Troisième au classement général de la coupe du monde. C'était un exploit, presque digne de la médaille d'or des Jeux Olympiques qui lui était passée sous le nez et pourtant, aussi fort qu'il essayait de se réjouir, Romeo ne parvenait qu'à ressentir une profonde insatisfaction. Il savait que chaque victoire était bonne à prendre et que les élus pouvant prétendre à monter sur la plus haute marche du podium étaient peu nombreux, mais il ne parvenait pas à faire le deuil de ses déceptions françaises. Son ego, c'était certainement ce qui allait mettre un terme prématurément à sa carrière s'il continuait sur cette voie. Romeo était conscient que continuer de revenir vers Nicola dès qu'il avait besoin de distraction n'était pas la meilleure chose à faire parce qu'arriverait un jour où elle finirait par lui faire une déclaration d'amour enflammée et où il se retrouverait forcé de lui briser ses espoirs alors même qu'elle avait déjà brisé son plus grand rêve. Mais il n'avait aucune envie de sortir, Albane n'était pas là pour lui tenir compagnie ce soir et il avait beau s'être attaché à son chat Einstein, l'avoir sur lui pour se réchauffer les pieds n'était pas suffisant pour réussir à le sortir du flot de pensées qui s'acharnaient sur lui depuis son retour d'Asie. Seulement 24 heures qu'il était rentré chez lui avec cette médaille de bronze qu'il n'arrivait pas à savourer et Romeo était tout sauf motivé à retourner dans le bassin pour ses entraînements de la semaine ou à subir l'interview qu'on lui avait imposée le lendemain. Il avait besoin de s'aérer les idées et pour ça, la présence de Nico s'était toujours révélée utile. En plus, dire qu'il n'avait pas songé une seconde à elle lors de sa tournée asiatique aurait été mentir. Comme d'habitude il n'avait pas fait beaucoup d'efforts pour reprendre contact, un simple message pour lui demander si elle était chez elle serait suffisant pour confirmer le programme de la soirée et à son plus grand bonheur, elle était disponible pour le recevoir. Après avoir avalé son dîner et promis à son agent qu'il serait à l'heure à leur rendez vous presse il s'était dirigé vers chez elle sans attendre, sans rien lui apporter d'autre que sa joie de vivre indéfectible. La porte s'était ouverte sur une Nicola un peu trop rayonnante pour une sportive mise aux arrêts, mais son air joyeux parvenait déjà à adoucir un peu l'amertume de Romeo. « Salut. » Il la serrait contre elle une seconde pour la saluer avant de rentrer dans son appartement comme s'il était chez lui. Il n'y avait pas mit les pieds aussi souvent que ça mais il n'en fallait pas plus pour qu'il ne se sente à l'aise ; à force de voyager, Romeo avait l'habitude de se sentir chez lui un peu partout. « J'te vois venir avec ton sourire, t'as suivi mes exploits c'est ça ? » Bien sûr que Nico connaissait ses temps, bien sûr qu'elle savait qu'il était monté sur le podium. Elle lui avait déjà avoué à demi mot qu'elle suivait ses résultats bien avant qu'ils ne se connaissent, prétextant qu'elle s'y intéressait à cause de ses études quand lui était convaincu qu'elle faisait juste partie de celles qui appréciaient la vue qu'il leur offrait à la sortie du bassin. Mais il n'avait aucune envie de s'attarder sur la coupe du monde en petit bassin, et il lui ferait comprendre en changeant de sujet sans attendre. « Tu marches un peu mieux non ? » Il n'avait pu s'empêcher d'observer que sa démarche était un peu plus fluide que la dernière fois qu'ils s'étaient vus et évidemment, il pensait que le lui dire ferait plaisir à Nicola. Mais surtout il espérait que cette remarque détournerait son attention de ses propres incertitudes, parce que même si d'habitude il appréciait tout particulièrement parler de lui, ce n'était plus vrai depuis ses échecs cuisants à Paris.

