@Leonard Carlson

Avoir un enfant, Nate n’y avait jamais songé. Il n’avait jamais eu l’opportunité que l’idée même fasse son petit bout de chemin tant ses relations avaient été éphémères ou chaotiques. Il était encore suffisamment jeune pour y avoir droit un jour, mais en voyant ses amis goûter à cette expérience, il se demandait s’il était bien capable de renoncer à une certaine forme de tranquillité. Être l’oncle cool lui suffisait amplement pour le moment. De là où il était, Nathan n’avait pas pu voir Archie nourrisson, mais il avait fait en sorte de rattraper cela depuis. Le pré-adolescent avait bien évolué depuis leur première rencontre, mais leur relation en était d’autant plus forte qu’il était maintenant capable de tenir un discours cohérent. Dans l’histoire, Nate avait le bon rôle : il pouvait être l’épaule compréhensive de Leo tout en étant l’oreille attentive pour son fils aîné. C’est pour cette raison que pour éviter que son ami de longue date ne crise et finisse par se cacher sous la couette pour éviter les chamailleries de ses enfants, Nate lui avait proposé de passer avec ses deux garnements. Pour Archie, il avait prévu une séance en tête-à-tête avec les alpagas, ces derniers ayant bien besoin d’un coup de brosse et ayant la faveur du jeune garçon. Pour Noah, un tour de poney ferait sûrement l’affaire. De là où ils seraient, les deux adultes pourraient surveiller Archie tout en occupant (et en calmant, Nate l’espérait, le plus petit).

En attendant l’arrivée de la petite famille suite au S.O.S envoyé par Leo, Nate avait sorti les accessoires de brossage de ses camélidés et avait équipé son plus beau poney pour que tout soit prêt à temps. Il se doutait que les enfants débarqueraient avec un vrai besoin de profiter de l’espace pour ne pas se croiser. Quant à leur père, il avait vendu de quoi piquer la curiosité de l’aspirant vétérinaire. Que pouvait-il bien avoir à lui dire qui mérite d’être mentionné par message ? Nate n’était pourtant pas un fervent amateur de petites histoires et de ragots, mais il était pressé de savoir ce qu’il se passait dans la vie de Leo. Ces derniers temps, le tonton cool n’avait pas eu de vrai moment à accorder au père de famille. Entre la fin de ses études, la recherche d’un stage et la tenue de la ferme et du refuge, il n’avait pas vraiment eu le temps de se mettre à jour. Il espérait donc qu’en occupant les garçons, les deux hommes pourraient échanger comme il se doit.

A peine avait-il terminé de préparer le poney qu’il entendit un véhicule s’avancer dans l’allée. Archie descendit le premier, claquant la porte derrière lui pour s’éloigner rapidement de son père qui s’occupait de détacher son frère. « Hey Archie, ça roule ? » lança-t-il au garçon tout en lui tendant son poing pour qu’il le check. En quelques mots, Nate comprit que l’ambiance était tendue. Il indiqua à l’aîné que les alpagas attendaient leur « beauty routine » et qu’il pouvait faire comme d’habitude en fermant l’enclos derrière lui pour se mettre dans sa bulle et s’occuper de ses animaux préférés malgré la concurrence des chatons.

super-uncle mode on
Leo & @Nate Ramsey ☆ crédit/senatora

« Je t’emmerde, papa. » Je cligne des yeux, je me dis que j’ai du mal à entendre, que ce n’est pas possible. Mon gamin de 12 ans ne vient pas de me dire ces mots. « Pardon ?! » Archie baisse les yeux, encore heureux : il n’assume pas ses paroles, et moi, il me semble que je me désintègre de l’intérieur. Je n’étais pas prêt à ça, ces mots sortant de la bouche de mon petit garçon. Pourtant Archie, c’est le garçon sage, celui qui ne fait pas de vague, qui est réservé et bosseur. Et là, je l’emmerde, parce que je ne veux pas lui payer un téléphone portable. « Monte dans ta chambre et réfléchi à ce que tu viens de me dire. » Dès que les pas de mon fils ont disparu dans les escaliers, je m’écroule sur la chaise de la salle à manger, le visage dans les mains. Je n'assure pas, vraiment pas. « Papa ? » Je lève les yeux sur un Noah tout excité, un grand sourire aux lèvres. « Je t’emmerde moi aussi. » Je suis mal barré… 
 


