C’est avec la sensation que la tête va lui exploser qu’Elisa se réveille pour la première fois. Nuit ou jour ? Elle a perdu la notion du temps il y a déjà quelques jours. Elle a l'impression de ne pas avoir dormi depuis trop longtemps, alors que c'est complètement l’inverse. Elle est épuisée. Elle peut dormir parfois des journées entières sans qu’un regain d’énergie ne lui vienne. Elle ne travaille plus. Elle n'en est plus capable. Pas sûre que Oscar s'en soit même rendu compte. Il n'y a personne à ses côtés dans le lit conjugal. Encore. Cette constatation l’a soulagé les premières nuits. Maintenant, ce n'est qu’une source d’angoisse supplémentaire. Il y a des journées où elle ne croise même pas son époux. Il pourrait déserter la maison la nuit entière qu’elle ne s'en rendrait même pas compte. C'est une idée qui lui traverse la tête de plus en plus souvent, qui la terrorise de plus en plus souvent. Pourtant, elle ne fait rien. Elle n'a pas la force de faire quelque chose pour lui enlever l'idée de sauter la clôture. Peut-être que c'est déjà fait depuis longtemps.

Elle a l'impression qu'il est deux heures du matin tellement elle a du mal à aligner ses idées. Mais non, son téléphone lui indique qu'il est à peine vingt heures. Elle soupire, se traîne hors de son lit. Des aspirines. Elle en avale deux avant de se diriger vers la cuisine. Elle se coule un verre d'eau. Charly vient presque tout de suite à sa rencontre. Au moins un qui est encore heureux de la voir. Il est bien sa seule compagnie ces temps-ci, quand Oscar ne le lui enlève pas. Après tout, le chien préfère bien plus aller dépenser son énergie avec son maître que de consoler sa maîtresse. Elle s’installe sur une des chaises. Charly vient déposer sa tête contre sa cuisse. Elle lui caresse la tête. Le silence n'est plus aussi lourd dans la maison. Elle le préfère aux conversations catastrophiques qu'ils ont eu. Elle préfère le silence aux mots difficiles d’Oscar qui hante toujours son esprit. Elle l’a mérité. C'est ce qu'elle s'est d'abord dit avant d'avoir l'impression de sonner comme une femme battu qui encaisse la faute de son bourreau. Elle est malade. Elle est brisée. Voilà une autre chose qu’elle a du mal à encaisser.

Charly la quitte et elle en est immédiatement déçue. La solitude la prend de plein fouet. Il s’installe sagement devant la porte d'entrée, jappe devant l’inactivité de sa maîtresse. « C’est bon, j'arrive. » Ça lui fait presque étrange d'entendre sa voix percer le silence. Charli s’excite lorsqu’elle se lève. Elle est surprise que Oscar ne soit pas déjà apparu pour s'occuper de lui. C'est là que l’angoisse lui noue l'estomac d'un seul coup. Il est pas là. Le chien jappe de nouveau quand elle passe à côté de lui, qu’elle l’ignore. Elle se dirige vers le bureau d’Oscar. La porte est fermée. Elle l'ouvre doucement, comme si elle avait peur de tomber face à face avec lui. La pièce est vide. Il n'est pas là. C'est pas si anodin qu'il soit pas là à une heure pareille, mais Elisa ne prend pas toujours le temps de réfléchir ces temps-ci. Elle n'est pas toujours logique. L'idée de lui envoyer un message pour savoir où il est lui passe par la tête. Ses doigts lui brûlent, mais elle n'en fait rien. Sortir Charly. Elle passe dans sa chambre, enfile des vêtements pour la première fois de la journée, fouille dans les tiroirs d’Oscar. Elle lui vole un hoodie qu’elle enfile avant de retourner à l’entrée. Elle prend sa laisse et la porte d'entrée s’ouvre au même moment. Son regard se pose sur Oscar qui semble surpris de la voir. Elle l'est tout autant. Elle ne sait plus trop si elle est soulagée ou non de le savoir enfin rentrer. « Où est-ce que t’étais ? » Elle se surprend presque que la question sorte d'entre ses lèvres, le regrette aussitôt. Elle ne veut pas qu'il lui réponde, se convainc presque qu'il va lui mentir. Elle se penche pour attacher la laisse au collier de Charly. « Tu viens avec nous ? » qu’elle lui demande sans même le regarder. Elle s'attend à un refus. Ça la blesserait quand même qu'il le fasse. Ça aussi, elle regrette de lui avoir demandé. Elisa n'a jamais eu peur que son mari la repousse, mais elle sait qu’aujourd'hui, les choses sont différentes entre eux. Elle a franchi des limites inacceptables à ses yeux.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

Une nouvelle étape franchie, une nouvelle sensation qu’il meurt un peu plus de l’intérieur. Oscar n’a pas retrouvé le lit conjugal depuis la dernière soirée qu’ils ont partagée, incapable de remettre les pieds dans la chambre, si ce n’est en coup de vent pour prendre quelques habits. Incapable de faire face à sa femme à nouveau, de la regarder dans les yeux après ce qu’il lui a dit. Il s’en veut, et elle en veut aussi. Il lui en veut de leur faire ça, de le repousser, de refuser de lui parler et de ne rien lui expliquer, de se plonger dans l’alcool alors que c’est tout ce qu’elle déteste et de l’en rendre responsable. Saoule, triste, minable, il ne l’a pas reconnu la dernière fois qu’il l’a vu, une étrangère en face de lui qui a effacé sa femme et toute l’estime qu’il avait d’elle. Ce constat qui le brise : il ne sait pas comment la faire revenir. Comment l’aider alors qu’elle refuse tout contact avec lui. Alors il fuit, pour ne pas voir, ne pas entendre, ne pas ressentir. Sa drogue, pour lui, c’est le sport, tout pour vider son esprit. Il n’a jamais été en aussi bonne forme physique et en aussi mauvaise forme psychologique. Il se sent couler avec sa femme, refuser le noir qui teinte son cœur, se ferme à toute forme de sentiment pour survivre. Il ne sait plus s’il est encore capable de ressentir, tout est expié dans la dépense physique. Quand il ne court pas, il va boxer ou prend son vélo et roule le plus loin possible. Pour s’éloigner de sa maison, de sa femme, de la peine. Les simples mots qu’il a confiés à sa sœur qui lui brûle encore la gorge, comme une trahison à son couple. Il a rompu le pacte silencieux entre eux, et ça ne lui a pas fait du bien, ça ne l’a pas soulagé. Ensuite, il a refermé les valves, il est convaincu que cet aveu de faiblesse n’a jamais existé. De cette manière, il peut encore rester un peu dans le déni de la fin de son couple.
 
Oscar est sorti de la piscine depuis plus d’une demi-heure, il lui a tout au plus fallu 10 minutes pour rentrer chez lui et pourtant, il n’a toujours pas poussé la porte de la maison. La lumière est allumée et l’idée de croiser sa femme lui tord les entrailles Il l’a si bien évité récemment qu’il ne sait pas ce qu’une nouvelle confrontation pourrait donner. Planté sur le parking, il observe la baisse, se souvient d’avoir aimé cet endroit si profondément. Quand ils étaient venus le visiter ensemble, ça avait été une évidence, leur futur nid douillet, l’endroit où il fondrait leur famille. Ils y avaient mis toute leur énergie pour en faire un endroit qui leur ressemble. Aujourd’hui, pourtant, il n’y voit qu’un bâtiment froid et vide, dans lequel il n’a plus envie de rentrer. C’est un début de crampe dans sa jambe droite qui le pousse à se diriger vers la porte pour l’ouvrir. Ces souhaits ne sont pas entendus, à peine a-t-il pénétré dans la demeure qu’il se retrouve en face de sa femme. Dans son regard, il ne voit que le vide, ne sait pas qui est cette femme en face de lui, pourtant l’enveloppe corporelle est presque identique, à part quelques kilos en moins. « Où est-ce que tu étais ? » Il s’étonne de la question, reste statique sans un mot. Se demande si ça l’intéresse vraiment. « J’étais à la piscine. » Il dépose son sac de sport au sol comme une preuve de sa sincérité. L’espace d’une seconde, il s’en veut de ne pas lui avoir envoyé un message pour la prévenir, puis se souvient aussi vite que même les messages sont devenus presque inexistants entre eux. En l’observant mieux, il remarque qu’elle s’est habillée pour sortir, et que Charly le regarde en remuant la queue. Il voit aussi le bleu sur son visage, qui semble presque déjà jaunir, preuve qu’il n’est pas du jour, et fait le constat qu’il n’a pourtant aucune idée de son origine. « Tu viens avec nous ? » La question a de la peine à être assimilée par son cerveau. « Pourquoi ? » Est sa première réponse immédiate, pourquoi est-ce qu’elle veut qu’il vienne ? Est-ce qu’elle a pris sa décision, est-ce que c’est maintenant qu’elle va le quitter pour de bon. « Enfin, je veux dire non. Oui. » Il bégaie, ça ne lui ressemble pas de perdre ses moyens de la sorte, et pourtant, c’est tout ce qu’il a à lui offrir ces dernières semaines. « Oui, je viens avec vous. » Il caresse la tête de son chien venu quémander un peu d’attention. N’ose pas soutenir le regard de sa femme. Pose ses affaires et reprend la porte dans l’autre sens. Pendant plusieurs secondes, ils marchent côte à côte dans le silence. La main d’Oscar enfoncée profondément dans ses poches, son regard au loin. Le silence entrecoupé uniquement par les bruits de pas et le son emporté par Charly. « Qu’est-ce qui est arrivé ? À ton visage ? » Il rompt finalement le mutisme, son ton inquiet crevant le silence de la nuit. Inquiet, apeuré, soucieux, tracassé… Il pourrait faire la liste des synonymes au complet pour décrire son état actuel. Terrorisé serait aussi juste. Il n’est pas sûr qu’ils pourront se relever d’une nouvelle dispute, d’une nouvelle altercation qui se déroule mal, peut-être même qu’il est déjà trop tard pour ça.