Un lion en cage. Elle illustrait l’expression à la perfection, encore un peu mieux depuis qu’il s’était envolé pour une compétition dont elle avait suivi l’intégralité depuis son ordinateur, dans le confort d’un appartement qu’elle ne supportait plus. Ces quatre murs étaient devenus une prison, et son cerveau ne semblait plus fonctionner correctement depuis que ses chaussures de course restaient dans un coin, Nicola étant incapable de les utiliser. Le manque était si violent qu’elle les chaussait parfois, juste pour voir. Mais ce n’était pas pareil, c’était même incroyablement idiot, et la scène se terminait toujours de la même façon : un soupir et une Nicola qui s’effondrait lamentablement dans son lit. Et c’était à ce moment-là qu'elle pensait le plus à lui, à ce qu’il faisait et à s’il pensait à elle pendant qu’il poursuivait un rêve auquel elle ne croyait plus. Lui non plus, parce que les jeux olympiques avaient signé la fin de son enthousiasme, sans jamais qu’elle ne le comprenne. Ils étaient au point mort, mais ils étaient ensemble. Petit à petit, elle détestait ce qu’elle devenait sans pourtant réussir à ne serait-ce qu’envisager les solutions que ses proches lui listaient constamment. La seule qu’elle trouvait acceptable était d’aller s’anesthésier dans des soirées où la musique était trop forte pour réfléchir, les lumières trop aveuglantes pour penser. Et là-bas, elle n’était jamais aussi proche de retrouver le bonheur. Ce soir, pourtant, elle avait tiré un trait sur l’ensemble de ses plans pour la soirée pour la passer avec lui et à peine avait-elle ouvert la porte qu’elle avait retrouvé le sourire. « Salut. » Nicola n’était pas convaincue qu’elle s’habituerait un jour à cette façon qu’il avait désignée comme étant la plus juste pour la saluer. Ce n’était jamais facile pour elle de voir ces gestes comme quelque chose de naturel et qui ne voulait rien dire, il le lui avait rappelé à de nombreuses reprises, mais dans ses bras même brièvement, elle s’y perdait toujours un peu plus. « J'te vois venir avec ton sourire, t'as suivi mes exploits c'est ça ? » « Bah ouais. » Ce n’était ni anecdotique, ni surprenant. Nicola suivait son parcours depuis que cela était devenu possible et elle ne s’était pas arrêtée sous prétexte qu’il faisait maintenant partie de son cercle proche. Mais le dire avec tant de banalité, comme s’il s’agissait d’une norme, était quelque chose qu’elle s’autorisait depuis peu seulement. Depuis qu’elle avait le sentiment de pouvoir lui accorder sa confiance et qu’elle n’avait plus besoin de faire semblant de ne pas s'intéresser à lui plus qu’elle ne devrait normalement le faire. « Et moi j’vois vraiment ça comme un exploit, contrairement à toi. Ça te va bien, le bronze. » Inutile également de faire semblant de ne pas avoir vu la déception et la rage dessinées sur son visage lorsqu’il était entré - elle le connaissait, et presque par cœur lorsqu’il s’agissait de la natation. Si elle se savait dure avec elle-même, rencontrer Romeo lui avait fait envisager qu’elle ne l’était peut-être finalement pas assez. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps de s’épancher davantage sur le sujet, il en avait changé, comme il le faisait souvent parce que sa présence ici était liée à une volonté de se changer les idées. « Tu marches un peu mieux non ? » « Après des jours entiers à rien faire, un peu, ouais. » Elle n’avait pas envie de parler de sa blessure, pas quand elle était déjà une pensée obsessionnelle qu’elle n’oubliait que lorsqu’elle dansait ou qu’il était là et que son cerveau l’autorisait à ne pas le voir comme l’un des responsables de tout cela. Ce soir en revanche, parce qu’il l’avait laissée trop longtemps sans nouvelle et qu’il avait entamé le sujet trop vite, ne lui laissant aucune chance de profiter de leurs retrouvailles, c’était dans ce rôle là qu’elle le voyait. « Ça irait mieux si je m’étais entraînée, c’est toujours pareil Romy. » La façon dont elle était venue approcher son visage du sien avec un sourire faux n’était pas suffisant pour empêcher Romeo de s’agacer du surnom, encore plus de la remarque. Et avant qu'il ne glisse entre ses doigts après seulement quelques minutes, elle avait à son tour tenté de détourner son attention. « On parle d’autre chose ? » Est-ce que je t’ai manqué, rien qu’un peu, est-ce que t'as pensé à moi et est-ce qu'il y en a eu d'autres comme moi, peu importe, pourvu qu'il parle d'eux et que cela fasse avancer leur relation.

