse, qui ne semble pas accorder grand crédit à l’affirmation qu’on vient de brandir comme vérité absolue ’’On ne peut pas tous être magnifiques en portant des... vêtements trouvés dans une benne.’’ l’affront n’en est pas véritablement un, mais cela ne l’empêche pas de se repositionner correctement sur son siège en appuyant son coude sur la largeur du fauteuil, secouant son menton de gauche à droite en répondant, avec un calme olympien dont il use trop peu souvent : ’’Tu ne connais pas la marque Volcom, si je comprends bien ?’’ puisque l’enseigne citée ne fabrique pas des mocassins ou des chemises en flanelle, Izan suppose que c’est très loin des rayons empruntés par Kip’ et, sans trop savoir pourquoi, l’image de l’homme de loi, très classe et élégant dans son costume sur mesure, perdu au milieu des sweats et des t-shirt de skateurs le fait sourire avec enchantement. ’’Faut sortir un peu de ta grotte, tu sais.’’ il se jure de le traîner dans une boutique, un jour, mais en attendant, il allonge ses jambes devant lui pour permettre à ses chevilles de s’appuyer sur la table basse, sans trop se soucier de savoir si ses vans peuvent, oui ou non, flâner au-dessus du meuble hors de prix — peu importe la réponse, il s’en fout. Kip le fait souffrir, la table souffrira avec lui. ’’Arrête, tu sais très bien que je vais la sortir du contexte. Et je peux la sortir tout court aussi’’ la roublardise de son interlocuteur ne l’offusque pas, même si un « oh » traverse ses lèvres avant qu’il ne m’émette un petit rire presque silencieux, qui serait passé inaperçu s’il n’avait pas secoué son torse dans des soubresauts amusés. ’’Quoi donc ?’’ il feint la parfaite ignorance en appuyant son pouce sous sa mâchoire et son index contre  le coin de sa joue, en s’impatientant de l’attente que son ami lui impose.

Heureusement, ils finissent par enfin s’extirper de la demeure du russe et, tout, dans la situation ainsi que dans le langage corporel de Kip, laisse présager qu’il oeuvre dans l’établissement festif comme s’il était chez lui. D’un point de vue extérieur, c’est l’impression que cela donne et Izan se formule l’idée que le juge doit être un habitué des lieux, pour ne pas dire un mur porteur ’’Souvent, non. À dire vrai, jamais’’ le mur porteur s’effondre mais les sourcils du pianiste font un bond au-dessus de ses paupières, soulignant la surprise que cette annonce lui provoque, lui qui l’imaginait déjà connaître tout le personnel et pas seulement grâce à leurs badges ’’Vraiment ?’’ non pas que la confiance ne règne pas mais, c’est toujours mieux d’avoir confirmation ’’Je connais cet endroit parce qu'une des enfants que j’ai aidées travaille ici. Elle est serveuse. Je te rassure, c’était il y a de nombreuses années, elle est plus que majeure.’’ il remonte le coté droit de sa bouche dans une tentative de sourire même si, sans qu’il ne sache pourquoi, cette idée l’attriste un peu. Ce n’est assurément pas le genre d’endroit dans lequel on s’imagine travailler quand on est gamins, à moins d’avoir une enfance vraiment particulière ’’Mais avant ça, j’étais un homme en couple et fidèle, je te rappelle.’’ il n’a pas besoin de lui rappeler, mais la piqûre est amère parce qu’il ne pense pas au couple que Kip a essayé de maintenir toutes ces années, mais plutôt les nombreuses tromperies qu’il a essuyé. ’’Alors certes, tu ne viens ici que pour le bonheur des yeux, mais je n’aimerais pas que mon compagnon passe ses soirées ici…’’ à son tour, il aimerait lui rappeler qu’Andrew ne venait pas « que pour le bonheur des yeux » mais, même lui réalise que c’est une attaque aussi piquante qu’inutile, et la cruauté n’a jamais fait partie de son caractère, aussi mauvais soit-il d’après certains.

Il préfère le silence confortable qui s’installe entre eux, l’illusion qu’ils ravalent gentiment leurs souffrances respectives à défaut de pouvoir la partager à l’autre, jusqu’à ce que le serveur apporte de quoi noyer leurs chagrins. ’’À la nôtre. Je te fais grâce du Russe, j’aurai trop peur que tu tombes amoureux de moi.’’ la raillerie chasse l’amertume de la tristesse, et Izan lui lance un regard complice en répondant, sa main lancée à la conquête de son propre verre ’’Tu sais bien que c’est déjà le cas.’’ imitant son comparse, il avale le contenu de son shot en plissant une paupière quand l’alcool vient brûler ses lèvres puis sa gorge, dans une sensation apaisante qu’il sait être traître, mais à laquelle il n’est pas prêt à renoncer ce soir. ’’Je suis quand même curieux de l’entendre… Apprends-moi à le dire, allez.’’ ayant bien à l’esprit que son élocution risque d’être un carnage pour les oreilles de Kip, Izan commence déjà à rire, un bras accoudé à leur table et sa main tendue vers lui, comme pour l’inviter à investir son rôle de professeur. Ce qu’il ne dit pas, Izan, c’est qu’il a désespéré bon nombre d’entre eux.

