Lily s’activait en arrière-boutique, enfoncée jusqu'aux coudes dans un mélange de farine, sucre, et pépites de chocolat. L’odeur douce et beurrée de ses cookies fraîchement sortis du four emplissait la petite cuisine, et elle ne pouvait s’empêcher de sourire. C’était ce qu’elle aimait par-dessus tout dans son café : ces moments de calme, loin du brouhaha, où elle pouvait se perdre dans les gestes familiers de la pâtisserie. Ses mains connaissaient chaque mouvement, chaque geste pour façonner les cookies parfaits. Elle posa la plaque sur le comptoir, se frottant les mains pour faire tomber la farine. « Allez, mes petits, c’est l’heure d’aller rejoindre la vitrine. » Murmura-t-elle en souriant pour elle-même. Elle jeta un coup d’œil rapide à son tablier, épousseta quelques miettes imaginaires, puis prit la plaque de cookies encore tièdes pour revenir à l’avant. Sa fidèle employée, Kate, gérait le comptoir d’une main experte, échangeant quelques mots avec un client habituel. La journée était calme, et Lily se sentit détendue, en confiance.

Mais alors qu’elle posait un pied dans la salle principale, sa bonne humeur vola en éclats. Son regard se posa sur un visage qu’elle aurait cru relégué aux souvenirs d’une autre vie, quelque part entre les amourettes de jeunesse et les erreurs de jugement. John. Ce nom jaillit dans son esprit avec une brutalité qui la fit marquer un temps d’arrêt, ses yeux écarquillés d’un mélange de surprise et de choc. Il était là, assis tranquillement, comme si de rien n’était, dans son café, à Brisbane, vingt ans après.

Elle se sentit instantanément transportée dans le passé, à ses seize ans, cette fille un peu naïve qu'elle était, en vacances à l’autre bout du monde, à cette époque ou Brisbane n'était pour elle qu'un lieu exotique... et qui avait laissé son cœur et un morceau d’elle-même entre les mains d’un garçon qu’elle croyait sincère. Elle se souvenait encore de cette nuit, de la douceur maladroite de leurs gestes, de la façon dont elle s’était sentie à la fois exaltée et vulnérable. Et, bien sûr, de ce qui avait suivi, cette grossesse inattendue, l'accouchement sous X, le déchirement de devoir affronter tout cela seule, les silences cruels de ses tentatives de le contacter. Son cœur se serra à ce souvenir, et la colère vint aussitôt troubler ses pensées. « Salopard… » Elle murmure entre ses dents, sentant une pointe d’amertume lui monter à la gorge. Sa famille n’avait cessé de lui répéter qu’il n’avait sans doute voulu qu’une chose : profiter d’une touriste de passage, une proie facile. Il n'avait d'ailleurs probablement même plus un seul souvenir d'elle. Et même si les années avaient adouci cette blessure, elle ne pouvait s’empêcher de le voir comme le manipulateur qui l’avait laissée dans cette situation, coupant tout contact.

Elle déglutit, se retenant de tourner les talons pour fuir en arrière-boutique. Mais non, pas question de reculer. Il fallait qu'elle soit forte. S'il simaginait pouvoir passer un bon moment dans son cocon, il se mettait le doigt dans l'oeil, et pouvait certainement toucher son cerveau avec. Ainsi, depuis qu'elle l'avait aperçu, Lily s'était amusée à multiplier les petites vengeances mesquines, savourant chaque instant. Que ce soit bousculer sa chaise "par accident" alors qu'il buvait une gorgée de café, le faisant tousser et s'étouffer à moitié, lui servir la part de muffin qu'elle réservait normalement à la poubelle – trop cuite et un brin amère, sachant qu'il ne pourrait l'avaler sans froncer les sourcils, ou meme profiter de sa pause toilettes pour échanger le pot de sucre sur sa table par du sel… Tout ce qui lui passait par la tete était exécuté. Et chaque petit geste lui procurait une satisfaction discrète, une douce revanche qui la faisait sourire malgré elle.

Puis, lui vint une nouvelle idée. Lily jeta un coup d’œil rapide vers Kate, occupée à prendre une commande. Personne ne la regardait. La décision fut prise en une fraction de seconde. Elle attrapa un verre et versa une boisson froide, quelque chose de bien rafraîchissant qui ne risquerait pas de le brûler, mais qui ferait assez de dégâts pour lui faire passer l’envie de venir tranquillement profiter de son café. Elle inspira profondément et attrapa un plateau au comptoir pour y poser le verre.

Elle jeta un dernier coup d’œil à John, inspirant calmement, avant d’adopter un sourire en coin. Elle s’avança lentement entre les tables, faisant mine de se concentrer sur son plateau, et s’arrêta enfin à côté de sa table. Elle fit mine de le contourner avec une élégance naturelle, puis, juste au moment où elle passa derrière lui, elle pencha subtilement le plateau. « Oh ! » fit-elle en lâchant un cri de surprise feint, le verre glissant directement sur l’épaule de John. Le liquide froid se déversa, éclaboussant sa chemise d’une couleur vive. Lily étouffa un sourire et porta une main faussement alarmée à sa bouche. « Oh, je suis désolée ! Vraiment ! » Sa voix était douce et enjouée, dissimulant habilement l’éclat de malice dans ses yeux. Elle laissa tomber son ton encore plus compatissant, presque en se retenant de pouffer, « J’espère que ça ne tâche pas trop… » Elle saisit une serviette et fit mine de l’épousseter doucement. Son cœur battait la chamade, mais bon dieu, ce que c'était bien fait pour lui et sa maudite belle gueule.

