Je suis à la recherche d'une couverture "blanche avec des pois bleus dessus" - requête de Derya qui avait un peu froid en allant au lit. J'suis d'avis qu'elle essaie plutôt de repousser le moment où il faudra dormir en me faisant tourner en bourrique et chercher un plaid qui n'existe pas, mais... je joue le jeu, enfoncée dans le placard de la chambre de Yasmin, où je suis quasi sûre de ne pas être censée foutre les pieds. "T'es sûre qu'elle est blanche ? Je vois un plaid rose, là... et un marron." je crie par-dessus mon épaule en espérant qu'elle m'entende.

"Ouiiiiiii ! Blanche à pois bleus !" répète-t-elle depuis son lit.

J’émets un grognement agacé lorsqu'une pile de couvertures s’échoue par terre. Et parmi elle, j’aperçois enfin le fameux plaid blanc. "Gracias a Dios..." je marmonne en me baissant pour ranger la pile, qui au passage, a fait tomber le contenu d'une boîte à chaussures. Il y a des coupures de presse, des photos, et un dossier portant le nom "Derek." Sourcils froncés, je ramasse les affaires une par une pour les remettre dans ma boîte, mais le titre affiché en grand sur un des articles de journaux me fait ralentir mes gestes : "Femme policière soupçonnée du meurtre de son mari !" Wait, whaaaat?

Je parcours rapidement les lignes sans pouvoir m’arrêter.

les zones d'ombre autour du meurtre de Derek... Sa compagne, Yasmin, également policière est la première suspecte dans cette affaire. Certains témoins parlent d’une femme qui aurait voulu se venger des tromperies de son mari. D’autres évoquent des disputes fréquentes, étouffées par la hiérarchie...

"Beeeeeel ?" La voix de Derya me tire de ma transe. Oh, bordel. Je me précipite pour ranger les papiers, les photos sur lesquelles on voit Yasmin accompagnée d'une homme souriant, referme la boîte et la replace sur l’étagère tout en haut dans le placard. Les mains tremblantes, j'apporte la couverture à Derya, la dépliant pour la placer sur son lit. "Allez maintenant, au dodo ! Bonne nuit."

"Bonne nuit."

Je referme la porte de la chambre de la gamine, patiente quelques secondes pour être sûre qu'elle ne trouve pas une nouvelle raison de me faire revenir, puis m’éloigne lentement dans le couloir. La chambre de Yasmin m'attire comme un aimant : j'ai trop envie de retourner lire le reste de l'article et de fouiller un peu plus... mais j'devrais pas. N'est-ce pas ? C'est mal... pourtant, mes pas me mènent déjà dans l’entrebâillement de la porte. J'peux pas rester sur ma faim, comme ça ! Yasmin, soupçonnée de meurtre ? Pire, celui de son ex-mari ! Ex-mari dont, soit-dit-en-passant, je n'ai jamais entendu parler. Y avait que moi pour tomber sur une meurtrière, bon sang. Déjà, des souvenirs de documentaires True Crime me reviennent à l'esprit. "Ce sont souvent les personnes qui paraissent le plus sympathiques et équilibrées... celles à qui on confierait le bon Dieu sans confession. De bons voisins, des mères aimantes en apparence, des pères dévoués..." Non... pas Yasmin. C'est impossible. Je m’apprête à rouvrir le placard lorsque le bruit de la porte d’entrée me fait sursauter.

"Shit, shit, shit..." je murmure en me dépêchant de sortir comme si j'avais le feu aux fesses. Il n'est que 21h30 ! Elle rentre un peu plus que prévu du boulot. En même temps, ses horaires sont si aléatoires que je ne sais jamais si la soirée va se finir vers 22h ou minuit et demi. Je descends lentement les marches vers le hall d’entrée, l'apercevant en train de refermer la porte. "Heyyyy... tu rentres tôt." Ça fait plusieurs mois qu'on se connaît et que je viens garder sa fille, mais je ne peux pas m’empêcher de la regarder un peu différemment, avec une méfiance qui n’était pas présente jusqu’ici. Est-ce que j'ai en face de moi une femme capable de tuer quelqu'un ?