Le tissu léger de la robe sous ses doigts était agréable, tout comme l'odeur de pamplemousse que dégageait la demoiselle dans ses bras. Malgré l'absence de piste de danse, Lennox faisait virevolter la jeune femme entre les tables du bar en ignorant les regards amusés ou courroucés des gens autour d'eux.

"Tu sens trop bon." Lui intima-t-il à l'oreille, après avoir respiré sa chevelure flamboyante. "Tu savais que les pamplemousses sont une source utile de lycopène, qui est associé à un risque réduit de cancer?" Il décala son genou droit dans le dos de sa cavalière, puis la fit basculer en arrière en l'accompagnant de tout son corps. Le visage près du sien, les yeux dans les yeux, il poursuivit. "Il sont aussi efficaces pour combattre la diarrhée." La fille pouffa tandis qu'il la ramenait sur ses deux pieds et lui offrit une caresse dans le creux de ses reins. "J'vais en griller une. Si y'a du Madonna qui passe, cris et j'accoure."

Un plié et une pirouette plus tard, Lennox attrapa son blouson Bomber satiné et l'enfilait en se dirigeant vers la sortie quand il vit le regard dédaigneux d'un vieux type au bar à qui il envoya un baiser soufflé sans s'arrêter. Une fois dehors, il alluma une clope et sortit son cellulaire pour voir s'il avait des messages, dont un, peut-être, de Wesley qui justifierait son absence. Faisant distraitement les cents pas en les consultant, une voix qu'il connaissait bien l'interpella et le fit se retourner.

"C'est qu'il se fait désirer ce petit." Il s'approcha de son ami, tout sourire, et lui colla un bec sonore sur la joue. "J'y croyais plus." La rouquine avec qui il dansait quelques minutes plus tôt sortit du bar en trombe et lui annonça qu'elle devait quitter pour une histoire de gardienne malade. "T'as mon numéro. Appelles-moi et j'te promets une danse sur ta queen." Elle l'embrassa à la commissure de ses lèvres juste quand un taxi ralentissait à leur hauteur, dans lequel elle s'engouffra hâtivement. "J'vais peut-être la rappeler." Lennox jeta sa clope d'une chiquenaude. "Elle sentait bon le pamplemousse." Il passa familièrement un bras par dessus les épaules de Wesley et le secoua gentiment. "Alors? On reste ici ou on va au club se trémousser un peu? Moi, peu importe la place, j'vais me torcher la gueule mon gars, j'ai une de ces soifs."

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Il a quand même un peu hésité, Wesley, quand son ami lui a proposé cette sortie dans un bar. Il n'est pas encore sûr de savoir si c'est une bonne idée ou non de se retrouver dans un lieu où la priorité est de boire autant d'alcool que possible pour tous les clients. Il a un peu de mal à s'imaginer siroter un soda ou une menthe à l'eau, tandis que toutes les personnes autour de lui seront à s'enquiller des verres aussi alcoolisés que possible. Mais même s'il a beaucoup hésité, il a fini par céder. Il n'a pas envie de perdre tous ses amis sous prétexte qu'il a arrêté de boire. Dans le fond, ça va juste lui demander beaucoup plus de volonté encore que ce n'est déjà le cas tous les jours depuis qu'il est sobre. Ça fait des mois qu'il ne fait plus grand chose d'autre que de bosser encore et toujours plus. Des mois qu'il tatoue jusqu'en début de soirée pour rentrer épuisé, s'écrouler de fatigue et recommencer le lendemain. Des mois qu'il ne prend qu'une journée ou une journée et demi de repos par semaine. Des mois qu'il évite les soirées où l'alcool coule à flot. Et ce n'est pourtant pas une solution, et il le sait très bien. Tôt ou tard, il faudra bien qu'il se confronte à ce démon qu'il tente de chasser de sa vie une bonne fois pour toute. Alors il va retrouver Lennox devant ce bar qu'il lui a indiqué par message. 