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L’alcool qui glisse dans sa gorge anesthésie quelque peu les afflictions internes qui s’échauffent dans ses pensées, corrompant sa capacité à se souvenir que ses fiançailles ont été rompues, qu’il doit renoncer à tous un panel de projets de vie à deux, à l’idée que son âme-soeur ne l’est peut-être pas, et qu’il lui faut oublier l’homme qu’il aime — il devrait penser aimait mais son coeur est trop honnête et lucide sur les sentiments qu’il porte pour mentir de la sorte. Il l’aime encore, malheureusement dirons certains, mais il ne formule pas encore le souhait d’omettre l’amour qu’il lui voue : ce serait enterrer définitivement leur histoire, ce serait renoncer à tous les instants qu’ils ont connu, à ces espoirs qu’ils ont nourri ensemble, à ce bonheur partagé qui a existé, même s’il a été chancelant ces derniers mois. Il n’est pas encore prêt à l’oublier. Il n’est pas encore prêt à le chasser de son esprit, de son coeur, de sa vie. Un jour, peut-être. Chacun son rythme de chagrin.

Grimaçant néanmoins, il plisse une paupière en pinçant ses lèvres l’une contre l’autre, sentant sa langue et son palais s’offusquer de la brûlure sèche de la boisson qui vient de traverser sa bouche, si bien qu’il repose son petit verre vide devant lui sans encore le quitter. ’’Malheureusement, je ne te rendrai pas heureux, Iz. Oublie-moi, c’est le plus sage à faire. ’’ il l’avait dit sur le ton de la plaisanterie mais il se rend compte que son ami l’assimile sous le prisme de la dépréciation, et la tristesse qu’il lui intime le fait discrètement soupirer. Il avait espéré que cette escapade nocturne lui change suffisamment les idées pour chasser la noirceur maussade de son regard mais, en lui lançant une oeillade silencieuse, Izan se rend compte que le chagrin n’a toujours pas diminué chez Kip. Il ne peut pas lui en vouloir, il comprend même pourquoi le juge est tant accablé par le malheur, et il sait à quel point la trahison — dans une moindre mesure, certes — abîme considérablement l’image qu’on a de soi. ’’Tu sais que ça n’a aucun rapport avec toi, j’espère.’’ les tromperies d’Andrew, qu’il n’a pas envie de nommer parce que l’enflure ne mérite pas qu’on prononce son nom, ni même qu’on lui accorde une seule pensée. ’’Tu mérites mieux que ça.’’ mieux que lui mais la barre n’est pas trop élevée ; difficile d’être plus méprisant qu’un mec qui s’envoie plus en l’air qu’un pilote de ligne en fin de carrière.

’’Ok…’’ intrigué par l’éclat malicieux de son regard, Izan se tourne vers lui en haussant un sourcil, son bras s’avançant de quelques degrés pour appuyer son coude sur la table. ’’Je t’écoute.’’ qu’il souffle en pressant ses lèvres l’une contre l’autre pour réprimer l’approche d’un sourire amusé, ses yeux détaillant attentivement le visage du juge, dont la peau est lézardée par les néons colorés qui traversent la salle. ’’Кипплин действительно самый красивый мужчина в мире.’’ il avait été sérieux en affirmant vouloir apprendre mais, la phrase à rallonge qu’on lui pond lui fait tout d’abord écarquiller les yeux, juste avant qu’il recule son menton de quelques degrés en pouffant de rire, totalement désabusé par l’exercice qui s’offre à lui ’’Tu te fous de moi, j’espère ?’’ haussant finalement ses sourcils pour le questionner du regard, il poursuit : ’’C’est pas un peu long pour simplement dire « à ta santé » ?’’ pas besoin d’y répondre : oui, c’est beaucoup trop long et il le sait, c’est pourquoi il est méfiant. ’’À ton tour, répète…’’ Izan sent bien que Kip lui tend un piège gros comme le monde, puisque son espièglerie lui confère un air enfantin tout à fait charmant, que Izan préfère au voile de la douleur, même si le pianiste sait bien que les nuages vont revenir (trop) vite ’’Attends. Répète plus lentement, que je puisse le dire après toi.’’ plissant légèrement ses paupières sous la concentration, il baisse les yeux sur les lèvres de Kip pour suivre avec grande application les syllabes qu’il emploie, même si sa langue les formule avec davantage de maladresse. ’’C’est bon ?’’ il ne pourra pas faire mieux, de toute façon…

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