Objectivement il pouvait dire qu'il était dans de beaux draps. Et pas uniquement parce que son poignet droit était trop serré par la paire de menottes qui le maintenait attaché à sa chaise. Il avait la migraine, l'estomac qui jouait au yoyo et une irrépressible envie de dormir qu'il ne parvenait à contrer que parce qu'il savait que s'endormir face à l'officier de police qui terminait de rédiger le procès verbal à son sujet n'arrangerait probablement pas ses affaires. Il se forçait à ouvrir les yeux en grand dès qu'il sentait ses paupières trop lourdes, et le visage fermé il se contentait de répondre aux questions de l'officier par de vagues marmonnements, oui, non, oui, non, son esprit trop brumeux pour prendre véritablement la mesure de ce qui lui était reproché. « Donc. » attendant plusieurs secondes d'être certain d'avoir l'attention d'Hassan l'homme avait repris « Nous avons excès de vitesse, défaut de pièce d'identité, non présentation du permis de conduire, et enfin mon préféré : rébellion. Sans oublier la conduite sous l'emprise d'un produit stupéfiant qui, je n'en doute pas, se rajoutera officiellement à la liste quand les résultats des analyses seront revenus. » Hassan l'avait fixé sans rien dire, sans savoir s'il était censé dire quelque chose, faire un signe pour confirmer qu'il avait entendu ... il avait juste envie qu'on lui retire ces menottes et qu'on le laisse rentrer chez lui. Il voulait dormir, dormir et ne remettre le nez hors de son lit que dans plusieurs jours, plusieurs semaines ... Ça lui était bien égal, d'avoir des ennuis. Il n'avait plus assez de neurones en état de fonctionner ce soir pour prendre la mesure de la galère dans laquelle il venait de se mettre. « L'amende pour rébellion fait office de caution, elle est payable d'avance. » Payable d'avance ? Ça voulait dire quoi au juste, qu'il fallait qu'il paye maintenant ? « J'ai ni papiers d'identité ni permis sur moi, qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai un chéquier ou une carte bleue pour payer votre putain d'amende ? » Il avait la voix enrouée, comme s'il n'avait pas parlé depuis un moment, et malgré tout trop peu de patience pour se rendre compte qu'il envenimait sa situation en répondant de cette manière. « N'aggravez pas votre cas. » Hassan lui avait lancé un regard acide, mais n'avait pas répliqué de nouveau « Votre véhicule va rester en fourrière jusqu'à ce que le montant de l'autre amende soit fixé, alors tâchez d'appeler quelqu'un qui puisse à la fois vous ramener et vous avancer le montant de la caution. Vous n'êtes pas en état de rentrer seul. » Hassan s'apprêtait à protester de nouveau, mais trop lent dans ses réactions il avait été pris de cours par le fait que le policier se lève et pousse le téléphone fixe de son bureau dans sa direction avant de lui tourner le dos quelques instants le temps de farfouiller dans un placard. Restant interdit un instant le brun avait commencé à prendre conscience de ses ennuis en réalisant qu'il n'y avait qu'une seule personne qu'il puisse appeler à cette heure-ci et pour le sortir d'une telle situation. Hésitant pourtant encore de longues secondes il avait tout de même fini par se saisir du combiné, plissant les yeux pour tenter de voir les touches un peu mieux, et composé le numéro qu'il connaissait par cœur. Une sonnerie, deux sonneries, un coup d’œil furtif d'Hassan vers l'horloge murale pour réaliser qu'il était pratiquement deux heures du matin ... « Sohan ? » Et une voix familière de l'autre bout du fil.

