4 novembre 2024, 16h42

J'ai l'air con... voilà ce que je me dis pour la troisième fois en repassant une énième couche de fond de teint tout autour de mon œil gauche. J'ai beau ajouter du correcteur jaune pour éliminer le bleu, plus j’étale, plus il resurgit. Dans un grognement rageur, je balance le tube dans le lavabo et jette l’éponge - au sens figuré seulement, puisque je me maquille avec mon doigt. Tant pis. De toute façon, Eve n'est pas dupe. Même avec trois tonnes d'anti-cernes, elle verra mon coquard à un kilomètre. Il ne me reste plus qu’à assumer. C’était mon idée d'aller la voir, après tout. J'aurais pu attendre quelques jours de plus, histoire d'avoir une tronche présentable, mais... non. J'ai besoin de la voir, parce qu'il me manque quelque chose que seule Eve a su m'apporter ces deux dernières années : un sentiment de réconfort et de sécurité alors que mon monde s'effondre.

Pourtant, tout allait relativement bien depuis quelques mois. Ouais - relativement. La coloc avec Mia était au top. Puis y a eu les dérapages. Mon job au casino se passait bien. Puis y a eu Danaë. Ma rancœur envers ma mère commençait enfin à s'estomper un peu, assez pour que je considère même l’idée de retourner chez elle pour enfin récupérer le reste de mes affaires. Puis y a eu mon "père." Je pensais avoir enterré tous ces vieux souvenirs, ces traumatismes. Puis y a eu Gina et ses excuses inattendues.

En bref, il y a eu trop... trop d’évènements difficiles à digérer ces derniers temps, et je crois que ça a contribué à ma perte de contrôle d'il y a quelques jours, qui m'a laissé ce petit souvenir autour de l’œil. C'est pas si terrible que ça... ma peau a déjà bien dégonflé. Mais je dois bien admettre que je me sens honteuse à chaque fois que mon regard croise mon reflet dans la glace. Malgré tout, je sais que je le referais. Peut-être différemment, oui... un peu moins bêtement. Je ferais en sorte de protéger mon visage, pour commencer - j'savais pas que ma peau marquait si facilement - mais je le referais.


Une demi-heure plus tard, j'arrive sur le palier de la maison en bord de mer, une boîte de sucreries à la main, et appuie sur la sonnette. Rien que l'odeur iodée me fait du bien. Puis y a pas photo : ça me manque de vivre dans une grande maison. J'aime l'appartement que je partage avec Mia, et l’indépendance, ça n'a pas de prix, cependant... j'ai quand même l'impression qu'on se marche dessus, parfois. Quelques secondes plus tard, j'entends des pas de l'autre côté du mur, et j'esquisse un sourire penaud lorsque Eve apparaît derrière la porte.

"Saluuut..." Je lui tends la boîte. "J'ai apporté des donuts. C’était soit ça, soit de la crème glacée mais... elle aurait déjà fondu."