« Je sais, c’est super, il y a plein de choses que j’adore, mais… Une bonne partie des gens que l’on aide finissent par mourir et… J’en ai un peu ras le bol de la mort, si tu vois ce que je veux dire. » Je ne peux m’empêcher de grimacer. Je ne vois pas ce que je pourrai répondre à ça, à vrai dire. Je ne peux qu’imaginer ce qu’il ressent, et tout ce que je me vois faire, c’est l’encourager à revenir à ce qui l’animait à l’époque, et lui qui manque aujourd’hui. Compliqué pour le moment. Ça aussi j’entends. Finalement, il se déjoue de mes questions en me retournant celle que je venais de lui poser. A mon tour donc de répondre au plan professionnel. De mon côté le tableau est un peu plus joyeux puisque j’ai réussi à atteindre l’objectif que je m’étais fixé il y a très longtemps, et duquel il a été témoin lorsque nous étions encore ensemble. Evidemment, je suis fière de pouvoir lui dire que j’ai réussi, mais c’est une satisfaction en demi-teinte parce que je sais qu’il ne s’épanouit pas dans son métier, et je ne me vois pas lui parler du mien et de mon propre épanouissement pendant des heures. Je reste alors plutôt succincte. « Je suis sûr que tu es parfaite pour ce job. Par contre, maintenant que je sais ça, hors de question que je t’invite chez moi. »[/color] Mon rire se mêle au sien, j’ai toujours aimé son trait d’humour, pas toujours assumé, souvent malgré lui et maladroit, mais c’est ce qui a toujours fait son charme, je trouve.

J’essaie de l’inciter à revenir à l’essentiel, à ce métier qui le passionnait auparavant, mais l’étincelle ne semble plus briller en lui. J’imagine que c’est normal quand on vient de perdre une des raisons de son propre bonheur. « J’ai l’impression, pour le moment, que ça serait comme trahir ma mère… et ma femme… » Mon coeur se serre si fort que la douleur en est violente. Il poursuit son explication sur les raisons de son détachement, même si quelque chose brille encore au fond de lui. C’est trop tôt, il a besoin de temps. Je voudrais être là pour le soutenir, et je lui dis au moins que je peux l’aider s’il veut. Peut-être qu’il ne demandera jamais, mais il sait au moins qu’il peut. « T’as déjà fait pas mal avec cette soirée. Ça m’a fait beaucoup de bien d’oublier un peu les soucis. J’ai l’impression d’avoir été projeté 20 ans en arrière. » Je lui adresse un sourire complice. Parce que c’est vrai, j’ai ressenti la même chose, cette sensation d’avoir remonté les vingt dernières années, et c’était rafraichissant. Leo finit par conclure qu’il serait temps pour nous de rentrer, et je hoche la tête pour lui donner raison. « On partage un taxi ? » « Avec plaisir. » Je le laisse quelques minutes le temps de commander le taxi, et moi d’aller chercher ma veste à l’intérieur, et nous grimpons dans la voiture quelques minutes plus tard. C’est dans le silence que le trajet se fait, et lorsque se dessine la silhouette de ma maison, je tends la main pour attraper la sienne. « Bonne nuit Leo. » Je me penche pour déposer un baiser sur sa joue, peut-être un peu trop près de ses lèvres à cause de l’obscurité, et quitte l’habitacle sans lui laisser le temps de dire ou faire quoi que ce soit de plus. Je claque la porte et rejoins une maison vide. Affreusement vide.

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