« Bah ouais. » L’insatisfaction qui rongeait Romeo depuis son retour ne faisait qu’empirer depuis qu’il avait franchi le seuil de l’appartement de Nicola. Ce soir, elle l’avait accueilli avec un sourire éclatant, empreint d’une tendresse et d’un enthousiasme sincère, comme si sa présence seule suffisait à effacer ses propres frustrations et ses doutes. Il aurait dû s’en réjouir, être reconnaissant pour cet accueil qu’elle lui offrait sans condition, mais ce sourire qu’il voyait sur son visage alors qu'elle parlait de ses résultats faisait plutôt l’effet d’un miroir cruel qui lui renvoyait l’image de sa déception personnelle. Tant pis, il savait qu'il devrait passer par là mais qu'il arriverait bien assez tôt à changer de sujet pour espérer réussir à déconnecter un peu son cerveau le reste de la soirée. « Et moi j’vois vraiment ça comme un exploit, contrairement à toi. Ça te va bien, le bronze. » Quand n'importe qui aurait dû prendre ces mots d'encouragements comme quelque chose de positif, lui n'y voyait qu'une façon déguisée de le critiquer pour ne pas avoir décroché l'or encore une fois. Si le bronze lui allait si bien, peut-être serait il relégué à cette place maudite pour toujours sans pouvoir gravir les marches du podium qui le séparaient de la vraie victoire ; celle dont il rêvait et qu'il n'arrivait qu'à sentir à sa portée sans pouvoir y arriver. Bien sûr que Nicola n'avait pas dit ça d'une connotation négative, bien sûr qu'elle l'avait dit pour le féliciter parce que oui, elle avait raison, cette troisième place était un exploit et c'est ainsi qu'il aurait dû le voir. Mais ce n'était pas le cas. « Si tu le dis. » Lui dire merci lui aurait probablement arraché la langue même si un peu de politesse des plus basiques n'aurait pas été de trop. Nico ne lui en tiendrait pas rigueur, elle ne le faisait jamais. Elle était trop occupée à se satisfaire de l'attention que Romeo lui offrait pour s'offusquer de son manque de délicatesse et il en était conscient, malheureusement pour elle. « Après des jours entiers à rien faire, un peu, ouais. » Difficile de croire qu'elle passait ses journées à se morfondre chez elle alors qu'il voyait régulièrement passer des story d'elle en train de s'amuser avec des personnes quelconques. Oui, lui aussi savait très bien suivre ses faits et gestes à distance lorsque l'envie lui prenait. « Ça irait mieux si je m’étais entraînée, c’est toujours pareil Romy. » Son pied ne retrouverait pas sa forme d'avant sans des efforts de sa part, c'était une certitude, mais il n'eut pas le loisir de rebondir à ce sujet pour l'instant parce qu'il ne pouvait se concentrer que sur sa provocation. « Ça t'amuse, hein ? » Qu'il demandait l'air râleur. « Comme si t'avais le temps de t'entraîner alors que tu es occupée avec tes soirées. » Il ne pouvait rien lui reprocher, elle pouvait bien faire ce qu'elle voulait pour extérioriser tout ce qu'elle avait besoin d'exprimer, mais Romeo n'avait pu s'empêcher de lui rappeler au travers de cette remarque que ce n'était pas en se comportant ainsi qu'elle risquait de récupérer son niveau. Nicola ne semblait pas se formaliser, sûrement parce qu'elle savait qu'il avait raison, au fond, mais aussi parce qu'elle était habituée à son humeur, à ses remarques acides et à son incapacité à montrer la moindre douceur. Elle semblait encaisser ses piques sans broncher, gardant ce