falling down broke, holding one hope
Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

La date est inscrite dans l'agenda commun, depuis longtemps, depuis des années même. Il n'en a de toute façon pas besoin pour la connaître par cœur. Le 1er novembre 2014, c'était un samedi, ils se sont dits oui, ils se sont promis pour la vie. Le plus beau jour de leur vie, c'est ce qu'on dit aux mariés, c'était en tout cas l'un d'eux pour Oscar. Heureusement, il y en avait eu d'autres ensuite, avant le silence. Avant qu'ils ne deviennent ce couple de menteurs. À la vision de l'agenda, son cœur palpite, la peur qui le ronge, qui n'a fait que décupler depuis cette soirée, il y a une semaine. Une partie de lui pensait que les choses allaient changer, que cette bribe de conversation pourrait donner l'impulsion à Elisa de partir, de le quitter. Mais non, ce n'est pas le cas. Rien n'avait changé, et ensuite, il était parti en conférence pendant quelques jours, de quoi souffler un peu pour tous les deux. Et pendant tout ce temps, il n'avait pensé qu'à cette date qui approchait. 
 
L'année précédente, ils s'étaient contentés d'une sortie au restaurant, avaient convié des amis pour se forcer à faire bonne figure. À l'époque, les choses commençaient à devenir vraiment compliquées, mais ce n'était encore rien à côté de ce qu'ils vivaient aujourd'hui. Dans son for intérieur, il s'était persuadé que ne rien faire était peut-être mieux, prétendre à avoir oublié la date, l'idée même qu'elle puisse refuser de passer une soirée avec lui, lui étant insupportable. Puis il y avait eu l'incident Midas. Son cœur qui s'était retourné, cette annonce de la mort de son frère qui s'était avérée n'être qu'une fake news. Depuis, son cerveau était à l'envers, et toutes ses pensées toutes ses actions étaient passé au peigne fin. Et il en était venu à la conclusion qu'il était temps peut-être de faire tout l'inverse de ce qu'il prévoyait, d'arrêter d'écouter son instinct qui l'avait finalement mené à cette situation catastrophique. Alors son cerveau était rentré en ébullition, se demandant comme il pouvait faire de cette journée quelque chose de spécial, comme il pouvait convaincre sa femme de lui accorder quelques heures. 

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Il a acheté des fleurs, puis s'est ravisé, a voulu les ramener en se disant que c'était too much, mais le fleuriste ne les a pas reprises. Alors, plutôt que de le lui offrir, il les a mis dans un vase et disposées sur l'îlot central de la cuisine. Puis il s’est changé, a mis un pantalon en lin et un t-shirt assez basique. Parce qu'il sait que c’est comme ça qu’elle l’aime. Simple mais chic, Eli, le mode costard, ça n’a jamais été pour elle. Puis il l’attend, il espère qu’elle ne va pas fuir la maison aujourd’hui parce qu’il ne lui a pas demandé de rentrer, parce qu’elle ne sait rien. En attendant, il reste dans la cuisine à regarder le temps passer, l’angoisse qui monte en lui. C’est rare de ne rien faire pour Oscar, rare de rester à attendre, et pourtant, il le fait. Quand la porte de l’entrée claque, il relève la tête, le soulagement de la voir venir et le stress qui se mélange en une fraction de seconde. « Salut… Eli. » Il la retrouve dans le hall, le regard d'Eli qui semble perplexe quand il se pose sûr lui . Oscar est mal à l’aise, comme un adolescent qui inviterait une fille à sortir pour la première fois. « Est-ce que tu veux bien aller te changer ? J’aimerais t’emmener quelque part. » Il se gratte un peu la gorge, le regard de la blonde toujours interdit sur lui. Il ne peut pas croire qu’elle a oublié la date, peut-être simplement qu’elle a imaginé qu’il ferait l’autruche. Il ne peut pas lui en vouloir, c’est d’ailleurs une pensée qui lui a traversé l’esprit. 
 
« Écoute, je… Je sais que tu n’as probablement pas envie de passer cette soirée avec moi, pas envie de faux-semblants. Et il n’est pas question de jouer les couples parfaits ce soir. » Ils ont assez donné. « Mais ça fait 10 ans aujourd’hui, Eli et… Il y a dix ans, on s’est fait certaines promesses. Je n'ai peut-être pas été bon pour toutes les tenir, mais je ne veux pas passer cette soirée sans toi, je ne veux pas faire semblant de ne pas savoir quel jour on est. » Évidemment, il parle pour lui, il ne peut que lui dire ce qu’il vit, sans savoir si elle pourra accéder à sa demande. Si elle aura elle aussi la force de lui tendre la main. Il sait que rien n’est moins sûr. « C’est juste pour toi et moi… » Pas de public. Même s'il n'est pas sûr que ça soit un argument en sa faveur. Il ne devrait probablement pas insister autant sur ce point, mais il est primordial pour lui. Parce qu’elle le lui a dit, il n’a pas su la rendre heureuse, il lui a offert une vie de misère… Et d’une manière ou d’une autre, il voudrait pouvoir défaire le passé et être meilleur, pas pour son statut social, mais parce que même s’il ne sait pas le montrer, elle reste la chose la plus précieuse qu'il n'ait jamais eue.

Elle ne s'attendait à rien en franchissant la porte de sa demeure ce soir. Pourquoi est-ce qu’elle se serait attendu à quelque chose de différent ce soir ? Les soirées sont les mêmes depuis des mois. Elles n'ont pas tellement changé ces derniers jours non plus. Sans doute que le couple préfère s’éviter sans quoi ils seront contraint de poursuivre une conversation qu'ils ne désirent pas. Elisa n’a aucunement réfléchi à la date d’aujourd'hui. Il y a longtemps que le temps s’écoule sans qu’elle n'y prête vraiment attention. C’est presque comme si elle était figée dans le temps tellement les jours se suivent et se ressemblent. Difficile de dire dans quel état émotionnel elle se trouve lorsqu’elle referme la porte derrière elle. Elle ne se sent pas particulièrement mal, pas bien non plus. Elle ne ressent rien, et c’est bien plus perturbant que quoique ce soit d’autre. Son émotion neutre tourne toutefois à la surprise lorsqu’elle voit Oscar sous ses yeux en quelques secondes à peine. Comme s’il attendait sa venu, ce qui est complètement idiot comme suposition. « Salut… Eli. » - «Salut » Qu’est-ce qu’il lui veut ? Elle ne comprend pas trop ce qui est en train de se passer sous ses yeux. Elle est tenté de lui dire d’aller droit au but tellement elle n’a pas si envie de découvrir le fond de ses pensées. La seule chose qui le retient de lui dire c’est la peur qu’il reprenne la conversation là où ils l’ont laissée il y a déjà quelques jours. Son cerveau s’active déjà à lui sortir une liste de défaite pour éviter le sujet d’ailleurs. « Est-ce que tu veux bien aller te changer ? J’aimerais t’emmener quelque part. » Oscar n’est que de surprise en surprise ces derniers temps dit donc. Elisa n’est pas certaine de comprendre ce qu’il veut dire. Elle est pourtant certaine de ne pas avoir oublié un événement important pour lui. Son cerveau lui joue tellement défaut ces temps-ci que ce ne serait pas surprenant pourtant. « Quoi ? Mais, je… tu l'as pas mis à l'agenda. » Elle est à deux doigts de sortir ce fameux agenda sous son nez pour lui prouver ce qu’elle avance. Déjà qu’elle tolère de moins en moins ce genre de soirée, elle a du mal à encaisser qu’il lui annonce ainsi, à la dernière minute. « Écoute, je… Je sais que tu n’as probablement pas envie de passer cette soirée avec moi, pas envie de faux-semblants. Et il n’est pas question de jouer les couples parfaits ce soir. » Non, effectivement, elle n’en a pas particulièrement envie. Ni ce soir, ni jamais, mais elle le fait quand même et elle le fera encore. « J’comprend pas… » C’est tout ce qu’elle réussit à balbutier alors qu’elle tente de faire un raisonnement dans sa tête. Elle n’y arrive pas. Est-ce le résultat de leur dernière conversation ? Il fait un effort, mais elle n’est pas encore prête à accepter cet effort. Ou alors, c’est parce qu’il arrive trop tard. « Mais ça fait 10 ans aujourd’hui, Eli et… Il y a dix ans, on s’est fait certaines promesses. Je n'ai peut-être pas été bon pour toutes les tenir, mais je ne veux pas passer cette soirée sans toi, je ne veux pas faire semblant de ne pas savoir quel jour on est. » Elle le fixe pendant quelques secondes silencieusement. Elle a écrit la date d’aujourd’hui un nombre incalculable de fois pendant la journée et jamais elle n’a fait allusion à son mariage. Elle se sent presque coupable maintenant qu’il lui étale les faits sous le nez. Son subconscient n’avait sans doute pas envie de s’en souvenir. Il n’y voyait pas l’intérêt. « C’est juste pour toi et moi… » Juste elle et lui. Elle ne sait que lui répondre. Elle se sentirait autant mal de refuser son offre que de se l’imposer simplement pour lui faire plaisir. « J’suis pas certaine d'en avoir envie. » qu’elle lui avoue bien honnêtement. Il a beau lui promettre une soirée sans faux-semblant, elle sait qu’il y en aura quand même de sa part. Elle voudra lui faire plaisir, faire semblant que ces efforts ne sont pas vains. Elle réfléchit quelques instants. « Qu’est-ce que j’devrais mettre ? » qu’elle lui demande par la suite comme si elle voulait tenter de deviner l’idée qu’il a derrière la tête sans pour autant gâcher la surprise. Il est parfaitement bien placé pour savoir que c’est le genre de surprise qui lui a toujours fait plaisir. Elisa a toujours aimé les surprises et les attentions quelle qu’elle soit. Alors, oui, il reste une petite partie d’elle qui a envie de savoir ce qu'il mijote, mais il y a aussi l’autre partie d’elle qui voit tout ceci comme une corvée.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