Il arrive un peu en retard, après avoir autant tergiversé. Et il espère bien que son ami ne lui en tiendra pas trop rigueur. Même si, dans le fond, il ne s'inquiète pas trop. Il a certainement trouvé une compagnie pour l'attente. En tout cas, il le trouve en train de fumer devant l'endroit bondé, quand il débarque enfin. « J'ai un peu hésité. » Qu'il est obligé de reconnaître quand il salue le jeune homme qui n'a pas l'air plus vexé que ça. « Ta Queen ? Elle parle de Madonna ? » Qu'il interroge, un sourire amusé au coin des lèvres quand une jeune femme passe devant eux. C'était donc elle, sa compagnie, en attendant que Wesley daigne enfin se pointer. Wesley qui ramène les yeux sur le brun quand il reprend la parole. « Et le pamplemousse, c'est une odeur qui t'émoustille tout particulièrement ? » Le sourire sur ses lèvres est tout à fait amusé. Mais le sourire laisse place à une petite grimace quand il est question de "se torcher la gueule". Lennox sait que Wes tente la sobriété. Et qu'il tient bon depuis plusieurs mois. « Et moi, j’vais te regarder te torcher. » Qu'il précise en suivant quand même le mouvement quand son ami le prend par les épaules. Direction l'intérieur du bar où déjà des effluves d'alcool se frayent un chemin jusqu'à ses narines qui y semblent plus sensibles que jamais. Ne pas craquer va quand même lui demander de sacrés efforts. Mais il y croit. Il se dit que s’il affronte ça, il saura tenir dans la durée. Voire pour de bon.

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Bien sûr qu'il avait hésité. Ça faisait des mois qu'il hésitait pour, d'ordinaire, choisir l'option qui lui était plus facile alors le voir finalement débarquer à cette énième invitation lui fit plaisir. "T'as hésité, mais t'es là. Prends le pas mal, mais j'en avais un peu marre d'te voir vite fait entre deux clients au salon." Malgré qu'il y aimait l'ambiance, voir son ami uniquement là où il bossait, quand avant sa sobriété ils faisaient mille et une activités ensemble, commençait légèrement à le peser. "L'icône éternelle de la pop, de la mode et de la provocation, l'icône ultime 'tain, de qui d'autre elle parlerait?" Gouailleur, il n'en était pas moins sérieux. "Tu savais que si l'un de ses danseurs arrive en retard aux répétitions il doit lui embrasser les pieds?" Il pouffa en secouant la tête, ses prunelles se perdant dans l'horizon. "J'arriverais tout le temps en retard." Bizarrerie à la Lennox qui revint sur terre à la question suivante. "Particulièrement non, enfin, ça sent bon quoi, mais y'a des odeurs qui m'émoustillent plus que celle-là. Corporellement parlant c'est vrai que je préfère l'odeur d'un fruit à une fleur." Du revers de la main, il lui administra un petit coup sur la poitrine. "Les matelas de gymnastique! Tu te souviens, au collège, en cours de gym? Ça sentait trop bon! Fuck j'pourrais faire l'amour là-dessus non-stop." C'est une fois de plus distrait par cette conversation parfaitement notable qu'il termina sa cigarette et entraîna Wesley à l'intérieur.

À leur entrée, même son évident TDAH ne l'empêcha pas d'aviser le visage un peu plus crispé du tatoueur. Instantanément, le brun bifurqua de son but initial pour se diriger vers une banquette collée contre le mur du fond. En dédaignant le bar, il évitait à Wesley de subir les consommations des autres en plus des siennes, une attention qu'il jugeait de très minimale. Toutefois, s'il respectait le choix de son ami et se doutait de l'effort qu'il fournissait ce soir, lui ne s'empêcherait d'aucun de ces excès dont il raffolait. Il avait essayé jadis, pour sa mère et sa petite soeur, de taire l'appétence qu'il avait pour divers vices, mais la carence avait ravivée ce qu'il avait de plus sombre en lui et éteint le plaisir de vivre. Très conscient de ce qu'était son hygiène de vie, il l'assumait pleinement parce qu'il aimait l'homme qu'il était dans ce mode de vie particulier. Peut-être un jour il le réévaluerait, mais aujourd'hui il lui était inconcevable de ne pas faire tout ce dont il avait envie de faire.