Ce jour-là, John avait un rendez-vous important dans le quartier de Redcliffe, aux environs de 19h, avec un négociant d'armes en provenance directe d'Asie qu'il devait réceptionner à l'aéroport pour parler "affaires". Comme à son habitude, il aimait se préparer mentalement en amont afin d'être au top psychologiquement l'instant venu. Cette fois-ci, il avait trouvé une petite adresse d'un café cosi dans le même quartier où il prit la décision de s'arrêter afin de grignoter quelque chose avant son rendez-vous. Il avait donc franchi les portes du Novel Book Cafe aux environs de 18h, trouvant l'endroit charmant en termes d'ambiance et de décoration, avant de choisir une petite place tranquille où il pourrait réfléchir en toute tranquillité. Une serveuse passa prendre sa commande où il resta soft avec un café long mais aussi un muffin qui lui apparaissait appétissant. Puis, une fois qu'elle repartit, il la regarda s'éloigner avec gourmandise avant de commencer à regarder dans le vide pour commencer sa préparation mentale, n'ayant sûrement pas remarqué qu'on l'avait observé et reconnu par ailleurs. Lorsqu'on lui apporta sa commande quelques minutes plus tard, il remercia la serveuse d'un sourire charmeur avant de se replonger dans ses pensées. Il goûta son café peu de temps après et le trouva un peu trop corsé à son goût, il décida donc d'ajouter un peu de sucre pour l'adoucir et il le savoura bien mieux par la suite jusqu'à ce qu'on vienne bousculer sa chaise. Il toussa légèrement par la gorgée plus importante qu'il venait d'avaler, manquant d'en renverser de surcroit sur la table. Sans excuse ni rien, il vit une autre femme qui devait travailler ici s'éloigner de là comme si de rien n'était. Cela l'irrita un peu mais il devait rester concentré pour son rendez-vous. Il finit son café quelques minutes plus tard et décida de se rendre aux toilettes pour une pause technique.

A son retour, regardant sa montre, il avait encore une bonne demi-heure avant de mettre les voiles vers l'aéroport. Il n'avait pas encore touché au muffin qu'il avait commandé et il croqua de bon cœur dedans. Une légère grimace prit place sur son visage alors qu'il trouvait le gâteau bien trop dense et ferme, sans compter qu'il manquait de goût. Après avoir fini sa bouchée, il tenta de rajouter du sucre dessus afin de voir si cela passerait mieux. Mais à peine eut-il croqué un autre bout que cette fois c'est une grimace de dégoût qui s'afficha et il entreprit alors de se lever rapidement pour aller recracher sa bouchée dans les toilettes. Constatant que ce n'était visiblement pas du sucre qu'il avait rajouté mais du sel, alors même que quelques instants plus tôt, il lui semblait bien avoir pris le même pot pour sucré son café mais il devait certainement faire erreur. A son retour des toilettes, il commanda un verre d'eau à la serveuse qu'il avait vu initialement, insistant sur le fait qu'il aimerait bien une boisson bien fraiche si possible mais ne revenant pas sur le désagréable moment qu'il venait de vivre malgré tout. John retourna alors s'asseoir à sa place en soufflant un grand coup. Tout cela l'avait distrait et il avait quelque peu perdu le fil de ses pensées et il mit un certain temps avant d'arriver à se reconcentrer. « Oh ! » une petite voix s'était fait entendre juste derrière lui avant qu'il ne ressente un liquide frais se renverser depuis son épaule puis sur sa chemise et enfin son pantalon. "Mais c'est pas vrai !" John s'était exprimé d'un ton irrité tout en se redressant alors d'un seul coup sous le coup de la surprise. « Oh, je suis désolée ! Vraiment ! » lui dit la serveuse maladroite d'une petite voix. Aaaaah ! Il avait envi de crier et de se révolter. Avait-il encore le temps de rentrer chez lui pour se changer avant de revenir à l'aéroport pour son rendez-vous, rien n'était moins sûr désormais... « J'espère que ça ne tâche pas trop... » La serveuse avait pris une serviette pour tenter de l'essuyer et corriger sa maladresse. Sous le coup de la colère il n'avait même pas fait attention à l'accent charmant de la serveuse et vu qu'elle avait gardé la tête baissée, il n'avait pas pu voir son visage. John avait fait un pas en arrière avant de s'adresser à elle d'un ton sec et aussi froid que le verre qu'elle venait de lui renverser dessus. "Je crois que vous en avez déjà fait assez comme ça... Allez plutôt me chercher le patron que je lui dise ce que je pense de sa boutique"

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Lily sentait encore son cœur tambouriner dans sa poitrine, une douce frénésie s’emparant d’elle au moment où elle avait renversé cette boisson glacée sur John. Ce petit plaisir coupable se mélangeait à un pincement d'angoisse, une tempête de sensations à la fois. Mais alors qu’elle observait le liquide s’imprégner dans le tissu de la chemise de John, la satisfaction l’emportait largement. Une revanche si minime, certes, mais ô combien savoureuse après toutes ces années et ce souvenir amère qu’il avait laissé. Ah, ce premier amour de vacances, qui s'était si vite transformé en cauchemar. Ses quinze ans, des étoiles plein les yeux, persuadée que le monde se pliait sous la douceur de leurs baisers et de leurs rires partagés au bord des plages australiennes. Mais voilà, dès son retour à Londres, les messages qu'elle lui avait envoyés étaient restés sans réponse. La nouvelle qui avait suivi, si lourde, si précipitée… et toujours le même silence. En fin de compte, elle avait dû renoncer à tout cela, tourner la page, le cœur lourd. Mais aujourd’hui, le passé était revenu en grande pompe et, pour la première fois, c’était elle qui en tenait les rênes. Et elle ne se priverait pas d’en profiter, même si son cœur continuait de marteler dans sa poitrine.

