L'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur. Les êtres s'attachent et deviennent dépendants les uns des autres à tel point que lorsque l'un vient a partir, le monde s'écroule autour de l'autre. Δ
« Tu es réellement sûre que ça ne te dérange pas ? » demandais-je alors à Kaecy à l’autre bout du téléphone. « J’arrive le plus rapidement possible mais il faut vraiment que je passe voir cette personne avant de venir travailler. Je resterai un peu plus tard ce soir pour compenser je te le promets » ajoutais-je après un petit silence. Je composais rapidement le code qui permettait d’ouvrir la porte d’entrée de l’immeuble. « Je te le revaudrais, merci beaucoup. A toute à l’heure ». Je raccrochais, reposant mon téléphone dans mon sac à main alors que je montais les étages à pieds. Une fois face à la porte pourtant familière, je n’osais pas frapper de suite. Nerveusement, je prenais une longue inspiration, pour tenter un peu de me calmer et de prendre mon courage à deux mains. « Allez Heidi, tu n’as pas le choix de toute façon. » Il était vrai que je ne pouvais plus reculer, la situation avait déjà duré bien trop longtemps. Et je ne supportais pas l’idée qu’Elio m’évite à ce point depuis mon retour à Brisbane bien que j’étais consciente que je le méritais amplement. Cependant, j’aurai préféré qu’il me balance à la figure dès mon arrivée, toutes les horreurs qu’il pouvait bien penser de moi, qu’il me jette à la figure toute mon incompétence d’amie, qu’il me rappelle Ô combien j’avais dû décevoir mon cher grand frère. Pourtant il n’en était rien. J’étais revenue à Brisbane depuis presque trois mois et Elio ne m’avait pour le moment pas encore adressé une seule fois la parole.
Pourtant cela ne nous ressemblait pas. Fut un temps où Matteo, Kaecy, Elio et moi formions un quatuor de choc, parfois accompagnés de la sœur d’Elio. Nous avions passé toute notre enfance ensemble ainsi que notre adolescence. Je me souvenais de chaque moment passé en sa compagnie et je me souvenais encore aujourd’hui du bonheur que c’était d’avoir des amis tels qu’Elio et Kaecy. Evidemment, je me rappelais avec beaucoup de précision ces petits moments où Elio et moi nous plaisions à jouer avec le feu, dans le dos de mon frère et de tous les autres, à flirter comme les deux adolescents que nous étions alors. Je pouvais encore ressentir l’excitation que cela représentait de jouer à ce petit jeu de séduction tout en veillant à ce que Matteo ne le remarque jamais. Nous savions tous les deux que ça ne mènerait à rien, Matteo n’aurait jamais toléré que cela arrive. Mais c’était un jeu très amusant et stimulant pour la jeune femme que j’étais en passe de devenir et Elio avait, au fond, toujours représenté une sorte d’idéal masculin. Savoir qu’aujourd’hui, plus rien ne se passait entre nous, pas le moindre regard, pas la moindre parole, rien, me fendait le cœur.
J’en étais entièrement responsable, je le savais. Elio, tout comme Kaecy et bon nombre de gens que j’avais connus à Brisbane avaient tentés de m’apporter leur soutien lors de la mort de mon frère, avaient tentés de garder le contact avec moi en prenant de mes nouvelles et j’avais refusé en bloc chacune de leurs tentatives, ignorant leurs appels et supprimant leurs emails. J’avais tenté tant bien que mal de laisser Brisbane et tout ce qui s’y rattachait derrière moi. Je m’étais lancée à corps perdu dans une relation en laquelle je ne croyais pas. J’avais accepté de me marier avec Dean, à l’autre bout de l’Australie loin de tout ce qui me représentait et de tout ce qui avait fait de moi ce que j’étais aujourd’hui. Mais sur le coup, rester à Brisbane, fouler le sol des rues où Matteo ne pourrait plus jamais remettre les pieds et qui pourtant ne faisaient que faire écho à sa personne me semblait impossible. Tout comme supporter le regard compatissant, désolé, attristé ou même carrément effondré d’autrui me paraissait insurmontable. Mon propre désespoir me demandait déjà tellement d’effort pour ne pas me laisser engloutir que supporter la douleur des autres m’était tout bonnement impossible. J’avais pourtant choisi de revenir, parce que je m’étais rendue compte que je ne serai jamais heureuse avec Dean, non pas parce qu’il n’était pas l’homme idéal, mais tout simplement parce que je ne serai jamais complètement moi et heureuse loin de Brisbane et de mes amis. Il m’avait fallu un an et demi pour m’en rendre compte, un an et demi pour accepter le fait que jamais mes années à Brisbane ne rentraient dans une petite boîte que je pourrais dissimuler au fin-fond de ma personne. J’avais tout plaqué pour revenir ici, sur un coup de tête. Ma place était ici, devant la porte d’entrée de chez Elio à attendre d’avoir le courage d’affronter ce qu’il avait à me dire.