sourire qu’il lui enviait secrètement quand lui ne pouvait que se perdre dans ce manque de tact et de reconnaissance qu’il affichait à chaque fois qu’il laissait ses frustrations prendre le dessus. « On parle d’autre chose ? » Il s'était contenté de hocher la tête avant de s'éloigner d'elle, partant en direction de son canapé pour aller s'y affaler en croisant ses jambes sur la table basse. « Du fait que je t'interdis de m'appeler encore Romy ? » Il lui avait dit un millier de fois et continuerait de le lui dire même si il se doutait que le répéter encore ne ferait qu'accentuer l'envie de Nicola de le surnommer ainsi. C'était une chose qu'il détestait de manière générale et qu'il détestait tout autant lorsque cela provenait de sa bouche à elle, mais bizarrement, avec elle, il parvenait à le tourner en jeu plutôt qu'à s'énerver pour de vrai. « Je comprends pas pourquoi on a pas des toilettes japonaises ici aussi. Je pense que c'est le truc que j'ai le plus préféré dans mes hôtels en Asie, et je suis pas sûr de me remettre si facilement que ça de devoir utiliser du papier toilettes. » Nicola voulait parler d'autre chose mais elle n'avait pas précisé de quoi alors Romeo s'était empressé de combler le blanc avec une anecdote des plus intéressantes. Tout ce qu'il aurait pu dire sur son voyage aurait ouvert la porte à une conversation qu'il n'avait pas envie d'avoir sur sa carrière alors il s'était rattaché bêtement à ce détail insignifiant. « T'as déjà été là bas ? » Peut-être que oui, peut-être d'ailleurs qu'elle lui avait déjà raconté mais qu'il avait complètement oublié pour faute d'intérêt au moment où elle lui en aurait parlé. Mais heureusement pour elle, ce soir, Nicola avait toute son attention. Et parce qu'il voyait bien que son choix de sujet de conversation ne faisait pas l'unanimité, Romeo avait soupiré avant de lui demander : « De quoi tu veux parler ? »

Nicola serait toujours sa plus grande admiratrice, elle en était bien plus convaincue depuis qu’elle avait quitté ce statut pour s’insérer doucement dans son cercle proche. Une position qui lui plaisait mais qui n’avait jamais été simple, il y avait les doutes de son propre entourage et les siens, qui naissaient de l’humeur changeante du nageur. De sa capacité à semer le chaud et le froid à une vitesse capable de lui donner le tournis. « Si tu le dis. » C’était égoïste de sa part mais elle ne pouvait pas s’empêcher de lui reprocher de ne pas se réjouir de ce qu’elle considérait comme une victoire, maintenant qu’elle était incapable ne serait-ce que de tenter la moindre compétition. Elle était bloquée, vivait par procuration, et elle restait incapable de rendre sa joie communicative auprès d’un Romeo qui ne voyait pas les choses de la même façon. Dans un moment où il aurait dû discuter de ses temps, de ses rencontres ou de n’importe quoi, il avait préféré commenter la façon dont elle s’était déplacée pour venir jusqu’à lui. « Ça t'amuse, hein ? » Croisant les bras, elle avait haussé un sourcil pour le défier. « Comme si t'avais le temps de t'entraîner alors que tu es occupée avec tes soirées. » Abaissant ses lèvres, Nicola avait hoché doucement la tête, lui indiquant à quel point ce reproche qu’elle recevait d’à peu près tout le monde la décevait encore plus venant de lui. Le fond du problème ne se situait de toute façon pas là, et il s’agissait là encore d’une