Lily adorait flâner dans l’appartement de Rose. C’était comme si chaque coin avait une histoire à raconter : des bibelots anciens, des souvenirs de voyage, et bien sûr, les piles de romans d’amour à l’eau de rose qui traînaient un peu partout, les préférés de Rose, évidemment. Elle et Lily s’étaient rencontrées par pur hasard, un jour où Lily avait offert d’aider la vieille dame à porter ses courses. Depuis, elles étaient devenues inséparables, partageant des thés fumants, des rires et des confidences, comme si elles s’étaient toujours connues. Pour Lily, Rose était bien plus qu’une voisine : elle était comme une grand-mère adoptive, toujours prête à lui offrir un mot de sagesse ou une part de tarte aux pommes. Alors, quand Rose lui avait demandé de veiller sur son appartement pendant son absence – elle partait rendre visite à sa famille, ayant désormais une arrière-petite-fille toute neuve à rencontrer – Lily avait accepté avec une joie non dissimulée. Elle s'occuperait des plantes, certes, mais surtout de Minou, le chat dodu et indolent de Rose, un vrai seigneur à moustaches, aussi grognon qu’adorable. Pas de quoi l’effrayer, bien au contraire. Lily était prête pour la mission. « Prends bien soin de mes bébés, d'accord, ma chère ? » lui avait dit Rose avant de partir, en lançant un regard inquiet vers ses fougères suspendues et ses orchidées alignées sur le rebord de la fenêtre. Lily, touchée par cette confiance, avait hoché la tête avec sérieux.

Deux jours après le départ de Rose, Lily se glissait donc avec entrain dans l’appartement. Elle commença par dire bonjour aux plantes. Elle vaporisa délicatement les orchidées, parla tendrement aux ficus, et fit salua de finger guns complices les cactus — ceux-là, elle était convaincue qu’ils la regardaient de travers chaque fois qu’elle passait. Puis, elle se tourna vers Minou, qui l’observait d’un air méfiant depuis son trône improvisé sur le canapé comme pour lui rappeler qu’il était le véritable roi des lieux. Lily s’approcha de lui à pas feutrés, l’air conspirateur, et lui gratouilla derrière les oreilles. « Alors, Seigneur Minou, prêt pour votre massage royal ? » elle murmure, amusée. Minou consentit à ronronner, en se tortillant paresseusement sous sa main, comme un roi condescendant qui accorde une audience. Lily prit un malin plaisir à l’observer, ses pattes étendues comme celles d’un lion sur la savane. Elle passait quelques minutes à jouer avec lui, un sourire béat sur le visage, avant qu’il ne sembla considérer qu’il en avait assez de son public, et Lily décida de le laisser à sa dignité féline pour terminer son inspection des lieux et s’assurer que tout était en ordre. Elle se sentait véritablement chez elle ici, entourée de l’esprit chaleureux et réconfortant de Rose.

C’est alors qu’elle décida de repartir, satisfaite du travail accompli. Mais à peine avait-elle franchi le seuil de la porte qu’elle remarqua au même moment sortir de chez lui... le voisin de Rose : Eames. Ou Maxwell. Lily avait pas encore trop bien compris. Ah, Maxy-Eames… Un spécimen, celui-là. Elle se souvenait l’avoir déjà croisé lors de ses visites chez Rose, toujours avec son air blasé et sa politesse froide, celle d’un homme qui n’avait manifestement pas le goût des échanges amicaux. Arrogant, pas des plus accueillants, et apparemment allergique à l’idée de sourire, il avait toujours donné l’impression de tolérer la présence de Lily sans grande conviction. Mais aujourd’hui, rien ne pouvait atténuer sa bonne humeur. Elle se sentait presque taquine en le voyant là, aussi sévère et inébranlable qu’une statue de marbre. « Bonjour, voisin ! » elle lance joyeusement, avec un signe de la main enjoué, son sourire large et enjoué, contrastant agréablement avec l’expression placide d’Eames. Puis, parce qu’elle imaginait bien qu’il ne risquait pas de la gratifier d’une quelconque réponse chaleureuse, elle se tourna encore pour terminer de fermer à double tour la porte d’entrée de Rose, fredonnant légèrement pour elle-même.

long gone

@lily darling

lieu: logements, toowong.
(c): simoneashlcy (gif), luleaby (codage).

***
Poussant la moitié du contenu de son bureau depuis ce dernier vers le sol, Eames dut se mordre l’intérieur de la joue pour ne pas laisser des jurons lui échapper à un ton de voix bien trop élevé pour que ce soit le moindrement poli. Il restait dans son bureau, et il restait au travail - il n’était pas connu comme étant le plus commode des hommes dans le coin, mais le but n’était pas de se donner en spectacle parce-qu’il n’avait pas su retenir un élan de colère du à une frustration presque ridicule qui plus était. C’était ça tout l’art de garder l’attitude que les autres lui prêtaient: il se devait effectivement de faire des efforts; il n’en faisait pas pour sa mauvaise humeur et ses réparties qui avaient blessé plus d’une personne autour de lui dans les dernières années - juste les derniers mois en réalité -, mais il se devait d’en faire un minimum pour ne pas que le reste du monde pense qu’il pouvait exploser à tout moment. C’était le cas, juste: ce n’était pas connu. Se frottant les yeux de l’index et du pouce, il soupira lourdement avant de se pencher pour ramasser papiers et stylos qui gisaient désormais sur le sol pour tout remettre à sa place; il décida par la suite que la journée au bureau était terminée et qu’il verrait tout ce qui lui restait à traiter une fois qu’il serait de retour chez lui - ce n’était pas le travail qui manquait, il avait toujours de quoi occuper ses maigres heures de battement entre le moment où il rentrait chez lui et où il allait se coucher pour se laisser abattre d’un sommeil sans réel repos.