« Quoi ? Mais, je… Tu ne l'as pas mis à l'agenda. » Il plisse un peu les yeux, tout d’abord dans l’incompréhension, mais doit se faire à l’évidence. Voilà ce qu’est devenu leur couple aujourd’hui, un agenda commun duquel rien ne doit dépasser, pas même leur anniversaire de mariage. Pourtant, à la deuxième intervention d’Elisa, un doute commence réellement à planer. « Je ne comprends pas… » Entre son regard et ses mots, il semble maintenant évident pour Oscar qu’elle n’a aucune idée de la date. Ou plus précisément, qu’elle ne se souvient même pas de leur date de mariage. Cette révélation intérieure lui fait l’effet d’une bombe, explosant dans son antre et détruisant tout sur son passage. Il comprend qu’il est peut-être trop tard pour sauver leur couple, qu’alors qu’il y pense depuis des semaines, elle n’y a même pas pensé une fois. Il n’est plus dans sa tête, plus dans sa vie, plus qu’une silhouette qui rôde dans la même maison qu’elle. Peut-être que certaines choses ne sont pas rattrapables. 
 
Pourtant, il expose tout de même la situation, il voudrait la supplier parce qu’il a trop peur qu’elle refuse, mais sait que ça ne servirait à rien, que si elle vient à contrecœur, alors il a tout perdu. Peut-être que c’est déjà le cas d’ailleurs puisqu’elle semble hésitante. « Je ne suis pas certaine d’en avoir envie. » Les mots le blessent si fort qu’il lui semble qu’il tangue presque, ferme les yeux une seconde pour accueillir le coup. Il comprend qu’il est seul aujourd’hui, seul à vouloir sauver son couple. Qu’Eli a jeté l’éponge sans doute, décidé qu’il était le seul coupable de tous ces maux, qu’elle ne pourrait ni le pardonner, ni reconstruire quoi que ce soit avec lui. Est-ce que c’est ce soir que la relation finie? 10 ans, ce n’est pas si mal, il essaie de s’en convaincre. Parce qu’il le sait, si elle ne vient pas ce soir, il n’y aura pas de onzième année. Même s’il est incapable de la quitter, même s’il ne pourra jamais lui dire stop, il sent que tous les deux disparaissent et que leur couple ne vivra pas une année de plus comme ça. 
 
Il ne lui répond pas pourtant, ne supplie pas, ne donne pas plus d’arguments en sa faveur. Il garde juste son regard sur elle, son regard qui a toujours cette lueur de triste et ce tout petit espoir… En attente de la réponse définitive qu’il faudra bien qu’elle donne à un moment ou à un autre. « Qu’est-ce que je devrais mettre ? » Un léger sourire revient sur son visage, ce n’est pas vraiment une victoire, mais c’est un pas vers lui. « De quoi être confortable, te sentir bien. » Il n’est pas question de l’emmener dans un restaurant chic ou de lui dérouler le tapis rouge. Il voudrait de la simplicité, il n’y en a plus depuis trop longtemps. « Est-ce que c’est un oui ? » Qu’il ose demander avec une pointe d’espoir. Ne sachant pas comment il devrait réagir si ce n’était pas le cas. 

Elle lui fait du mal. Elle le voit bien. À chaque mot qui sort de sa bouche, elle remarque le visage de son époux qui se tord un peu plus de douleur. Elle s'en veut. Bien sûr, qu’elle s'en veut d'être la cause de cette douleur qui le paralyse. Elle n'aime pas le voir ainsi et c'est probablement la seule raison pour laquelle elle choisit de ne plus le regarder. Parce que, malheureusement pour lui, elle préfère encore lui briser le cœur que de subir une soirée angoissante de plus. Surtout si ce n'est qu’elle et lui, s’ils n’ont rien à prouver à personne. Elle n’est pas certaine d’avoir envie de passer cette soirée avec lui. Il l’a lui-même supposé et elle n'a pas perdu de temps pour le lui confirmer. Anniversaire de mariage ou pas. Ce n'est pas comme si la dernière année méritait vraiment d'être célébrée. Elle mériterait simplement d'être oubliée, comme celle d'avant d'ailleurs. Par contre, dans leur dix ans de mariage, oui, il y a eu plus de bonne que de mauvaise année. Pour le moment. Le divorce n'a pas encore traversé l'esprit de la blonde. Elle s'est surtout dit qu'ils ajouteraient encore quelques années de malheur au compteur, jusqu'à ce que le pire l'emporte sur le meilleur. Elle voit bien l'effort que fait son mari ce soir. Une bonne soirée ne peut pas éponger le reste. Il finira par arrêter de faire des efforts. Il en aura marre qu’elle n'en fasse pas de son côté et, de nouveau, le silence sera maître de leur quotidien. Elle est morte et enterrée l’Elisa qui voyait le côté positif d’à peu près tout. Elle est maintenant pessimiste et défaitiste. Elle cherche tout de même à découvrir ce qu'il a derrière la tête et, aussitôt, elle peut voir la lueur d'espoir sur le visage d’Oscar. Ce n'est pas un oui. Pas encore. « De quoi être confortable, te sentir bien. » Se sentir bien. Peu de chance que ça lui arrive ce soir. Enfiler quelque chose de confortable, oui, ça, elle peut le faire. Son cerveau tourne à plein régime. Elle n'a absolument aucune idée d’où il veut l’amener. Ça la rend aussi curieuse que angoissée. « Est-ce que c’est un oui ? » qu’il lui demande directement, cherchant à découvrir le fond de ses pensées. Elle doit prendre une décision et elle s'en sent incapable. « Je sais pas. » Ça ne fait pas partie des réponses qu’elle était autorisée à donner, mais c'est quand même celle qu’elle lui offre. Elle l’abandonne sans un mot de plus. Elle file directement dans leur chambre, s’y enferme. Difficile de dire combien de temps elle est restée simplement assise au pied du lit, les yeux fermés, à repasser le pour et le contre de cette sortie. Elle se sent complètement idiote. Plus elle y réfléchit, plus ça lui donne la nausée.

Ne pas réfléchir. Juste agir.

Elle se lève d'un seul bond. Elle fouille dans sa penderie pendant quelques instants. Confortable, il a dit. Ils seront dehors ou à l'intérieur ? Aucune idée. Elle attrape d’abord une paire de legging avant de se raviser. Non, non, trop mou, pas assez… pas assez quoi ? Elle se soucie vraiment de ce qu’il va penser de son apparence ? Faut croire, oui. Elle enfile finalement des jeans, ses préférés, ceux dans lesquels elle est bien, confortable. Elle est d'ailleurs déçue de voir qu'ils ne lui font plus aussi bien qu’avant. Ils ne tombent plus aussi bien sur sa silhouette. Elle enfile ensuite un t-shirt, puis une veste au cas où. Elle a envie d'agrémenter le tout d’une jolie paire de chaussure, mais, non, ça n'irait pas avec le confortable qu'il a demandé. Elle met donc les baskets qu’elle a depuis bien trop longtemps. Ses cheveux sont horribles, selon elle, elle n'a pas le temps de faire autre chose qu’une queue de cheval. Elle l'a déjà fait bien assez attendre comme ça.