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Ils semblent aussi surpris l'un que l'autre lorsqu'ils tombent face à face, à croire qu'ils ont oublié qu'ils ne vivaient pas seuls dans cette maison. « J’étais à la piscine. » Elle le regarde poser son sac de sport au sol. Mais Elisa a déjà décidé qu’elle ne le croyait pas avant même qu'il ouvre la bouche. Elle est presque tenté de vérifier s'il sent le chlore de la piscine. Elle sait déjà que non. Ce qu'elle sait pas c'est s'il s'est douché pour enlever le fameux chlore ou le parfum d’une autre femme. « Ok. » Elle ne prend même pas la peine de cacher son scepticisme, mais ne le contredit pas à voix haute pour autant. À quoi bon ? Elle continue plutôt de s'occuper à sortir Charly. Elle lui propose même de les accompagner. « Pourquoi ? » C'est la première réflexion qui sort de sa bouche. La proposition est assez rare, habituellement inexistante pour qu'il ait forcément une raison derrière cette invitation. Peut-être qu’elle aurait dû ne rien dire. Peut-être que ça ne fera qu’accélérer la chute de leur mariage… si c'est vraiment possible d'être pire qu’en ce moment. Ils ne se sont pas vus depuis des jours. Qu’est-ce qui peut vraiment être pire que ça ? Elle est sur le point de lui dire de laisser tomber, mais il reprend la parole avant qu’elle n’intervienne. « Enfin, je veux dire non. Oui. Oui, je viens avec vous. » Elle fronce les sourcils. C'est pas un oui très enthousiaste. C'est un oui forcée, alors qu’elle ne le force nullement. Elle s'y attendait de toute manière qu'il refuse. Elle aurait sûrement fait de même manière si la proposition venait de lui. « T’es pas obligé. » qu’elle ajoute. Elle lui offre une porte de sortie sur un plateau d'argent. Il ne la saisit pas. Il fait demi-tour pour repasser la porte qu'il vient à peine de franchir et elle lui emboîte le pas.

C'est sans doute pathétique de se dire que c'est la première fois qu’elle sort de la maison depuis deux jours. Incapable de sortir de son lit, n’en voyant même pas l’intérêt. L'air frais lui fait du bien. Elle a déjà l'impression que sa tête se porte mieux. Ses jambes les remercient de les dégourdir un peu. Son regard se tourne quelques instants vers Oscar qui marche à ses côtés. Elle se demande si elle doit glisser sa main dans la sienne. Il fait déjà noir. Il n’y a personne dans les rues pour juger s'ils ont l'air ou non d’un couple épanouie. Elle se demande quand même si elle le peut. Juste pour se prouver à eux-même qu'ils sont encore un couple marié, qu'ils ne sont pas une cause perdue. Comme si Oscar pouvait lire dans ses pensées, il fout les mains dans ses poches au même moment. C'est totalement insensé, mais ça lui pique le coeur. Elisa reporte son regard vers l’avant et resserre sa main sur la laisse de Charly. Heureusement qu'il est là pour mener la danse. Le silence entre eux la fait soudainement angoisser. Elle ne sait pas quoi lui dire. Elle voudrait lancer une conversation banale comme avant. Elle sait même plus de quoi il parlait, avant. Son cerveau tourne à plein régime, mais rien ne sort d'entre ses lèvres. C'est le brun qui brise le silence en premier. « Qu’est-ce qui est arrivé ? À ton visage ? » Elle met quelques secondes à comprendre de quoi il parle. Elle a même oublié qu’elle avait l'air de s'être prise une droite en plein visage. Ça va, elle n'a pas non plus pris tous les mauvais plis de son frère. « Oh, euh, c'est rien. » qu’elle débute, banalisant déjà la chose. En même temps, les dommages n’étaient que matérielles. Ni elle, ni l'autre conducteur n'avait été blessé dans l’impact. Pas gravement du moins. « J’ai eu un accrochage. » qu’elle précise tout de même en se disant qu’un c’est rien ne suffirait sûrement pas comme explication. Peut-être qu'il n'aurait quand même pas cherché à savoir plus loin, va savoir. « J’sais plus trop ce qu'il y a à réparer.. ou combien ça va coûter. » Parce qu’elle n'en a absolument rien à faire, elle s'en souvient plus. Elle paierait trois fois le prix qu’elle s'en foutrait. Elle donnerait sa carte et passerait à autre chose. « Désolé… j'ai… j’aurais dû faire plus attention. » qu’elle ajoute en le regardant qu’une fraction de seconde, prenant totalement le blâme pour l'incident. Elisa se penche pour détacher le collier de Charly lorsqu'il arrive au parc à chien. L'endroit est vide à une pareille heure, mais l’éclairage est toujours allumé. Le chien part immédiatement à courir et le couple se retrouve soudainement bien trop seul.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

Les pas d’Oscar sont calmes, son souffle lent, son esprit lui est en feu. Il se dit que s’il ferme les yeux, s’il y pense assez fort, il peut changer la donne. S’imaginer dans un autre endroit. Directement, son esprit le ramène 10 ans auparavant, les pieds dans le sable, sa main dans celle de sa femme. Il se revoit en lune de miel, se souvient du soleil chaud sur sa peau et de cette certitude qu’il a fait le bon choix, que la femme à côté de lui est celle de sa vie. À l’époque, il n’avait aucun doute, c’était une sensation douce et apaisée. Depuis des semaines, maintenant, cette sensation vient le cueillir la nuit. Il ne rêve plus que de ça, de cette période de sa vie, de cette sensation de certitude qui aujourd’hui semble être en train de s’effriter. Il pourrait faire des cauchemars, mais non, les nuits sont douces et les réveils de plus en plus durs. Quand il ouvre les yeux pour se rendre compte qu’il est sur le canapé de son bureau, le retour à la réalité est comme un coup de fouet. Peut-être qu’il préférait encore les cauchemars. Et pourtant, cet instant de répit lui rappelle son amour pour elle, le renvoie à la femme qu’il a épousée, à la promesse qu’il a faite et qu’il ne sait plus comment tenir. Ce sont ces instants qui lui permettent de ne pas totalement s’échapper, qui le font rester encore, rentré tous les soirs dans leur maison. Même si aujourd’hui, tous les mots qui sortent de sa bouche semblent être remis en question. Il n’a pas manqué le regard suspicieux d’Eli, quand il a dit être allé à la piscine. Il se demande ce qui se trame dans son esprit, à quoi elle pense. Une maîtresse ? Oscar sait que ce n’est pas si fou d’y penser, lui-même s’est souvent demandé si elle était allée trouver chez une autre, ce qu’il ne lui donne plus. L’idée même qu’un autre homme puisse effleurer sa peau, la désirer comme il l’a lui-même désiré lui arrache un frisson. Il chasse cette idée, ne posera pas la question. Il y a des vérités qu’il vaut sans doute mieux ignorer. 
 
Ce qu’il ne peut pas ignorer toutefois, c’est le bleu sur son visage. Il lui semble impossible qu’elle se soit battue, pourtant, si elle lui avait répondu qu’on lui avait mis un poing en pleine figure, pas sûr qu’il aurait encore su être étonné. Il se demande si elle a consommé de l’alcool depuis leur dernière soirée. Observe sa démarche qui ne semble pas chancelante, ce qui le rassure un instant, de courte durée pourtant. « Oh, euh, c'est rien. » Il en doute, mais ne dit rien, la laisse poursuivre. « J’ai eu un accrochage. » Le regard qui se relève sur elle, alors qu’elle continue de scruter la route comme une enfant qui a fait une bêtise et n’assume pas. « Un accrochage ? » Il imagine mal comment un simple accrochage puisse lui causer un tel bleu. « Quand ? Tu ne m’as rien dit ? » Il aimerait ravaler les mots aussi vite sortis. Parce qu’il sait pourquoi elle ne lui a rien dit, et qu’il n’a sans doute pas le droit de lui en vouloir pour ça, et pourtant, encore une fois, il se sent blessé, inutile. « Je ne sais plus trop ce qu’il y a à réparer ou combien ça va coûter. Désolé… J'ai… J’aurais dû faire plus attention. » Il balaie les mots de la main, s’agace presque un peu, se demande si elle pense vraiment que c’est ça qui lui importe. « On s’en fout des réparations, tu… tu vas bien ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » En-dehors de ce bleu, elle a l’air de s’en sortir physiquement. Du moins en surface, il suffit de poser un peu plus longuement les yeux sur elle pour voir les kilos perdus, les cernes sous les yeux, la peau presque grisâtre ce soir. 
 