des méthodes qu'il utilisait pour prendre un virage dans la discussion. « Fais pas semblant de pas comprendre, tu sais très bien de quoi je parle. » La façon dont son sourcil s’arquait presque automatiquement, dont ses lèvres traçaient un sourire incertain et dont son visage se transformait en une moue innocente avait le don de la faire craquer et il en était conscient, mais Nicola trouvait parfois le courage de tenir ses positions. « En plus t’évite le sujet juste pour me reprocher que je sorte ? Je croyais que t’avais pas le temps d’être sur ton téléphone quand t’étais là bas. » Le sujet. Une des nombreuses manières dont Nicola parlait de sa blessure sans jamais réellement la nommer, s’efforçant de se détacher d’un faux pas qui semblait maintenant la définir. Elle n’était plus l’athlète mais la pauvre petite que le monde entier avait eu le loisir de voir s’échouer aux portes de son rêve, et le voir porter ce regard là sur elle lui était insoutenable.

En quelques minutes seulement, Romeo avait réussi à l’agacer, mais c’était avec un sourire en coin qu’elle l’avait regardé aller s’installer dans le canapé, espérant qu’il y resterait le plus longtemps possible. Les moments passés à deux étaient toujours similaires, mais il existait quelque chose en quoi Nicola croyait fermement et elle s’y attachait de toutes ses forces, s’empressant de rebondir sur une note plus positive. « Du fait que je t'interdis de m'appeler encore Romy ? » « Tu sais que j’arrêterai jamais. » avait-elle lancé en venant s’installer à côté de lui sur le canapé, sa tête venant se coller sur son torse pour presque l’obliger à l’entourer de son bras. Si la position était confortable et était presque une nécessité, la suite de la discussion l’avait fait grimacer. « Je comprends pas pourquoi on a pas des toilettes japonaises ici aussi. Je pense que c'est le truc que j'ai le plus préféré dans mes hôtels en Asie, et je suis pas sûr de me remettre si facilement que ça de devoir utiliser du papier toilettes. » La façon dont elle avait levé les yeux au ciel faisait plus suite à son agacement de le voir entamer une discussion aussi futile qu’au niveau de détails qu’il était en train de lui donner. « T'as déjà été là bas ? » « Nan. T’aurais dû me proposer de t’accompagner. » Elle était disponible, s’ennuyait amèrement et était las de sans cesse devoir lui indiquer la façon dont il convenait de se comporter avec elle. « De quoi tu veux parler ? » « J’en sais rien mais pas des toilettes japonaises, sérieusement, des jours qu’on s’est pas vus et c’est tout ce que t’as à me dire ? » Elle était déçue, espérant toujours qu’il reviendrait sur des principes qu’il s’était fixés, que Nicola partageait, mais sur lesquels elle tirerait volontiers un trait pour lui. « Par exemple dis moi si t’as pris ton téléphone exprès pour regarder mes stories parce que je te manquais ou si t’en as vue une par hasard et que ça a été suffisant pour râler. » Il était doué pour changer de sujet lorsqu’il ne lui convenait pas, elle trouvait son talent dans l’art de trouver quelque chose de positif dans tout ce qu’il lui disait de négatif. « Moi aussi je pourrais râler, en plus. Je t’ai vu aller faire des selfies après ton podium et j’aurais juré que là-bas t’étais fier de tes résultats. » Et comme d’habitude, elle se sentait inférieure à toutes les autres même s’il était tout contre elle.