On avait fini par le débarrasser des menottes, mais seulement en échange d'une place en cellule de dégrisement accessible après avoir remis sa montre, sa ceinture, et même ses lacets. Assis dans un coin, la tête posée contre le mur et les manches de son pull tirées au maximum pour tenter de réchauffer ses doigts, Hassan somnolait en tentant d'ignorer l'ivrogne qui parlait tout seul sur le banc en face du sien. Il était peut-être là depuis dix minutes, ou depuis deux heures, au fond il ne savait pas trop et lorsqu'un policier l'avait interpelé pour le sortir de son demi-sommeil il lui avait fallu plusieurs secondes pour reconnecter ses neurones entre eux. Sohan n'avait pas posé de questions au téléphone, Hassan n'était qu'à moitié étonné du fait qu'il ne dorme pas encore à cette heure-ci et finalement il s'était contenté de dire qu'il arrivait, sans attendre de justification supplémentaire. Hassan n'était pas dupe pourtant, il savait que venir au poste de police n'enchanterait probablement pas son ami et il s'en voulait un peu de lui demander ça ; Il savait aussi que s'il n'avait pas demandé d'explications au téléphone cela ne voulait pas dire pour autant qu'il n'en demanderait pas plus tard. Mais pour l'heure il se sentait trop fatigué, trop las pour réfléchir à l'avance à une excuse plausible qui expliquerait les raisons pour lesquelles, dans un besoin irrépressible de débrancher quelques heures, il avait sauté dans sa voiture sans même prendre ni sa veste, ni ses papiers et roulé jusqu'à une de ces plages qui n'intéressaient pas les touristes car presque à l'extérieur de la ville. L'herbe dans sa boîte à gants n'était probablement pas non plus une idée de génie, encore moins maintenant que l'excuse thérapeutique ne fonctionnait plus, mais pour ça comme pour le reste Hassan estimait n'avoir plus de comptes à rendre à personne et semblait prêt à prendre la mouche avec la même hargne qui lui avait valu la qualification de rébellion sur son procès verbal. Mais il ne faisait pas le malin malgré tout, et n'en menait même vraiment pas large lorsque suivant le policier en silence il avait rejoint le hall et posé les yeux sur Sohan, sans savoir quoi dire. « Signez ici. Vous recevrez une convocation pour vous représenter ici dans quelques jours. » Acquiesçant en silence Hassan s'était exécuté, empruntant le stylo qu'on lui tendait et signant le registre d'un gribouillis vaguement ressemblant à sa signature habituelle. « Attendez là, mon collègue est descendu récupérer vos effets personnels. » Il aurait presque eu envie de répondre qu'ils pouvaient bien les garder, s'il ne tenait pas tant à récupérer sa montre ... Et puis, sans lacets ses chaussures lui tenaient à peine aux pieds, et il traînait déjà une dégaine assez minable sans se rajouter cela. Toujours silencieusement il était donc allé s'asseoir sur l'un des fauteuils du hall, Sohan dans celui d'à côté « Désolé ... je savais pas qui appeler d'autre, à cette heure-ci. » avait-il enfin réussi à articuler à voix basse, tout en osant pourtant à peine lever les yeux vers son ami. « Je te rembourserai la caution demain. Enfin tout à l'heure ... je crois. Je sais même pas quelle heure il est. » L'air perturbé il avait froncé les sourcils tout en fixant le vide un instant. Il ne savait pas vraiment combien de temps il était resté dans sa cellule, peut-être était-ce encore la nuit, ou déjà le matin ... Il ne faisait pas encore jour dehors, c'était sans seule certitude.

C'était un euphémisme que de dire qu'Hassan n'était pas un habitué des commissariats. Ce n'était même pas un habitué du non respect des lois, et des règles de manière plus générale ; Il n'avait pas vraiment une âme de contestataire lorsqu'il s'agissait de sujets triviaux, probablement parce que ses parents lui avaient appris à apprécier et à chérir le style de vie que lui offrait ce pays d'adoption qu'était pour eux l'Australie. Il se pliait aux règles et respectaient les lois parce qu'il savait ce que cela pouvait coûter dans son pays d'origine ... Mais aussi parce que Hassan était comme ça, raisonnable, peu habitué aux écarts de conduite. Et c'est précisément pour ça que se résoudre à devoir appeler Sohan pour le sortir de la merde était une épreuve pour lui, particulièrement alors qu'il se trouvait dans une période où il avait avant tout autre chose envie qu'on le laisse respirer et qu'on cesse de se soucier de lui. Sa psy essayait de lui faire croire que tout cela se passait dans sa tête, que les gens qui tenaient à lui n'étaient pas plus sur son dos qu'avant et que c'était simplement sa vision des choses à lui qui manquait de clarté. Parfois il parvenait à se raisonner et à se dire qu'elle avait probablement raison, mais parfois il suffisait d'un coup de fil un peu tardif de Qasim ou d'un regard un peu trop insistant de Yasmine en lui demandant comment il allait pour qu'il ait de nouveau l'impression d'être en sucre. Et au fond ce qui l'agaçait c'était peut-être de réaliser qu'il n'était pas aussi bon comédien qu'il le souhaiterait et que l'un et l'autre voyaient clair dans son jeu et dans son incapacité à reprendre le cours de sa vie. Et il ne pensait pas Sohan moins perspicace, au contraire, mais en revanche il le pensait plus capable que les autres de comprendre qu'il avait simplement besoin d'air. C'est pour ça qu'il l'avait appelé lui, et pas Yasmine.