Elle détache Charly, et à nouveau, ils sont seuls tous les deux, une respiration profonde, une deuxième… Il sait que quand les mots sortiront de sa bouche, ils feront sans doute mal. Peut-être qu’ils seront en trop, et pourtant, il se sent l’obligation de les exprimer. « Est-ce que tu avais bu ? » Il a l’impression que son corps pourrait le lâcher, bien que son intonation soit douce et qu’il ait tenté d’y retirer tout soupçon d’accusation, mais de laisser percevoir son inquiétude. Il a peur de la réponse, et peut-être plus encore de la réaction de sa femme. Et pourtant, après les questionnements sur son état de santé, c’est la première chose qui lui est venue à l’esprit. Depuis leur dernière soirée, il a bien trop pensé à ça, aux antécédents d’Eli, à son père, à son frère, à leur problématique avec l’alcool. Oscar sait à quel point sa femme a dû se battre dans la vie pour se sortir des démons de sa famille. Alors si elle a fini par céder, il faut qu’il sache… Il faut qu'il l'aide...

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« Un accrochage ? Quand ? Tu ne m’as rien dit ? » Il s'en étonne vraiment ? Elle ne compte pas relever cette partie du questionnement. Encore faudrait-il qu'ils aient eu un minimum de contact pour qu’elle puisse avoir l'occasion de lui dire. Oui, bon, il aurait aussi bien pu être le premier qu'elle contacte après l’incident, mais elle l'a pas fait. Elisa pose l’une de ses mains contre son front comme si ça pouvait l'aider à mieux réfléchir. « Cinq ? Six jours ? Je sais plus. » Elle ne sait plus. Elle s’en moque. Elle a perdu la notion voilà quelques jours déjà. Elle n’a pas particulièrement envie de se remémorer cette journée. Ni aucune autre entre celle-là et aujourd'hui. « On s’en fout des réparations, tu… tu vas bien ? Qu’est-ce qui s’est passé ? » Il s’inquiète pour elle et ça lui fait quand même un peu plaisir même s’il est un peu tard pour s’inquiéter - la faute à qui hm. Elle est là debout devant lui. Il voit par lui-même qu’elle va bien. Elle a juste eu un sacré coup sur le nez. Pas de quoi en faire un drame. C'est bien loin d'être ce qui la fait le plus souffrir ces temps-ci. « Oui, oui, ça va. J’ai juste… manqué mon arrêt. » qu’elle précise sans entrer davantage dans les détails. De toute façon, à ses yeux, il n'y a rien d'autre à ajouter. Elle n'était pas attentive et elle s'est fait rentrer dedans. Fin de l'explication.

La conversation est forcément terminée. C'est vraiment ce qu’elle croit. Elle détache Charly, le laisse aller se dégourdir les pattes à sa guise, puis elle réfléchit. Elle se demande comment aborder la suite. Elle joue nerveusement avec ses doigts. Les mots sont sur le bout de sa langue, mais n'arrivent pas à sortir. Elle n'arrive plus à prédire la réaction de son mari, et, quelque part, ça l'a terrifie. Elle a sans doute pris trop de temps pour choisir ses mots, parce qu’au lieu de sa voix, c'est celle d’Oscar qui résonne dans la nuit. « Est-ce que tu avais bu ? » Elle se fige d’un seul coup. Son regard se fixe immédiatement dans le sien. L’angoisse qui la tiraillait est partie. Elle laisse place à un cocktail d'émotions explosives. Elle est blessée qu'il ose lui poser une telle question. Oui, elle a été lamentable la dernière fois. Pathétique, même. Elle sait qu'il lui en veut, mais elle s'en veut encore plus. Elle a dérapé une seule fois. Une seule fois dans leur treize années de vie commune, et il ose penser qu’elle en a fait une habitude ? Après les horreurs qu'il lui a balancé en pleine figure ? Elisa a été faible. Elle l’est sans doute encore, mais elle essaie de faire ce qu'il faut pour remonter la pente. Il y a des milliers de reproches qu’elle a envie de lui faire en ce moment, des milliers de mots destinés à simplement lui faire mal. Elle peut le faire elle aussi. Elle ne compte pas se laisser insulter sans rien dire. Elle a naïvement cru que sortir d'entre les murs qui enferment leurs malheurs leur ferait du bien, que ça adoucirait plus la situation. Elle s'est trompée. « Va t’faire voir Oscar. J’vais pas répondre à ça. » Le ton de sa voix est sec. Son regard se durcit. À nouveau, quelque chose se brise entre eux. Est-ce la brisure de trop ? Possible. L'idée de partir, de déserter la maison pour la nuit lui effleure l'esprit. Il fait tout pour l’éviter de toute manière. Elle ne fera que lui faciliter la vie. Ses lèvres se pincent. Il vaudrait mieux pour lui qu'il n’ajoute rien, parce qu’elle va exploser. Elle n'a pas souvenir d’avoir déjà eu de tels mots à l'égard de l’homme qu’elle aime. « À chaque fois que j’me dis que ça peut pas être pire, tu trouves le moyen de me surprendre. » Et c'est absolument pas un compliment. Elle s'en passerait bien de ces surprises à la con. Elle remarque qu'il est sur le point de répliquer, mais elle ne lui en laisse pas le temps. Elle l’arrête d'un signe de la main avant de poursuivre. « Non. Tais toi. Tu vas juste t'enfoncer encore plus. » Elle lui tourne dos, fait quelques pas dans le parc pour voir où est-ce que Charly est rendu. Il peut bien rentrer chez eux sans elle. Elle n’en a plus rien à foutre. Elle sait déjà que rien de bon ne pourra sortir de cette soirée. Il a tout gâché. Ça devait être un pas vers l'avant, pas trois pas derrière.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

« Cinq ? Six jours ? Je sais plus. » « Oh… » Les mots de sa femme comme un électrochoc. Il ne s’est pas rendu compte Oscar. Les jours ont passé sans qu’il ne s'en aperçoive, presque une semaine. Ça lui semble impossible, et pourtant, s’il fait le compte dans sa tête, c’est le cas. Ils se sont évités à merveille, comme s’ils n’étaient déjà plus un couple. Alors qu’est-ce qui les retient l’un à l’autre aujourd’hui ? Il n’en est plus sûr. « Oui, oui, ça va. J’ai juste… manqué mon arrêt. » Juste… Pourquoi il en doute. Il se retrouve incapable de croire les paroles de sa femme. Les scénarios se succèdent dans sa tête, et dans le dernier, il y a cette option. Celle de l’alcool. Il sait que le terrain est glissant, mais pourtant, il y va comme s'il attendait juste qu'elle ait une réaction, une émotion. Les mots à peine sortis, il comprend qu’il l'a blessé, à nouveau. « Va te faire voir Oscar. Je ne vais pas répondre à ça. » À nouveau, il fait face à la colère, au moins cette fois, il peut la comprendre. Il sait ce qui l’a causé, et d’une certaine manière, c’est rassurant. Ce qu’il est moins, c’est la manière dont elle élude le sujet, refusant de lui répondre, ce qui ne fait que d’augmenter un peu plus ses soupçons et son inquiétude. Le regard qu’elle jette sur lui est dur, d’une noirceur qu’il n’a peut-être jamais vue auparavant et qui lui hérisse le poil. « À chaque fois que je me dis que ça ne peut pas être pire, tu trouves le moyen de me surprendre. » Les mots qui blessent à nouveau, un juste retour de bâton sans doute. Ils les encaissent pourtant, ne sachant de toute façon pas quoi en faire. Il voudrait se justifier, mais à peine ses lèvres s’ouvrent t’elle pour former un « Je… »Qu’elle l’interrompt. « Non. Tais-toi. Tu vas juste t'enfoncer encore plus. » Lui tourne le dos et quitte la conversation. 
 