« Fais pas semblant de pas comprendre, tu sais très bien de quoi je parle. » A vrai dire, non. Sur le moment, il n'arrivait pas à saisir de quoi Nico voulait bien parler mais puisqu'elle avait un air des plus sérieux et qu'il n'avait pas vraiment envie de déclencher une conversation qu'il n'avait visiblement pas envie d'avoir, il s'était contenté d'une moue un peu enfantine en espérant que cela suffise à la faire changer de sujet par elle même - de toute façon, elle avait la capacité de débiter tellement de mots à la minute qu'il n'était pas exagéré de croire qu'elle continuerait à parler sans rester accrochée sur ce détail. « En plus t’évite le sujet juste pour me reprocher que je sorte ? Je croyais que t’avais pas le temps d’être sur ton téléphone quand t’étais là bas. » Malheureusement pour lui, Nicola n'avait pas l'air d'être d'humeur aussi légère que ce qu'il aurait espéré et il avait la sensation de ne pas avoir fait le bon choix en venant se réfugier chez elle. En même temps, même si elle l'aidait toujours à déconnecter pour une raison qu'il n'avait pas encore définie, il ne pouvait pas non plus dire qu'elle avait le caractère le plus facile à supporter. Il ne pouvait donc s'en prendre qu'à lui même de se retrouver pris au milieu de toutes ces questions qu'elle s'acharnait à lui poser et cette attention qu'elle recherchait constamment auprès de lui. « Tu sais comment c'est, on finit toujours par avoir un petit créneau pour scroller. » Et même sans ça, Romeo ne savait que trop bien à quel point Nicola avait changé ses habitudes depuis sa blessure et à quel point elle était en train de s'éloigner de tout ce qui faisait sa vie auparavant. Il savait quel genre de personne frivole elle était en train de devenir et jamais il n'aurait pu songer que les choses étaient revenues à la normale soudainement pendant son voyage en Asie. « Tu sais que j’arrêterai jamais. » Ça par contre, ça n'avait jamais changé, cette façon que Nicola avait de s'amuser d'essayer de l'agacer dès qu'elle en avait l'occasion. Il la laissait faire quand elle s'installait tout contre lui et alors qu'elle voulait qu'ils parlent, il se mit à parler, croisant les doigts pour que son anecdote futile et sa question sur ses propres voyages ne suffise à détourner son attention. « Nan. T’aurais dû me proposer de t’accompagner. » « Et puis quoi encore ? » Qu'il avait lancé en pouffant et en levant les yeux au ciel. « J’en sais rien mais pas des toilettes japonaises, sérieusement, des jours qu’on s’est pas vus et c’est tout ce que t’as à me dire ? » Si quelqu'un pouvait lui donner la notice complète de ce que voulaient les femmes, il l'achèterait sans même y réfléchir un instant. « Je sais pas Nico, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? » « Par exemple dis moi si t’as pris ton téléphone exprès pour regarder mes stories parce que je te manquais ou si t’en as vue une par hasard et que ça a été suffisant pour râler. » Autant son égo appréciait tout particulièrement d'être flatté aussi régulièrement par sa jolie Nico - sa groupie numéro 1 - autant son obsession pour lui et leur relation à laquelle elle semblait un peu trop tenir parfois avait tendance à l'inquiéter de temps en temps. Si Romeo était tout à fait équilibré, il aurait sans aucun doute mis un terme à leurs petites soirées mais puisqu'il avait besoin d'elle autant que l'inverse était vrai, il préférait en rire. « Tu sais que t'es flippante parfois ? » Le pire c'est qu'elle était capable de l'être plus encore. « Moi aussi je pourrais râler, en plus. Je t’ai vu aller faire des selfies après ton podium et j’aurais juré que là-bas t’étais fier de tes résultats. » Elle avait cette fâcheuse tendance à observer tous les détails possibles et imaginables pour les utiliser dans les scénarios qui se déroulaient dans son esprit et s'il n'était plus surpris de l'entendre assumer ouvertement qu'elle était au courant d'à peu près le moindre de ses faits et gestes en apparitions publiques, ça restait aujourd'hui un sujet sensible dont il n'avait aucunement envie de parler. Il pensait l'avoir déjà fait comprendre mais puisqu'elle s'entêtait à remettre le sujet sur la table, il devrait