L’ambiance était sympa quoique un peu flippante, mais toute angoisse était promptement annulée par l’impression d’avoir ramené une vieille tante en tant que chaperonne pour ma femme (!!!!) et moi. Natalia tranche radicalement avec le duo d’enfants insupportables : Morticia Addams accompagne donc un Carlisle Cullen gominé et fini à la peinture blanche et aux paillettes ainsi qu’un Charlie Swan à la fausse moustache digne d’un mauvais implant turc et au fusil bidon qu’on m’a demandé de démonter et remonter trois fois à l’entrée. On s’est rapidement séparées : Nat est partie faire ses trucs de grande pendant qu’on a trouvé un coin un peu reculé pour s’embrasser comme des ados (ou des femmes mariées (!!!)) et rester loin de l’alcool et des gens qui pourraient avoir des cachetons ou chercher la bagarre. Spencer n'est jamais à l'aise dans ce genre de milieux, alors par extension, je ne le suis pas non plus. J'adore Halloween, et j'adore me déguiser, généralement, même si j'ai mis autant d'efforts dans la conception de celui-ci qu’Hilary Duff dans l'apprentissage d'une choré (j’ai même pas attaché ma coupe au carré, parce que dans mon cannon, Charlie est tombé en dépression après l’adoption de Riboflavine par sa fille et le tueur en série, et il s'est poussé les cheveux).
Je quitte pas Spence une fois des yeux ou de la main ou de la bouche de la soirée, sauf quand on doit chacune aller aux toilettes sèches à l'extérieur – et quand c’est mon tour, je constate avec horreur qu'il y a au moins dix minutes d’attente. Ça alors, les entrepôts désaffectés ne sont pas équipés avec des toilettes fonctionnelles et personne n’a rien vu venir ?

Je passe le temps en scrollant et en envoyant des blagues à Spencer pour la faire patienter et lui donner de quoi s'occuper sur son téléphone sans avoir à chercher ma cousine, en grande discussion avec une inconnue qui a l'air super contente de la voir, ou qu'une grande rousse vienne la draguer et lui vomir sur les genoux. La file avance, mais difficilement, et je suis peut-être à encore cent mètres des toilettes quand nos regards se croisent.
Je mets quelques secondes à le faire, mais quand je te reconnais, c’est avec horreur.
Moins pour le fait de te revoir après un tournage en dents de scie (ce qui n'est pas rien) que parce que ton déguisement me plonge directement dans les limbes, entre My Humps et le feat de Tom MacDonald et Ben Shapiro. T’es entourée, et j'hésite une seconde à te saluer, parce que t’as sûrement envie de profiter sans voir un rappel ambulant de souvenirs désagréables. Et d'un autre côté, j'ai encore en tête que la dernière fois où s'est retrouvées toutes les deux, on s'est laissées sur une note positive, et qu’avoir une Marceline tout sourire et apaisée, ça me manque, et que c'est cette Marceline-là, que je vois là, entourée de ses potes et sous son maquillage de raton laveur.
Alors je tente.
« Eh bah dis-donc », je lance, clope tout juste allumée entre les lèvres. « Outre la crête, t’as l'air super en forme. » Je suis vraiment réjouie, presque naïvement assurée que ma salutation va être prise pour ce qu’elle voulait être : une boutade un peu maladroite qu'on lance à une ex-slash-collègue dans un terrain neutre après une collaboration pro particulièrement chaotique. Et vu comme ça, je comprends très vite que j'aurais dû ravaler mes mots avant de me prendre un verre de punch à yeux flottants sur la moustache.

@Marceline Griffiths