Quand John exprima, d’un ton sec et irrité, son mécontentement, Lily sentit son sourire s’étirer encore plus. Oh, elle aurait pu feindre un peu plus d’excuses, être une patronne dévouée, comme elle l'était la plupart du temps. Mais la situation actuelle lui donnait envie de jouer avec le feu, de titiller ce même homme qui l'avait autrefois réduite en miettes. Elle se redressa alors, prenant le temps de l'observer d'un air faussement intrigué, savourant chaque fraction de seconde où il semblait furieux et aussi désarçonné qu'elle l'avait été il y a vingt ans. Et puis, là, il demanda à voir “le patron”. Ah ! Ce fut comme un cadeau qu’il lui offrait sans même le savoir. Elle retint un rire à peine, trop consciente de la portée de la petite réplique qu’elle s’apprêtait à lancer. « Aller chercher le patron ? » Elle arrêta net son geste de fausse réparation, et pour la première fois, croisa son regard franchement, presque triomphante. Elle vit son regard surpris, certainement par son rire léger, qui venait détendre l’atmosphère autant qu’il en provoquait une nouvelle acidité. Elle recula d'un pas, se donnant de l'espace pour que la réplique puisse mieux résonner, et croisa les bras avec une assurance qui n'avait rien de feint – ou presque. De quoi jouer les figures d’autorité, tout en restant assez proche pour observer chaque réaction qu’il pourrait avoir. Elle pencha la tête sur le côté, laissant un sourire mutin s’épanouir sur son visage. Oh, l’idée de voir cet homme dépité face à sa propre maladresse, et la réalisation qu’il ne tenait aucune cartes, c’était une forme de douce vengeance que Lily n’aurait jamais pu prévoir. « Ce sera pas nécessaire, dommage pour vous. » Elle ne parvint pas à chasser la teinte moqueuse dans sa voix. L'idée que John soit là, face à elle, sans même la reconnaître, lui faisait un effet étrange, un mélange d'amertume et d'amusement, teinté d’une pincée de défi. Elle se sentait comme une funambule, prête à retomber d’un instant à l’autre, mais c’était exaltant.

Lily sentait encore le tourbillon d’émotions au creux de son ventre, bien sûr. Les souvenirs des messages restés sans réponse, de son cœur brisé et de l’enfer de cette grossesse d’adolescente. Elle n'avait jamais eu la chance de lui dire tout ça, de lui hurler sa rage ou de lui montrer le poids de ses actes et de son absence. Et elle le savait bien, jamais elle ne le pourrait. Encore faudrait-il qu’il se souvienne d’elle, pour ça. Mais en vérité, à cet instant, cela n'importait que peu. En fait, elle préférait qu’il reste dans l’ignorance, qu’il la voie simplement comme une femme fière de son café, comme une patronne dont l’attitude insolente ne lui laissait aucun moyen de contrôler la situation. En un sens, c’était beaucoup mieux pour elle et sa fierté que de n’être vue que comme cruche n°397, celle dont il avait sûrement oublié le nom à la seconde où elle avait mis un pied dans son avion de retour, à la fin des vacances.

Alors, lentement, elle inclina davantage la tête, ses bras toujours croisés et son regard malicieux planté dans celui de John. Peut-être que son rire et son attitude le troublaient, mais elle s'en moquait éperdument. Il ne méritait pas son respect, pas après ce qu'il avait fait – ou plutôt, ce qu'il n’avait pas fait. Et cette scène aujourd'hui était presque une justice poétique. « Et donc, qu'est-ce que vous en pensez, de ma boutique, au juste ? » Elle l’interrogea avec un ton bien trop amusé pour être honnête, ses mots sucrés et lents, comme pour l’obliger à réfléchir à chaque détail avant de répondre, le défier de prononcer quelconque mauvaise parole sur sa boutique, malgré tous les petits coups fourrés qui lui étaient pourtant tombés dessus.

Agacé par la situation, John demanda à voir le patron et cela provoqua un petit rire de la serveuse qui venait d'arrêter d'essayer de réparer sa maladresse. Il la regarda alors avec une totale incrédulité. « Aller chercher le patron ? » Elle s'était exprimée tout en relevant le visage et les yeux pour la première fois vers lui afin de croiser son regard. Le ton employé par la femme qui lui faisait face était rempli de triomphalisme, accompagné d'un regard plein de mépris envers lui alors qu'il était lui-même la victime de toutes ces maladresses, sans compter le muffin indigeste qui lui avait été servi. En la regardant, il était totalement surpris et déstabilisé par ce petit bout de femme qui faisait bien vingt centimètres de moins que lui mais qui avait pris un ascendant sur lui sans qu'il ne voit le coup de venir. Puis il la regarda faire un pas en arrière avant de croiser les bras puis de voir un sourire espiègle naître sur son visage « Ce sera pas nécessaire, dommage pour vous. » ajouta-t-elle d'un ton moqueur. Que voulait-elle dire ? Que c'était elle la patronne de ces lieux ? Et quand bien même, cela ne changer rien au fait que c'était lui la victime dans cette histoire... alors pourquoi avait-elle l'air aussi sûre d'elle et triomphante à son égard ? Le fait qu'elle se soit légèrement reculé lui donnait une vision plus globale de celle qu'il croyait serveuse et il eut bien malgré lui un air de déjà vu dans son esprit, sans qu'il n'arrive à mettre le doigt dessus pour le moment... Se pouvait-il que ce soit une ancienne conquête ? Vu le nombre de femmes qu'il avait croisé dans sa vie et surtout celles qu'il n'avait vu que le temps d'une seule soirée, voir dans un état avancé d'ébriété, cela n'allait pas être simple à retrouver trace de celle-ci... Mais de toute manière elle ne lui laissa pas vraiment le temps de réfléchir à cette hypothèse alors qu'elle continuait de s'adresser à lui « Et donc, qu'est-ce que vous en pensez, de ma boutique, au juste ? » Elle avait pris le temps de peser ses mots sur un rythme plus lent et, quelque part, plus doux que précédemment. "Alors déjà..." John avait commencé d'un ton toujours agacé. Non mais pour qui elle se prenait ? C'était totalement le monde à l'envers là ! Et pourtant le timbre de voix qu'elle avait utilisé le troubla et le coupa dans sa réplique. Il y avait également un léger accent, une intonation exotique qui lui indiquait qu'elle n'était vraisemblablement pas originaire d'Australie. Tout son corps semblait s'éveiller à quelque chose, comme s'il répondait à son signal, mais son esprit était bien trop obnubilé par la colère pour y faire attention "... votre muffin... votre muffin était..." Pourquoi n'arrivait-il pas à exprimer sa colère ? C'était comme si tout son corps essayait de le museler de lui-même. Que lui arrivait-il ? Quelle sorte de pouvoir pouvait-elle bien avoir sur sa propre personne ? "Vous... vous... vous êtes..." Il s'était concentré sur la femme qui se dressait face à lui et bien qu'il essayait d'exprimer ce qu'il ressentait, le ton de sa voix à chaque mot devenait de plus en plus faible, absorbant sa colère au fur et à mesure pour y laisser un ton plus doux et perdu alors que la connexion que lui ordonnait son corps prenne finalement possession de toutes les cellules de son corps et de son âme et qu'il réalise enfin qui était la personne qui se tenait debout devant lui. "Lily ?" Cela était tout d'abord sorti sans qu'il n'en ait la certitude. Non, cela ne pouvait pas être elle, c'était impossible ! Inimaginable même. Elle était partie et John s'était finalement convaincu qu'elle faisait partie d'une autre vie, voir même qu'elle n'avait jamais existé, pour éviter de repenser à tout le mal qu'elle avait pu lui faire. Mais lorsqu'il vit le trouble dans ses yeux à la prononciation de son prénom, il sut immédiatement que c'était bien elle.