l'en balayer pour de bon. Oui, il ne pouvait nier qu'au fond de lui, être monté sur ce podium signifiait une certaine réussite. Le nier complètement aurait été insensé. Le problème résidait dans le fait que ce n'était toujours pas assez, dans le fait qu'il était jaloux de ceux qui pouvaient prétendre à l'argent et à l'or. Y repenser faisait ressortir toute cette amertume qu'il gardait en lui depuis ce qui lui semblait être une éternité. « Parce que j'aurais dû chialer devant les caméras et aller piquer cette putain de couronne à ce putain de français ? » Qu'il demandait en se décalant un peu sur le côté pour essayer de la regarder droit dans les yeux. « Non, j'arrive pas à être satisfait du bronze, non je sais pas pourquoi et non, je vais pas m'excuser de pas avoir envie de sauter dans tous les sens pour faire comme si j'étais content. Mais on s'en fou, je suis pas venu pour parler de ça de toute façon. » Il se repositionnait pour prendre Nico un peu plus contre lui, laissant sa tête blonde lui reposer sur le torse alors qu'il laissait ses doigts se promener dans ses cheveux délicatement. « Toi parle moi plutôt de toi. C'est ça qui m'intéresse. » Ce n'était pas tout à fait vrai mais ça, c'était une demande avec laquelle il était presque sûr de la contenter à tous les coups et donc au passage d'éviter encore que la conversation ne se retourne contre lui.

Nicola avait attendu ce moment comme elle l’attendait dès la première minute où il s’était envolé pour une autre compétition. Le sentiment était sûrement dû à une volonté de se raccrocher à un rêve qu’elle vivait maintenant par procuration plus qu’à ce qu’elle ressentait réellement pour lui, mais elle était incapable de démêler le vrai du faux dans cette relation qu’elle ne savait pas définir. Elle aurait aimé être assurée qu’il existait quelque chose entre eux, mais dès que les indices se multipliaient un peu trop, Romeo faisait marche arrière, la laissant seule avec ses doutes. L’idée qu’il appréciait de la laisser se questionner lui effleurait parfois l’esprit, mais il ne continuerait par à revenir vers elle si elle ne représentait rien et que l’idée de la faire souffrir l’amusait. Pourtant, c’était souvent pareil, et toute une liste de reproches à lui faire fleurissait dans son esprit convaincu qu’il avait des comptes à lui rendre - elle se l’imaginait parce qu’il lui donnait toutes les raisons de le faire mais chaque fois que la discussion allait en ce sens, Nicola faisait face à un mur. « Tu sais comment c'est, on finit toujours par avoir un petit créneau pour scroller. » « Tu trouves du temps pour tout sauf pour moi quand t’es loin. » Parce qu’elle ne pouvait pas lui reprocher de ne pas lui en accorder alors qu’il était physiquement là, et elle ferait abstraction de la façon dont son esprit voguait probablement ailleurs. La solution à la solitude qu’elle ressentait quand il n’était pas là - et dont elle ne parlerait jamais à sa famille et ses amis parce qu’ils ne comprendraient pas - avait une solution toute trouvée selon elle. « Et puis quoi encore ? » Elle avait haussé les épaules, venant feindre que sa proposition n’était pas des plus sérieuses avant de trouver une nouvelle raison de se plaindre du peu d’intérêt que lui accordait Romeo. « Je sais pas Nico, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? » Dans un nouvel haussement d’épaules, Nicola lui avait donné un exemple banal, lui indiquant de lui donner ne serait-ce qu’un peu plus de détails quant à la raison qui l’avait mené à visionner ses story instagram. « Tu sais que t'es flippante parfois ? » « Flippante parce que je veux savoir comment t’as fini dans mes story insta malgré ton emploi du temps ultra chargé ? » avait-elle répondu en venant accentuer grossièrement la façon dont Romeo se défendait de l’avoir laissé sans nouvelles par une excuse qui ne prenait pas avec elle. S’il avait eu le temps de la distraire pendant les jeux olympiques, il aurait eu le temps de la contacter durant sa compétition en Asie, parce qu’il n’avait pas passé le séjour submergé et qu’elle aurait répondu présente peu importe l’heure abusive à laquelle serait tombé son signe à cause du décalage horaire.

