Soirée chez "Kurt", ami d'un ami. Une heure assez avancée. 26 octobre 2024.

Elias ne sait même pas pourquoi il a accepté l’invitation ce soir. L’ami de son ami – Kurt, quelque chose comme ça – l’a entraîné dans une soirée où il ne connaît quasiment personne. Une maison cossue en bordure de Brisbane, immense et bruyante, remplie de gens qu’il n’aurait probablement jamais rencontrés en d’autres circonstances. Ce n’est pas vraiment son milieu, et pourtant, le blogueur est là, un verre de gin à moitié plein dans une main, son téléphone silencieux dans l’autre.

Elias observe la scène d’un regard distant, notant chaque détail, chaque micro-expression, chaque parole. C’est une habitude chez lui. Etudier les gens, les interactions, les bruits. Il est un étranger dans cette foule, un spectateur, un individu quelconque. Le jeune homme imagine les histoires des personnes présentes. Le couple dans le coin semble au bord d’une rupture, le type seul sur la terrasse parle à voix basse au téléphone, la fille près du bar rit trop fort. C’est une matière première tout ça, des fragments d’humanité, des potentielles sources d’inspirations. Elias pourrait les consigner dans son carnet rouge plus tard. Peut-être pour un futur roman, peut-être juste pour ses propres réflexions nocturnes, peut-être aussi pour des métaphores sur son blog.

Elias sirote son gin quand une jeune femme attire son attention. Elle est assise sur un canapé, une cigarette entre les doigts, et un air détaché sur le visage. Pas le genre de sourire forcé vu à travers la pièce, non, elle semble simplement… ailleurs. Comme si tout ça l’indifférait, tout comme lui. Ses longs cheveux tombent en cascade sur ses épaules, encadrent un regard insondable, adoucissent ses traits. Une mèche vient lui chatouiller le front, et elle la repousse machinalement, révélant une oreille percée de multiples anneaux.

Elias observe sa gestuelle, ses lèvres légèrement pincées quand elle aspire une bouffée, la manière dont elle tapote de l’index le cendrier en verre sur la table basse, sa manière de vagabonder du regard entre les différentes personnes présentes. Il y a quelque chose d’hypnotisant dans sa nonchalance. Une maîtrise subtile de l’espace occupé, un détachement calculé, une présence imposante malgré la distance prise. Elle est là, mais elle n’est pas vraiment là. Il le sait, lui-même fait souvent ça. Détacher son esprit de l’instant présent, flotter ailleurs, s’imaginer être dans un endroit bien plus agréable.

L’idée de l’aborder lui traverse l’esprit. Elias hésite, balance entre l’intérêt et une certaine lassitude. A quoi bon ? C’est toujours pareil. Quelques mots, des phrases échangées, des sourires, et au final, rien de plus. Il pense à sa dernière aventure. Une brève histoire, passionnée et creuse. Ils ont passé une nuit intense. Le lendemain, c’est comme si elle n’avait jamais existé. Elle a laissé une odeur de parfum bon marché sur son oreille, lui, une vague de vide dans le cœur.

Pourtant, quelque chose le pousse à se rapprocher. Peut-être cette fois, ce sera différent, pense Elias sans y croire vraiment. Il s’appuie contre le mur derrière lui,  prend une grande inspiration. C’est un mouvement discret. Ça passerait inaperçu pour quelqu’un d’autre. Le jeune homme le fait consciemment, comme un rituel avant d’aller au front.

Elias pose son verre à moitié vide sur une table au passage. Ses pas sont lents, mesurés, discrets. Il ne veut pas paraître trop pressé, il ne veut pas non plus laisser filer ce moment. Le jeune homme ressent ce léger picotement sous sa cicatrice, un souvenir lointain d’une autre soirée, d’une autre confrontation, d’une autre époque. Cette fois, l’adrénaline est douce, presque apaisante.

Quand Elias arrive à sa hauteur, il ne dit rien au début. Le jeune homme l’observe simplement, cherche à capter un détail. Cela pourrait lui donner une entrée, un prétexte, une excuse. Finalement, elle lève les yeux vers lui, intriguée par cette présence silencieuse. Leur regard se croise, Elias se surprend à sourire malgré lui. Un sourire en coin, à peine perceptible.

« Ça te dérange si je te rejoins ? » dit enfin Elias, d’une voix grave et posée.