Alors, finalement, je prenais mon courage à deux mains et venait toquer chez lui de bon matin, j’étais certaine qu’il était chez lui et seul, ce qui était justement ce que je recherchais. Après quelques secondes à patienter devant la porte de chez lui pendant lesquelles mon cœur semblait vouloir se décrocher de ma poitrine, Elio fini par ouvrir la porte. Et avant même qu’il ait pu dire quoi que ce soit, je prenais la parole. « Écoute-moi. Je sais que tu ne veux pas me voir et je peux le comprendre. Mais je pense qu’il est temps que tu me le dises, une bonne fois pour toute que tu vides ton sac pour qu’on puisse avancer. Parce que moi j’en peux plus de te voir m’éviter et faire comme si je n’existais pas. Alors Elio, s’il te plait, accepte de discuter avec moi. » J’étais autoritaire, sans pour autant être agressive, au contraire même, car mon ton était très doux. Je voulais juste m’assurer qu’il comprenne bien que je n’étais pas là pour repartir sans une discussion digne de ce nom.
La poêle dans la main je tente de faire sauter la crêpe qui atterrit mollement sur le sol. « Mais merde… » On ne pourra pas dire que je n’ai pas essayé, que je n’ai pas voulu faire un effort pour apprendre à cuisiner. J’étais levé de bon matin, tout seul et entrain de tenter quelques cuissons qui avaient toutes ratées les une après les autres. Alors que pour la quatrième fois je tentais de changer la température du feu la sonnerie de la porte m’informa que quelqu’un me réclamait. Regardant ma dégaine je me dépêchais d’aller dans ma chambre enfiler un pantalon et un T-shirt. Cette manie de me balader à moitié à poil me perdra c’est sûr. C’est un sourire aux lèvres que je vais ouvrir la porte espérant me retrouver face à Olivia ma petite amie. C’est bien son genre de venir me faire des visites surprises de bon matin – alors qu’elle sait pourtant pertinemment que je suis plutôt du genre à trainacer dans mon lit normalement. Elle a de la chance ce n’est pas le cas ce matin. J’ouvre donc la porte avec enthousiasme – un enthousiasme qui disparaît aussi vite que la porte s’ouvrir et que je découvre Heidi derrière. Mon regard se fait un peu plus noir alors que je lui réponds. « Kaecy n’est pas là. » Mon ton est sec et en dit long sur mon envie qu’elle s’en aille – sur la rancœur que je garde. Heidi était mon amie – à une époque – elle me semble si lointaine maintenant. Elle était de ces personne sur qui je pensais pouvoir compter toute ma vie, une de celle à qui j’aurais tout confié, mais la vie m’avait montré que j’avais eu tord de la croire de confiance. C’était une lâcheuse, une de ces filles qui baissent les bras et s’enfuient au bout du monde pour ne plus donner de nouvelles. Evidement Heidi avait vécu quelque chose d’horrible, elle avait perdu son frère mais nous avions tous perdu un être aimé, nous avions tous du faire un deuil et si je pensais pouvoir comprendre bien des façons d’agir à la mort d’un être aimé la fuite me dépassait totalement. A une époque pourtant j’aurais sans doute pu lui pardonner, j’aurais sans doute pu tenter de comprendre. C’était avant que ma propre sœur ne meure. « Écoute-moi. Je sais que tu ne veux pas me voir et je peux le comprendre. Mais je pense qu’il est temps que tu me le dises, une bonne fois pour toute que tu vides ton sac pour qu’on puisse avancer. Parce que moi j’en peux plus de te voir m’éviter et faire comme si je n’existais pas. Alors Elio, s’il te plait, accepte de discuter avec moi. » Mon regard n’avait pas changé d’un pouce. Je la regardais réclamer une explication qu’à mon goût elle ne méritait même pas. Je voulais lui faire ce qu’elle nous avait fait – prétendre qu’elle n’existait pas. Je voulais qu’elle ressente comme je l’avais ressenti ce que ça fait quand un ami arrête de vous répondre, quand il arrête d’être un ami. La seule différence entre elle et moi c’est que je le faisais en live. Que quand elle rentrait dans une pièce j’en sortais. Que quand elle me parlait je faisais semblant de