Il  aura fallu plusieurs minutes pour que j’explique à mon cadet qu’il ne doit pas répéter ces mots. Il me semblait y avoir réussi jusqu’à ce que je l’entende dans le salon jouer avec ses voitures en répétant : « Je t’emmerde, oui, moi aussi, je t’emmerde. Broum, Bam. » J’ai besoin de prendre l’air. Je n’ai pas besoin de beaucoup réfléchir avant d’envoyer un message à Nate. Sa ferme a le don de canaliser les garçons. Archie considère Nate comme l’oncle qu’il n’a pas eu la chance d’avoir, l’oncle cool là où son père est vraiment trop nul. Et quand mon père, dans un moment d’égarement, lui a avoué que Nate avait fait de la prison, son émerveillement a encore grimpé d’un cran. Pour ce qui est de Noah, c’est bien plus les animaux qui l’intéressent que la présence de Nate, quoi qu’il adore me répéter qu’il est plus fort que moi, et que lui peut le faire tourner au moins 10 fois dans les airs avant d’être fatigué. 
 


« Je vous préviens, les garçons, on ne ramène pas du nouvel animal à la maison ! » Notre chat et nos deux cochons d’Inde sont déjà issus de la ferme de Nate et, avec le chien d’Eva en plus, je ne peux pas me permettre un nouvel habitant dans la maison. Quand la voiture arrive enfin à destination, un soupir quitte mes lèvres. Je n’ai rien le temps de dire, Archie est déjà en dehors de la voiture, il claque la porte un peu trop fort à mon goût, apparemment, il n’a pas assez réfléchi dans sa chambre. Nous sommes accueillis par Cooper, à qui Noah et moi faisons une petite caresse avant de nous diriger vers Nate, qui semble avoir compris rapidement le critique de la situation. « Merci de nous accueillir, Nate, tu me sauves. » Je ne sais pas ce que je ferais sans mes amis. Il a d’ailleurs déjà donné une occupation à Archie. « Nate ? » Je vois à la bouille de Noah qu’il va dire une bêtise. « Archie, il a dit : Je t’emmerde. C’est pas beau, hein ? » Bien, apparemment, avec un gamin dans le coin, pas de possibilité de laisser un peu de suspense. Nate relève les yeux vers moi et je concède. « Je t'expliquerai… » Il faut encore qu’on se débarrasse de la tornade. « C’est pour moi le poney ? » Apparemment, l’activité est toute trouvée. 

La paternité n’était clairement pas un challenge facile. C’était comme recommencer une partie du jeu de la vie en optant pour le niveau de difficulté le plus élevé. Nate l’avait encore mieux compris au moment où il avait déçu ses parents en se dirigeant tout droit vers la case prison. Il ne lui avait jamais dit, mais il ressentait une profonde admiration pour son ami qui élevait ses deux fils seul. En guise de démonstration, il se montrait disponible pour accueillir la famille dès que besoin. En retour, Leo avait ouvert ses portes à plusieurs animaux qui avaient séjourné à la ferme-refuge. Une forme d’échange de bons procédés, du moins jusque’à ce que son ami décrète que sa maison ne pouvait plus accueillir d’habitants à quatre pattes, à moins que Nathan ne subventionne la construction d’une extension.

Si Archie s’était montré fermé à son arrivée, l’aspirant vétérinaire et gérant de la ferme avait vite compris pour quoi. Dans la majeure partie des cas, il pouvait compter sur le cadet, Noah, pour éclairer la situation. Cette fois-ci, il semblait qu’Archie avait dépassé les bornes en usant d’un vocabulaire qu’il ne pouvait pas avoir entendu chez lui. Leo faisait attention à son langage. Il lui arrivait de commettre des impairs, mais aucun qui puisse expliquer les termes employés par l’aîné des Carlson. Volontaire pour apaiser les tensions, Nate checka le petit poing de Noah et le reprit gentiment sur son vocabulaire. Il ignorait si cela aurait de l’effet, mais il avait au moins eu le mérite de tenter quelque chose. « C’est pour moi le poney ? » obtint-il en guise de réponse. Bon. Il était encore moins sûr de l’efficacité de sa remarque. Pour autant, il décida de ne pas revenir sur le sujet initial et de profiter de l’enthousiasme de l’enfant. « J’sais pas moi… Tu voudrais bien lui tenir compagnie, toi ? » Dit-il pour jouer le jeu alors qu’il savait pertinemment que le petit mourait d’envie de s’occuper de l’animal. Devant la réponse affirmative de ce dernier, il récupéra la brosse qu’il avait prévue et la tendit devant lui. Escortés par le père de famille, les deux complices gagnèrent la carrière pour que le poney puisse trottiner en paix pendant qu’on lui court plus ou moins après. Une fois installés, Nate invita son ami à venir s’installer près de lui, ses bras appuyés sur la barrière qui entourait l’enclos. Maintenant que les deux principaux protagonistes étaient occupés et pouvaient être surveillés à distance, il espérait bien pouvoir être une oreille attentive pour Leo. Ce dernier affichait une mine particulièrement renfrognée et pensive. « Bon alors, tu m’expliques ce qui a déclenché l’ambiance guerre froide ? »