"Lily" dit-il cette fois d'une voix plus convaincue. Mais il ne savait pas comment réagir tellement un flot d'émotions le submergeait à cet instant précisément. Jamais, au grand jamais, il n'aurait imaginé la revoir un jour. Celle qui était apparu tel un ange dans sa vie d'adolescent. Qui avait réussit à le charmer avec son air si doux et si exotique à la fois. Il s'était laissé emporter par ses émotions ainsi que par ses pulsions et ils avaient finis par goûter au fruit défendu à la suite pour la première fois tous les deux. Des moments qu'il avait souhaité ne jamais oublié mais qu'il avait finalement fini par faire abstraction à cause du mal que tout cela lui avait fait. Lorsqu'elle était repartie vivre en Angleterre, elle lui avait pourtant promis de garder contact avec lui et il n'avait pas douté une seule seconde de sa sincérité. Et pourtant... et pourtant il avait essayé de lui envoyer plusieurs messages dès le soir de son départ pour s'assurer qu'elle était bien arrivée mais il s'était dit qu'elle devait seulement être fatiguée avec le décalage horaire pour ne pas lui répondre. Le lendemain encore, il se dit qu'elle devait encore être occupée à ranger ses affaires puis à raconter son séjour à ses amis. Et les jours suivants encore et encore, essayant de lui trouver une excuse à chaque fois... mais qui devenaient de moins en moins probables au fil du temps, il lui avait alors fallu se rendre compte de l'évidence et il s'était sentit si vulnérable, si faible, si fragile, si triste... qu'il se promit ce jour-là de ne plus jamais tomber amoureux. Plus jamais... On lui avait brisé le cœur une seule fois et il ne laisserait plus personne être en capacité de l'atteindre à ce niveau. Et pourtant elle se trouvait désormais à nouveau là, devant lui, en colère contre lui, mais visiblement aussi troublée qu'il la reconnaisse. "Qu'est-ce que... Depuis quand... Tu es... Pourquoi ?" Il n'arrivait pas à être cohérent dans ses propos, tellement de questions lui traversait à l'esprit par centaines à la seconde. Que faisait-elle ici ? Depuis quand était-elle revenue sur Brisbane ? Il la trouvait encore plus belle qu'à l'époque... Mais pourquoi ne l'avait-elle jamais recontacté ? Pourquoi même elle ne lui avait jamais répondu à ses messages ? Pourquoi elle était en colère contre lui ? Il avait besoin de comprendre... "Pourquoi ?" dit-il une nouvelle fois mais d'un ton profondément triste et abattu

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Lily sentit son cœur marquer un raté lorsqu'il prononça son prénom. Elle aurait pu jurer que son visage s'était figé également, juste un instant, trahissant sa panique. Elle entrouvrit les lèvres pour répondre, mais aucun son ne sortit immédiatement. Elle sentait son cœur battre trop vite, se débattant presque pour ne pas se laisser submerger par les émotions. Son estomac se tordait, et en une fraction de seconde, elle perdit toute la contenance qu’elle avait courageusement rassemblé pour lui faire face. Qu’il la reconnaisse ne faisait absolument pas partie de ses plans. D’aucun des scénarios qu’elle s’était faite de cette confrontation en l’approchant quelques instants plus tôt. Et Lily se retrouvait maintenant à devoir faire face à une panique intérieure.

Comment… Comment pouvait-il se souvenir d’elle après toutes ces années ? Lui, qui avait sans doute eu des centaines de conquêtes, des visages et des corps plus beaux, plus proches de lui dans cette vie effrénée qu’elle lui imaginait. Pourquoi, au milieu de tout cela, son nom à elle revenait-il comme une ombre troublante dans son esprit ? Elle se sentit soudain terriblement vulnérable, et un voile de panique embruma son esprit. « Non, » elle répond d’une voix brusque, bien trop rapide. Son regard fuyant, incapable de soutenir celui de John, trahissait déjà son mensonge. Elle détourna les yeux, tentant de reprendre le contrôle, cherchant un appui invisible dans la pièce, quelque chose, n’importe quoi qui lui permettrait de chasser ce tourbillon d’émotions avant qu’il ne devienne incontrôlable. « Vous... vous faites erreur, » murmura-t-elle en ramenant les bras croisés contre elle dans une posture de défense, son regard encore rivé ailleurs, vers le mur, le sol, n’importe où sauf vers lui. Elle voulut faire diversion, détourner la conversation vers n’importe quoi d’autre. Le muffin ? Sa chemise, peut-être ? Elle prit une grande inspiration, essayant de rassembler le peu de maîtrise qu’il lui restait, son cœur battant toujours trop vite. « Alors... cette chemise, elle n'est pas trop tachée ? » balbutia-t-elle, sa voix un peu trop tremblante, trahissant son agitation malgré elle. Elle lutta pour retrouver son ton moqueur, celui qu’elle avait maîtrisé quelques instants plus tôt, mais il sonnait maintenant faux, incertain. Et puis, elle savait que John pouvait sûrement voir les larmes qu’elle s’efforçait de retenir. Elle serra un peu plus les bras autour d’elle, comme si cela pouvait la protéger du regard troublé de John, ce foutu regard qui n’avait pas de sens à être troublé, cette reconnaissance qui n’avait pour elle aucun sens. Il lui demandait pourquoi, mais pourquoi quoi, au juste ? Lui en voulait-il d’avoir accouché sous X ? De n’avoir pas plus insisté dans ses messages ? D’avoir fini par abandonner ? Mais comment aurait-elle pu faire autrement ?