ne pas l’entendre. C’était dur parfois, j’avais tellement apprécié Heidi, elle avait été si importante un jour dans ma vie… Mais c’était du passé. Elle voulait que je lui dise que je ne voulais pas la voir ? C’est ça qui lui manquait très bien. « Tu as raison, je ne veux pas te voir. Plus jamais. » J’avais refermé la porte sans lui laisser ajouter un mot pour retourner dans ma cuisine. Je savais bien que c’était impossible pour moi de ne pas la revoir, Kaecy l’avait laissé revenir dans sa vie sans demander rien de plus. Elle et son altruisme extrême je ne pouvais pas lui en vouloir d’être elle même. Même si cela m’obligeait à fréquenter une fille que je ne voulais plus voir dans ma vie. Je l’entends taper une nouvelle fois sur la porte, je ne comprends pas ce qu’elle dit mais je m’en fiche. Je reste sans bouger en me disant qu’elle va se fatiguer et partir mais ça n’a pas l’air d’être le cas et c’est moi qui cède avant qu’elle n’ameute tout l’immeuble en revenant lui ouvrir la porte. « C’est quoi ton problème Heidi ? Tu crois que tu peux te casser sans donner aucune nouvelle et revenir comme une fleur ? Pourquoi je devrais accepter de te reparler alors que c’est TOI… » J’avais accentué ce mot en la montrant du doigt. « …qui a arrêté de nous parler. Est-ce qu’on a eu le choix nous ? Tu nous as laissé la moindre chance de pouvoir avoir une discussion ? Non ! Alors je ne te dois rien ! Et surtout pas une quelconque discussion ! » Je m’emportais, assez pour que ça soit évident que le sujet m’avait profondément touché. « Quand Matt est mort j’aurais été prêt à faire n’importe quoi pour te soutenir Heidi et toi t’as juste pris la fuite. Qu’est ce que t’étais prête à faire toi quand ma sœur est morte ? Rien ! Rien parce que t’étais pas là ! T’as cessé d’être mon amie quand t’as pris la décision de sortir de notre vie. Si Kaecy veut te pardonner c’est son droit mais moi je vais juste continuer à faire comme si tu n’existais pas… » C’était ça au final. Le fond du problème c’était que très égoïstement il lui en voulait d’avoir été absente quand il avait le plus besoin de soutien dans sa vie. Il lui en voulait d’avoir vécu sa souffrance à sa façon… Une façon qu’il ne pouvait pas accepter.
L'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur. Les êtres s'attachent et deviennent dépendants les uns des autres à tel point que lorsque l'un vient a partir, le monde s'écroule autour de l'autre. Δ
« Kaecy n’est pas là. » asséna-t-il d'un ton sec. Mon coeur tambourinait contre ma poitrine à vive allure. On aurait dit qu'il cherchait à sortir de ma poitrine, comme s'il pouvait pressentir qu'il allait être réduit en morceaux d'ici quelques instants. Je ne savais pas par quelle opération du saint esprit je parvenais encore à rester debout face à Elio, encore sur le palier de son appartement, prête à écouter toutes les horreurs qu'il avait à me balancer à la figure. Et je n'allais pas être déçue concernant ces dernières d'ailleurs. « Tu as raison, je ne veux pas te voir. Plus jamais. » décréta-t-il, sans appel, après que je lui ai demandé d'accepter une discussion avec moi. Puis sans un mot de plus, il referma la porte de son appartement, me laissant comme une malpropre sur le palier. Je prenais alors une inspiration avant de me remettre à frapper à la porte jusqu'à ce qu'Elio daigne m'ouvrir de nouveau. Il me semblait que j'étais de nature plutôt masochiste ce matin et que je ne repartirai pas d'ici avant d'avoir pris un sacré coup de la part de celui avec qui j'avais partagé tant de choses pendant tant d'années. « C’est quoi ton problème Heidi ? Tu crois que tu peux te casser sans donner aucune nouvelle et revenir comme une fleur ? Pourquoi je devrais accepter de te reparler alors que c’est TOI… qui a arrêté de nous parler. Est-ce qu’on a eu le choix nous ? Tu nous as laissé la moindre chance de pouvoir avoir une discussion ? Non ! Alors je ne te dois rien ! Et surtout pas une quelconque discussion ! » s'emporta-t-il aussitôt.