« Ça va comme ça ? » qu’elle lui demande lorsqu’elle retourne dans la même pièce que lui. Il a sûrement cru qu’elle ne reviendrait pas, que son je sais pas était un non qu’elle n’était pas capable de dire à voix haute. Et peut-être que c'est le cas, mais elle est quand même là devant lui. « Tu me pardonnes d’avoir oublié ? » qu’elle ajoute par la suite, comme si elle avait besoin de partir la soirée sur une bonne base tout en sachant que ce n'était pas suffisant. Dans tous les couples normaux, la femme se plaint que le mari ait oublié leur anniversaire. Pas l'inverse.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

L’attente lui semble insoutenable, le silence qu’elle lui offre comme seule réponse, qui fait écho aux années qui viennent de s’écouler. Il réalise qu’il n’en peut plus, il n’en peut plus du silence et de la culpabilité. Oscar a besoin de sortir de tout ça, d’écrire une nouvelle page. Pour ça, il a besoin d’elle. « Je ne sais pas. » Il reste figé devant cette réponse alors qu’elle lui tourne déjà le dos. Son souffle semble s’accélérer un peu, sa poitrine se levant pour tenter de faire rentrer l’air, et ne pas succomber à l’angoisse qui le ronge maintenant tout entier. Elle ne s’est pas rappelé de la date, elle s’en fiche, elle ne veut pas de cette soirée avec lui. L’idée même de se retrouver en tête-à-tête la fait fuir aujourd’hui. Il n’est pas sûr de pouvoir imaginer la suite de sa vie de cette façon, pas sûr de pouvoir tenir ses engagements de fidélité et de présence… Pour la première fois depuis 10 ans, il lui semble que la réaction d’Elisa le fait douter. Pas que de lui, mais d’eux, de leur capacité à passer au-dessus. Jusque-là, il y croyait, il se persuadait que cette mauvaise passe aurait une fin. Mais sans elle, il ne pourra pas le faire. 
 
Il se retrouve seul à nouveau, pour l’occasion un de ses amis a pris son chien. Il n’a même pas Charly pour se replier. Oscar erre un instant, il fait quelques allers-retours dans le salon, se demande s’il doit aller la retrouver. S'il doit en faire plus pour la convaincre. Mais Elisa semble vide face à lui, et il n’est plus sûr d’avoir la force d’être confronté à ça. Il finit par retourner dans la cuisine, se prend la tête entre les mains. Tentant désespérément de calmer son palpitant, qui semble vouloir lui déchirer la poitrine. De grandes inspirations, il bloque toute émotion, toute pensée pour se concentrer sur sa respiration. Il lui semble qu’il lui faut une éternité pour se calmer, pour reprendre le dessus. Il ouvre alors le frigo, regarde un instant son travail de la journée, se demandant ce qu’il doit faire de ça maintenant. « Ça va comme ça ? » La voix d’Elisa le fait sursauter, il se retourne d’un coup. La regarde de haut en bas, incapable de comprendre ce qu’elle attend de lui. Il n’ose pas lui redemander si elle l’accompagnera de peur d’avoir un vrai refus cette fois. « Tu es parfaite. » Elle l’est toujours, bien qu’elle ait perdu du poids et qu’elle semble toujours fatiguée aujourd’hui. Elle n’a pas totalement perdu sa flamme. 
 
« Tu me pardonnes d’avoir oublié ? » Un sourire triste se fige sur le visage d’Oscar alors qu’il se retourne pour embarquer le sac qu’il a préparé dans le frigo. « Bien sûr … ce n'est rien. » C'est faux, l’aveu le blesse, lui confirme qu’il a vu juste. Il a l’impression de se fermer à nouveau, mais tente de se reprendre. C’est lui qui a voulu cette soirée. Il ne compte pas la gâcher avec ses états d’âmes. « On peut y aller, le reste est dans la voiture. » Il lui emboîte le pas, tenant la porte pour qu’elle passe. Espérant qu’elle ne fasse pas demi-tour au dernier moment. Mais non, elle s’installe dans la voiture et le laisse conduire. Ils échangent peu de mots sur le trajet qui n’est heureusement pas si long. « Ce n’est pas loin, on va arriver. » Il se demande si elle reconnaît la route, l’endroit. Finalement, en tournant son regard vers elle, il lui semble qu’elle a compris. 
 
Il l’amène là où tout a commencé, sur leur sommet du monde personnel. La voiture s’arrête sur le parking et il ose enfin lui jeter un regard. « Ça fait longtemps. » Longtemps, qu’ils de sont pas revenus au Kangoro Point, le point le plus haut de Brisbane, l'endroit qui leur offre la vue la plus époustouflante sur la ville, dans un écrin de verdure. C’est ici même qu’il l’a invitée pour la première fois à sortir, qu’ils ont échangé leur premier baiser, les premiers contacts entre leurs deux corps. Pendant des années, ils sont revenus souvent, pour un pique-nique ou pour observer les étoiles. Pour être ensemble tout simplement. Ce qu’ils n’ont plus fait depuis si longtemps. « On va s’installer ? » Il cherche encore son accord, sort de la voiture avec le panier pique-nique. Il a passé sa journée à cuisiner, pour que ça lui plaise, pour ne faire que ce qu'elle aime. Il espère la voir manger enfin, à nouveau. Leur spot est libre, comme s’il les attendait. Le soleil qui commence à se coucher sur la ville leur donne une vue imprenable. Ils sont juste à temps pour en profiter. « C’est magnifique. » Son regard vers l’horizon, il n’ose pas le poser sur elle, de peur de voir la déception sur son visage, alors qu'il installe la couverture sur le sol.

« Tu es parfaite. » Elle affiche un mince sourire, sans trop savoir s'il a l'air honnête ou non de l’extérieur. Oscar semble soulagé de la voir revenir. Le soulagement n'est toutefois que de courte durée. Même s'il lui dit : « Bien sûr … ce n'est rien. » , Elisa ne manque pas le voile de tristesse passer furtivement sur son visage. Elle n'est donc pas réellement pardonnée, mais c'est tout-à-fait compréhensible. La vague de remords la prend d'un seul coup. Elle se demande pendant quelques secondes si elle n'aurait pas mieux fait de ne pas revenir, de ne pas laisser la chance à cette soirée de les détruire encore plus. Parce que, oui, même si le brun est rempli de bonne intention ce soir, la possibilité que la soirée ne donne pas l'effet espéré est présente. Bien trop présente au goût d’Elisa. Oscar la coupe de court dans ses pensées en prenant un sac dans le frigo. « On peut y aller, le reste est dans la voiture. » Il lui tient à porte pour qu’elle y passe la première. Il doit sans doute remarquer la seconde d’hésitation qu’elle a avant de lui emboîter le pas.

Elle reste silencieuse dans la voiture. Elle garde son regard fixé vers l’extérieur. Une routine qu’elle ne lâche pas malgré tout. « Ce n’est pas loin, on va arriver. » qu’il lui assure. Elle se soulage de la proximité pour pouvoir être de retour rapidement chez elle si jamais elle change d'avis, ou si ça tourne à la catastrophe. Après quelques minutes seulement, elle voit le paysage qui défile sous ses yeux. Un paysage bien familier. Elle détourne son regard vers lui un instant, leurs regards se croisent, puis elle reporte de nouveau le sien vers l’extérieur. « Ça fait longtemps. » qu’il lui dit alors qu’il stationne la voiture. Elle n'arrive pas trop à dire ce qu’elle ressent face à ce retour vers le passé. Elle pourrait être nostalgique des beaux moments qu'ils y ont vécus, mais elle pourrait aussi regretter que ce soit chose du passé. « On va s’installer ? » Il la regarde, comme s'il avait peur qu’elle rebrousse chemin à tout moment. Elle hoche la tête en guise de réponse. Oui, ils peuvent y aller. Elle suit Oscar alors qu'il leur trouve une place. Leur place. Il n'y a pas beaucoup d'autres personnes ici, mais il y en a quand même. Elisa se sent aussitôt mal à l'aise. Elle n'arrive pas à ne plus faire semblant même avec un si petit auditoire. Elle a l'impression que tout le monde les juge alors que personne ne les remarque. Personne ne sait qu'ils sont un couple brisé. Ils pourraient être n'importe quoi, de simples amis, des cousins, n'importe quoi. Personne ne peut voir l'alliance qui les unis. Et puis, tout le monde est absorbé par leur propre compagnie pour leur accorder le moindrement de l'attention. « C’est magnifique. » La voix de son époux la tire de ses rêveries. Elle reporte son attention devant eux. Le soleil commence doucement à descendre dans le ciel. Et oui, elle ne peut pas nier cela : le spectacle est magnifique. « Oui, c'est très beau. » qu’elle lui répond en lui affichant un magnifique faux sourire dont elle seule à le secret.