Il reste seul, les bras ballants. À son tour, il sent une pointe de colère le saisir, il se sent à bout. Au bout de ce qu’il peut encore supporter de cette union. Il prend quelques inspirations, les réflexions qui fusent dans son cerveau. L’idée de rentrer chez eux, de faire une valise et de partir qui le tenaille. Il y résiste pourtant, parce qu’il le sent. Elisa est fragile, elle n’est plus vraiment elle-même, et s’il fuit alors c'est comme un abandon. Il a peur qu'une rupture l'amène à sa perte… Pourtant, une partie de son esprit lui indique aussi qu’il est possiblement la première cause de son malheur. Tout s'embrouille dans sa tête.

C’est une nouvelle détermination qui le prend alors qu’il franchit les quelques pas qui le séparent de sa femme. C’est face à elle qu’il vient se poster, attrapant ses épaules comme pour l’empêcher de fuir. « T’as envie de mourir, Elisa ? » Elle tente de lui échapper évidemment, il sait qu’elle n’a aucune envie qu’il la touche en ce moment, et pourtant, il ressert un peu plus la pression sur ses mains sur ses épaules pour l’empêcher de fuir. « Arrête de prendre la fuite et réponds-moi ! T’as envie de mourir ? » Il sent que l’émotion déforme déjà sa voix. Mais ne se laissera pas attraper par cette dernière. « Parce que c’est l’impression que j’ai. Et j’ai peur. Je m’inquiète que tu ne manges pas, que tu ne sortes pas, que tu fasses un accident de voiture, que tu boives peut-être, j’en sais rien parce que tu ne me parles pas. On ne se parle plus. » Sa voix est dure, son ton posé, bien que l’émotion qui le tient puisse s’y lire facilement pour une personne comme Elisa qui ne le connaît bien. « J’ai l’impression que tu te laisses mourir… » Parfois, il a l’impression qu’elle le fait pour le punir, pour lui donner son juste retour de pièce. Mais aujourd’hui, il comprend que tout ça le dépasse. « Alors si c’est juste moi le problème, dis-le-moi. Je m’en vais. Ce soir, je fais mes bagages et tu es libérée. » Il lui semble qu’il mourrait s’il avait à faire ça, qu’il ne saurait pas vivre sans elle. Mais aujourd’hui, il n’est plus question de son bien-être à lui. « Si ce n’est pas le cas… Je suis là… Je suis encore là… Je ne dis peut-être pas les bons mots au bon moment, mais… Je ne veux pas que tu disparaisses… » Cette fois, il est incapable d’en dire plus, il desserre un peu ses mains pour lui laisser le choix de s’échapper cette fois. Il n'a pas d'autres mots pour la retenir... Il lui offre le choix qu'il n'a jamais osé évoquer à voix haute.

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Elle a l'impression que son coeur va lui sortir de la poitrine tellement il bat fort, propulsé par la colère et le chagrin. Elle cherche Charly du regard sans réel entrain. Elle ne veut juste plus croiser le regard de son époux. Il la force tout de même à le faire en se plantant directement devant elle. Il la tient par les épaules pour qu’elle ne lui dérobe pas. Elle déteste ça. Ça lui est insupportable. « T’as envie de mourir, Elisa ? » Elle n’écoute même pas les mots qu'ils vient de prononcer. Elle tente plutôt de se défaire de sa prise. « Me touche pas. » qu’elle lui lance, alors que plus elle tente de s’extirper de là, plus il la force à rester. C'est d’abord un regard haineux qu’elle plante dans le sien avant de mesurer pleinement ses paroles. « Arrête de prendre la fuite et réponds-moi ! T’as envie de mourir ? » Elisa devient soudainement stoïque. Elle ne bouge plus. Elle tourne la tête, se sent incapable de soutenir son regard. Elle sent toutefois l’émotion l’a gagné, l’eau lui monté aux yeux. Alors, c'est ça que ça fait lorsque les rôles sont inversés. Elisa est celle qui demande aux autres s'ils ont des pensées suicidaires et pas l’inverse. Elle se sent aussi vulnérable qu’eux en ce moment. Est-ce qu’elle en a eu ? Oui, parfois, brièvement. Elle en a quand même eu et c'est probablement ce qui l'a le plus perturbé. Mais est-ce qu’elle est suicidaire ? Non, pas du tout. « Parce que c’est l’impression que j’ai. Et j’ai peur. Je m’inquiète que tu ne manges pas, que tu ne sortes pas, que tu fasses un accident de voiture, que tu boives peut-être, j’en sais rien parce que tu ne me parles pas. On ne se parle plus. » Elle pourrait lui faire exactement le même reproche. Il ne lui parle pas plus qu’elle ne lui parle. Ils sont tous les deux à blâmer pour leur manque de communication. « J’ai l’impression que tu te laisses mourir… » Elle reste silencieuse. Elle ne s'attendait pas à un tel revirement de situation. Elle n’était pas prête pour cette conversation là. Elle ne l'aurait sûrement jamais été. Elisa tire sur ses manches pour venir les passer contre ses yeux qui commencent déjà à couler. « Alors si c’est juste moi le problème, dis-le-moi. Je m’en vais. Ce soir, je fais mes bagages et tu es libérée. » Son cœur se serre. Elle s'est dit exactement la même chose. Elle était prête à partir, mais quand c'est lui, c'est pas pareil. Elisa retourne de nouveau la tête pour lui faire face. « Si ce n’est pas le cas… Je suis là… Je suis encore là… Je ne dis peut-être pas les bons mots au bon moment, mais… Je ne veux pas que tu disparaisses… » La mine sur son visage n'est que tristesse. La colère s'est envolée et elle lutte pour ne pas éclater en sanglots une nouvelle fois. Ses émotions sont de véritables montagnes russes. « Je veux pas mourir. » qu’elle lui répond d’abord pour le soulager, parce qu’il a exigé une réponse. Elle vient ensuite glisser ses bras autour de sa nuque. Elle resserre l’étreinte si fort, son front vient prendre appuie sur l’épaule de son mari. Elle ferme les yeux, sans bouger. Plusieurs secondes s’écoulent alors que le simple bruit de la respiration entre coupé d’Elisa brise le silence. Elle ne veut pas craquer lamentablement. Elle veut être forte, mais ne sait plus comment l’être. « Je veux pas que tu partes. » qu’elle finit par ajouter d’une faible voix. Elle ne supporterait pas qu'il s'ajoute à la liste des personnes qui l'ont abandonné au cours de sa vie. Pas sûr qu’elle saurait aimé et faire confiance à nouveau si leur relation devait se terminer ainsi. « Et j'veux plus que tu dormes dans ton bureau. » qu’elle ajoute ensuite, alors qu'il y a à peine cinq minutes, elle lui souhaitait mentalement de se détruire le dos sur son canapé.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

Poser la question, c’est plus dur que tout. Plus dur que la colère, que la tristesse que le silence. C’est comme de se mettre à nu et d’attendre les coups de fouet. Il est là, face à elle, avec tout ce qu’il lui reste encore à donner, lui laissant la possibilité de fermer la porte pour de bons. C’est sans doute stupide de se sentir si vulnérable à cet instant. Pendant tous ces mois, Elisa aurait pu partir, elle n’était pas prisonnière. Pas obligé de rester. Mais ni l’un ni l’autre n’avait jamais posé d’ultimatum, ou simplement questionné la relation. Oscar, pourtant, venait de le faire, avec toute la peine du monde. Parce que si la réponse était au revoir, il n’y aurait plus de retour en arrière. Ce soir, alors qu’il venait de la mettre en colère, il lui demandait de choisir, un timing pour le moins étrange. Pourtant, quand il pose son regard dans le sien, il n’y voit plus la colère, plus la rage, seulement la tristesse qui l’a envahi tout entière. Les larmes sur ces jours. Quelque chose qui semble enfin lâcher. « Je ne veux pas mourir. » Les épaules d’Oscar qui se détendent, son corps entier qui réagit à cette information avec un frisson. Ou peut-être est-il contracté par ce nouveau contact avec sa femme. Les bras qui viennent entourer son cou alors qu’elle rapproche tout son corps du sien et se laisse aller contre lui. Instinctivement, il enserre son corps, l’englobant de tout son être, rassuré qu’elle ne fuit pas et qu’elle le laisse faire. Il reste comme ça quelques secondes, qui lui semblent durer une éternité, car la sentence n’est pas encore tombée. Elle n’a pas donné de réponse, pas fait de choix. 
 
