Ce n’était pas une volonté de prendre ses distances avec ses vrais amis mais plutôt un besoin de s’éloigner de tout ce qui pouvait la ramener à la blessure. Les personnes qui la connaissaient y revenaient inévitablement, dans un souci de s’assurer que tout allait bien pour elle et qu’elle se remettrait. Nicola le comprenait mais était incapable de gérer ce genre de discussion, parce qu’il était plus facile pour elle de tirer un voile sur tout ce qui la contrariait. Éviter le problème ne le réglait en rien, mais lorsque l’illusion était parfaite, alors Nicola se sentait revivre pour une période pourtant totalement éphémère. Les soirées se terminaient toujours et le lendemain, le sentiment de ne plus du tout savoir qui elle était et ce qu’elle était supposée faire était bien plus conséquent. Jusqu’alors, elle avait réussi à donner le change, se laissant enrôler dans des soirées qui ne lui ressemblaient pas sans qu’on ne lui pose la moindre question. Mais il avait suffi d’une fois, d’un message de Phenix, pour que Nicola réalise que si elle se sabotait elle-même, elle ne pouvait pas en faire de même avec des relations qui lui étaient extrêmement chères. Phenix avait toujours été là, elle le savait, mais il lui avait fallu du temps avant de s’autoriser à le laisser s’inquiéter pour elle. Ce soir-là, elle avait renoncé à ces fêtes où tous les excès lui semblaient possibles tant qu’ils lui permettaient de ne plus trop réfléchir, de ne plus penser à ces entraînements qui ne l’avaient menée à rien à part à trouver la chute encore plus violente. Personne ne pouvait réellement comprendre, à part Romeo, et son temps se partageait entre lui et ces personnes totalement indifférentes à qui elle était lorsque celui-ci n’était pas présent. Mais elle était aujourd'hui décidée à faire en sorte que Phenix comprenne, à lui donner la possibilité de le faire.

C’était avec une certaine nervosité qu’elle s’était retrouvée à l’attendre devant le club, tenant fermement les pans de sa veste, les bras croisés sur la poitrine comme pour se protéger d’un danger inexistant. Il serait honnête, l’était toujours avec elle, et elle espérait que le côté décontracté de l’endroit leur permettrait de discuter sans que cela ne vienne un peu plus creuser le fossé déjà existant entre eux. Phenix pouvait être en retard à cause d'un travail prenant et exigeant parfois, mais à seulement 21h35, elle s'inquiétait déjà qu'il ait changé d'avis, comme si l'électrochoc de son message avait réveillé une crainte de l'avoir perdu. Alors quand sa silhouette s'était enfin dessinée dans l'obscurité, Nicola avait souri, choisissant la maladresse plutôt que de faire profil bas. « T’es pas venu avec ta brigade ? » avait-elle demandé en feignant de regarder derrière son ami. Un sourire tantôt amusé tantôt narquois sur le visage, Nicola s’était approchée pour lui accorder une brève accolade, celle-ci bien moins naturelle qu’à l’accoutumée parce qu’elle était consciente qu’une partie de vrai se cachait dans cet échange de messages. Elle avait agi, mais à en juger par le visage éteint d’un Phénix normalement naturellement pétillant, il était peut-être déjà trop tard. « T’es fâché ? Je le vois que t’es fâché. » Et ce n’était pas une émotion qu’elle avait souvent vu chez son ami, alors constater qu’elle était probablement l’une des raisons de cette sorte d’inquiétude chez lui la dérangeait énormément. Nicola allait mal mais il était hors de question que cela vienne impacter son entourage.

Cut people out like tags on my clothing
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Phenix Monroe & @Nicola Banks The Brick

tw : mentions de maladie chez un enfant (cancer)

Il y a des jours comme ça, où rien ne va. Où tu as beau disperser ta positivité et ta bonne humeur sur tous les gens que tu croises, leurs grimaces et leurs plaintes attaquent peu à peu ton sourire, jusqu’à l’éliminer complètement à la fin de la journée. J'sais pas si c'est parce que les fêtes arrivent bientôt, mais tout le monde semble un peu à cran, et même les enfants sont plus difficiles à gérer que d'habitude. Et pour quelqu'un qui ressent un peu trop fort et qui a tendance à absorber l’énergie tout autour de lui, j'admets que ce soir, j'ai un peu de mal à briller.