Elisa prend place sur la couverture au sol. Elle replie ses jambes contre sa poitrine. Son regard bascule entre le paysage et son époux. Elle se demande quoi dire, que faire. Rien ? Simplement profiter de ce qui se déroule sous leurs yeux ? Peut-être. Elle se pousse un peu plus vers la gauche. Elle réduit l'espace entre eux. Ils ne se touchent pas, mais c'est tout proche. « Merci d’avoir pensé à tout ça. » D’y avoir réfléchi, d’avoir tout préparé sans savoir comment l'idée serait reçue, alors qu’elle, elle n'avait rien fait d'autre que le blesser. Elle est à deux doigts d’encore lui demander pardon, mais se ravise. « Qu’est-ce que tu as préparé ? » qu’elle lui demande ne sachant plus comment alimenter la discussion autrement que par des banalités. Ont-ils encore des choses à se dire ? En ont-ils encore envie ? Toutes des questions auxquelles elle n'a pas envie de connaître les réponses.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

« Oui, c'est très beau. » Elle lui sourit et il sait, Oscar connaît trop bien ce sourire aujourd’hui, il l’a vu à de multiples soirées, il a hanté ses rêves ou plutôt ses cauchemars. C’est un sourire qui ment. Elisa lui ment ce soir, comme elle le fait si bien en public, comme elle est devenue experte pour le faire. Si à une époque elle a sans doute pu le leurrer lui aussi, aujourd’hui, il n’y croit plus. Et pourtant, il fait mine, lui rend ce sourire, tout en sachant qu’elle aussi n’y croira peut-être pas. Exactement ce qu’il pensait pouvoir éviter ce soir, ce cinéma de façade. 
 
Elisa prend place à côté de lui, et pourtant tout son corps semble absent, elle cherche à fuir l’instant, se replie sur elle-même. Une fois de plus, Oscar se dit qu’il ne la reconnaît pas. Qu’il ne sait plus qui est cette femme à côté de lui. Elle réduit un peu l’espace entre eux et il s’en étonne. À son tour, de se figer, à la simple idée que leur corps puisse se toucher et qu’elle ait à nouveau un mouvement de repli. Il est devenu évident aujourd’hui qu’il fuit bien plus les réactions de sa femme que son contact réel. « Merci d’avoir pensé à tout ça. » À cet instant, Oscar n’est plus sûr de mériter les remerciements. Il se donne plutôt l’impression d’un tortionnaire. De la tenir en otage dans ce couple, dans cette soirée. Et son sentiment n’est pas vraiment meilleur, il sent une pression malsaine et un dégoût de lui-même que lui inspire de plus en plus cette relation. « De rien. » Sa bouche est sèche alors qu’il articule ces quelques mots. 
 
C’est sans doute à lui de combler le silence ce soir, son idée, de venir ici,  sa responsabilité. Mais il laisse pourtant son regard courir le long des courbes de la ville sous la magnifique lumière du soleil. Un instant, il oublie presque les tensions et le stress que lui évoque cette situation et se laisse apaiser par la beauté du lieu. « Qu’est-ce que tu as préparé ? » Un faible sourire sur le visage, il se relève pour attraper le panier. « Pour commencer, je nous ai fait des terrines au saumon, concombre et riccotta. » Il se souvient qu’elle avait aimé ça lors de la soirée chez leur voisine il y a plusieurs mois. « Tania m’a donné la recette. » Tania, la voisine, qui pense qu’ils sont un petit couple heureux et amoureux, Tania qui pas plus tard qu’hier lui a demandé. « Alors à quand les enfants ? » Elle en a quatre, évidemment, elle ne peut pas s’imaginer. « Je nous ai aussi fait un thé maison, j’ai utilisé le thym que tu as fait pousser dans la véranda. » Il relève un regard enthousiaste sur elle. Mais être confronté à la même Eli, évidemment, c’est stupide et totalement présomptueux de penser qu’ils puissent retrouver un semblant de relation pour une soirée, juste parce que c’est leurs dix ans de mariage. Juste parce que, pour une fois, il fait un effort et n’accepte pas simplement leur situation. 
 
« Eli, je…suis désolé. » Pour tellement de choses, et pourtant, ce n’est pas pour tout ça qu’il s’excuse ce soir. « Je pensais bien faire, je voulais… » Il s’arrête un regard sur son panier, pensant à la surprise qu’il aurait voulu partager avec elle plus tard. « Je ne sais pas ce que je voulais, mais je vois que tu n’as pas vraiment envie d’être là. » Qu’est-ce qu’il croyait franchement. On ne rachète pas ses fautes aussi facilement. L’une de ses mains attrapant pourtant le thé froid qu’il hésite à sortir maintenant, se demandant s’il doit proposer de la ramener, mais finalement, ce sont d’autres mots qui sortent de sa bouche. « J’ai cru que mon frère était mort cette semaine. » Il semble essayer de se justifier, d'enfin livrer une petite part de ce qui lui traverse l'esprit. Cette fois, il lui semble voir un réel intérêt dans les yeux de sa femme. Ou alors c’est simplement de l’inquiétude, alors il reprend aussi vite. « Il va bien, c’était juste une nouvelle mensongère. » Il reste stoïque, toujours cette bouteille dans la main. Il y a quelques années, elle aurait été la première à savoir, peut-être même qu’il l’aurait directement appelée en panique. Aujourd’hui, les choses étaient différentes et il était resté plusieurs jours avec cette information, sans même imaginer en discuter avec sa femme. « Mais ça m’a secoué et… » Et il avait cru pouvoir faire bouger les choses, avoir encore une mince chance. Mais il ne fini pas sa phrase qui reste en suspend, parce que les mots semble lui bruler la gorge.  « Tu veux du thé ? » Ou tu veux rentrer ?