Elle avait scruté son écran de télévision, avait bien pris soin de se souvenir de chacun de ses temps, mais s’était aussi attardée sur des détails qui n’auraient pas dû avoir d’importance. Nicola était supposée être l’amie bienveillante, sur laquelle il pouvait compter et à qui il pouvait se confier parce qu’elle comprenait une partie prédominante de sa personnalité que les autres n’étaient pas en mesure d’appréhender. Le sport de haut niveau faisait partie de leur ADN, et si elle était honnête avec elle-même, elle comprendrait qu’il s’agissait probablement là de leur unique point commun. Lovée contre lui dans le canapé, elle ne s’était pas attendue à ce que ses derniers propos déclenche les foudres de Romeo au point qu’elle doive relever la tête de son épaule. « Parce que j'aurais dû chialer devant les caméras et aller piquer cette putain de couronne à ce putain de français ? » Son regard magnétique s’était posé sur elle et elle avait fait de son mieux pour ne pas s’y noyer, pour ne pas perdre de vue la première réaction qui avait été la sienne après ses propos. Sa bouche s’était entrouverte sans qu’aucun son ne sorte alors que déjà Romeo reprenait la parole. « Non, j'arrive pas à être satisfait du bronze, non je sais pas pourquoi et non, je vais pas m'excuser de pas avoir envie de sauter dans tous les sens pour faire comme si j'étais content. Mais on s'en fou, je suis pas venu pour parler de ça de toute façon. » Comme bien souvent, ils ne parlaient pas la même langue, et Nicola tentait d’accepter de devoir rester sur sa frustration, surtout lorsqu’il savait si bien mener la danse, enchaînant sur un ton plus doux. « Toi parle moi plutôt de toi. C'est ça qui m'intéresse. » Elle n’avait pas pu retenir son sourire alors qu’il était parvenu à chasser ses doutes mais pas son envie d’alimenter le feu. « Moi je le trouve plutôt mignon ton putain de français. » Sa main s’était arrêtée dans ses cheveux et elle avait eu la satisfaction d’avoir provoqué une réaction chez lui. La provocation l’amusait, surtout lorsque Romeo avait montré à de multiples reprises être le seul réellement autorisé à utiliser ce type d’humour. « Je plaisante, personne t’arrive à la cheville Romy. » avait-elle rétorqué en levant ses yeux vers lui et en posant l’index sur le bout de son nez dans un geste à lui faire lever les yeux au ciel. « Mais moi ouais je sors, parce que c’est encore la meilleure solution que j’ai trouvée pour pas trop réfléchir. Ca veut pas dire que je suis guérie, tu sais bien à quel point c’est simple de déformer la réalité sur les réseaux. » Ils l’avaient fait une bonne partie de leurs vies, pour les sponsors, les quelques fans ou les journalistes, enchaînant les sourires après un résultat qui n’était que peu satisfaisant. Il l’avait fait il y a quelques jours seulement. « Je rencontre pas mal de gens, j’ai l’impression de rattraper un peu le temps perdu à rien. » Parce que selon elle, ce temps consacré à devenir la meilleure version d’elle-même était effectivement perdu puisqu’il était resté sans résultat. « Mais je préfère être avec toi. » avait-elle ajouté, relevant les yeux pour lui accorder ce même regard suggestif qu’elle utilisait toujours quand elle mourait d’envie qu’il l’embrasse.