Ce qui le n'empêchait pas de ne pas en mener large lorsque l'agent de police était venu le sortir de cellule de dégrisement et qu'il avait retrouvé Sohan dans le hall du commissariat. Et il avait assurément l'esprit bien trop brumeux pour parvenir à lui adresser autre chose que de bredouillantes excuses, et une promesse tout aussi maladroite de lui rembourser le montant de la caution dès qu'il aurait de nouveau la main sur sa carte bleue. « T'es con ou quoi, je suis là pour ça, te sortir de situations impossibles comme la prison. » Bien qu'ayant besoin de se forcer un peu pour ne pas conserver cet air morne qui lui collait au visage depuis des heures, il avait laissé échapper un léger soupir amusé « La garde-à-vue. N'aggrave pas mon cas. » Quoi qu'Hassan ne serait déjà probablement pas ici s'il n'était pas capable d'aggraver son cas tout seul. « Tu n'es vraiment pas doué, Hassan. Comment tu te débrouilles pour te mettre dans des situations impossibles ? » Il y allait peut-être un peu fort, ce n'était pas non plus comme s'il se mettait dans ce genre de situations tous les quatre matins ... Probablement qu'il aurait l'air moins paumé, sinon. Est-ce qu'on prenait l'habitude de ce genre de choses ? En fait non, il n'avait même pas envie de savoir. « J'ai laissé mes papiers chez moi ... J'voulais juste m'aérer un peu. Et je roulais pas si vite que ça ... et ce flic était vraiment mal luné. » Ses lèvres s'étaient pincées, il prenait conscience que ses excuses n'avaient aucun sens et qu'il avait l'air d'un môme pris avec la main dans le pot de confiture. Soupirant légèrement, il avait passé une main fatiguée sur son visage avant de demander « Ecoute, juste ... parle pas de ça à Yasmine, d'accord ? » Pas que l'idée de faire des cachotteries à la jeune femme soit une perspective particulièrement réjouissante, mais elle passait déjà tellement de temps à s'inquiéter pour lui, ou pour Sohan, qu'il n'avait pas envie d'en rajouter une couche. Surtout pas en ce moment.

Interrompus par l'arrivée de l'officier de police qui détenait les affaires personnelles d'Hassan, ce dernier avait regardé son ami et le représentant de l'ordre se dévisager plusieurs secondes en chien de faïence, avant qu'enfin on ne daigne lui tendre ses lacets, ses clefs de voiture et sa montre. Évitant soigneusement le regard du policier, qui n'était nul autre que celui qui lui avait collé sur le dos ce délit de rébellion, il avait attendu que celui-ci s'éloigne avant de glisser à Sohan à voix basse tout en enfilant ses lacets sur ses chaussures « Je le fixerais pas avec autant d'insistance si j'étais toi, il risquerait de t'accuser de provocation. » C'était un peu de la mauvaise foi, l'officier n'avait pas accusé Hassan sans raison, mais ce dernier n'était clairement pas de suffisamment bonne humeur pour faire prendre de discernement et de bonne foi. « Et ta sœur serait probablement ravie de devoir venir récupérer nos deux têtes de vainqueurs dans un commissariat. » La tête toujours baissée sur ses lacets, Hassan avait marqué une pause de quelques secondes, une de ses dernières discussions avec Yasmine lui revenant justement en tête. Sohan avait eu des ennuis avec la police. Elle lui avait fait part de ses inquiétudes à ce sujet, et Hassan avait promis qu'il parlerait à Sohan ... chose qu'il n'avait finalement toujours pas fait. Et c'eut assurément été l'hôpital qui se foutait de la charité de songer à le faire maintenant, alors qu'il était celui dont on venait de payer la caution. « Ça t'ennuie, si on rentre à pieds ? J'ai besoin d'air. » Et l'idée même d'aller s'enfermer dans les couloirs du métro lui donnait l'impression d'étouffer. Littéralement et métaphoriquement.