« Pour commencer, je nous ai fait des terrines au saumon, concombre et riccotta. Tania m’a donné la recette. » Le changement de sujet semble détendre un peu plus Oscar qui fouille dans son panier avec enthousiasme. Il s'est vraiment donné du mal, est allé jusqu’à en déranger la voisine pour une simple recette - à moins qu'il l'ai fait simplement pour avoir une conversation normale dans sa journée ? « Je nous ai aussi fait un thé maison, j’ai utilisé le thym que tu as fait pousser dans la véranda. » Au moins, il aura servi à quelque chose. Elisa a encore un semblant d'intérêt pour que ses herbes poussent en bonne santé. Elle en a beaucoup moins pour s'en servir et faire quelque chose avec. Elle n'arrive même plus à se souvenir de la dernière fois qu’elle a pris le temps de concocter un vrai repas qui demande plus que de faire bouillir de l'eau et mettre des pâtes à l'intérieur. Elle lui sourit très légèrement alors qu'il lui présente tout ce qu'il a préparé. Il ne doit sans doute pas y croire à ce sourire, puisque l’ambiance change tout d'un coup. « Eli, je…suis désolé. » Ses sourcils se froncent doucement alors qu’elle tente de comprendre ce revirement de situation. La réaction de sa femme le déçoit alors qu'il s'est donné tant de mal à tout préparer ? Oui, c'est sans doute ça le problème. Elle le laisse tout de même poursuivre avant de dire quoique ce soit. « Je pensais bien faire, je voulais… Je ne sais pas ce que je voulais, mais je vois que tu n’as pas vraiment envie d’être là. » Et voilà, la culpabilité la ronge de nouveau. Oscar est malheureux et c'est de sa faute à elle. Il fait des efforts et elle n'en fait aucun. Elle ne se sent même pas capable d’en faire. « Mais si, j'en ai envie. » qu’elle lui dit, qu’elle lui ment pour soulager autant sa conscience que la sienne. Elle est sur le point de complimenter son repas, de se servir pour l’encourager. Un coup la bouche pleine, le silence entre eux sera presque justifié. Oscar reprend la parole, et encore une fois, la discussion prend une tournure inattendue. « J’ai cru que mon frère était mort cette semaine. » - « Quoi ? » Ses yeux s'agrandissent sous la surprise. S'il voulait la faire réagir, oui, c'était bien réussi. Il ne peut pas simplement lui balancer ça sans explication. Il le comprend sûrement par la regard qu’elle lui lance puisqu'il enchaîne : « Il va bien, c’était juste une nouvelle mensongère. » Elle souffle immédiatement de soulagement. Il va bien. Au moins une bonne nouvelle. Elisa se demande toutefois quand est-ce que son époux a “appris” cette fausse nouvelle. Depuis quand est-ce qu'il garde ça pour lui ? Oui, bon, personne n'est réellement mort ni même blessé, mais ce n'est pas le genre d’annonce qui est facile à entendre qu’elle soit vrai ou non. « Mais ça m’a secoué et… » Une mine triste se pose sur son visage alors qu’elle est suspendu à ses lèvres. Et quoi ? Ça l'a secoué. Ça lui a fait réaliser quelque chose. Mais quoi ? « Tu veux du thé ? » Il ne le dira pas. Il gardera tout pour lui encore une fois. Cette fois, c'est elle qui va insister. « Et, quoi ? » Elle a envie de savoir. Elle se persuade même qu’elle en a besoin. Et puis, au travers ce corps qui semble trop souvent éteint, Elisa est toujours là. Elle a toujours ce coeur bien trop grand pour les autres, et pour cet homme à ses côtés. « Ozi… » qu’elle échappe dans un souffle, un murmure pour elle et lui seulement. Elle se tourne un peu plus vers lui et elle vient l’enlacer. Elle le prend dans ses bras, accueille son inquiétude, ses peines, tout ce qu'il veut bien lui offrir là maintenant. « J’suis désolée. » Elle l'est qu'il ne soit plus à l'aise de discuter de ces états d'âme avec elle. Elle est désolée d’avoir réduit leur relation au silence qui les suit sans relâche. Elle a le coeur gros, Elisa, alors qu’elle resserre un peu plus l’étreinte contre lui.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

Finalement, peut-être que le silence n’est pas un si mauvais traitement, il a au moins l’avantage d’être constant, il n’y a ni haut ni bas. Le châtiment reste stable, il peut sans doute mieux le supporter que ce qu’ils sont en train de vivre en ce moment. Que les efforts, les déceptions, les pas en avant pour ensuite reculer. « Mais si, j'en ai envie. » Il fera semblant de la croire, de ne pas voir qu’il lui fait du mal avec cette idée stupide. Oscar a rompu le pacte tacite entre eux, celui qui consiste à ne plus rompre le silence, à ne plus se regarder, à ne plus se voir. C’est étrange cette sensation que c’est en proposant cette sortie qu’il l’a trahi, alors pourtant qu’il y aurait bien d’autres tares à lui reprocher. Celles qui les ont menées à cette situation en premier lieu. 
 
« Quoi ? » Enfin, une réaction qui lui semble vraie qui anime son visage de manière naturelle. « C’était un article sur Internet qui annonçait qu’il était décédé d’une overdose. » Le sang qui n’avait fait qu’un tour, l’impression de perdre pied, il s’en souvient. Il n’aurait pas dû croire, bien sûr, ensuite, il est revenu sur l’article et tout lui a semblé faux. Dans d’autres circonstances, sans doute qu’il n’aurait pas été aussi naïf, ou alors il l’aurait appelée elle, et elle aurait su le raisonner avant qu’il ne parte en furie chez son frère. Au lieu de ça, il était aujourd’hui face à elle, incapable de lui livrer ce qu’il avait ressenti ce jour. Il suffirait pourtant d’être sincère, de ne pas avoir peur. Mais Oscar est terrorisé, il l’a toujours été, et quelque part même, à Elisa, il n’a jamais su tout livrer. Des non-dits qui, à force d’exister dans les deux sens, ont fini par creuser leur amour. 
 
« Et, quoi ? » Il tourne enfin le regard vers sa femme, surpris de la voir rebondir. De ne pas lui infliger le silence une fois de plus. « Et… » Sa voix se brise, incapable d’en dire plus, de passer au-dessus de ses peurs. Il est faible, une fois encore. Est-ce que leur relation est vraiment vouée à continuer de la sorte, à se décevoir l’un l’autre ? « Ozi… » Ce surnom dans sa bouche est comme une caresse, il vient cueillir ses émotions, lui rappelle qu’elle est toujours sa femme, la seule à oser lui donner un surnom aussi ridicule et pourtant si tendre, la seule pour qui il devrait se battre. Rien que pour ce mot, il voudrait la remercier. Mais le geste d’Elisa lui enlève l’opportunité même de réfléchir, il sent ses bras qui l'entourent dans une étreinte douce et chaleureuse, son corps à nouveau si proche du sien. La peau qui semble le piquer sur chaque parcelle en contact avec sa femme, le rendant d’abord statique. Avant que fin, il ose lui aussi la serrer contre lui, passer ses bras autour de sa taille aujourd'hui trop fine. « Je suis désolée. » Il ne sait pas pourquoi elle s’excuse, mais ne demandera pas d'explication, de peur de mettre fin à cet aparté. Quand elle resserre son étreinte, il se perd dans cette dernière, se laissant le droit d’enfouir la tête au creux de son cou. Il ne se permettra rien de plus, profite juste de ce moment suspendu. Il étire les minutes, voudrait que cet instant ne finisse pas, parce qu’il n’est pas sûr de ce qui l’attend après. L’émotion est vive pour lui, elle l’attrape au ventre, humidifiant un peu ses yeux. Le forçant à garder un certain contrôle pour ne pas céder.  
 
Quand finalement elle se détache de lui, il ose placé une main dans sa nuque, poser quelque instant son front contre le sien pour lui murmurer un : « Merci. » avant que l’étreinte ne s’achève. Ensuite il se sent un peu embarrassé, comme s’il venait d’enlacer une parfaite inconnue. Une étreinte ne changera pas tout, ne suffira pas. Mais c’est un début. Il devrait l’agrémenter de mots. Ceux qu’elle a réclamés il y a plusieurs minutes, mais rien ne vient, et bien qu’il se maudisse intérieurement, il en est tout bonnement incapable. Après plusieurs secondes de silence, les yeux sur l’horizon, il attrape à nouveau sa bouteille de thé. Il semble prêt à passer à autre chose, à reprendre le cours de la soirée qui c'est arrêté au service du thé. Comme si de rien n’était. Pourtant, il ne le fait pas, quelques secondes passent encore où il fait tourner sa bouteille dans ses mains, puis, sans oser la regarder, il finit par lui poser une question. Celle qui le tracasse depuis des jours, qui ne quitte jamais son esprit depuis qu’elle en a parlé. « Tu le pensais vraiment ? » Il déglutit péniblement, prenant tout de même son courage pour se tourner vers elle et continuer. « Que tu ne pourras jamais me pardonner ? » Son regard n’est plus triste cette fois, il ne veut pas qu’elle lui mente par pitié, ils l’ont trop souvent fait. Il a juste envie de savoir, besoin même. Parce que les mots exprimés ce soir-là étaient trop lourds de sens et qu’il n’a pas su poser les questions. Celles qui lui font presque ici peur que de se livrer tout entière.