« Je ne veux pas que tu partes. » Il ferme les yeux, un léger soupir de soulagement qui quitte ses lèvres alors que son émotion se mêle à celle de sa femme. « Je ne vais nulle part ». Qu’il lui souffle tout aussi doucement, une manière de lui assurer qu’il n’en a aucune envie, qu’il l’aurait fait à regret. Il ressert un peu plus son étreinte, vient déposer un baiser sur la chevelure de sa femme. Pour la première fois depuis des mois, il a l’impression qu’il est vraiment avec elle, sans faux-semblant, sans cinéma. Connectés l’un à l’autre dans le partage de leur douleur. « Et je veux plus que tu dormes dans ton bureau. » Le cœur qui se serre à nouveau. Les mots qui font mal, mais qui libèrent aussi. « D’accord, c’est promis… » Cette promesse, il veut la tenir, il n’a plus jamais envie de leur infliger ça, elle est sa femme et ils doivent se battre ensemble. La certitude vient se loger un peu plus profondément en lui alors qu’il fait face au désarroi de sa femme. Il y a des années, il a promis d’être un bon mari, de prendre soin d’elle. Il a failli. Mais il est toujours là, les choses peuvent être rattrapées, elle lui donne en tout cas l’espoir qu’il n’avait plus. « Je t’aime, Eli. » Les mots soufflés comme une caresse. « On va faire ça ensemble. » Il sait pas ce que "ça" représente vraiment, ce à quoi il s’engage. Mais pour sa femme, il va faire mieux, pour qu’ils redeviennent le couple heureux qu’ils ont été, ou alors, en tout cas, une version d’eux plus sereine, moins cassée. Encore quelques minutes, ils restent là, dans cette étreinte inattendue. Il lui semble qu’il sent le corps d’Elisa trembler. De peur ? De froid ? Il n’en sait rien, puis entend la voix de quelqu’un au loin. Il aperçoit deux personnes qui, comme eux sans doute, promènent leur chien. A contrecœur, Oscar se défait un peu d’elle pour lui demander. « On rentre chez nous ? » L’espace de quelques secondes, il a presque oublié qu’ils étaient d’un parc public. Maintenant, tout ce qu’il souhaite, c’est retrouver le calme de leur maison et le lit avec sa femme. Sa main glisse le long du bras d'Elisa pour venir entrelacer leurs doigts. Inquiet que la perte du contact les propulse à nouveau dans leur malheur alors qu’il semble voir pour la première fois une légère lueur. 

680 mots

Elisa s’abandonne complètement à lui à la seconde où il l’entoure de ses bras. Il ne lui en faut pas plus pour que l’émotion la surpasse. Elle s’accroche à lui telle une bouée de sauvetage. C'est ce qu'il devait être après tout. Peut-être a-t-il oublié. Peut-être a-t-elle oublié de s'y accrocher. « Je ne vais nulle part ». qu’il lui assure. Elle n'en doutait pas, mais elle est tout de même soulagée de l’entendre le dire à voix haute. Malgré tout ce qu’elle lui fait endurer depuis des mois, des années, il l’a choisi encore aujourd'hui. C'est un constat aussi surprenant que soulageant. Elle ferme les yeux lorsqu'il vient poser un baiser contre sa tête. Elle se creuse une place dans le creux de son cou. « D’accord, c’est promis… » Il ne dormira plus dans son bureau, ou peu importe où. Elle ne passera plus ses nuits à se demander si c'est ce soir qu'il daignera revenir. Elle ne se demandera plus dans quelle pièce de la maison il est. Elle ne combattra plus l’envie d'aller vérifier qu'il est bien assoupi quelque part et non ailleurs. Elle arrêtera de s’imaginer qu’elle a entendu la porte d'entrée claquer, qu'il dort ailleurs. Elle arrêtera de sombrer dans la paranoïa. Du moins, elle l’espère. « Je t’aime, Eli. On va faire ça ensemble. » La blonde est tout simplement incapable d’ouvrir la bouche, de laisser sortir quelques mots, de lui assurer qu’elle l’aime toujours, elle aussi. C'est trop d'un seul coup. Elle hoche tout de même la tête de haut en bas contre lui. Oui, ils vont faire ça ensemble. Elisa sait toutefois qu'il y a une bonne partie du chemin qu’elle doit faire seule. Mais oui, ils ont tout autant de choses à réparer à deux. « On rentre chez nous ? » Il se défait d’elle et elle a l'impression qu’elle va s’écrouler au sol pendant une fraction de seconde tellement elle se laissait porter contre lui. De nouveau, elle glisse sa manche sur son visage. Elle remercie la noirceur de masquer une partie des dégâts sur son visage. Elle souffle un coup, tente de reprendre un semblant de contenance. La main d’Oscar vient presque immédiatement chercher la sienne. Pour la première fois depuis longtemps, elle ne la retire pas. « D’accord.. » qu’elle lui répond simplement en acquiesçant discrètement de la tête. Elle cherche pendant quelques instants la laisse de Charly qu’elle retrouve au sol. Elle l’appelle, siffle pour qu'il revienne. Le chien ne tarde pas à revenir en trottant, bien trop heureux, isolé du moment chargé en émotion que ses maîtres viennent de vivre. Elisa relâche Oscar le temps de rattacher la laisse au collier, puis sa main retrouve aussitôt celle de son époux, alors qu’ils refont le chemin inverse jusqu'à leur domicile.

Cette fois-ci, même si le chemin du retour se fait en silence, il n'est pas angoissant. Il est rassurant. Sans doute qu’aucun des deux n'ose ajouter quoique ce soit. Ils sont tous les deux terrifiés à l'idée de briser l’espoir qu’ils viennent de faire naître. Ça peut bien trop facilement basculer d'un côté comme de l’autre. La ligne est mince. Elisa est instable. Oscar n'a pas toujours les bons mots. Oui, le silence, c’est bien parfois. Au bout d’une quinzaine de minutes, elle passe le pas de la porte suivi du brun qui referme derrière eux. Après avoir redonné sa liberté à Charly, elle réalise soudainement qu’elle ne sait pas quoi faire, ou même comment agir. C'est quoi la suite ? Qu’est-ce qu'ils sont supposés faire ? Elle ne se souvient plus comment faire pour cohabiter avec lui. Elle a oublié leur routine à deux. Elle est presque tenté de fuir, encore. De lui dire qu’elle est fatiguée, ce qui n'est pas tout-à-fait faux, de simplement aller dans son lit et espérer qu’Oscar tienne sa promesse de la rejoindre plus tard. Elle peut pas faire ça. Elle le sait. Elle se retourne vers lui, son malaise doit transparaître de chaque pore de sa peau. « Je… je voulais te parler de quelque chose. » Avant qu’il ne la traite d'alcoolique. Elle regarde le bout de ses pieds, se dit que c'est plus facile de parler si elle ne croise pas son regard. Elle sait parfaitement qu’elle ne devrait pas avoir honte, mais elle est encore incapable de ressentir autre chose. « Le médecin m’a mis en arrêt de travail. » qu’elle débute en relevant très brièvement le regard sur lui. « C’est dur à encaisser, mais, je… je sais que c'est la bonne décision. » Au plus profond d'elle, elle sait. En surface, elle se demande comment elle va faire pour survivre sans son boulot. Mais, comment pourrait-elle aider les autres, alors qu’elle va si mal ? Elle ne le peut pas. « Je suis désolée d’avoir dû me rendre aussi loin avant de le réaliser. » De s’être saoulé à en perdre la carte, d’avoir lu la colère et le dégoût dans les yeux de son époux, d’avoir presque flanché devant un patient.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

Le chemin du retour semble un peu plus doux, Elisa a séché ses larmes, elle garde sa main dans la sienne et ce simple contact le rassure. Du coin de l’œil, il l’observe. Le bleu sur son visage qui le ramène à sa culpabilité, sa posture qui semble déjà un peu plus assurée, ses yeux encore rouges d’avoir trop pleuré. Il voudrait continuer à la serrer fort, comme si une simple étreinte pouvait faire disparaître les maux. Il comprend que ce n’est pas si simple, mais ne se connaît pas beaucoup d’autres armes pour faire face à un contexte comme le leur. Alors il se raccroche à ce contact entre leurs mains, jusqu’à ce qu’ils retrouvent leur cocon, qui semble d’un seul coup un peu moins austère. Il ne voudrait plus la quitter, mais sent bien que les choses sont encore fragiles, les mots ont de la peine à sortir, il a peur de faire faux à nouveau. Que la version d'Elisa en colère revienne pour continuer à la blesser. Oscar voudrait faire taire la peur, mais il a envahi son être depuis trop longtemps maintenant pour qu’elle s’envole en une nuit. 
 
« Je… Je voulais te parler de quelque chose. » Débarrassé de ses chaussures, il pénètre dans leur maison, tournant la tête pour la questionner du regard. Elle semble mal à l’aise, presque apeurée elle aussi, elle ne le regarde pas alors il lui donne l’impulsion verbale. « Dis-moi. » D’un coup, pourtant, son cœur s’emballe à nouveau, redoutant un nouveau retournement de situation. « Le médecin m’a mis en arrêt de travail. C’est dur à encaisser, mais je… je sais que c’est la bonne décision. » Il lui semble qu’il prend enfin conscience de la situation globale, de l’état de sa femme qu’il a trop longtemps nié. Se sent coupable et stupide d’avoir agi comme il l’a fait. Aujourd’hui, il ne peut qu’espérer que, contrairement à ce que sa femme semble croire, il est encore temps pour se pardonner et avancer ensemble. « Je suis désolée d’avoir dû me rendre aussi loin avant de le réaliser. » À nouveau, sa main va chercher celle de sa femme comme incapable de s’en séparer, son autre main, quant à elle, va trouver le visage d’Elisa, caressant sa pommette de son pouce, amenant son visage vers le haut pour l’inciter à le regarder, à ne pas avoir honte. « Ne t’excuse pas… C’est moi qui suis désolé, Eli… Vraiment… » Ses yeux qui s’humidifient à son tour, son corps presque tremblant. « Viens, on va s’asseoir. » Il lui semble que ses jambes n’ont presque plus de force, qu’elles pourraient cesser de fonctionner sans le prévenir. 
 