Ne pas pleurer, surtout ne pas pleurer : c'était ce que je me répétais dans la tête alors que les paroles d'Elio me heurtaient avec une violence que je n'avais pas soupçonné. Pourtant je ne m'attendais pas à ce qu'il réagisse de façon positive, au contraire j'étais venue ici pour me prendre une raclée que je me prenais en beauté. Mais je ne voulais pas pleurer, parce que c'était trop facile, j'avais bien trop pleuré au cours de l'année passée. Je n'avais pas le droit de pleurer. Je ne voulais pas qu'Elio pense qu'en pleurant, je cherchais à l'attendrir pour obtenir plus facilement son pardon parce que ce n'était pas ce que j'étais venue chercher. Je ne voyais clairement pas comment Elio pourrait me pardonner parce que moi-même je ne me pardonnais pas aujourd'hui d'avoir agi comme j'avais agi par le passé. Cependant, ne pas pleurer fut un véritable défi, mes yeux d'ailleurs se mirent à briller d'une bien étrange façon alors que j'entendais les reproches qu'il avait à me faire. « Quand Matt est mort j’aurais été prêt à faire n’importe quoi pour te soutenir Heidi et toi t’as juste pris la fuite. Qu’est ce que t’étais prête à faire toi quand ma sœur est morte ? Rien ! Rien parce que t’étais pas là ! T’as cessé d’être mon amie quand t’as pris la décision de sortir de notre vie. Si Kaecy veut te pardonner c’est son droit mais moi je vais juste continuer à faire comme si tu n’existais pas… » enchaîna-t-il sans me laisser le temps d'encaisser. Je levais régulièrement les yeux au ciel pour retirer les larmes qui perlaient aux coins de mes yeux sous les reproches.
« Je suis désolée ok ? Je ne pourrais jamais me faire pardonner pour tout ça, mon silence, mon absence lors du décès de Leah. Et je le sais. Je m'en veux terriblement tous les jours en repensant à l'amie indigne que j'ai pu être. Je crois que je n’aurai jamais assez d'une vie pour te dire à quel point je suis désolée et à quel point je peux bien m'en vouloir. Sans chercher à me justifier, parce que je suis bien consciente que je n'ai absolument aucune excuse : je n'avais pas le choix. C'était partir loin d'ici, tout abandonner, ma mère, mes amis et ma vie toute entière ou mourir à Brisbane. C'était horrible de vivre dans cette maison où il avait vécu, c'était insupportable de marcher dans ces rues où il avait tant de fois marché. Je vois Matteo partout ici, à chaque coin de rue, à chaque instant dès que je ferme les yeux. Il est là partout, il ne me lâche pas. J'étouffais ici, j'aurai jamais pu faire mon deuil ici à l'époque. Et je n'ai toujours pas réussi à le faire, d’ailleurs. J'ai passé presque 10 ans à redouter ce qui lui est finalement arrivé. » Je m'étais moi aussi mise à crier au début. Puis peu à peu, l'émotion de la conversation me submergeait et ma voix se mettait à trembler, à faiblir. « Mais pire que tout, je ne pouvais pas rester ici, vous voir toi, Kaecy, Soren, Cléo et ma mère. C'était insoutenable de vous voir tous pleurer sa mort. Rien que de supporter mon propre désespoir ça me semblait insurmontable, mais te voir toi pleurer Matt c'était... » Rien qu'à l'évocation de ce souvenir, un sanglot se formait dans ma voix et je m'interrompais pour le ravaler, reprendre mon souffle un bon coup afin de poursuivre d'une voix tremblante. « Quand je te vois, je le vois lui. Ca me brise le coeur à chaque fois. Je ne peux pas vivre sans lui, Elio, c'est trop difficile, surtout ici. Je n’en avais pas l’ombre de la force et de la volonté à l'époque. J'ai été faible et terriblement égoïste, je le sais. Mais c'était une question de survie cette fuite. J'ai cru qu'en restant à Adelaide avec Dean, en refusant de répondre à vos appels et à vos messages, qu'en essayant de vous oublier je pourrais panser mes plaies et passer à autre chose. J'ai cru qu'en acceptant de me marier avec Dean, je serai peut-être à nouveau quelque chose d'autre que cette coquille vide que je suis devenue. J'ai essayé de survivre comme j'ai pu et je me suis plantée en beauté »
Finalement, le regard noir d'Elio eut raison de ma bonne volonté et plusieurs larmes venaient à rouler sur mes joues alors que je me tenais face à lui, comme ratatinée, les bras croisés, à tenter de supporter son regard lourd de reproches et de déception que j’étais pleinement consciente de mériter. C’était ça le pire au fond : savoir que je l’avais perdu mais que je le méritais totalement. Celui qui avait dit un jour qu’on récoltait ce qu’on l’on sème me semblait être un véritable visionnaire. Et soudainement, aussi brutalement que les paroles d’Elio m’avaient heurtées, l’horreur de la réalité me frappa : j’étais seule ! Mon père et Elio étaient morts, ma mère n’était plus que l’ombre d’elle-même, j’avais quitté Dean sur un coup de tête pour retourner à Brisbane. J’avais même choisi de ne pas reprendre contact avec Soren, un des meilleurs amis de Matt et Cléo, l’ex-fiancée de Matt parce qu’ils étaient coupables selon moi de haute trahison envers mon frère. Et Elio me détestait, voire pire : il n’éprouvait à mon égard désormais qu’une sombre indifférence. Seule Kaecy semblait décidée à m’accorder une seconde chance.