Tournant le volant pour garer sa voiture dans la petite allée menant à son entrée de maison, ce fut un lourd soupir qui passa la barrière de ses lèvres lorsqu’il vit une silhouette sortir de la porte d’à côté. Au début, il crut que c’était sa voisine, Rose - grand-mère passablement aimable, certainement envahissante surtout - qui sortait de chez elle et il savait qu’il n’avait ni patience ou énergie pour elle aujourd’hui. Après un deuxième coup d’oeil plus appuyé, il vit que la silhouette était celle d’une femme bien plus jeune et il ne sut pas si c’était une bonne ou une mauvaise nouvelle pour lui; cela voulait certainement dire que c’était la jeune femme qu’il avait déjà croisé de loin à plusieurs reprises, qui rendait assez régulièrement visite à la vieille. Eames n’avait cependant pas envie d’attendre dans sa voiture qu’elle sorte de son champ de vision, alors soupirant encore une fois il prit sa manette et claqua la porte du véhicule qui grinça - peut-être aurait-elle besoin d’un passage chez le garagiste, après mure réflexion. « Bonjour, voisin ! » Ca aurait été trop beau pour qu’elle le laisse rentrer chez lui en paix sans s’imposer avec sa bonne humeur qui lui donnait presque envie de vomir tant elle était… wait.

S’arrêtant dans son avancement jusque sa porte d’entrée, alors qu’elle tournait la clef dans la serrure voisine et qu’elle semblait justement bien trop heureuse comme si c’était là une expression forcée qu’elle faisait en sorte de présenter au reste du monde, il plissa quelque peu les yeux en tournant son visage vers la jeune femme. Pas de bonjour, pas d’autre formule de politesse - ce n’était pas dans ses habitudes de se montrer aimable, il ne ferait pas le moindre effort ici pour changer cette partie là -, mais en revanche pour une fois il adressa la parole à la jeune femme parce-que quelque-chose ne semblait pas tourner tout à fait rond ici. « Voisin, donc. » Ce n’était pas l’appellation qui lui revenait normalement, dans la logique des choses, puisqu’elle n’habitait pas ici. Alors peut-être que… « La vieille a enfin fini par clamser, ça y est ? » Haussant un sourcil, Eames dut revenir la petite moue amusée qu’il sentait percer jusque ses lèvres; parce-que ce n’était pas situation que de régir de cette manière, et qu’il savait que les gens normaux éprouveraient une certaine peine à cette nouvelle. Et puis surtout, rien qu’à la façon dont il venait d’adresser la parole à la jeune femme, il était grillé dans ce qu’il pensait de tout ça: lui ne serait pas contre changer pour quelqu’un de moins envahissant. Ce qui lui fit perdre toute trace de sourire la seconde suivante pour prononcer à haute voix: « Oh non me dites pas que c’est vous qu’avez hérité de la maison. » Parce-que s’il existait bien une sorte de personnage qu’il trouvait particulièrement exubérant, c’était tout ce que la brune face à lui représentait: la bonne humeur, la joie, le partage et l’entente. Encore une fois, c’était là des choses qui lui donneraient physiquement envie de vomir s’il s’en approchait de trop près trop longtemps - et ce n’était pas sur sa bucket list, donc elle avait tout intérêt à lui répondre qu’elle n’avait pas hérité de la maison de la vieille.

Lily écarquilla les yeux, figée sur place, son sourire si rayonnant quelques secondes plus tôt s’effaçant aussitôt, remplacé par une expression de choc pur. La remarque d’Eames venait de frapper comme un coup de tonnerre dans un ciel jusque-là parfaitement dégagé. Clamser ? pensa-t-elle, bouche bée. Elle sentit une bouffée d’indignation lui monter aux joues, la chaleur familière d’un agacement qu’elle ne savait jamais bien cacher. Il lui fallut une bonne seconde pour remettre de l’ordre dans ses pensées et se convaincre que non, elle n’avait pas rêvé. Il avait bien osé dire ça. Franchement, quelle audace ! Lily n’avait jamais rencontré quelqu’un d’aussi... insupportable. « Pardon ?? » lâcha-t-elle enfin, son ton trahissant une consternation sincère. Elle le fixa avec des yeux ronds comme des soucoupes, espérant que l’homme ait au moins la décence de paraître un peu embarrassé. Mais non, rien. Il avait l’air parfaitement détendu, comme si sa question était tout ce qu’il y avait de plus normal. Quelle froideur, pensa-t-elle en croisant ses bras, déjà prête à riposter.