Surtout quand on m'annonce que les résultats d'un bonhomme auquel je me suis particulièrement attaché ces deux derniers mois sont mauvais et qu'il va devoir refaire un cycle de chimiothérapie. Une bataille de plus à mener pour ce petit corps déjà trop fatigué par tout ce qu'il a traversé. J'espérais qu'on en aurait fini, que ces quelques semaines d'accalmie étaient le signe d'une victoire à portée de main. Mais... non. Je suis déjà passé par là durant mes quelques années à l’hôpital. Les hauts, les bas... ils se succèdent sans qu'on ne puisse les anticiper. Pourtant à chaque nouveau diagnostic peu réjouissant, ça me heurte comme si c’était la première fois.

A la fin de mon shift, je retourne dans la chambre du gamin, essayant de composer un sourire crédible, un bouclier contre la mauvaise nouvelle. Mais il n'est pas dupe. Ces enfants-là sont bien trop malins pour leur âge. Ils voient et ressentent tout, même quand tu t'escrimes à masquer ton inquiétude derrière des mots réconfortants. Son regard abrite un mélange de fatigue et de résilience, un courage patient dont beaucoup d'adultes ne seraient pas capables.

"Encore la chimio, hein ?" il me dit avec un sourire forcé. Je hoche la tête, incapable de trouver une réponse adéquate qui ne sonne pas creuse. "Ouais... mais cette fois, je te parie qu'on va lui mettre une raclée !" Le choix de l'optimisme, toujours. On le leur doit, même dans les pires moments. Laisser mon inquiétude transparaître, ça serait trahir la confiance qu'il place en moi, en nous tous.

Je passe quelques minutes supplémentaires à son chevet, à parler de tout et de rien, à faire des blagues qu'il connaît déjà mais qui, étrangement, arrivent encore à lui décrocher quelques éclats de rire. Ce n'est pas grand-chose, mais c’est le plus important. Le rire, la joie, c'est ce qu'on s'efforce de leur prodiguer en plus des soins médicaux.

***

Nicola m'a donné rendez-vous au Bricks, mais elle ne s’inquiétera pas de ce léger retard. Avec un job comme le mien, c'est plus ou moins inévitable. J'anticipe de devoir encore une fois faire preuve d'une positivité à toute épreuve, parce qu'elle aussi a morflé récemment et qu'elle mérite que je sois dans mes meilleures dispositions pour notre soirée chill. Cela dit... une légère amertume risque de teinter nos échanges, surtout si elle continue de faire comme si de rien n’était. Elle a changé, depuis sa blessure, ce qui était à prévoir. Ce à quoi je ne m'attendais pas, en revanche, c'est qu'elle me zappe en faveur de ces "autres" avec qui elle semble passer le plus clair de son temps en ce moment. Elle doit noter l'absence de mon sourire Colgate habituel puisqu'elle s’inquiète déjà de mon humeur alors que je viens à peine de débarquer.

J'ignore sa boutade sur ma brigade, pour répondre simplement alors que je nous entraîne à l’intérieur du bar. "J'suis pas fâché, Nic, j'suis sur les rotules - dure journée. Mais content de te voir. Ça faisait un moment." Je lui adresse un faible sourire, qui doit sûrement trahir plus de chagrin que de colère à son égard. Y a du monde ce soir, alors on n'a pas d'autre choix que de s'installer au bar, sur deux tabourets côte-à-côte. Je retire ma veste, jette un coup d'œil au menu et commande un mojito avant de me tourner vers Sporty Spice. "Comment tu vas, toi ? Genre... vraiment." Coudes posés sur la table, je scrute son regard, prêt à y déceler toute trace de mensonge.