Evidement je la blesse, je le vois. Je vois bien qu’elle retiens ces larmes, le souffle un peu court et les mains tremblantes mais je m’en moque, je lui balance mon venin à la figure comme si j’avais retenu trop longtemps tous ces mots. Je crois même que je veux la blesser, qu’elle ait mal comme ça me fait mal quand je pense à son départ, à la façon dont elle nous a quitté sans se retourner. « Je suis désolée ok ? Je ne pourrais jamais me faire pardonner pour tout ça, mon silence, mon absence lors du décès de Leah. Et je le sais. Je m'en veux terriblement tous les jours en repensant à l'amie indigne que j'ai pu être. Je crois que je n’aurai jamais assez d'une vie pour te dire à quel point je suis désolée et à quel point je peux bien m'en vouloir. » Mon regard est encore noir, je le plonge dans le sien sans ciller alors que j’agrippe la poignée de la porte un peu plus fort, avec toujours cette même envie de la lui refermer à la figure. « Présente tes excuses à quelqu’un que ça intéresse. J’en ai pas besoin moi. » Ca ne change rien. Je m’en moque bien qu’elle soit désolé ou non, c’est trop tard pour venir se repentir. Pendant ces longs mois à quoi elle pensait ? De toute évidence pas à nous… Pas une seule fois… Pas assez en tout cas pour s’inquiéter de notre sort – qu’elle prenne un minimum de nouvelles. « Sans chercher à me justifier, parce que je suis bien consciente que je n'ai absolument aucune excuse : je n'avais pas le choix. » Je soupire en entendant ces mots avec un rictus agacé. Evidement qu’elle se cherche des excuses. Je sais déjà ce qu’elle va me dire, parce que moi aussi j’ai vécu la perte. Je sais ce qu’on peut ressentir et à quel point fuir est tentant. « C'était partir loin d'ici, tout abandonner, ma mère, mes amis et ma vie toute entière ou mourir à Brisbane. C'était horrible de vivre dans cette maison où il avait vécu, c'était insupportable de marcher dans ces rues où il avait tant de fois marché. Je vois Matteo partout ici, à chaque coin de rue, à chaque instant dès que je ferme les yeux. Il est là partout, il ne me lâche pas. J'étouffais ici, j'aurai jamais pu faire mon deuil ici à l'époque. Et je n'ai toujours pas réussi à le faire, d’ailleurs. J'ai passé presque 10 ans à redouter ce qui lui est finalement arrivé. » Sa voix est tremblante et bien que je tente de rester dur je suis évidement touché. Bien sûr qu’elle le voyait partout, moi aussi je pensais à ma sœur et à Matt tous les jours. « Mais pire que tout, je ne pouvais pas rester ici, vous voir toi, Kaecy, Soren, Cléo et ma mère. C'était insoutenable de vous voir tous pleurer sa mort. Rien que de supporter mon propre désespoir ça me semblait insurmontable, mais te voir toi pleurer Matt c'était... » Mon visage reste sans expression face à son commentaire. « Donc c’était ma faute… » Je déteste cette impression qu’elle va retourner la situation. Sa lâcheté me donne envie de vomir, cette façon dont elle tente de m’adoucir. J’ai l’impression de me faire manipuler – ou c’est peut-être ma façon de me protéger, de gérer pour ne pas me faire submerger moi aussi par les émotions. Pour ne pas avouer simplement que je lui en veux de m’avoir quitté parce que j’aurais voulu qu’elle soit prêt de moi dans les moments difficiles. Parce qu’elle m’a renvoyé à ma propre incapacité à l’aider en préférant la solitude. « Quand je te vois, je le vois lui. Ca me brise le coeur à chaque fois. » Cette fois je sens mon cœur se serrer. Penser à Matt me fait mal, j’évite le plus souvent. « Je ne peux pas vivre sans lui, Elio, c'est trop difficile, surtout ici. Je n’en avais pas l’ombre de la force et de la volonté à l'époque. J'ai été faible et terriblement égoïste, je le sais. Mais c'était une question de survie cette fuite. J'ai cru qu'en restant à Adelaide avec Dean, en refusant de répondre à vos appels et à vos messages, qu'en essayant de vous oublier je pourrais panser mes plaies et passer à autre chose. J'ai cru qu'en acceptant de me marier avec Dean, je serai peut-être à nouveau quelque chose d'autre que cette coquille vide que je suis devenue. J'ai essayé de survivre comme j'ai pu et je me suis plantée en beauté » Elle a au moins le mérite de l’avouer elle c’était plantée. Elle c’était trompée.