Mais il n’attendit même pas qu’elle développe. Il poursuivit, et son deuxième commentaire ne fit qu’empirer les choses. Lily cligna des yeux, incrédule, avant de les rouler de façon si dramatique qu’elle aurait pu entendre une ovation dans sa tête. Hériter de la maison ? Non mais vraiment, cet homme dépassait tout. Elle ouvrit la bouche, puis la referma, et recommença encore deux ou trois fois, à la manière d’un poisson hors de l’eau. Ce n’était pas qu’elle manquait de répartie – loin de là – mais elle était tellement prise de court qu’elle avait du mal à trouver par où commencer. Elle essayait de trouver quoi dire pour répondre à une remarque aussi insensée, mais son esprit tournait à vide, trop occupé à s’énerver. Son silence, même bref, était presque humiliant. « Mais non ! » finit-elle par s’exclamer, l’agacement perçant dans sa voix. Elle agita une main dans les airs comme pour chasser cette idée absurde. « Rose est juste en vacances chez sa famille ! Elle vient d’être grand-mère ! » ajouta-t-elle, sur un ton insistant, comme si elle expliquait une évidence à un enfant particulièrement obtus. Elle accentua ses mots avec un regard appuyé, espérant que cette nouvelle le ferait au moins ravaler son sourire – s’il avait un cœur, ce dont elle commençait à douter.

Mais ce n’était pas suffisant. Oh non, pas question de le laisser s’en tirer comme ça. Déterminée à remettre les pendules à l’heure, Lily fit un pas décidé vers la maison d’Eames, plantant ses pieds avec une énergie presque théâtrale sur le sol de l’allée. Elle n’était pas particulièrement menaçante – difficile de l’être quand on est aussi menue et avec un joli petit ruban blanc dans les cheveux – mais sa résolution était claire. Personne ne parlait de Rose de cette manière, surtout pas un voisin aussi grognon que celui-là. « Dites donc, je pourrais savoir pourquoi la première fois que je vous vois sourire, c’est quand vous pensez que votre amour de voisine est morte ? » lança-t-elle, sa voix montant d’un cran dans une indignation teintée de moquerie. Elle plissa les yeux en le fixant, inclinant légèrement la tête comme si elle cherchait à le percer à jour. L’idée qu’il puisse réellement se réjouir d’une telle chose lui paraissait si absurde qu’elle ne pouvait qu’en rire intérieurement – un rire amer, bien sûr, mais quand même. Elle n’avait pas fini. Oh non, Lily Darling n’était pas du genre à abandonner une joute verbale, surtout quand elle estimait avoir le dessus moral. Elle se redressa, adoptant une posture faussement noble qui tranchait avec son agacement évident. « Et puis je vous ferais savoir que vous auriez aussi beaucoup de chance de m’avoir comme voisine ! » poursuivit-elle, son ton oscillant entre l’attaque et la revendication.

Mais elle ne s’arrêta pas là. Loin d’être intimidée par sa posture rigide ou son regard dédaigneux, elle continua, ses mots jaillissant avec la passion d’une femme qui refuse de se faire marcher sur les pieds. « Je suis super, moi, comme voisine ! » Elle se surprit elle-même à entendre la véhémence dans sa voix, mais une petite partie d’elle s’amusait de cette situation. Elle n’était pas en train de perdre son sang-froid – non, elle marquait son territoire, comme un chat qu’on aurait osé défier. Même si, à bien y réfléchir, comparer son comportement à celui de Minou n’était peut-être pas la meilleure idée pour rester digne.

Elle continua, son débit s’accélérant légèrement, emportée par son propre élan. « Toujours à l’écoute et SUPER agréable ! » insista-t-elle, sa voix teintée d’une irritation si sincère qu’elle en devenait presque comique. Super agréable, vraiment ? Peut-être pas en cet instant précis, mais elle ne voyait pas pourquoi elle devrait ménager un homme aussi glacial et... franchement insupportable. Lily sentit une bouffée de fierté envahir sa poitrine alors qu'elle se redressait. Même si elle était de petite taille – surtout comparée à lui –, même si elle se savait bien loin d'être une héroïne de roman, elle n'en était pas moins convaincue d'avoir toute la détermination nécessaire pour défendre ce en quoi elle croyait. Elle détestait l'injustice, et ce petit affront, même s'il semblait insignifiant, méritait amplement sa réplique. Elle prit une inspiration, comme pour se calmer, mais cela ne fit que renforcer son envie d’ajouter une dernière pique. « Vous auriez beaucoup de choses à apprendre de moi. » Elle accompagna cette phrase d’un regard appuyé, ses yeux pétillant d’une lueur malicieuse. Pour une raison qu’elle ne comprenait pas tout à fait, elle trouvait une étrange satisfaction à le provoquer. Peut-être était-ce parce qu’il semblait si imperméable à tout, si incapable de ressentir la moindre chaleur humaine, qu’elle voyait dans cet échange une occasion de percer sa carapace.