Scarlett a ce sentiment désagréable, un peu prémonitoire, que quelque chose va changer de façon irrémédiable, en revoyant Ruben. La personne qu’elle a été, pendant des années, n’aurait jamais recontacté le jeune homme. Pas après avoir pleuré devant lui. Pas non plus après avoir compris qu’il allait mal et avait besoin qu’on lui tende la main. Et pourtant, elle lui a proposé cet après-midi, et pire encore, elle a réfléchi à l’amener quelque part qui pourrait lui changer les idées. Depuis quand est-ce qu’elle s’inquiète du bien-être de quelqu’un qui ne la paie pas pour ? Elle ne sait pas, et ce changement l’angoisse. Pourtant, quelque chose la pousse à agir, et elle suit son instinct, toujours pas certaine d’être contente de son choix. Qu’est-ce qui l’attend, ensuite ? Est-ce donc ça l’amitié ? Elle se sent ridicule d’admettre qu’elle ne sait pas, qu’elle n’a pas les codes. Cela fait deux semaines qu’elle était persuadée que Ruben ne voulait plus la voir, et maintenant elle réajuste sa position, réalise qu’elle a projetté un peu plus que de raison. Et cela la laisse dans une position inconfortable de ne pas cerner parfaitement une situation, ou les motivations de quelqu’un, et se sent perplexe d’être autant déboussolée. Elle n’arrive pas à croire qu’après tout ce qu’elle s’est construit pour se protéger, ce qui lui ferait perdre son contrôle rigide n’est rien d’autre qu’un imbécile de neurochirurgie qui a décidé d’être son ami pour une raison qu’elle n’a toujours pas compris.

Elle gare sa Tesla sur le parking, qui se trouve derrière la réserve animalière, notamment de koalas. Elle n’habite pas loin mais n’y a jamais mis les pieds, pas très portée sur les petites créatures mignonnes, mais elle s’est dit que ça pourrait être agréable pour Ruben de prendre l’air, de marcher un peu, au lieu qu’ils s’assoient et se regardent dans le blanc des yeux. Elle ne sait même pas s’il compte revenir chez elle - il y a encore ses affaires partout, dans la commode, sa tasse de café préférée dans la cuisine, nettoyée, qui l’attend. Légerement en avance, elle pianote sur son téléphone, répond à quelques mails, jusqu'à ce que le crissement de pneus lui indique l’arrivée de Ruben. Elle regarde son reflet dans le retroviseur, glisse son index sous ses lèvres pour essuyer un peu son gloss, et attrape son sac à main avant de sortir hors de sa voiture pour aller à la rencontre de Ruben.

Il a mauvaise mine, elle le remarque avant même d’arriver à sa hauteur. Une fois plantée devant lui, elle le dévisage, lance un « hey » un peu maladroit, et quelques secondes de silence traînent, elle hésite, elle a un geste vers lui, ne sachant pas ce qu’elle compte en faire, et finalement, sa main tapote maladroitement le bras de Ruben en guise de bonjour. Elle semble à deux doigt de dire allez, fiston, haut les coeurs, et elle fait un sourire qui ressemble plus à une grimace, parce qu’elle n’est pas tactile, ne l’a jamais été, et elle sent qu’elle devrait prendre Ruben dans ses bras mais s’en sent incapable. « C’est, hm, le Lone Pine Sanctuary. Je me suis dit que tu pourrais pas rester triste devant des koalas », elle explique, faisant signe derrière elle vers la réserve, prête à ce que Ruben éclate de rire.


@Ruben Hartfield  

if you're the toast of the town, babe, or if you strike out and you're crawling home

@scarlett bridgers

lieu: lone pine sanctuary, bayside.
(c): whtvrgifs (gif), luleaby (codage).

***
Sur certains points, peut-être - peut-être ! pas tout à fait sur - qu’il s’était un petit peu emballé ces dernières semaines. Disons que lui qui était habitué à avoir le contrôle sur une bonne partie des variables de son quotidien et de sa vie de manière plus générale s’était retrouvé à se prendre les pieds dans le tapis; et au fil des déceptions et des échecs, à ne plus contrôler grand chose. C’était prévisible, même Ben disait qu’il aurait du le voir venir et qu’il s’était douté que cela pouvait se transformer de cette manière là dans un futur plus ou moins proche, mais de l’imaginer et de le vivre était deux expériences différentes. Si bien que lorsque le moment où le château de cartes s’était complètement effondré, il avait réussi à être surpris que ce soit le cas et pris de court que cela puisse arriver. Sa faute, il aurait du se préparer à cette déception là, blablabla - les arguments allant contre ses réactions étaient nombreux et malheureusement que de trop valides.