La seule vérité dans toute cette histoire c'était que, qu'Hassan le veuille ou non, ce policier venait peut-être de lui éviter le pire sans même le savoir. Peut-être même que le brun non plus n'en avait pas conscience, tout était toujours un peu flou dans son esprit ces derniers temps, particulièrement ces idées noires qui allaient et venaient sans crier gare, sans s'annoncer mais en ravageant tout sur leur passage dans son esprit déjà fragilisé par les derniers événements. Mais au fond que cela se finisse ainsi c'était peut-être un mal pour un bien, l'assurance qu'il valait mieux se retrouver avec une amende et un coup à l'égo, plutôt que dieu sait où dans la carcasse de sa voiture ... Du moins pour cette fois-ci. Soupirant avec une certaine paresse Hassan avant pourtant mollement tenté de se justifier auprès de Sohan, la fatigue et les quelques effets secondaires de l'herbe que sa sieste en dégrisement n'avaient pas entièrement effacés rajoutant au manque de crédibilité de ses propos, tant et si bien que son ami n'avait pas manqué de lui faire remarquer « Mal luné de base, ou après que tu lui ai parlé ? » Mais Hassan n'avait ni la force ni l'envie de rire, cette nuit, et exagérément piqué au vif par cette question qui n'en était pas une il avait demandé « T'es de mon côté ou du sien, au juste ? » dans un mélange de reproche et d'agacement, laissant finalement passer quelques secondes avant de soupirer à nouveau et de secouer doucement la tête « Désolé. J'suis crevé, fais pas attention. » Et bien sûr, que c'était le comportement d'Hassan qui avait mis le feu aux poudres avec cet agent de police, mais le concerné n'avait aucune envie de l'avouer à voix haute. Sohan l'avait deviné tout seul, de toute manière.

Reste que si Hassan ne faisait déjà pas le fier devant Sohan, il le serait encore moins face à Yasmine et pour cette raison il s'était entendu bien malgré lui quémander le fait que le jeune homme n'en parle pas à sa sœur, tel un môme qui quémanderait que l'on ne dénonce pas sa bêtise à ses parents. Parce que Yasmine avait cette tendance à le materner un peu depuis sa maladie, sans qu'Hassan ne parvienne bien à savoir si cela le touchait ou l'agaçait ... Sans doute un peu des deux. C'était la preuve qu'elle s'inquiétait pour lui, qu'elle s'en souciait, mais c'était aussi ce qui la rendrait peut-être prompte à juger la mauvaise passe dans laquelle il se trouvait actuellement. Parce que ce n'était que ça, pas vrai ? Une mauvaise passe. « T'inquiète pas pour ça mon frère, elle ne sera au courant de rien. » Et si d'ordinaire Hassan s'en serait voulu de demander ainsi à Sohan de mentir à sa sœur par omission, ce soir-là il était bien content que le concerné abdique sans qu'il n'ait besoin d'insister. Même si à bien y réfléchir la situation aurait pu être encore pire, ils auraient pu se retrouver tous les deux en dégrisement, et là ... « On va bien trouver quelqu'un d'autre à appeler avant Yas, sinon on est vraiment dans la merde. » Ouais, probablement. Du moins Sohan, lui, trouverait bien quelqu'un pour les sortir de là, car Hassan de son côté avait un carnet d'adresses assez limité après s'être coupé de tout le monde pendant presque un an et demi.