Une serveuse arriva à la seconde où il se débarrassait de son manteau et, sans hésitation, il lui commanda un shot de tequila et une bière, la même commande qu'il lui avait fait une vingtaine de minutes plus tôt. Celle de Wesley accomplie, il se pencha vers lui, le visage grave. "Toi, c'est quoi ton odeur préférée?" Et plus sérieusement encore; "Ça fait combien de temps là?" Vague coup de tête vers le bar que comprendrait certainement l'homme en face de lui.

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Aucun risque que Wesley se vexe aux propos de son ami. Il est vrai qu'avant qu'il ne décide de mettre fin à son alcoolisme de la façon la plus radicale, mais la plus efficace possible, ils se voyaient souvent tous les deux. Et à tous les coups, il y avait de l'alcool autour d'eux. En plus d'être dans leurs organismes à tous les deux, bien entendu. « Moi qui pensais qu'le fait de moins se voir allait ranimer la flamme entre nous. » Il rétorque avec une pointe d'ironie amusée, Wesley. Parce que la réaction de son ami l'amuse plus qu'autre chose. Bien plus qu'elle ne risque de le vexer, donc. En revanche, c'est l'autre qui pourrait être vexé si Wesley fait mine de ne pas tout de suite comprendre qu'il est question de Madonna, quand il parle de "sa queen". C'est évident parce qu'il le connaît par cœur ou presque. Lennox est d'ailleurs en train d'en rajouter autant de couches que possible. Comme à chaque fois qu'il est question de cette chanteuse, il s'emballe et s'affole au point de pouvoir en parler pendant des heures. « D'accord ... Je ne vais rien dire pour ne pas prendre le risque de te vexer. » Mais il n'en pense pas moins, Wesley. Il peine à comprendre que l'on puisse vénérer à ce point un autre être humain. Justement parce que ce n'est "qu'un être humain". Mais s'il fait une telle remarque, Lennox pourrait bien défaillir sur place. Ce n’est pas le but recherché, alors il va éviter. Ils commencent à peine leur soirée, ce serait dommage de la terminer de cette façon et aussi rapidement ! Et comme toujours avec Lennox, la conversation dérive très vite vers autre chose. Les odeurs. Dont le parfum de pamplemousse que la fille avec laquelle il flirtait avant l’arrivée de son ami dégageait. Sans difficulté, il arrache un autre rire au tatoueur. « Les tapis de gym sentaient les pieds ... » Juste par principe, il est quand même obligé de le lui rappeler ça ...

Les cigarettes balancées au loin, les deux amis entrent enfin dans le bar. Et Wesley ne peut qu'échapper un certain soupir de soulagement quand l'autre les dirige vers une banquette relativement éloignée du bar. Voilà qui est bien plus à propos pour lui qui lutte contre son alcoolisme depuis quelques mois déjà. Il n'a pas encore fauté une seule fois et il a forcément très envie de croire que ça ne lui arrivera pas. Ce qui est sans doute très naïf de sa part, mais il a envie et besoin de cette petite lueur d'espoir et de cette confiance en lui-même pour pouvoir se battre au mieux. En se faisant croire qu'il a tout ce qu'il faut pour lutter et aller au bout de cette lutte. Ils s'installent face à face sur la banquette qui entoure la petite table à peine nettoyée et, dans la foulée, une serveuse débarque pour prendre leur commande. Sans surprise, Lennox prend de l'alcool. Wesley, lui, demande une boisson énergisante. C'est la meilleure alternative qu'il a trouvée pour aller au bout de certaines soirées sans pour ça boire la moindre goutte d'alcool. « Moi ? La cannelle et l'amande. » La première odeur parce qu'elle lui inspire l'automne et l'hiver qui sont ses saisons préférées. La seconde, parce qu'il trouve les gels douche féminins au parfum d'amande, terriblement plaisants. Pour lui, sur une peau féminine, il n'y a même rien de mieux que ça. « Tu parles de l'attente de notre commande ou de ma sobriété ? » Qu'il choisit de s'amuser. « A la première question, je dirais tout au plus deux minutes. A la seconde, ça fait plus de 120 jours. » Ce qui fait quatre mois. Un tiers d'année. C'est long et court à la fois. C’est déjà beaucoup plus qu’il ne pensait tenir quand il a commencé.

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