Et lui, il était là, devant elle, son regard plongé dans le sien avec cette tristesse insensée, et elle sentait toutes ses défenses s’effriter peu à peu. Ses mains tremblaient presque imperceptiblement, mais elle les dissimula sous ses bras croisés, luttant pour ne pas craquer. Elle avait toujours prié de ne pas le revoir depuis son retour à Brisbane. Elle avait longtemps cru que peut-être avait-il déménagé loin, lui aussi. Après tout ce qu’elle avait cru, après tous les espoirs qu’il avait piétinés sans même une explication... « Pourquoi est-ce que... » Elle s’interrompit brusquement, réalisant que la question ne servirait à rien. Après tout, pourquoi l’aurait-il ignorée à l’époque pour lui accorder maintenant cette reconnaissance, ce regard si troublé ? Elle ravala la question, serrant la mâchoire pour ne pas laisser échapper le tremblement de sa voix. Elle ne voulait pas lui donner cette satisfaction, pas après l’abandon, le silence cruel de toutes ces années.

Elle s’efforça de reprendre une voix plus assurée, mais elle ne pouvait empêcher un léger tremblement de percer lorsqu’elle murmura, presque pour elle-même, « Vous devriez partir... » C’était tout ce qu’elle parvint à dire, incapable de soutenir plus longtemps la tension de son regard, le poids des non-dits qui se dressaient entre eux comme un mur invisible mais infranchissable. Elle détourna le visage, espérant qu’il ne remarquerait pas les larmes qui bordaient maintenant ses cils, prêtes à couler au moindre mot supplémentaire. Au fond d’elle, un cri silencieux lui hurlait de rester, de l’interroger, de comprendre pourquoi il n’avait jamais répondu, pourquoi il l'avait laissée seule à affronter les conséquences de leur nuit. Mais une part plus grande d’elle-même ne voulait pas entendre les réponse, pour se protéger de cette douleur, de cette blessure béante qui s’était rouvert à l’instant même où il avait prononcé son prénom.

Elle prit une profonde inspiration, sans oser le regarder à nouveau, et ajouta d’une voix étranglée, comme une supplique, « Juste... va t’en. S’il te plaît. »

Lily... John venait de prononcer ce prénom à voix haute tout en éprouvant des sensations totalement différentes. C'était le surnom qu'il avait donné à sa soeur depuis qu'ils étaient tout petits et il ne s'en était même jamais séparé depuis lors. Un surnom qui était synonyme pour lui de tendresse, de partage, de complicité et d'amour. Alors, lorsqu'il avait rencontré cette ravissante et charmante petite anglaise alors qu'il était encore qu'un adolescent, il avait trouvé amusant qu'elle puisse s'appeler ainsi. Il avait pris cela comme une évidence, un signe du destin pour lui indiquer qu'enfin la roue finissait par tourner pour lui et qu'il pouvait enfin sortir de ce cercle infernal qui avait été entamé par la mort tragique de ses parents alors qu'il n'avait que 2 ans. Lily... ce simple mot était donc le symbole de la rédemption et la voie du bonheur. Cette rencontre tombée de nulle part, ou plus précisément d'Angleterre, avait été une révélation, un signe pour John, qui y avait sincèrement cru. Jusqu'à ce qu'elle ne reprenne l'avion pour Londres et que le rêve ne se transforme alors en cauchemar. Avant d'en devenir le point de départ d'une lente et inéluctable descente aux enfers pour John... « Non... » Lily lui avait répondu rapidement comme pour se convaincre elle-même de cette impossibilité. Mais John avait bien vu la lueur qui était passé à travers les yeux de Lily à l'évocation de son nom avant qu'elle ne le fui du regard. Il savait pertinemment qu'il ne s'était pas trompé et répéta alors son prénom d'une voix davantage convaincue. « Vous... vous faites erreur. » insista-t-elle dans un murmure en prenant une attitude défensive de repli sur elle-même. John était encore bien trop bouleversé pour réagir à cet instant. C'est donc Lily qui essaya de faire diversion la première. « Alors... cette chemise, elle n'est pas trop tachée ? » Elle avait essayé de retrouver de la consistance mais cela ne marchait pas. Tout dans son attitude et son langage corporel parlait à sa place et trahissait le mal-être qui l'habitait autant que John. Il essaya à son tour de dire quelque chose sans arriver à être cohérent dans ses propos pour autant, laissant la mélancolie de l'instant se traduire par un simple "pourquoi" pouvant avoir une multitude d'interprétation.