Ses affaires récupérées et ses lacets ayant retrouvé leur place initiale, le brun avait émis l'idée de rentrer à pieds, évitant ainsi l'étouffoir qu'était le métro et permettant à son cerveau toujours un peu brumeux de retrouver un minimum de clarté. Clarté qui ne lui servirait qu'à sortir rapidement Spike avant d'aller s'enrouler dans sa couette et de dormir jusqu'à ce que mort s'en suive. Métaphoriquement. « Bien sûr. L'air de ta cellule t'as rendu aigri. » Hassan avait secoué la tête en se levant, grommelant dans sa barbe une vague justification « On voit que t'as pas passé ces trois dernières heures assis face à un type dont la dernière douche remonte à l'époque de mon divorce. » et en enfonçant les mains dans les poches de son jean en suivant Sohan à l'extérieur. Il lui avait proposé une cigarette, et hésitant quelques dixièmes de secondes Hassan en avait attrapé une en se disant qu'il n'était plus à cela près, aujourd'hui, quand bien même il n'était plus un fumeur régulier depuis bon nombre d'années. « C'est qu'il fait frisquet ce soir. » Il avait profité du briquet de Sohan sans rien répondre, et commencé à avancer « Bon autrement, tu raconte quoi de beau ? » En dehors du fait qu'il venait de passer la nuit dans un commissariat et qu'il ne pourrait plus jamais se targuer de n'avoir jamais eu d'ennuis avec un représentant de la loi ? « Tu m'connais, ma vie est palpitante. » Sa vie de divorcé coupé de tout et qui ne voyait plus rien d'autre que son boulot et son appartement. Pas qu'il ne fasse beaucoup d'efforts pour changer ce fait, cela dit. « J'ai entendu pour ton père. » Recrachant une volute de fumée il avait quitté la route des yeux pour reporter son attention sur Sohan « Et pour ta mère, aussi. Yasmine m'a dit que ça ne s'était pas très bien passé. » Et connaissant Yasmine elle avait probablement arrondi un peu les angles et minimisé les faits, probablement parce que c'était la seule manière pour elle de ne pas se rendre malade de cette situation. Parfois Hassan avait envie de faire la réflexion à Sohan, de lui dire de faire un effort pour accepter ses parents comme ils étaient parce qu'il avait la chance d'avoir toujours ses deux parents et qu'Hassan et son frère eux ne pouvaient pas en dire autant. Et puis finalement il ne disait jamais rien, parce qu'il se souvenait des propos pas toujours flatteurs des parents Khadji à l'égard de leur fils et qu'Hassan ne les approuvait pas, peu importe qu'il considère lui aussi ces deux personnes comme des membres de sa famille. Yasmine et Hassan c'était un peu les enfants coincés au milieu d'un divorce dont Sohan et les parents Khadji seraient les deux entités, ils avaient peur qu'on leur demande un jour de choisir alors ils se contentaient de ne rien dire, faute de mieux.

Si la soirée n'était qu'un vaste flou artistique dont il peinait à se souvenir autrement que par brides découses, la nuit elle semblait ne pas vouloir se terminer et s'étirer en longueur au-delà du raisonnable. Il avait semblé à Hassan que son séjour en cellule de dégrisement avait duré des heures, et partant de ce constat-là bien sûr qu'il était affreusement de mauvais poil. Il était grognon parce qu'il était fatigué, parce que son égo n'appréciait pas d'avoir du appeler quelqu'un, même s'il s'agissait de Sohan, pour le sortir du pétrin, et parce que terminer au poste de police ne faisait ni partie de ses plans ni des choses qu'il mourrait jusque-là d'envie d'expérimenter. Hassan était un casanier, doublé d'un garçon responsable, autrement dit pas du tout le genre à tenter le diable avec le respect des lois ... « D'où ton arrestation, qu'est-ce qu'il faut pas faire pour sortir de sa routine ... » Hassan avait roulé des yeux légèrement, mais son sourire lui s'était déridé un peu malgré tout. L'air frais lui faisait un peu de bien et aérait son esprit, au sens premier du terme. « J'aime bien voir grand, pour occuper une soirée je préfère me faire embarquer par les flics plutôt que de me faire un ciné, et quand je tombe malade je vais au cancer directement plutôt que de me contenter d'un rhume. » On pourrait croire qu'avec son humeur en demi-teinte la réflexion d'Hassan serait pleine d'une amertume palpable, mais il avait au contraire lâché cela d'un ton si neutre que cela en paraissait presque artificiel.

