La soirée a été organisée pour les porte-monnaies - c’est comme ça que Scarlett les surnomme, dans sa tête, évidemment, jamais à haute-voix - ceux qui donnent de l’argent pour soutenir des campagnes politiques. Il y a toujours des éléctions à suivre, à préparer, à conclure, à célébrer, et les évènements politiques rythment la vie de Scarlett autant que ceux de l’industrie du cinéma ou de la chanson. Son portefeuille de clients est vaste, son agence s’est développée avec une certaine polyvalence qui fait aujourd’hui son succès. Ce soir, c’est un énième gala, pour soutenir un candidat dont Scarlett n’a que faire. Elle est là pour serrer des mains et échanger des banalités, un ou deux sourires peut-être. Elle aide à la campagne de plusieurs conseillers municpaux de Brisbane, mais elle n’a pas d’allégance particulière à ces derniers - affilés au Labor Party, elle les trouve au mieux idéaliste, au pire complètement hors-sol. Mais ça lui est égal, de manière générale, elle a travaillé avec des gens pour qui elle ne voterait jamais, et inversement. Loin d’être loyale, Scarlett est surtout férocement pragmatique, et un peu trop cynique. Il y a deux ans, elle travaillait avec le maire de Brisbane, du parti opposé, et qui sait ce qu’elle fera encore dans quelques années. Peu importe, on l’engage pour son professionnalisme, pas pour ses propres idéaux.

Vêtue d’une robe satinée rouge et près du corps, elle est là pour faire bonne figure, mais surtout pour observer les comportements de donateurs, voir les points d’adhésion et ceux qui restaient à travailler. Femme de l’ombre, elle est aussi utile pour quelques discussions, ayant petit à petit un certain réseau, et sachant assez manier l’art de la conversation pour ne pas servir de plante verte au milieu des autres invités. Elle aime bien briller en société, Scarlett, elle a adopté tous les codes nécessaires. Personne ne pourrait se douter d’où elle a grandi. Elle joue le rôle du caméléon à merveille, verre de tonic à la main, son gloss à peine dérangé par le petit four qu’elle glisse sur sa langue.

Au milieu des visages familiers, Scarlett remarque au loin Ambrose, en pleine discussion avec une jeune femme et deux hommes - elle reconnaît l’un d’eux, elle a déjà bossé avec l’un de ses collaborateurs. Elle ne se souvient pas d’un contact particulièrement plaisant, se rappelle d’avoir trouvé le jeune homme lent et un peu stupide, du moins trop stupide pour la politique. Scarlett ne lui adresse donc pas un regard, mais fait un petit signe de la tête avec Ambrose, et lève son verre en sa direction, un bonjour lointain. Ils échangent un petit sourire entendu, puis retournent à leurs occupations, leurs discussions.

Ce n’est qu’un peu plus tard, qu’une occasion se créé, une discussion se termine, une ouverture du côté de Scarlett, Ambrose pas loin, et elle arrive à sa hauteur, les yeux pétillants, curieuse de le recroiser dans un autre contexte. « Bonsoir Constantine », elle ouvre le bal poliment, et lève son verre pour qu’ils trinquent brièvement. « Alors, les donateurs mordent à l’hameçon ? » Elle demande, les yeux plissés. Elle regarde autour d’eux, un peu curieuse. « Tu es venu seul ? Mavis n’a pas encore le privilège d’être la trophy girlfriend ? » Elle n’y pas par quatre chemins, Scarlett, et offre à Ambrose un élément précieux : révéler ce qu’elle sait déjà, abattre sa seule carte, pour qu’ils partent sur un - quasi - pied d’égalité.


@Ambrose Constantine  

Il avait hoché la tête quand son regard a croisé celui de Scarlett, et il se retrouve désormais sincèrement heureux de la retrouver pour une discussion qui peut réellement en être une, au-delà d’une simple et brève réponse physique. La soirée a été longue ; utile, intéressante, mais longue. Une pause à ses côtés est particulièrement bienvenue. « Bonsoir Constantine. » - « Bridgers. » Une salutation sincère mais non moins sincère qui vient ponctuer le tintement de leurs verres. « Alors, les donateurs mordent à l’hameçon ? » Des informations qui n’ont pas à se répandre, même auprès d’une femme en qui il a une certaine confiance - elle est nécessaire, dans la mesure où elle sait pour lui et Ruben. Qu’elle ose lui demander pousse Ambrose à avoir un sourire amusé, qu’il cache à peine derrière le verre dans lequel il boit brièvement. « Comme toujours avec un peu d’arguments. » Il se permet d’insinuer qu’il a toujours les bons arguments en question, sans que cela puisse évidemment être une vérité générale. Scarlett n’est pas là pour lui tirer les vers du nez à ce sujet, de toute évidence, et elle lui en donne la preuve à l’instant même où elle change déjà de sujet pour se concentrer sur ce qui semble réellement l’intéresser.

« Tu es venu seul ? Mavis n’a pas encore le privilège d’être la trophy girlfriend ? » Elle sait, donc. L’entrée en matière le fait sourire une nouvelle fois, sans qu’il ne cherche cette fois-ci à le cacher. « Elle m’accompagne parfois mais à ce qu’il paraît son métier n’a pas des horaires concordants avec les meetings. » Il n’a pas d’horaires concordantes avec grand chose, en réalité, mais puisqu’elle est celle qui vit avec Ruben alors elle connait à son tour ses horaires de vie hasardeuse. « Il a jugé nécessaire de t’informer qu’il avait été trahi, donc. » Le prénom n’est même pas utile ; la ponctuation d’interrogation l’est tout aussi moins. Il note à voix haute des évidences : il n’y a que Ruben qui aurait pu l’informer de leur couple, non pas parce qu’il est le seul au courant mais bien parce qu’il est le seul que cela prend autant aux tripes. « Il a poussé le mélodrame à quel point ? » Parce qu’il est doué dans le rôle de la pauvre victime trahie dont tout le monde se joue, Ruben, et ça Ambrose le sait notamment parce qu’il est tombé dans le piège à de nombreuses reprises et a fini par y rester volontairement, pour ses beaux yeux. « C’est une question pour la science, évidemment. » Non pour son plaisir purement personnel d’être informé de faits qui le regardent de moins en moins maintenant qu’il comprend de plus en plus que Ruben ne peut pas être la personne aussi parfaite et bienvenue dans son quotidien qu’il aimerait le croire ; et qu’il continue justement encore de croire de temps à autres. « Tu as attendu toute la soirée pour me dire que tu savais ? » Qu'il finit par lui demander avec un amusement certain face à une Scarlett s'étant particulièrement prise au jeu, vraisemblablement.