Elle releva enfin les yeux vers lui après sa question. Le silence était pesant, l'atmosphère était lourde. Sans qu'ils ne s'en rendent compte, le petit cocon créé par Lily était étrangement silencieux. La plupart des autres clients, en tout cas ceux qui étaient le plus proche de la scène initiale, étaient plongés dans un état de circonspection, comme s'ils attendaient de voir ce qui allait se passer désormais. « Pourquoi est-ce que... » Lily essayait de poser elle-même une question, à moins que ce n'était pour que John puisse préciser le fond de sa question. Il avait bien remarqué l'émotion qui semblait également l'envahir à cet instant. Un peu comme si... comme si elle ressentait la même chose que lui. Un mélange de tristesse, d'incompréhension et de colère par rapport à ce qu'ils avaient vécus. « Vous devriez partir... » ajouta-t-elle finalement dans un murmure avant de détourner le regard à nouveau. Mais ses trois mots avaient suffi à transpercer le corps et le coeur de John de part en part et il en restait un instant la bouche à moitié ouverte. "Pour de vrai ?" Un constat d'étonnement s'était échappé d'entre ses lèvres sans qu'il n'arrive à se contrôler. Sa voix était troublée, même lui avait du mal à la reconnaître tellement il avait enfoui toutes ces émotions au plus profond de son corps tout en espérant ne jamais les revoir refaire surface un jour. "C'est vraiment ce que tu veux... Lily ?" Il avait laissé un léger temps mort avant de prononcer une nouvelle fois son prénom comme pour se remémorer ce lien qui les unissait et qui avait existé un jour. Mais la réaction de Lily ne fut pas celle qu'il espérait « Juste... va t'en. S'il te plaît. » Elle lui avait répondu d'un ton suppliant, elle voulait qu'il parte le plus loin possible d'elle. Elle ne voulait pas le voir... Elle ne voulait même pas le regarder... Non, juste qu'il parte. John avait pris cette nouvelle demande comme un uppercut. S'il était habitué à encaisser les coups depuis tout petit avec les violences auxquelles il avait dû faire face dans les différentes familles d'accueil qu'il avait connu, canalisant la colère de leurs hôtes sur sa propre personne afin de protéger sa petite sœur, il n'était en revanche pas habitué à subir des joutes verbales qui, pour lui et à cet instant, était d'une violence inouïe. Il ne pensait plus à sa chemise tâchée, ni même à son rendez-vous à venir, il tenait à peine sur ses jambes et malgré cela, il ne pouvait que se résoudre. Il émit un soufflement de plainte avant de poser un pied devant l'autre et prendre la direction de la sortie.

Ce n'est que quelques pas plus loin que son esprit essaya de se rebeller et de reprendre le dessus sur l'abattement de son corps tout entier. "NON" dit-il alors d'un ton bien plus décidé et fort qu'il ne l'aurait imaginé. Son intervention avait fini d'étouffer les dernières conversations qui avaient lieux de l'autre côté du café et tous les regards convergeaient désormais vers le duo, alternant de l'un à l'autre, sans qu'ils ne s'en rendent compte. "Je ne peux pas..." continua-t-il d'un ton affirmatif. Il ne voulait pas fuir, il voulait des réponses. Et il se retourna alors pour regarder de nouveau dans la direction de Lily "C'est sans doute plus facile pour toi de me chasser... et de m'oublier... Mais cette fois il n'y aura pas un avion et des milliers de kilomètres pour nous séparer. Je refuse de partir..." Bien que déterminé, John avait encore une voix où l'on pouvait y percevoir des tremblements. Elle l'avait déjà ignoré il y a 20 ans de cela, il était hors de question pour lui que leur histoire suive le même chemin aujourd'hui... "Tu ne peux pas me rayer aussi facilement de ta vie Lily..." conclut-il en attendant de voir sa réaction.

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Lily se sentait piégée dans ce café, entourée de regards, au centre d’une scène qui la dépassait. Cette sensation de vulnérabilité, si brutale et si inattendue, la mettait à nu. Elle aurait voulu être partout sauf ici, face à John, face à ses propres failles qui refaisaient surface, alors qu’elle s’était jurée de les oublier. Quand John prononça son "NON" avec force, un autre choc la parcourut, et elle sursauta. C’était comme si sa propre réalité venait de s'effondrer. La détermination dans sa voix semblait irréelle, presque impossible à associer à l’image qu'elle s’était faite de lui, celle de quelqu’un qui, selon elle, avait choisi de la rayer de sa vie sans un mot, sans une explication. Elle sentit la panique monter en elle, tout en lançant des regards paniqués autour d’elle. Les clients observaient la scène avec un intérêt à peine voilé, et elle ressentait la brûlure de leurs regards insistants comme un poids insoutenable.

Elle aurait voulu lui répondre, lui crier sa douleur, son incompréhension. Mais les mots lui échappaient, désordonnés, incapables de former des phrases cohérentes. La confusion et l’émotion trop longtemps refoulée prenaient le dessus. Elle ouvrit la bouche, cherchant à articuler, mais ce qui en sortit n'était qu'un flot de paroles brisées, heurtées, trahissant son incapacité à exprimer l'intensité de ce qu'elle ressentait. Le rayer de sa vie ? Si c’était facile de le chasser ? Mais de quo parlait-il ? Comment osait-il prononcer ces mots, lui qui n’avait même pas eu un mot pour elle depuis son départ, malgré la nouvelle de sa grossesse ? Elle ouvrit la bouche, mais aucun mot ne sortit immédiatement. C’était comme si son cerveau se décomposait, fragment par fragment, incapable de former une phrase cohérente. L’incompréhension brûlait dans ses yeux, noyant les images du passé, celles d'une jeune fille éperdument amoureuse et d'un garçon qui lui avait fait croire au bonheur, pour ensuite la laisser tomber, ou du moins, c'est ce qu'elle avait cru. Des éclats de phrases désordonnées se formèrent, se heurtèrent. « Mais— tu– » Elle cherchait désespérément ses mots, son souffle s’accéléra, comme si elle suffoquait sous le poids d’une vérité inarticulée. « Quoi ? » reprit-elle, sa voix tremblante, presque étranglée, incapable de poser une question précise, tant les souvenirs semblaient la submerger. « Pourquoi– » Elle déglutit difficilement, perdue dans ce mélange de colère et de douleur qui remontait en elle comme une marée, comme un raz-de-marée prêt à la renverser.