La partie à laquelle il ne s’était pas du tout attendue et pour des raisons plutôt légitimes pour une fois, c’était que Scarlett lui tourne le dos à travers tout ça. Que d’autres personnes citées sur une liste qui contenait trois noms bien précis ne soient pas contents de son comportement et décide de s’éloigner de lui, soit: cela ne lui plaisait en rien, en témoignait ses agissement, mais il pouvait encore à peu près comprendre pourquoi elles réagissaient de cette manière là. En revanche, que Scarlett en vienne à l’ignorer et à le repousser, il ne comprenait pas la logique derrière tout ça. Elle s’était montrée à lui dans un moment de vulnérabilité parce-qu’il avait eu le malheur de se trouver - comme souvent ces derniers temps - dans ses pattes à ce moment là, mais c’était un coup de pas de chance pour elle: ce n’était pas là une action volontaire de la part de Ruben. Et ce n’était pas non plus comme si c’était quelque-chose qui pourrait lui servir pour quoi que ce soit derrière, donc il ne ferait vraiment rien de cette vision là de la jeune femme - si ce n’était lui donner un coup de main à hauteur de ce qui lui était permis de faire, et ce qu’elle lui permettait de faire surtout. Cela faisait des semaines et des semaines qu’il lui faisait une main tendue, qu’elle refusait de la prendre; certes il ne changerait pas des années d’habitudes et d’histoire personnelle ancrée en elle en un claquement de doigts, mais parfois il suffisait d’un simple déclic et les choses pouvaient aller en s’arrangeant ensuite. Sauf qu’elle refusait cette petite impulsion, qu’elle le repoussait et surtout que désormais, elle s’amusait de lui.

Ou plutôt c’était ce que l’esprit embrumé de Ruben rongeant son frein et broyant du noir avait déduit des dernières semaines - mais ce n’était apparement là qu’une vue de son esprit, de la conversation qu’ils avaient pu avoir par la suite. Tout comme elle pensait qu’il lui en voulait pour il ne savait quelle raison suite au dernier soir qu’il avait passé chez elle et - bref, se la retrouver aujourd’hui lui ferait le plus grand bien.

« hey » Elle s’était plantée devant lui avant d’oser dire quoi que ce soit , pour finalement dans un geste maladroit apposée sa main sur son avant bras. Ce n’était pas dans ses habitudes à elle d’agir de la sorte, parce-que d’ordinaire elle évitait tout contact physique - elle n’appréciait ça pour rien au monde lorsque cela n’avait aucun intérêt pour elle, et un jour il savait qu’il finirait par comprendre pourquoi elle agissait de cette manière là -, alors il appréciait le geste à sa juste valeur en étirant un petit sourire attendri dans sa direction. « Salut. » Mais parce-que Ben était Ben et elle savait que c’était quelque-chose qui allait arriver, lui s’avança vers elle de manière à passer son bras un instant autour d’elle, se déposer une bise sur sa tempe avant de reculer d’un pas: il n’abuserait pas et ne chercherait pas à l’agacer sur la question. « C’est, hm, le Lone Pine Sanctuary. Je me suis dit que tu pourrais pas rester triste devant des koalas » - « J’ai reconnu oui. » Autant parce-qu’il était déjà venu plus petit avec ses parents que parce-que le GPS lui avait indiqué qu’il se rendait là-bas lorsqu’il avait entré l’adresse dans ce dernier. Ruben plissa le bout de son nez. « J’ai donc l’air misérable à ce point là, hein ? » Il ajouta à ses mots un petit rire qui se voulait un brin amusé, mais qui n’aurait surement pas assez le ton pour être pris comme tel. Tant pis: il ne cherchait pas à prétendre à quoi que ce soit là. « C’est une bonne idée. » Il se pencha quelque peu vers elle avant un brin de malice dans le regard. « Je pense que les koalas vont être surpris de te voir ici, mais c’est une bonne idée. » Parce-qu’imaginer Scarlett dans cet environnement n’était pas quelque-chose qu’il avait mis sur sa bingo card de l’année mais il était ravi de voir qu’il pouvait être surpris de cette sorte.

Lui offrant son bras pour qu’elle puisse s’y accrocher, il fit en même temps un mouvement de la tête pour l’inciter à le suivre vers l’entrée du domaine. « Sois pas surprise d’avance: il nous donne un sachet de granulés pour donner à manger aux kangourous. Promis ça vaut le coup. » Qu’elle ne sorte pas à l’employer de l’accueil son meilleur air de dégout quand ils seront là-bas.