La fumée de sa propre cigarette, sensation à laquelle il n'était plus habitué, lui avait arraché une légère quinte de toux avant qu'il ne reprenne la parole. Pour faire glisser la conversation du côté de Sohan plutôt que du sien, certes, mais il se sentait beaucoup plus en maitrise lorsqu'il était question des autres. Et puis à force de s'enfermer chez lui Hassan réalisait que cela faisait un moment qu'il n'avait pas croisé Sohan, se contentant de quelques SMS puisqu'il connaissait le goût mitigé de Sohan pour les conversations téléphoniques. A tel point qu'ils n'avaient pas eu de véritable conversation depuis que le père Khadji avait terminé à l'hôpital, où les tensions familiales avaient parait-il à nouveau fait des leurs avant qu'Hassan ne soit au courant lui aussi. « Oui et j'ai honte de faire subir ça à Yasmine, elle sait plus ou donner de la tête et je m'en veux. Mais j'arrive pas à faire autrement. » Hassan avait affiché une mine compatissante. Il savait à quel point l'idée de réunir sa famille tenait au cœur de Yasmine, mais lui avait compris depuis longtemps que tenter de forcer les choses artificiellement ne mènerait probablement à rien ... Il n'y avait probablement que le temps et son œuvre, qui puissent arranger les choses. « Mais on s'en fout de ça. C'est toi l'important là. Ça va toi ? Tu t'en sort ? » Hassan avait laissé passer une nouvelle volute de fumée, adressant à Sohan un regard presque soupçonneux ; Il avait presque le même discours que Yasmine, à croire qu'ils s'étaient passé le mot. « Non, on ne s'en fout pas. » avait-il d'ailleurs argué d'un ton calme mais non moins déterminé. Hassan estimait avoir été bien assez longtemps au centre des inquiétudes des Khadji ces deux dernières années, il avait fait son temps désormais, il voulait que les choses changent.

Mais Hassan n'avait pas réussi son coup en évitant la question de Sohan, en n'y répondant pas volontairement dans l'espoir que le jeune homme n'insiste pas. Sohan était têtu, entre autres choses, et revenant à la charge il avait repris d'un ton plus sérieux « Franchement je suis là pour toi et j’attends que tu me dises quelque chose parce que je sais pas quoi faire. Je sais que ça va pas et je suis totalement démuni. J'ai pas la facilité à aider les autres comme Yas ... » Mais il avait trouvé sur quel bouton appuyer, et réussi à faire culpabiliser un peu Hassan pour son manque de réactivité de ces dernières semaines. De ces derniers mois, même, pourrait-on dire. « Ça va. » avait-il pourtant expulsé en même temps que la fumée de sa cigarette, partant du principe que qui ne tente rien n'a rien, et qu'il ne perdait pas à tenter de convaincre que c'était la vérité. « Enfin, j'dis pas que c'est le kiff total et que je nage dans le bonheur, mais ça va. Je gère. » Plus ou moins, en tout cas, bien que d'être obligé d'appeler Sohan pour qu'il vienne le récupérer au commissariat n'était sans doute pas la meilleure façon de prouver son propos. « Et j'suis pas vraiment en position de me plaindre, de toute façon. » Dixit sa psy, qui à défaut de savoir faire preuve de délicatesse savait en revanche appuyer là où cela faisait un peu mal. Il n'avait pas le droit de se plaindre parce que c'était une chance, de s'en tirer à si bon compte après les ennuis de santé qu'il avait eu. « Yasmine s'inquiète beaucoup pour pas grand-chose ... et elle s'inquiète aussi pour toi, soit dit en passant. » Elle le lui avait confié quelques semaines plus tôt, en même temps que le fait que Sohan avait eu des ennuis avec la police ... Mais ça Hassan se garderait bien de le mentionner, il n'était pas en bonne posture pour le faire.