Elisa attend la suite. Elle reste silencieuse. Elle a peur qu’une parole, un mouvement brise sa lancée de s’ouvrir à elle. Mais même si elle a jusqu'à cessé de respirer, il rebrousse chemin tout seul. Il relance une banalité. Elle est déçue, mais insiste tout de même. Comme si la suite de ses paroles était nécessaire pour la suite, pour leur survie. « Et… » La voix d’Oscar se brise et ça lui prend directement au coeur. Il ne lui en faut pas plus pour venir le prendre délicatement entre ses bras. Elle le sent d'abord hésitant, comme s'il n'était pas certain que cette étreinte soit réelle ou alors il est terrifié qu’elle se termine s'il fait un faux mouvement. Doucement, tout doucement, elle sent les bras d’Oscar entourer sa taille. À la seconde où elle le resserre contre elle, elle le sent qui s’abandonne complètement à elle. Sa tête vient se nicher au creux de son cou. La main d’Elisa se pose à la base de sa nuque. Elle n'a qu’une seule envie : le couvrir de mots doux, le rassurer. Elle voudrait pouvoir absorber toute sa peine. Elle est bien consciente qu'elle est sans doute la première cause à sa douleur. Elle peut encaisser sa douleur en plus de la sienne. C'est bien loin d'être un moment heureux qu'ils partagent à l'instant présent. C'est même tout le contraire. C'est quand même le plus beau moment qu'ils ont partagé depuis bien trop longtemps. Elle préfère cent fois mieux le voir se mettre à nu ainsi que d’avoir passé la journée à préparer un picnic. « Merci. » qu’il lui murmure alors qu'ils s’éloignent légèrement pour venir poser son front contre le sien. Elle sent sa chaleur contre sa nuque. Elle se surprend elle-même à apprécier le contact. Peut-être que tout n'est pas mort à l'intérieur d'elle finalement. La main d’Elisa passe de sa nuque à sa joue. Elle y glisse délicatement son pouce sur celui-ci. Pendant une seconde, elle se surprend même à espérer qu'il l'embrasse. Comme il y a treize ans, alors qu’il l'embrassait ici-même pour la première. Elle se sent exactement pareil : nerveuse, mais excitée, impatiente même. Sauf qu’aujourd'hui, il ne franchit pas la limite. Il n'a plus l'impression d'y avoir droit. Elle a l'impression de se prendre un douche froide quand il la relâche, quand il repart avec toute sa chaleur. Elle est la seule à blâmer pour tout ceci.

Elisa est déboussolée. Elle a du mal à reprendre contenance. Elle se soulage de voir qu'il a reposé son regard vers l'horizon, qu'il ne remarque pas qu’elle est déstabilisée. Doucement, elle reprend elle aussi sa position initiale : elle se recroqueville sur elle-même. Elle n'est plus certaine d'avoir envie de rester ici et faire comme si cette brèche dans le temps n'avait jamais existé. Mais elle n'en dit rien. Elle ne le dira pas non plus même s'il lui demande de nouveau. Elle laisse Oscar reprendre le cours de la soirée. Il va leur servir leur thé et ils pourront profiter du silence. Voilà comment va se dérouler le reste de la soirée. « Tu le pensais vraiment ? » Ou pas. Elisa tourne la tête vers lui. Elle se questionne à savoir quelle partie de la conversation il remet sur le tapis. « Que tu ne pourras jamais me pardonner ? » C'est bien la dernière chose qu’elle s’attendait comme réponse. Elle est prise de court. Il peut facilement le voir dans son visage. Elle évite aussitôt son regard qu’elle sent lourd sur elle. Il demande une réponse. Il en exige un. Elle pourrait faire comme lui et simplement ignorer la question. Elle est presque certaine qu'il n’insisterait pas. Et puis, ne pas y répondre, c'est exactement lui répondre. Elle a aussi envie de lui dire qu'il va gâcher la soirée, puis se ravise en se disant qu’elle est gâchée depuis longtemps. « Oui. » Elle n’ose même pas le regarder quand elle lui balance la vérité qui fait mal. Oui, elle le pensait réellement. Oui, elle le pense encore aujourd'hui. Elle est longue la liste des choses qu’elle lui reproche, celle dont elle ignore si elle pourra lui pardonner un jour. Est-ce que c'est encore ainsi qu’elle se sentira dans un avenir rapproché? ou lointain même ? Elle ne saurait dire. Elle peut simplement dire comment elle se sent là, aujourd'hui. « C’est toujours plus facile de mettre la faute sur l'autre. » qu’elle poursuit. Elle fixe le bout de ses orteils pendant quelques instants avant de tourner la tête vers Oscar. « Je m’en veux à moi aussi. Je… j’me déteste à chaque fois que je vois à quel point tu es malheureux. » Elle l'a pensé des milliers de fois, mais le dire à voix haute… ça sonne encore pire. Elle avale difficilement sa salive et les émotions qui viennent avec. « Et je suis trop égoïste pour te dire que c'est sans moi que tu ne le seras plus. » Elle lui dit quand même. Elle lui laisse comprendre qu’elle comprendrait qu'il le fasse même si ça l’achèverait sans doute. « Parce que je t’aime toujours. » qu’elle ajoute comme argument ultime. La raison qui fait qu'elle est encore là. Est-ce suffisant pour lui aussi ?

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

Oscar a besoin de savoir, il ne peut plus rester avec cette question dans l’esprit. Il lui semble évident que si la réponse est oui, que si Elisa a fermé son cœur au pardon, alors les possibilités de retrouver son couple s’envolent. Alors quand les mots d’Elisa brisent le silence, son cœur se serre instantanément. « Oui. » Il devrait la remercier pour sa sincérité, sans doute, c’est ce qu’il attendait d'elle. Mais d’un coup, ses espoirs semblent réduits à néant. « D'accord. » Il est obligé d'accepter, mais se dit qu'ils ne pourront pas faire ça, continuer une vie de rancune silencieuse ou non. « C’est toujours plus facile de mettre la faute sur l’autre. » Est-ce que les mots sont supposés le soulager ? Il n’en sait trop rien, ça n’est pas le cas. Il se dit que lui, ne la considère pas comme seule fautive, il sait qu’il a pris part à la dégringolade de leur couple, sans doute même plus qu’elle. Mais la distance qu’elle a initiée dans leur couple, ce n’est pas lui qui en est à l’origine. Quelque part, il s’est persuadé qu’il aurait pu se suffire d’elle, de leur couple, sans jamais avoir cette enfant tant désirée. Mais pas elle, il ne lui a pas donné ce qu’elle attendait, et elle lui a fermé l’accès à son cœur. 
 
« Je m’en veux à moi aussi.  Je… Je me déteste à chaque fois que je vois à quel point tu es malheureux. » Il voudrait pouvoir la contredire, mais aucun mot ne sort, cette fois pas par pudeur, mais parce qu’il ne veut pas lui mentir. « Eli… je n’ai jamais voulu ça… » Est-ce que c’est ça pour tout le monde, est-ce que tout se rendre malheureux, mais incapable de se quitter ? « Et je suis trop égoïste pour te dire que c'est sans moi que tu ne le seras plus. » Il relève le regard vers elle cette fois, près à la défendre des mots bien trop durs qu’elle utilise pour se qualifier, mais c’est elle qui reprend la parole, et pour une fois qu’elle lui parle, il ne compte pas la couper. « Parce que je t’aime toujours. » La boule dans sa gorge grossit un peu plus, alors pourtant que ses épaules semblent se relâcher à ces mots. Ceux qu’il n’a plus entendus depuis si longtemps. Souvent, il s’est demandé si elle l’aimait encore, il n’avait jamais la réponse. Cette fois, c’est lui qui ose un contact, sa main qui vient chercher celle de la blonde, un peu timidement. Comme pour lui dire qu’il est là, alors pourtant qu’à nouveau, il ne se regarde pas. Alors que les mots restent une fois de plus coincés dans sa gorge, bloqués par l’émotion. Alors, par ce contact, il veut lui dire qu’il est là, il serre un peu plus fort, comme pour lui demander de lui laisser un peu de temps, parce que pour elle, pour eux, il ne veut pas que la conversation s’arrête ici. 
 
Un soupir un peu plus fort quitte ses lèvres pour se donner la force de répondre. « Je suis tout aussi égoïste. Parce que je ne crois pas que je peux vivre sans toi, Eli… Et surtout, je ne le veux pas, je ne l’ai jamais voulu. Alors je te garde dans cette maison, dans ce mariage… » Même si parfois l’idée d’en partir avait osée se former dans son esprit, ces derniers mois. Avec Eli, il a connu l’amour comme avec personne d’autre, il a grandi avec elle ses treize dernières années. Elle est la seule personne pour qui il pourrait tout donner, ça n’a pas totalement changé. « Mais cette relation, c’est… pas nous. » Pourtant, c’est ce qu’ils sont devenus. « Je ne sais plus comment… » Il cherche les mots, continue à avoir peur de mal faire. « … te parler. » Les silences ont pris trop de place, et chaque mot semble aujourd’hui pouvoir être analysé et retourné contre lui. Envahit à nouveau pas l’émotion, il se reprend alors. La soirée est encore longue et il n’est pas sûr de pouvoir supporter une telle conversation beaucoup plus longtemps. Sa main quitte celle de sa femme alors qu’il reprend. « On devrait manger. Avant que ça ne se réchauffe trop. » Pas question de la rendre malade avec de la ricotta pas fraîche, ou alors c’est juste une excuse.