@Leonard Carlson  

super-uncle mode on
Leo & @Nate Ramsey ☆ crédit/senatora

C’est un soulagement d’être enfin arrivé chez Nate. C’est sans complexe que je suis prêt à lui passer la main avec les garçons. Aujourd’hui, je suis presque prêt à les oublier quelques jours à la ferme. Nate devrait pouvoir se débrouiller, non ? Tout semble plus simple pour lui avec Archie, sans doute parce qu’il n’est pas son père, mais le tonton cool. Pour ce qui est de Noah, l’idée de l’abandon à la ferme est plutôt une constante, les piles n’étant jamais à zéro pour cette petite terreur. C’est donc avec plaisir que je laisse Nate reprendre mon benjamin sur son vocabulaire fleuri. Anecdote balayée en quelques secondes quand le regard de Noah se pose sur le poney. « Je ne sais pas moi… Tu voudrais bien lui tenir compagnie, toi ? » Il ne faut pas le demander deux fois à Noah qui sautille déjà d’excitation. Les quelques pas qu’il nous faut faire pour atteindre la carrière étant déjà presque de trop. Heureusement que Nate a tout prévu, lui donnant de quoi brosser le poney et occuper ses mains. Une fois Noah affairé à la ballade, je m’accoude à la barrière pour l’observer. Un long, bien trop long soupir franchit mes lèvres. « Bon alors, tu m’expliques ce qui a déclenché l’ambiance guerre froide ? » Je jette un coup d’œil à mon ami avant de lui répondre las. « Ne fais jamais de gosses, Nate, je te promets, au début, ils sont tout mignons et après ça devient des sortes de petits démons caractériels. » Je finis tout de même par lâcher un petit rire. Évidemment, malgré mes mots, mes enfants sont la plus grande réussite de ma vie, mais certains jours, je dois user de mon sang-froid pour ne pas les abandonner au bord de la route. Aujourd'hui est un de ces jours. 
 

« Archie a décidé qu’il était temps pour lui d’avoir un téléphone portable. » Et quand je dis décidé, c’est bien pour exprimer que ce n’était pas une requête, mais une exigence. 
« Et que son vieux père le faisait chier parce qu’il ne voulait pas. » C’est le genre de décision qu’il est difficile à prendre pour moi aujourd’hui. Le genre que Sloane gérait à ma place, malheureusement pour moi, nous n’avions jamais parlé de l’âge réglementaire pour le téléphone portable. « Rassure-moi, tu trouves aussi qu’il est trop jeune ? » Certes Archie est un gamin consciencieux, et mise à part l’écart d'aujourd’hui, je n’ai pas grand-chose à lui reprocher. Mais l’idée qu’il puisse avoir un accès non contrôlé à Internet me semble impensable. C’est encore un enfant. « Ou je suis vraiment un vieux ronchon ? » Je rigole à nouveau en attendant le verdict de mon ami. S’il n’a pas d’enfant, il est sans doute l’une des personnes de mon entourage qui connaît le mieux les garçons, ces derniers le considérant comme de la famille. Nate ayant même eu le luxe de les avoir un peu en pension après le décès de Sloane, une action amicale pour me soulager, pour laquelle je lui serais éternellement reconnaissant. Gérer toute la paperasse administrative et l’incompréhension de mes enfants ayant été insurmontable pour moi.