La panique montait en elle, s’intensifiant alors que John ne cessait de la regarder, comme s’il pouvait lire chaque émotion, chaque pensée dans ses yeux. Elle voulait lui dire ce qu'elle avait ressenti, à lui qui semblait lui en vouloir pour une raison qu’elle n’arrivait pas à comprendre. Combien elle s’était sentie abandonnée, combien ssa vie avait été difficile alors qu’il avait décidé d’ignorer leur situation, de ne jamais lui répondre. Mais les mots se dérobaient sous la pression écrasante de ses émotions. « C’est toi qui– » Elle avala difficilement sa salive, la gorge serrée, et continua, les phrases heurtées, sans logique, sans lien. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, mais elle s’efforça de les retenir. Elle ne voulait pas pleurer devant lui. Lily balbutia encore : « Et moi, je– » Elle inspira un grand coup, essayant de se reprendre. « Toute seule ! » finit-elle par cracher d'une voix à peine audible, mais pleine de reproches, presque déchirante. « Pendant le– pire moment– » Elle sentit sa gorge se nouer, comme si les mots eux-mêmes refusaient de sortir, de laisser paraître toute la douleur qu’elle avait accumulée pendant des années. Les regards autour d'eux se faisaient de plus en plus pesants, curieux, comme si la petite scène qui se déroulait devant eux était devenue une sorte de spectacle. Elle sentait chaque chuchotement comme une aiguille dans sa chair, chaque regard comme un jugement silencieux sur une histoire qui ne leur appartenait pas, mais qui semblait les captiver. C’était trop. Tout était beaucoup trop. Elle n’avait jamais voulu cette confrontation publique, jamais voulu exposer ainsi les cicatrices de son passé devant une foule d’inconnus. La panique montait en elle, paralysante, écrasante, une sensation d’étouffement grandissant à chaque seconde. Lily baissa les yeux, comme pour échapper à l'intensité de tous ces regards autour d’elle, et murmura : « Je… je peux pas, je– » Sa voix tremblait, presque inaudible, mais pleine de détresse. Elle se tourna, sentant ses jambes faiblir, cherchant désespérément une échappatoire. Elle ne pouvait pas rester ici, pas avec tous ces souvenirs, ces yeux curieux, et surtout pas avec John, là, devant elle, réveillant une blessure qu’elle s’était acharnée à enfouir au plus profond de son cœur.

Sans attendre de réponse, elle se détourna et se dirigea d'un pas vacillant vers l’arrière-boutique. Elle avait besoin de s’éloigner, de retrouver un semblant de contrôle. Derrière la porte, elle se laissa glisser le long du mur, ses mains crispées contre sa poitrine, comme pour contenir la tempête qui grondait en elle, tentant de retrouver une respiration normale, quitter cette impression de suffocation. Elle était seule à nouveau, dans cet espace qui lui semblait soudain trop étroit, trop oppressant, comme si même les murs portaient le poids de sa tristesse. Les larmes, celles qu’elle s’était promis de ne plus verser, avaient profité de sa solitude pour se déverser sans retenue. Elle pensait avoir tourné la page, être passée à autre chose. Elle pensait avoir accepté l'idée qu'il ne reviendrait jamais, qu'il l'avait oubliée, laissée derrière. Elle avait fini par intégrer cette douleur, à en faire un souvenir amer qu’elle évitait soigneusement de réveiller. Pourtant, aujourd’hui, il était là, avec ses mots, ses yeux qui la fixaient avec intensité, troublant tout ce qu’elle s’était évertué à oublier. Elle s’efforçait de reprendre son souffle, les mains tremblantes, la gorge serrée. Elle essuya ses larmes dans un geste inutile alors qu’elles continuaient à couler, et secoua la tête comme pour effacer ces pensées. Elle n'était plus cette adolescente naïve, en proie aux rêves et aux promesses. Elle s'était construite une vie à elle, loin de cette douleur qui lui avait autrefois semblé insurmontable. Mais face à lui, à sa soudaine présence, tout semblait fragile, instable, prêt à s'effondrer à nouveau.

Lorsque John se rebella enfin contre la situation, il n'avait pas vu Lily sursauter à son intervention de refus sonore de quitter l'établissement comme elle venait de lui demander juste avant. Il ne pouvait pas, c'était au-dessus de ses forces, il voulait des explications. Elle l'avait déjà rayé une fois de sa vie, sans aucun ménagement, et il refusait qu'elle ne s'en sorte aussi facilement une seconde fois. Alors il se retourna pour l'avoir à nouveau dans son champ de vision et lui expliqua son point de vue, mais lorsqu'il eut terminé, il pouvait observer de l'incompréhension et de l'émotion, énormément d'émotions, dans les yeux de la jeune femme. « Mais— tu– » John l'observait attentivement, attendant qu'elle lui apporte enfin des réponses, mais elle ne semblait pas trouver ses mots. « Quoi ? » lui demanda-t-elle ensuite. John avait envie de lui répéter ses propos mais finalement il ne dit rien car il savait très bien qu'elle avait parfaitement entendu le reproche qu'il venait de lui faire. « Pourquoi– » "Pourquoi ?" répéta John juste après elle, toujours sous le coup de la colère. Pourquoi est-ce qu'il lui avait dit cela ? C'était pourtant assez simple à comprendre mais il jugea qu'il devait malgré tout se faire plus précis dans ses propos "Car tu ne peux pas disparaître quand ça t'arrange Lily..." son ton c'était malgré tout apaisé avec ses derniers mots, comme pris par l'émotion et le déchirement qu'il avait vécu adolescent qui remontait à la surface à cet instant. Mais, encore une fois, Lily ne réagit pas du tout comme il se l'était attendu. Il s'attendait à la voir en colère, qu'elle l'insulte de tous les noms d'oiseaux qui aurait pu lui passer par la tête, qu'elle lui dise qu'elle ne l'a jamais aimé et qu'elle voulait tout simplement qu'il disparaisse de sa vie. Mais non, à plonger son regard dans le sien, il pouvait voir qu'elle était paniquée de cette situation, qu'elle était envahie de doutes et d'incompréhension. « C’est toi qui– » John la regarda d'un air interrogatif également. Il avait du mal à comprendre. C'est lui qui quoi ? Qui disparaissait ? Alors qu'il n'avait jamais quitté la ville de Brisbane, c'était elle qui s'était envolée à l'autre bout de la terre avant de revenir ici par la suite, pas lui. D'ailleurs il aurait bien aimé savoir depuis combien de temps elle était revenue sur Brisbane ? Et pourquoi elle ne l'avait pas recontacté depuis ? Cela lui fit mal d'ailleurs d'imaginer qu'elle était finalement si proche de lui alors qu'il la pensait évaporer dans la nature depuis deux décennies désormais. « Et moi, je–» Lily avait toujours autant de mal à compléter ces phrases et John était attentif, la regardant reprendre sa respiration. Elle allait enfin lui révéler pourquoi elle ne lui avait jamais répondu. Il allait enfin avoir la réponse à la question qui l'avait tourmenté pendant des mois avant de finalement l'enterrer sous terre en espérant que cela ne ferait plus jamais surface. Mais le fait de revoir Lily avait suffit à déterrer ce cercueil dont John voulait désormais découvrir le contenu. « Toute seule ! » cracha-t-elle finalement d'une toute petite voix, remplie de désespoir. "Quoi ?" demanda alors John totalement incrédule, n'étant pas sûr d'avoir bien entendu. En tout cas, ce qu'il avait entendu n'avait absolument aucun sens pour lui. Comment pouvait-elle se plaindre ou lui reprocher d'avoir été toute seule après ce qu'elle lui avait fait. Il commença alors à se rapprocher d'elle pour mieux l'entendre. « Pendant le– pire moment– » "Hein ?" John avait vraiment l'impression à cet instant d'être sur une autre planète à essayer de communiquer avec un extra-terrestre. "Mais qu'est-ce que tu racontes Lily enfin ?" John continuait de se rapprocher d'elle et n'arrivait pas à tout connecter. Tout cela n'avait absolument aucun sens. « Je… je peux pas, je– » John ignorait si c'était son approche ou la situation elle-même qui était dévenu insoutenable, mais il avait bien vu qu'elle était submergée par un flot d'émotions dont elle n'arrivait pas à faire face et cela lui brisa le cœur de la voir dans cet état, car malgré la rancoeur initiale qu'il avait à son attention initialement, jamais il n'aurait voulu la voir triste. Il la regarda s'enfuir vers une porte afin de quitter la salle principale. "Lily !" John avait bien essayé de l'interpeler pour qu'elle s'arrête mais cela n'eut absolument aucun effet alors qu'il la regarda disparaître de son champ de vision tel un fantôme qu'il aurait imaginé.