Sans lâcher sa main, il l’amène vers le canapé, assis à côté d’elle, il se tourne vers elle, pose sa main sur sa cuisse maintenant, cherchant les mots, toujours soucieux de ne pas choisir les mauvais. « Je suis tellement désolé… » C’est à son tour de ne pas soutenir son regard, les yeux rivés sur cette main qu’il a osé poser sur elle. « Je suis ton mari, Eli, j’aurais dû voir… Je n'ai pas... » Été à la hauteur. Voilà ce qu'il veut lui dire, mais il n'a pas envie de se faire plaindre ce soir. Il n’a pas envie de parler de lui, ne finit pas sa phrase. Se dit que ça ne les aidera sans doute pas dans cette situation. « Qu’est-ce qu’il t’a dit le médecin ? C’est quoi… la suite ? » Est-ce qu’elle est suivie ? Il n’est même pas certain des raisons qui ont poussé son médecin à la mettre en arrêt, bien que certaines lui semblent évidentes. « Qu’est-ce que je peux faire ? Comment je peux aider ? » Il veut être là, mais se sent encore comme un intrus, incapable de savoir ce qu’il doit faire pour la soutenir. Il se demande si les choses ont toujours été comme ça, essaye de se rappeler de l’époque où les choses lui semblaient simples. Comment aurait réagi le Oscar de cette époque ? « Tu veux un verre d’eau ? » Sans doute pas comme ça, les mots à peine sortis, il comprend qu’ils sont vides de sens, il ressent pourtant le besoin de faire quelque chose physiquement, de lui démontrer qu’il ne part pas et qu’il est là pour la soutenir, même si lui amener un verre d’eau semble un peu dérisoire. Il se demande tout de même si ce n’est pas un autre type de boisson qu’elle voudrait, pas encore rassuré par la possible consommation d’alcool de sa femme. Le sujet étant resté en suspens, il ne compte pourtant pas le remettre sur la table de sitôt. 

734 mots

Elle est vulnérable, Elisa, comme elle ne l'a pas été depuis bien longtemps en face de son époux. Elle n’aime pas qu'il l'a voit ainsi. Elle n'aime pas que personne voit sa vulnérabilité. Pourtant, elle sait qu’aucune autre option n'est possible en ce moment. Si elle continue de se braquer, c'est son mariage qui en paiera les frais. Il en a déjà assez enduré comme ça. Elle sent la main d’Oscar retrouver la sienne de nouveau. Elle se laisse faire, mais sans plus. Sa seconde main vient remonter son visage pour qu’elle le regarde. « Ne t’excuse pas… C’est moi qui suis désolé, Eli… Vraiment… » Elle ne bouge pas, plante son regard dans le sien qui semble s’attrister tout d'un coup. Elle attend la suite, ne veut surtout pas lire de pitié dans son regard. Tout, mais pas ça. « Viens, on va s’asseoir. » Elle le suit silencieusement, alors qu’il l'amène jusqu’au canapé dans le salon où ils prennent place tous les deux. Oscar ose poser une main contre sa cuisse et, c'est plus fort qu’elle, son corps se crispe. Elle ne bouge pas, même si l’envie d’imposer une petite distance entre eux n'est pas très loin. Elle n'arrive même plus à se souvenir c'est quand la dernière fois qu’il l’a touché lorsqu’ils étaient que tous les deux. Oh elle sait parfaitement qu'il en a sûrement eu envie à de nombreuses reprises, que c'est elle qui a imposé cette barrière entre eux. La preuve est là : il rétablit le contact dès qu’elle baisse un peu sa barrière. Elle n'est pas certaine d'être capable d'en faire de même. « Je suis tellement désolé… Je suis ton mari, Eli, j’aurais dû voir… Je n'ai pas... » Elle attend. Elle ne fait que ça attendre après des mots qui ne viennent jamais. C'est lui qui lui a reproché de ne plus lui parler voilà quelques minutes à peine et c'est toujours lui qui ne va pas au bout de ses pensées. « Qu’est-ce qu’il t’a dit le médecin ? C’est quoi… la suite ? » Elle hausse légèrement les épaules. Elle n'a pas particulièrement envie d'entrer dans les détails de cette conversation qu’elle aimerait mieux oublier. Maintenant qu'elle a abordé le sujet, elle ne peut plus rebrousser chemin. « Hum, je dois le revoir dans quelques semaines pour voir si on prolonge l'arrêt, et si ça va avec la médication. » Ça aussi, elle a déjà décidé qu’elle ne prolongerait pas son arrêt de travail, peu importe dans quel condition psychologique elle se trouve au bout de ses quelques semaines. C’est déjà trop long. Elle ne peut pas s’absenter plus longtemps. Il y a des personnes qui compte sur elle. Elle ne peut pas les abandonner. « Il a aussi parlé d’une thérapie, mais… j’suis pas certaine d'en avoir envie. Ça ira déjà mieux dans quelques jours. » En fait, elle est certaine de ne pas en avoir envie. Oui, elle devrait sans doute être pro-thérapie, de mettre l’ouverture et la communication à l'avant de tout. Elle sait à quel point tout ceci est bénéfique. Elle le conseille à tout le monde, mais pas à elle. Elle, elle ne veut pas s’ouvrir à un inconnu. Elle a aussi l’impression de connaître tous les thérapeutes de la ville. Elle ne veut pas raconter ses blessures à quelqu'un qu’elle va peut-être revoir plus tard. Même si ce n'est que par le biais de son téléphone. « Qu’est-ce que je peux faire ? Comment je peux aider ? » Elle n'est pas trop certaine de ce qu'il peut faire pour l’aider. Être présent, c'est déjà pas mal. Ne pas avoir l'impression qu'il la fuit comme la peste, ce serait bien aussi. Ne pas désespérer si c'est trop long, ou s'il y a des rechutes - parce qu'il y en aura. Elisa sait parfaitement quel chemin elle s'apprête à faire. Un chemin houleux qui se fait toujours mieux lorsqu'on est bien entouré. « Tu veux un verre d’eau ? » qu’il ajoute avant même qu’elle ne puisse répondre à la question. « Oui, d’accord. » qu’elle répond plus pour ne pas briser son semblant d’enthousiasme que pour assouvir une soif qu’elle n'a pas. Oscar se lève presque immédiatement et revient au bout de deux minutes à peine avec le verre entre les mains. Elle le prend, en prend une gorgée, alors qu’il retourne prendre place à ses côtés. Son regard se fixe quelques instants sur le verre entre ses mains avant de se retourner vers son mari, hésitante. « Peut-être que… si tu peux te libérer quelques jours, on pourrait aller quelque part ? Tous les deux ? » Elle se doute que c'est sûrement compliqué de se faire remplacer à l’Université, mais s'ils peuvent avoir deux ou trois jours, ce sera déjà ça. « Ça nous ferait du bien je crois de… de changer d'air. » Ça lui ferait du bien à elle de sortir d'entre ces quatres murs dont elle a l'impression qu’ils referment plus de mauvais que de bons souvenirs. « Mais je comprends si c'est trop compliqué pour toi. » qu’elle ajoute, déjà prête à encaisser un refus sans trop savoir pourquoi.

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Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

C’est toujours aussi dur de sentir le rejet, de voir le corps de sa femme se crisper à son contact. Ça fait toujours aussi mal, les mots qu’ils viennent d’échanger ne permettant pas vraiment de faire diminuer cette sensation de rejet, comme s’il lui inspirait une sorte de dégoût, sans qu’il puisse identifier pourquoi. Mais cette fois, il ne brise pas le contact pour autant, elle n’a pas repoussé sa main, du moins pas concrètement, alors il la laisse en place, n’osant pourtant pas bouger ses doigts ou lui offrir une caresse plus douce. Il déteste cette incertitude avec elle, ne l’a jamais ressentie, pas même au début de leur relation. Le contact physique entre eux ayant toujours été inné. Aujourd’hui, il lui semble qu’il doit réapprendre, dompter cette femme qui n’est plus vraiment la sienne, plus celle qu’il a connue. Mais dont l’aura est toujours là, cachée sous la douleur. Alors il s’excuse, il questionne, il essaie de faire mieux. Du moins ce qu’il pense qu’elle considéra comme mieux, car elle ne sait plus depuis trop longtemps. « Hum, je dois le revoir dans quelques semaines pour voir si on prolonge l'arrêt et si ça va avec la médication. » Les traitements, les cachets, ça lui fait peur, il se demande si ça va faire d’elle un zombie pour toujours, mais ne dit rien, acquiesce en attendant la suite. 
 
