Marks of Resilience.

@Maeve Mayers   • début novembre 2024, west end

Les mains enfouies dans les poches de sa veste, Wesley se tient devant l’entrée de son studio, les sourcils légèrement froncés. Le début de journée a été long, avec une matinée déjà bien remplie entre deux séances pour des projets délicats et un temps pour la gestion de ses mails, qui a été nécessaire. Mais c’est le projet de l’après-midi qui le botte autant qu’il le rend nerveux. Il participera pour la première fois à ces fameux ateliers dont Maeve lui a parlé. Pour ne pas dire qu’elle l’a presque littéralement supplié pour s’assurer de sa présence. Comme si elle n’était pas parvenue à le convaincre dès les premiers mots. La réalité, c’est que ça colle plutôt pas mal à la démarche artistique de Wesley en tant que tatoueur. Et qu’il ne pouvait donc qu’accrocher. En revanche, c’est l’idée d’avoir à parler devant plusieurs personnes à la fois pour leur expliquer un peu le concept qui a été imaginé, qui a de quoi le rendre nerveux. Il n’est pourtant pas du genre timide. En revanche, il est conscient de son apparence et du fait que tout le monde ne soit pas toujours en grande confiance en sa présence. Parce qu’au premier abord, il peut impressionner par sa carrure et le fait qu’il soit recouvert de tatouages jusque sur le crâne. Des détails physiques qui n’ont jamais eu de quoi impressionner Maeve puisqu’elle a eu l’occasion de juger son comportement sans avoir idée de ce à quoi il ressemblait. Ce qui est une autre histoire dans le cadre d’une rencontre avec des personnes parfaitement voyantes. Dont certaines ne peuvent que juger l’apparence avant tout le reste. Parfois, il est frappé par ce genre de prise de conscience. Il semblerait qu'il soit en plein là-dedans pour cette occasion. Une occasion qui l'excite quand même pas mal, il doit l'admettre. Il a une hâte certaine d'y être malgré et tout et a très envie que ça fonctionne. Envie de faire bonne impression et que certaines de ces personnes soient partantes pour passer sous ses aiguilles. Et ce, forcément, en toute confiance. Il sourit en repensant à la réaction de Maeve lorsqu’elle lui a parlé des ateliers pour la première fois. Son enthousiasme doux, teinté d’une touche de nervosité : elle avait clairement peur qu’il refuse. Wesley n’avait pas hésité, pourtant, pas une seconde. Il avait vu le potentiel, l’humanité derrière son idée. Elle a pensé à lui et, certes, elle aurait pu trouver n’importe quel autre tatoueur ou une tatoueuse pour ce projet. Mais c’est à lui qu’elle a fait cette proposition et il ne s’est pas fait prier pour se laisser embarquer par tout ça. C’est une preuve de confiance qu’il prend à cœur, une chance qu’il n’a pas l’intention de gâcher.

Il jette un dernier coup d'œil autour du studio, range les outils sur le comptoir avec son soin habituel, éteint les lumières, sauf celle du panneau extérieur, et ferme la porte derrière lui quand il le quitte enfin. Il a pris avec lui ses carnets, quelques dessins et esquisses qu’il a passés les derniers soirs à préparer. Ce ne sont pas des motifs traditionnels. Il a essayé d’imaginer des formes, des couleurs qui pourraient se fondre dans la peau en douceur, s’intégrer aux cicatrices, les sublimer sans les masquer totalement. Wesley sait que chaque cicatrice a son histoire et qu’il lui faudra, au fil des discussions, comprendre les attentes de chaque personne, sentir l’envie de chacune et le besoin profond qui se cachera derrière l’idée d’un potentiel tatouage. Mais avoir quelques ébauches sous la main le rassure et l’aide à organiser ses idées. Peut-être qu’il arrivera à convaincre quelques personnes encore incertaines, en leur proposant déjà quelques idées. Qu’ils seront évidemment libres d’apprécier ou pas du tout. Que certains auront peut-être envie de le voir retravailler pour se rapprocher davantage de leur propre histoire et de leurs goûts personnels. Le trajet vers le centre où se tiennent les ateliers est relativement court, mais il prend le temps d’observer la ville qui est en pleine effervescence à cette heure-là de la journée. Un temps qu’il prend à apprécier les alentours, qui lui permet de mettre un peu de côté sa nervosité. Il a beau être sociable et facilement bavard, il n’est pas du genre à partager ses pensées dans un groupe, encore moins à révéler une facette de son travail qui, d’ordinaire, ne prend sens que dans l’intimité de son studio. Il ignore ce qui l’attend vraiment, quel type de réactions il recevra, mais il est prêt à offrir son écoute, à être simplement présent. Et peut-être que, dans cette présence, il trouvera les mots, les gestes justes pour contribuer. Lorsqu’il arrive enfin, il prend une inspiration pour se concentrer, comme avant une séance complexe. Les lieux sont chaleureux, malgré le caractère médical que certains coins laissent transparaître. Une petite salle d’accueil avec des fauteuils confortables, des posters sur les murs, quelques œuvres d’art abstraites. Un espace pensé pour mettre à l’aise, loin du cadre froid des hôpitaux que certains ici ont peut-être trop fréquentés. Wesley observe tout, cherche les petits détails. Dans un coin de la pièce, Maeve est assise en attendant. C’est la direction -relativement rassurante- qu’il prend tout de suite. « Salut Maeve ! » Qu’il souffle quand il arrive à sa hauteur. Osant espérer qu’elle saura reconnaître sa voix pour comprendre que c’est lui qui se tient devant elle.