Alors que Scarlett tend la main pour toucher Ruben, dans un geste qui se veut réconfortant bien que maladroit, elle a l’étrange sensation que le temps ralentit, et il lui vient la pensée intrusive qu’il pourrait la repousser. Elle connaît leur dynamique, celle qui s’est installé ces derniers mois, l’effervescence de Ruben, toujours trop tactile, la façon dont la distance physique réglementaire entre eux s’est petit à petit réduite parce qu’ils partagent un espace, qu’elle passe derrière lui pour aller attraper une tasse dans l’étagère, qu’ils s’assoient à côté, sous le plaid du canapé, pour regarder un épisode de Succession. Personne n’a jamais occupé le quotidien de Scarlett ainsi, pas même sa propre mère, qui était beaucoup plus absente mentalement et physiquement. Alors Scarlett ne dirait pas que le contact de Ruben lui manque, mais il est indicateur de leur relation : alors lorsqu’il met son bras autour d’elle et embrasse sa tempe, elle ne l’avouera jamais, mais elle ressent une sensation qu’elle ne peut qualifier que de soulagement. Il est toujours Ruben. Et elle est toujours Scarlett. Et ils sont toujours Ruben et Scarlett.

Elle ne laisse pas percevoir ce flot d’émotions, se contente de se redresser, de sourire, et de lui indiquer où ils sont, même si elle se doute qu’en bon Brisbanien, Ruben connaît le lieu. « J’ai reconnu oui. » Elle ne s’est pas attendu à lui faire une surprise, ne se sent pas particulièrement déçue - malgré toute sa bêtise, Ruben est assez intelligent pour reconnaître un lieu sur une carte. Alors elle lui explique ce qui a motivé son choix, arrachant un air pensif à Ruben. « J’ai donc l’air misérable à ce point là, hein ? » Il eut un rire, mais Scarlett se fit la réflexion que le cœur n’y était pas vraiment. Elle marque une pause, hésite. « Tu veux que je sois honnête ? Non parce que je suis venue avec l’idée d’être gentille », elle se défend. Et c’est vrai, elle n’a pas envie de se disputer, de le vexer, pas envie du silence ; elle ne sait pas ce que ça fait d’elle, d’être quelqu’un qui n’a pas envie de s’éloigner d’une autre personne.

Ce n’est peut-être pas une surprise, mais Ruben semble satisfait du choix. « C’est une bonne idée. » Le cœur de Scarlett s’agite un peu, comme s’il répèrerait le goût du travail bien fait.  « Je pense que les koalas vont être surpris de te voir ici, mais c’est une bonne idée. » Cette fois-ci, c’est Scarlett qui grimace malgré elle, la mine sombre. « J’aime bien surprendre, je suppose », elle ironise, passant sa main dans ses cheveux dans un geste dramatique. En vérité, Ruben la connait bien, elle n’a jamais été l’amie des animaux, peu importe qu’ils soient supposément mignons ou non.

Il tend son bras, et elle s’y accroche avec un petit sourire, retrouvant une dynamique à la fois familière et toujours un peu particulière pour elle. « Sois pas surprise d’avance: il nous donne un sachet de granulés pour donner à manger aux kangourous. Promis ça vaut le coup. » Elle a de nouveau une grimace horrifiée. « Oh. J’ai pas pris assez de gel hydroalcoolique, Ben », elle proteste, mais accepte son sort, pénêtrant dans le sanctuaire d’un pas se voulant déterminé.

Ils achètent des billets, et effectivement, on leur remet un sachet de granulés, avec un sourire marqué et un amusez-vous bien. La jeune femme qui leur tend les billets leur donne aussi un plan, et leur souligne les meilleurs spots, vantant le lieu, donnant des petites anecdotes, y compris que la vue, au bout du parc, sur l’océan, au milieu de la nature, est un spot parfait de pique-nique, très romantique, d’ailleurs. Ils la remercient et s’éloignent. Son bras toujours nouée dans le sien, Scarlett se tourne vers Ruben en plissant les yeux. « Tu penses qu’elle a cru qu’on était en date ? » Son sourcil se lève, à la fois interrogatif et amusé. Elle inspire, se tourne vers le chemin qui serpente dans la nature. Heureusement qu’elle a mis ses baskets. « T’es venu y a longtemps ? » Elle demande, curieuse.


@Ruben Hartfield