« Eli… je n’ai jamais voulu ça… » Elle sait bien que ce n’est pas ce qu’il veut, mais c’est quand même ainsi qu’elle se sent. Peu importe ces intentions, ça ne change en rien le ressenti qu’elle s’impose toute seule. Elle lui livre d’ailleurs une partie d’elle-même, ce qu’elle n’a pas fait depuis longtemps. Elle met des mots sur ce qu’elle ressent alors qu’elle encaisse tout depuis bien trop longtemps. Elle s’ouvre sans trop savoir où toute cette conversation va les mener. Elle lui dit qu’elle l’aime et… il ne dit rien. Il ne la regarde même pas. Il pose sa main délicatement sur la sienne. Il dit toujours rien et ça la rend folle. Elle a envie de le brusquer, mais n’en fait rien. Elle patiente. Elle le voit réfléchir. Elle lui dit qu’elle l’aime et il a besoin de réfléchir à ce qu’il va lui répondre. Honnêtement, c’est sans doute la pire chose qu’il lui ait pas faite dans les derniers mois. Le coeur d’Elisa se brise avant même que le brun poursuivre la discussion. Il aurait été aussi bien de se taire, elle n’a pas envie d’écouter ce qu’il a à dire. « Je suis tout aussi égoïste. Parce que je ne crois pas que je peux vivre sans toi, Eli… Et surtout, je ne le veux pas, je ne l’ai jamais voulu. Alors je te garde dans cette maison, dans ce mariage… » Il le dit comme s’il la tenait prisonnière d’une cage dorée. Elle déteste ça. Mais Elisa, c’est déjà refermé. Elle détestera tout ce qu’il pourra lui dire, que ce soit beau ou non. « Mais cette relation, c’est… pas nous. » Elle retire sa main de la sienne d’un seul coup. De nouveau, elle ne supporte pas qu’il la touche. Elle se demande si elle pourra le supporter de nouveau après tout ceci. Ils ont ouvert une plaie qui n’aurait pas dû être ouverte, qui ne se refermera peut-être pas. Ils auraient mieux fait de rester dans leur horrible silence. Il est bien moins brutal que ce qui est en train de se passer. « Je ne sais plus comment… te parler. Il ne la regarde toujours pas. Il ne lui retourne toujours pas son je t’aime. Il tourne la page comme si de rien n’était. Il retourne à une conversation banale, à sa soirée normale qui est plutôt une soirée merdique. « On devrait manger. Avant que ça ne se réchauffe trop. » Elisa n’en a rien à faire de tout le mal qu’il s’est donné pour préparer ce cadeau empoisonné. C’est sans aucun doute le pire anniversaire de mariage qu’elle a jamais eu. « J’ai pas faim. » qu’elle reprend d’un ton bien plus sec. La dernière fois qu’elle lui a dit exactement les mêmes mots, la soirée s’est très mal terminée. Ce soir, ce ne sera sans doute pas différent. « J’vais rentrer à pied. » qu’elle ajoute en se levant. Elle n’a plus envie d’être ici. Elle ne veut même pas être assise à ses côtés dans la voiture. Elle ne sait même pas combien de temps elle mettra entre ici et chez elle. Elle s’en moque même si ça prend deux heures, elle ne rentrera pas avec lui. « J’ai besoin de prendre l'air. » qu’elle ajoute pour lui couper l’envie de tenter de la raisonnée. Elle lui tourne le dos et s’en va sans même attendre sa réaction. La seule raison pour laquelle elle retournera chez elle ce soir, c’est parce qu’elle n’a nulle part d’autre où aller. Elle a encore trop d’orgueil pour dormir dans son propre bureau qui doit, toutefois, être plus près d’ici que sa maison.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

Au regard qu’elle pose sur lui, il comprend qu’il a fauté à nouveau. Que les mots choisis ne sont pas les bons, qu’il est encore à côté. Elle semble en colère, ou juste distante, froid, à nouveau, il l’a perdu, il le sent. Alors il lui propose de manger, de passer à la suite de la soirée. Blessé une fois de plus, est-ce qu’ils ne savent plus rien faire d’autres ? « J’ai pas faim. » Le ton froid, impersonnel. Le regard glacial. « Je vais rentrer à pied. » Il tourne un regard de surprise vers elle, ne comprend pas. Il refait le cours de la conversation dans sa tête, des mots qu'il a utilisé, tente de comprendre où il a fauté, sans pourtant y arriver. Ce n’est qu’un nouveau constat de ce qu’il était entraîné de lui dire, il ne sait plus comment lui parler. Ne comprend pas ce qu’elle attend de lui. « Quoi mais... »« J’ai besoin de prendre l’air. » Il tente un mouvement pour la retenir, mais elle est déjà loin, le pas trop rapide, le temps qu’il comprenne ce qui est en train de se passer et qu’il se lève à son tour elle a pris plusieurs mètres sur lui. Sous le coup de l’incompréhension, il se prend les pieds dans la nappe, tombe la main dans les verrines. Il ronchonne s’essuie en vitesse avant de partir derrière elle. C’est une mauvaise idée qu’elle rentre à pied, c’est loin. Le chemin passe dans la forêt et la nuit est déjà en train de tomber. Le temps qu’il la rattrape, elle a déjà disparu dans l'un des sentiers de la forêt. « ELI ! » Il crie son nom, sans réponse, n’entend même pas ses bruits de pas. « C’EST DANGEREUX ! SOIT PAS BÊTE. » Toujours aucune réponse en retour. Il s’enfonce un peu plus, mais comprend qu’il l'a perdu. Pas que physiquement, mais peut-être pour de bon cette fois, alors même qu’il avait cru entrevoir un espoir. C’est sans doute ce qui fait le plus mal, sans doute pour ça qu’il préfère le silence. Encore et toujours, ça ne lui arrache pas des larmes de colère et de tristesse, ça ne lui déchire pas le cœur. C’est une souffrance lente et stable, bien plus facile à accepter.
 
Il ne peut pas rentrer chez lui, chez eux. Rester se ronger les sangs en attendant qu’elle revienne. Un regard à l’heure lui dit qu’il a encore le temps. Il passe un magasin s’acheter un short de sport, tout pour ne pas retourner chez lui. Et se rend à la salle de boxe. Là-bas, il sort toute la colère, la tristesse en tapant des points. Il sent la rage alors qu’il se défoule contre un sac, tout ce qu’il ne peut pas sortir. Oscar y passe des heures, veut à tout prix éviter leur demeure. Quand il finit par pousser la porte de la maison, elle n’est pas là. Plusieurs heures ont pourtant passé. Il va jeter un œil dans la chambre, pas de trace d’Eli, fait toutes les pièces pour en venir à la conclusion qu’elle n’est pas rentrée. Un léger vent de panique le prend, mais il le contient. Il se dit qu’elle n’avait sans doute pas envie de rentrer et d’être confrontée à lui à nouveau. Se rend dans son bureau, sort son travail en cours pour s’occuper l’esprit. Pourtant, une heure plus tard, toujours aucune trace d’Elisa ; cette fois, il sent que l’inquiétude le prend. Il l’appelle sur son téléphone, mais évidemment, elle ne répond pas. Recommencer encore, et encore. Finalement, il reprend ses clefs de voiture, fait le chemin qui les a menés a leur spot, en regardant s'il la voit. Rien à nouveau, une ou deux fois, il sort de la voiture, rentre à nouveau dans la forêt. Crie son nom en vain. Un mélange de colère et d’angoisse le saisit.
 