crédits/postbadmalone

MARKS OF RESILIENCE
crédits/ music-daily & angiemcalisters
@Wesley Bishop Novembre 2024, association de west-end

‘’Tu es sûre de toi ?’’ qu’on lui demande pour la vingtième fois de la journée — depuis son arrivée le matin même, puisque l’association n’a pas franchement l’habitude de laisser entrer des intervenants extérieurs sans avoir préalablement refait le fil de leur parcours, et certaines personnes sont un peu réticentes à ce qu’un tatoueur inconnu débarque dans les locaux. La directrice de l’établissement, d’ailleurs, lui a posé mille et une questions concernant Wesley, et Maeve n’a point terni ses éloges le concernant ; ceux qui la connaissent suffisamment pour avoir à l’esprit sa crainte viscérale des hommes sont bien évidemment rassurés, mais les autres maintiennent qu’il aurait dû avoir des entretiens afin d’être « validé » par le personnel de l’association — foutaises d’après Maeve, qui se porte entièrement garante de la fiabilité et de la bienveillance de l’artiste piqué d’encre. Oh, bien sûr, elle n’est pas naïve au point de croire que son apparence ne va pas rebuter quelques un — des idiots, qu’elle dirait — mais, elle reste persuadée que son grand coeur, son talent indéniable et sa générosité sont un atout qui lui serviront grandement pour se faire accepter par les participantes.

Le matin a été dédié à la présentation de l’activité à venir, même si Maeve avait déjà préparé le terrain en amont, en parlant à plusieurs reprises de l’artiste qui leur faisait l’honneur de les rejoindre ; toutes se sont montrées enthousiastes à l’idée de le rencontrer même si les plus novices d’entre elles ont évidemment été frileuses à l’idée de passer sous la morsure de l’aiguille. Une crainte somme toute légitime, que Wes n’aura aucun mal à décortiquer. Du moins, c’est ce que Maeve martèle avec aplomb en achevant les dernières préparations dans la salle, qui va accueillir un comité très restreint, trié sur le volet afin de permettre à chacun de s’exprimer comme il le souhaite.

La pièce a été spécialement agencée pour l’occasion : des tables rondes ont été décorées avec des bouquets de fleurs joyeusement colorées, et des biscuits — faits par Maeve, oui, on vous voit venir — ont été disposés, garnissant des plateaux offrant thé et café à ceux qui le désirent. Assise à l’une de ses tables, Maeve est justement occupée à remplir le dernier vase avec les fleurs étalées à côté d’elle quand « Salut Maeve ! » fait immédiatement naître un sourire de ravissement sur ses lèvres, si bien qu’elle abandonne sans hésitation son bouquet pour se lever de sa chaise, en appuyant l’une de ses mains devant elle, son bracelet tintant légèrement sous son mouvement ’’Salut, toi.’’ attendant qu’il soit suffisamment proche d’elle pour sentir son parfum masculin, elle tend ses paumes en avant pour attraper son bras musclé, sans perdre son sourire. ’’Elles ont hâte de te rencontrer…’’ qu’elle fait savoir pour l’encourager, en penchant légèrement son menton sur le coté. ’’Nous avons quelques minutes avant qu’elles arrivent, est-ce que tu te sens prêt ? Tu as des questions ?’’ abandonnant son bras, elle palpe la table avec ses paumes pour retrouver les roses encore humides, qu’elle entasse soigneusement dans la coupe du vase pour le remplir, le tournant ensuite vers Wes pour qu’il puisse l’admirer, sans perdre ni son sourire ni son air réjoui. ’’C’est joli ?’’

(568 mots)