« Il a aussi parlé d’une thérapie, mais… Je ne suis pas certaine d’en avoir envie. Ça ira déjà mieux dans quelques jours. » Un voile passe dans les yeux d’Oscar : avant de rencontrer Eli, il avait toujours été septique. La thérapie par la parole lui semblait être une foutaise, qui n’avait aucun sens pour lui. Avec elle, pourtant, il avait découvert l’importance de communiquer. Communiqué entre eux… Ce qu’ils ne faisaient plus. Mais aussi en la regardant aider ces patients, ces enfants en détresse qu’elle accompagnait au quotidien. « Oh, d’accord… » Il tente de rester neutre, mais lui-même entend ce petit ton de déception dans sa voix. Comme s’il n’y croyait pas qu’elle puisse aller mieux avec des pilules, ça lui semble dérisoire, comme cacher le problème sous des substances… Les endormir. Pas beaucoup mieux que l’alcool finalement. Mais c’est à elle de décider, sans doute. « Oui, laisse-toi le temps de voir comment les choses évoluent. » Il tente d’être soutenant comme il le peut, se dit qu’elle a fait le premier pas, et que peut-être les autres suivront s’ils sont nécessaires. S’il force les choses, il a peur qu’elle essaie de l’emmener avec lui, l’idée même de se retrouver sur un divan à parler de leur problème de couple lui hérissant le poil. 
 
Il est maladroit. Oscar, lui aussi, l’ombre de lui-même. Elle qui a connu l’Oscar sur de lui, celui qui ne doutait pas. Aujourd’hui, il est rongé par les incertitudes, même sa posture a changé. Lui qui se tenait droit, fier et bien dans ses pompes, il semble s’être ratatiné un peu, ne plus avoir le courage de la posture. Un couple qui n’est plus que l’ombre de ce qu’ils ont été. « Oui, d’accord. » C’est bête, mais ça lui fait du bien de faire quelque chose, peut-être aussi d’avoir une excuse pour retirer sa main qui semble brûler la cuisse d’Elisa. Il fait vite, s’affaire pour lui ramener ce verre d’eau comme s’il allait pouvoir changer quelque chose. Puis reprend place à côté d’elle, sans réinstaurer de contact physique cette fois. Tous les deux le regard sur leur verre respectif, l’esprit à leur pensée respective. « Peut-être que… Si tu peux te libérer quelques jours, on pourrait aller quelque part ? Tous les deux ? » Il relève le regard, surpris de la proposition. Atterré de ne même pas y avoir pensé. « Ça nous ferait du bien, je crois, de… de changer d'air. » Changer d’air, il y pense depuis longtemps, il n’osera pas lui dire qu’il avait imaginé le faire sans elle. « Mais je comprends si c'est trop compliqué pour toi. » Un instant, il hésite à reposer sa main sur la sienne pour la rassurer et lui dire qu’il n’a pas menti, qu’il a envie d’être là. Il ne le fait pas pourtant, se contente des mots. « Non, je vais me débrouiller. » Le ton assuré, comme s’il n’avait même pas à y réfléchir. « Elijah m’en doit une, je suis sûr qu’il pourra me remplacer. » Pour ces projets personnels, il pourra toujours travailler de l’endroit où ils sont au besoin, même si ce n’est sans doute pas le projet initial. « Je vais m’arranger pour la fin de semaine. » Il ne peut pas juste tout laisser en plan. « Ça fait un moment que je me dis qu’on pourrait retourner à Kilcoy. » Sa tante et son oncle ont une ferme là-bas, un endroit ressourçant, entouré de personnes bienveillantes. Il ne connaît pas meilleure personne qu’eux pour les accueillir. Et a toujours vu Elisa heureuse là-bas. « Enfin… On peut aussi garder ça pour Noël, si tu veux qu’on soit juste les deux. » Peut-être que cette idée l’inquiète au fond, juste lui est sa femme pendant plusieurs jours, sans échappatoire. Mais pour aujourd’hui, le choix lui appartient à elle. 
 
Le projet en place, il sent l’adrénaline redescendre, la fatigue pointer le bout de son nez, il ne va plus se coucher aussi tôt depuis des mois, mais ce soir, il se sent exténué et prêt à retrouver le lit conjugal. « On devrait aller se coucher… » Un mince sourire, pour lui assurer qu’il tiendra sa promesse de ne plus déserter leur chambre. Chacun se lève de son côté, dans le silence, il se prépare pour aller dormir : brossage de dents, changement d’habits. C’est une machine bien huilée qui les transporte à nouveau dans leurs vieilles habitudes, pas de regard échangé, chacun retrouvant son côté du lit, une ligne invisible qui semble toujours infranchissable. Le regard sur le plafond, il continue de sentir son cœur lourd, serré par les sentiments. Il tourne le regard vers sa femme, mais elle semble elle aussi dans ses pensées loin de lui. « Eli... ? Je peux me rapprocher ? » Il souffle les mots, à peine assumé. N’a pas envie de la brusquer, évidemment un non ferait mal, mais moins que de tenter et de se voir repousser. Il préfère lui laisser le choix, son envie d’être proche d’elle ne semblant pour le moment pas encore réciproque, un constat avec lequel il doit faire, aussi blessant soit-il. 

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« Oh, d’accord… » Elle le voit bien, Eli, que la situation le dépasse complètement. Rien pour aider le malaise qui la prend au tripes. Il ne peut pas comprendre, lui à qui la vie a toujours souri. Elle le savait déjà. C'est pour ça qu’elle ne lui parle plus. Même s'il le veut très fort, il ne comprend pas. « Oui, laisse-toi le temps de voir comment les choses évoluent. » qu’il lui dit pour l’encourager dans son choix. Il semble presque soulagé de se lever lorsqu’elle accepte son verre d'eau. Soulager de mettre fin à cette conversation sans doute. Lorsqu'il revient prendre place à ses côtés, c'est là qu’elle lui propose de partir quelque part, ensemble. Elle ne sait pas trop ce qu'il pourrait en penser, se dit qu'il a passé des mois à la fuir, qu'il n'a peut-être pas envie de s’isoler avec elle. Elle comprendrait. Elle lui offre déjà une porte de sortie pour soulager sa conscience. « Non, je vais me débrouiller. Elijah m’en doit une, je suis sûr qu’il pourra me remplacer. » Et le voilà enfin, le sourire tant attendu qui prend place sur le visage d’Elisa. Il n'est pas très grand. Il est discret, mais il est bien là. C'est ce qui se rapproche le plus à un semblant de bonheur. Presque. « Je vais m’arranger pour la fin de semaine. » - « Quand tu peux, ce sera parfait. » Le quand lui importe peu. Ils n’ont pas besoin de faire concorder leur horaire. Elisa n’a rien de prévu avant plusieurs semaines. Ça peut être ce week-end ou l'autre d'après si c'est plus facile pour lui. Ça lui fait déjà plaisir qu’il fasse un effort pour qu'ils puissent passer un peu de temps ailleurs qu’ici. « Ça fait un moment que je me dis qu’on pourrait retourner à Kilcoy. » Oh ce n'est pas qu’elle n’apprécie pas le grand air de Kilcoy. Loin de là, mais la simple idée de se faire bombarder de questions par la famille d’Oscar ne l’enchante pas du tout. Ce n'est qu’une source d’angoisse supplémentaire. Ça lui fait toujours un petit pincement au coeur quand la fameuse question des enfants vient sur le tapis. Elle a l'impression qu’aujourd'hui, ça l’anéantisserait si on lui demandait, qu’elle ne serait pas capable de garder son sang froid habituel. Lorsqu'on est marié depuis dix ans, c'est une question qui revient bien trop souvent. Elisa en est rendu à l’étape d’avoir envie de dire qu’elle n’en veut pas tellement elle en a marre d'en entendre parler. Sauf que tout le monde juge toujours les personnes qui ne veulent pas d'enfants. Ils veulent les faire changer d'avis, les convaincre qu'il n'y a pas plus grand bonheur au monde. À tous les coups, elle ne peut pas s’en sortir. « Enfin… On peut aussi garder ça pour Noël, si tu veux qu’on soit juste les deux. » qu’il reprend et elle approuve d’un signe de tête. Ça lui laisse un peu plus d’un mois. Dans la tête d’Elisa, elle sera déjà remise sur pied. Et puis, ce n'est pas comme si elle pouvait lui refuser un Noël en famille. « Ça me fera très plaisir d'y aller pour Noël, oui. » Ce qui veut aussi dire qu’elle veut qu'ils ne soient là que tous les deux pour ce week-end. Ce sera déjà moins gênant si ça tourne mal et qu'ils retournent chez eux après une seule journée. Mais non, tout ira bien. N'est-ce pas ?