Oscar finit par appeler la police, son inquiétude ne résonne pas chez eux. « Monsieur, après une querelle de couple, elle a juste dû aller chez une amie, elle reviendra demain. » Il n’y croit pas chez quelle amie ? Continue ses recherches, ses appels qui ne finissent pas tomber directement sur la messagerie. Les heures ont passé, il revient à dans cette maison toujours vide, dans le salon, il fait les cent pas, se décide à appeler à nouveau la police, espérant tomber sur une autre personne. La réponse est identique. « Vous ne pouvez pas contacter ses amis ? » Non, il ne peut pas... « Vous ne comprenez pas je... » Son regard se tourne alors que la porte de l’entrée s’ouvre pour faire place à Eli. « Je… oui, c’est bon, elle est rentrée. » Il raccroche sans même laisser le temps à la police de répondre. Son regard et brûlant de colère, bien que son corps semble se détendre dans un souffle de réconfort. « Putain Elisa ! » Il devient toujours vulgaire quand il est angoissé. « T'es devenue complètement folle ? C’est quoi ton problème ? » Partir comme ça dans la forêt, sans rien sur elle, sans donner de nouvelle. « Tu ne peux pas faire des trucs comme ça merde ! J’ai appelé la police, j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose. » Inconsciente, voilà ce qu’elle est. « Tu peux me dire ce qui t’a pris ? » La colère mélangée à la peur fait sauter les verrous en lui, d’un coup, il semble qu’il n’a même plus peur de ses réponses. Il peut vivre dans le silence, mais pas dans l’angoisse. C’est plus qu’il ne peut en supporter

Elle a marché droit devant elle sans s’arrêter. Elle a même accéléré le pas en entendant la voix d’Oscar derrière elle. Non, elle n'a pas l'intention de rentrer avec lui. Il a plutôt intérêt à la laisser partir s'il n'a pas envie qu’elle offre une scène digne de ce nom à toutes les personnes présentes ici ce soir. Elle ne sait même plus combien de temps elle a marché lorsqu’elle arrive en plein milieu du centre-ville. Elle a éteint son téléphone au premier appel d’Oscar. Elle ne veut même plus revoir son prénom s'y afficher. Elle a mal au pied. La nuit est tombée. Elle devrait sans doute juste s'appeler un taxi pour faire les derniers kilomètres qui la séparent de chez elle. En voiture, ce n'est plus très loin. À pied ? Sans doute trop loin. Elle s'en moque. C'est ce qu'elle s'est dit lorsqu'elle a emprunté le premier sentier dans la forêt. C’était idiot. Elle s'en rend bien compte maintenant. L'air frais éclaircit les esprits hm. Elle marche encore un peu, jusqu'à ce qu’elle croise un petit bistro en chemin. Elle ignore quelle heure il est, mais l'endroit semble plein de vie, alors, elle s'y arrête. Elle n'est pas encore prête à rentrer chez elle. Elle s'installe seule à une table en retrait. Tout le monde ici semble avoir l’esprit festif. Pas elle. Elle se commande à manger et la plus énorme coupe de vin au menu. À deux reprises, elle renvoie des hommes sans aucune délicatesse qui cherchent de la compagnie. Une femme seule, ça attire toujours l'attention des connards. Elisa ne cherche aucune compagnie. Elle n'en veut surtout pas. Elle en a déjà une qui l'attend à la maison.

Elle ne mange que la moitié de son repas. Elle boit sa coupe un peu trop vite. Au moins, le verre à l'effet escompté. Elle se sent déjà plus détendue, moins crispée. Pendant une fraction de seconde, elle se dit qu'elle comprend les alcooliques. Ça doit être si facile de se laisser enivrer au point d’oublier tous ses problèmes. Elisa le sait qu’avec une consommation, deux maximum, elle pourrait être libérée de ses démons le temps d'une soirée. Elle est aussi consciente que si elle emprunte ce terrain glissant, elle devient tout ce qu’elle déteste. Ce soir, elle hésite. Elle se demande si elle saura encore résister demain. Elle s'apprête à partir lorsque le mec de tout à l'heure revient avec deux consommations. « T’es tenace. » - « J’vais prendre ça pour un compliment. » Il s'installe devant elle, et elle le laisse faire.

Pendant que Oscar se fait un sang d'encre pour elle, Elisa se fait draguer dans un bistro.

* * *

Elle n'a toujours pas la notion du temps, mais elle a au moins eu la décence de rentrer chez elle en taxi. Elle n'a que des regrets sur le chemin du retour. Elle a même un peu pleuré. Le chauffeur doit avoir hâte de s'en débarrasser. Elle a déjà la nausée. Elle espère seulement avoir le temps d'arriver chez elle avant que tout le contenu de son estomac ne sorte. Elle a l'impression que sa tête veut exploser. C'est pas elle de faire ça. Elle ne boit presque pas habituellement. Les lumières sont ouvertes chez elle. Elle n'a sûrement pas pris assez son temps finalement. Elle se traîne les pieds jusqu'à chez elle. Elle ouvre et referme la porte en faisant le moins de bruit possible, comme si ça lui était possible de filer discrètement sans se faire prendre. Non. Ça ne fonctionne pas. « Putain Elisa ! » Elle sursaute, prise la main dans le sac. Sa main se porte contre le mur le plus près pour garder son équilibre. Le regard de fureur dans les yeux de son époux lui fait faire un pas vers l'arrière. Pendant une seconde, une toute petite seconde, elle a peur. « T'es devenue complètement folle ? C’est quoi ton problème ? » Il la bombarde de questions qui mettent trop de temps à se rendre jusqu'à son cerveau. Elle ne les entends même pas. « Tu ne peux pas faire des trucs comme ça merde ! J’ai appelé la police, j’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose. Tu peux me dire ce qui t’a pris ? » - « Arrête de crier…j’déteste ça.. » Elle mâche ses mots. Elle parle bien trop lentement. Elle se débarrasse de ses chaussures, ou du moins, elle essaie. Elle doit s'y reprendre à trois reprises pour y arriver. « J’me sens… pas bien. » qu’elle ajoute en retirant maladroitement sa veste qu'elle laisse tomber au sol. De l'eau. Beaucoup d'eau et son lit, c'est tout ce qu'elle veut. C'est sûrement pas ce qu'elle va avoir.

falling down broke, holding one hope
Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/shutupluke

Il faut plusieurs secondes à Oscar pour comprendre le cinéma qui se déroule devant ses yeux. Les gestes lents, un peu hésitants, les yeux qui ont de la peine à rester ouverts et cette haleine qui émane d’elle quand elle lui répond. « Arrête de crier… Je déteste ça. » Sa voix est déformée, presque guillerette, alors pourtant que lui est en colère. Une colère qui ne s’éteint pas quand il comprend qu’elle a bu. Qu’elle rentre bourrée, après avoir fui leur soirée et refusé de répondre à ses appels. Lui s’est fait un sang d’encre et elle est allée boire un coup. Il n’est pas violent, Oscar, et pourtant, là tout de suite, il a envie de la secouer. « Je me sens… pas bien. » Elle titube, laisse tomber son manteau parterre. Et une vague de dégoût le prend. « T’es saoule ? » Il questionne, mais il connaît déjà la réponse. Et au regard qu’elle jette sur lui, il comprend que le taux d’alcool est assez important pour qu’elle n’en ait plus rien à faire de ce qu’il est en train de lui dire. « Je ne peux pas croire que t’as fait ça. » Son regard noir se pose sur elle. Sa femme qui est allée boire un verre, après l’avoir quitté sans une explication. Ça ne lui ressemble pas, il ne sait pas qui est cette fille bourrée devant lui. La femme qu’il connaît a toujours bu avec modération, elle est sensible à ce sujet de par son histoire personnelle. Et là, elle est cuite complètement cuite. 
 
La colère semble pourtant s’apaiser lentement, pour faire place à nouveau à ce sentiment de tristesse. Il passe à côté d’elle sans l’aider pour récupérer son manteau et le pendre dans l’armoire. Se retourne et lui fait face à nouveau. Elle tient à peine debout. Il soupire. « Allez, viens ». La guide comme il peut jusqu’à la cuisine et lui tire un verre d’eau. « Tiens, bois ça. » Il ne doute pas que demain sera dur pour elle. Oscar observe sa femme prendre le verre et l’emmener à sa bouche. La bile au fond de sa gorge lui indique qu’il va dire quelque chose qu’il devrait sans doute garder pour lui. « Je n’avais pas compris que c’était à ce point, que tu détestes ta vie au point d’être prête à reproduire tes schémas familiaux. » C’est une réflexion acerbe, cruelle. Qui la compare à ce qu’elle n’est pas. Elisa ne la mérite sans doute pas, surtout parce qu’il utilise ce qu’elle lui a livré de plus personnel contre elle. Mais à l’instant, il s’en fiche, il ne reconnaît plus la femme en face de lui, n’est plus sûr qu’elle est encore celle qu’il a aimée et épousée. « T’as besoin d’aide, Elisa… Et je crois que je ne peux rien faire pour toi. » Il comprend qu’être un bon mari ne suffira pas, plus. Sa femme est brisée et il est incapable de la réparer.

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