John ne savait pas d'abord comment réagir mais il se décida finalement à suivre son pas en se dirigeant vers la même porte, juste avant que la serveuse qu'il avait vu initialement ne se mette en travers de son chemin "Non" lui dit-elle d'un ton sérieux à son attention. La situation avait de quoi faire sourire. Croyait-elle vraiment qu'elle pourrait l'empêcher de franchir cette porte s'il le désirait ? Alors qu'elle faisait bien une tête de moins que lui et cela sans compter la carrure athlétique de John, elle n'avait absolument aucune chance. Cependant, il n'avait jamais fait de mal à une femme et ce n'est pas aujourd'hui qu'il commencerait. Alors il prit un air abattu en inclinant la tête et en soufflant avant de regarder vers la gauche "C'est quoi ça ?" il avait prit un ton surpris suffisamment convaincant pour faire tourner la tête de la serveuse dans la direction souhaitée afin qu'il ait le temps de passer de l'autre côté et de franchir la porte dans la foulée. John se retrouva alors dans les cuisines de la boutique et il regarda de tous les côtés à la recherche de Lily. "Lily ?" Il essaya de l'appeler mais la seule réponse qu'il eut fut le bruit de la porte derrière lui avec la serveuse qu'il l'avait rejoint à son tour. "Vous ne pouvez pas rester ici Monsieur" Elle avait beau resté poli, John n'en avait rien à faire et il remarqua une autre porte au fond vers laquelle il se dirigea. Mais la serveuse courut pour se mettre une nouvelle fois en travers de son chemin, juste devant la porte qui devait menait vers une arrière-boutique, une réserve de condiments ou quelque chose dans le genre. "Laissez-moi passer svp" John était bien conscient qu'il ne pourrait pas lui faire deux fois le même coup alors il tenta la méthode douce et polie. "Désolé mais non" La serveuse ne semblait pas disposée à changer d'avis pour autant. "Je veux juste lui parler" John n'était pas du genre à se laisser emporter par ses sentiments, mais le fait de revoir Lily l'avait totalement déstabilisé. Le ton qu'il avait employé été limite suppliant, sonnant comme un tout dernier espoir. "Pour moi c'était assez clair qu'elle ne veux plus vous parler" "Sérieux ?" John n'en revenait pas de l'aplomb de la serveuse. Elle ne bronchait toujours pas face à lui, impassible sur ses positions, il fallait qu'il tombe sur la meilleure employée de l'année. C'était totalement improbable ! "Lily !" Il tenta alors de l'appeler sur un appel plus fort, dans l'espoir d'un retour. Sans se douter un seul instant qu'elle se trouvait juste de l'autre côté de la porte et qu'elle pouvait déjà entendre leur échange depuis le début. Cependant, elle ne lui répondit pas. La serveuse ne dit rien d'autre également, comme si elle acceptait le fait qu'il lui parle ainsi, tant qu'il ne cherchait pas à franchir cette porte supplémentaire. John profita alors de cette occasion pour dire ce qu'il avait plus ou moins sur le cœur "Lily, je... je ne comprends pas ta réaction... ce que tu voulais dire..." Il était ému et il avait baissé la tête pour éviter de croiser le regard de la serveuse. "Je veux juste comprendre... Je ne veux pas te faire du mal... Je n'ai jamais voulu te faire du mal..." ajouta-t-il en ne comprenant pas la douleur qu'elle semblait ressentir après l'avoir revu. "Je... je te recontacterais..." John savait désormais qu'elle était en ville et qu'elle avait une boutique, elle n'allait pas repartir aussi vite que la dernière fois et il aurait donc une autre occasion de pouvoir obtenir des réponses. "Promis..." ajouta-t-il finalement alors qu'il fit demi-tour pour sortir des cuisines puis du Novel Book Cafe. Tellement bouleversé par cette rencontre qu'il en oublia totalement son rendez-vous à suivre. Ce n'est qu'une demi-heure plus tard, lorsqu'il reçu un appel de son contact qu'il se reconnecta à la réalité. Comme s'il avait été emporté dans une bulle totalement iréelle à l'intérieur de ce petit cocon douillet qui ressemblait tant à l'image de celle qui fut la seule qu'il ait réellement aimer un jour...

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