« On devrait aller se coucher… » La proposition l’étonne un peu. Même s'il lui a promis de ne plus faire chambre à part avec elle, elle s’attendait tout de même à ce que la routine d’avant reprenne : celle où elle va se coucher la première et il vient la rejoindre des heures plus tard. Elle ne s’obstine pas pour autant. Elle est crevée même si elle n’a absolument rien fait de sa journée. Elle a sûrement les yeux fatigués. C'est peut-être pour ça qu'il le propose, ou alors il est terrifié que s'ils poursuivent encore cette conversation, elle finisse par mal tourné. Le silence est de retour, alors qu'ils se lèvent tous les deux pour aller à leur chambre. Ça devrait pas être normal de trouver ça si étrange que Oscar soit présent alors qu’elle se prépare à se mettre au lit. Ils se regardent à peine. Elle se demande si ce sera ça leur vie désormais. Est-ce qu'ils seront toujours mal à l'aise en la présence de l'autre ? Est-ce qu’elle retrouvera ses papillons dans le ventre lorsqu'il ne fait que la regarder ? Est-ce que le retour en arrière est encore possible ? C'est ce qui occupe son esprit alors qu’elle s’allonge dans le lit. De son côté. Elle ne lui tourne pas dos pour une fois, mais son regard est fixé sur le plafond. « Eli... ? Je peux me rapprocher ? » Elle tourne la tête vers lui, l’observe quelques secondes. Elle s'en doutait. Pas qu'il le demande, mais qu'il le fasse plutôt. Il teste les limites. Elle n'est pas certaine de les connaître elle-même. Peut-être qu’elle a peur de ne plus rien ressentir quand il la touchera. Elle finit par se tourner sur le côté pour lui faire face. Elle met sans doute trop de temps avant de lui répondre un : « Oui. » tout bas. Elle le laisse se rapprocher, puis, lorsqu'il ne bouge plus, elle brise la barrière invisible la première, alors qu’elle pose délicatement sa main contre le cou d’Oscar, son pouce venant se glisser contre sa joue. Elle observe les traits de son visage dans la pénombre comme si elle le faisait pour la première fois. Elle prend son temps, enregistre chaque détail. Elisa se redresse légèrement pour venir déposer un baiser contre sa joue avant de revenir poser sa tête sur l’oreiller. « Je t’aime. » qu’elle ajoute, comme une promesse, comme argument pour qu'il ne la laisse pas tomber, pour lui assurer qu'il n'a pas enduré tout ça pour rien. Ils s’aiment. Ça devrait être suffisant.

just strangers with memories
Oscar &  @Elisa Sterling  ☆ crédit/cleo

Oscar n’avait jamais été un garçon de la campagne. Dans son enfance, il avait apprécié d’aller passer quelques jours chez son oncle et sa tante, mais souvent, avait subit la nature plus que de s’y ressourcer. Avec les années, il avait appris à apprécier une marche en montagne ou un trail, mais plus pour l’attrait du sport que pour l’intérêt même de la nature. La ville ayant toujours été son élément, il aimait son effervescence, le bruit du monde, la foule qui le rassure et l’empêche de se perdre dans ses pensées avait quelque chose de rassurant. Dans la nature, il était livré à la même mise en face de ses pensées qu’il était plus facile de tenir éloignée quand il s’occupait l’esprit. Pourtant, la perspective de retourner à Kilcoy avait semblé réchauffer un peu son être ces dernières semaines, depuis qu’il en avait parlé avec son frère. Peut-être que le fait de se retrouver entouré de gens bienveillants tels que son oncle et sa tante y était pour beaucoup. Ou alors, semblait-il comprendre qu’il en avait besoin, du silence de mettre la vie sur stop l’espace de quelques jours pour faire le point. Pas certain d’en être capable pourtant. Lui qui aimait le béton des constructions, les espaces bien définis, avec Elisa, il avait découvert l’amour des plantes, mis un peu de nature dans leur maison, laissé la vie reprendre ses droits. Elle avait su adoucir son côté rigide de bien des manières, avait mis de la couleur dans sa vie, dans sa peinture, dans son esprit. Il ne pouvait pas l'oublier, même si depuis quelques années tous les deux avaient arrêté d’avoir un impact vraiment positif l’un sur l’autre. 
 
« Ça me fera très plaisir d'y aller pour Noël, oui. » C’est une perspective encourageante, sans doute, qu’ils se projettent dans un peu plus d'un mois ensemble. Des projets, ils n’en font plus depuis longtemps, si ce n’est les soirées indiquées dans l’agenda et à peine discutées. « On en reparlera, suivant comment tu te sens. » Un mince sourire, pour lui indiquer qu’il ne veut pas la brusquer. « Il y aura sans doute Midas et sa petite amie. » Oscar se demande si Elisa connaît l’existence de Jo, sans doute bien plus que lui qui avait découvert, après presque une année de relation, que son frère avait une copine. Tout ça pour apprendre aussi vite qu’ils étaient séparés. Au regard qu’elle pose sur son mari, il comprend que cette information la surprend, il faut dire qu’Oscar n’entretient pas les meilleures relations avec son frère depuis quelques années. « Et peut-être aussi mes parents. » Ces derniers passant la plupart de leur Noël là-bas. Une variable qui pouvait changer un peu les choses, les parents d’Oscar ayant toujours considéré Elisa comme leur troisième fille, et donc pris aussi peu de pincette avec elle d'avec toutes leurs progénitures. Si en temps normal, Elisa aurait pu s'en réjouir, les rencontres étaient devenue complexe à gérer depuis que le couple n’arrivait pas à leur donner de petits enfants. Un sujet qui était inlassablement remis sur la table par les parents Sterling, qui ne comprenaient pas ce que le couple pouvait bien attendre. Et ne se gênaient pas de souligner le fait qu’à leurs âges, eux avaient déjà eu trois de leurs quatre enfants. « Tu as pensé à un endroit en particulier pour ces quelques jours ? Tu as une envie ? » Sans expliquer pourquoi son palpitant recommence à taper fort dans sa poitrine, comme si la destination pouvait avoir une quelconque importance.
 
Le processus pour se coucher est identique, mais étrangement fait en parallèle. Depuis des mois, ils évitent de se retrouver ensemble éveillés dans cette chambre, et maintenant, ils sont là, presque pudiques, incertains de savoir s’ils peuvent se déshabiller l’un devant l’autre, comme si leurs corps étaient à nouveau inconnus. Quand il se retrouve dans le lit, cette sensation ne part pas. Pour une fois, il ne peut pas prétendre qu’il ne sait pas si elle est éveillée ou endormie. Il ressent le besoin de se rapprocher d’elle, mais n’est plus sûr d’en avoir le droit. Alors il demande le consentement. Demande qui reste sans réponse pendant de longues secondes. Le silence qui blesse toujours autant, la boule dans sa gorge qui semble presque lui couper le souffle, jusqu’à ce qu’elle se tourne pour lui faire face, lui offrant un « Oui ». Inattendu. Il n’est pas certain qu’elle en ait vraiment envie, la réflexion a été longue et il se questionne sur ce qu’elle pense vraiment. Est-ce qu’elle le fait par peur de le blesser, de casser encore un petit bout d’eux. Il s’approche sans oser la toucher, réduit un peu la distance pour sentir la chaleur de son corps, sans pourtant casser la barrière de leur corps. Son regard qui trouve celui de sa femme. Ce regard qu’il a tellement aimé, il peut s’y accrocher encore, il est toujours là, il fait renaître une pointe de désir qui semblait s’être envolée depuis longtemps. Alors quand c’est elle qui franchit la ligne invisible pour poser sa main sur son cou, sa peau frissonne, son corps tout entier qui ressent le besoin de la serrer contre lui, de la protéger… De quoi il n’en sait trop rien, peut-être de lui paradoxalement. Elle pose un baiser sur sa joue et il ferme un instant les yeux comme pour profiter de ce cadeau inattendu, dans lequel il perçoit une sincérité qu’il n’y avait plus dans leur baiser uniquement destiné au public. « Je t’aime. » Son corps qui s’embrase, motivé par ces mots, il trouve la force de se rapprocher un peu plus d’elle, leur corps qui se touche maintenant, le sien est chaud, celui de sa femme semble encore froid, comme si les kilos envolés ne lui permettaient plus de se réchauffer. Son regard dans celui de sa femme, il ose glisser une main dans son dos, attentif à toute réaction qui pourrait lui indiquer qu’il va trop loin. Cette étreinte fragile retrouvée, il va poser son front contre celui de sa femme. « Je t’aime aussi. » Il murmure contre ses lèvres, leur souffle qui s’entremêle, le corps qui frémit à la rencontre du sien. La vie qui semble reprendre au sein de cette maison… Ce n’est pas grand-chose, c’est sans doute ce qu’ils n’auraient jamais dû perdre. Mais c’est déjà beaucoup. 

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