Si jusqu’à maintenant elle c’était clairement retenue de pleurer et je vois maintenant des larme perler dans ces yeux. Ce qui me tord méchamment le ventre. « Non… Non je t’en pris tu pleures pas ! » Ma voix est presque énervée, accusatrice. « C’est trop simple de venir ici et de chialer devant ma porte ! Je sais bien que t’as mal Heidi et que ça a du être dur pour toi. Mais ça l’était pour nous tous ! Tu crois que quand je vais dans des endroits où j’allais avec lui je ne pense pas à Matt ? Que je ne souffre pas ? Tu crois que tous les jours quand je regarde mes neveux j’ai pas mal de me dire que leur mère est morte ? Mais je vais de l’avant ! C’est ce qu’on fait et je peux pas… Je veux pas que tu reviennes dans ma vie parce que je crois pas que tu vas m’aider à aller de l’avant. J’ai plus besoin de toi - quand tu étais mon amie c’était différent mais aujourd’hui tu l’es plus… » La conversation est légèrement entrain de vriller me mettant face à mes propres contradictions. Voir Heidi c’est pire que tout, c’est revivre ces moments douloureux que nous avons vécu après la mort de Matt. « Quand t’es partie t’as cassé ce processus, on aurait pu avoir mal ensemble. Passer à autre chose. C’est ce qu’on fait avec Kaecy tous les jours, encore aujourd’hui on s’entraide mais toi… Toi t’es partie et maintenant tu reviens et je sais pas ce que tu veux de moi mais… Je recommencerai pas ce processus. J’en ai pas envie… J’ai pas envie de te laisser revenir dans ma vie et c’est injuste de me le demander. De venir ici et de pleurer sur mon perron, je voulais pas de cette conversation… Ni de ton retour. » Je suis énervé, vraiment en colère qu’elle vienne ici et m’oblige à dire ces mots que je voudrais garder pour moi. Ceux que je n’aurais jamais voulu lui dire parce que à pars la blesser un peu plus ils ne changeront rien à ce que je ressens. Ce besoin de la repousser.
Après avoir déballé toute ma méchanceté je m’arrête quand même quelques secondes pour la regarder. Même si je ne le veux pas j’ai pour Heidi cet attachement. Je le rejette le plus fort possible mais il semble impossible de m’en défaire totalement. « Je devrais sans doute appeler Kaecy pour qu’elle vienne te voir… Pas que tu restes seule. » Je n’y ai pas été de main morte avec elle et elle a sans doute besoin d’une amie pour la soutenir après ce que je viens de lui balancer. « Tu peux rester ici en l’attendant si tu veux… De toute façon j’allais partir. » C’est un mensonge mais peu importe je peux bien sortir ça ne me fera pas de mal de prendre un peu l’air j’étouffe ici.
L'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur. Les êtres s'attachent et deviennent dépendants les uns des autres à tel point que lorsque l'un vient a partir, le monde s'écroule autour de l'autre. Δ
« Présente tes excuses à quelqu’un que ça intéresse. J’en ai pas besoin moi. » Elio n’était pas tendre avec moi et de toute façon, ce n’était pas ça que j’étais venue chercher en venant le trouver si tôt le matin alors qu’il était seul, sans Kaecy pour l’apaiser. Non, j’étais venue me prendre une raclée, me prendre la confrontation qui me pendait au bout du nez depuis mon retour il y avait de ça presque 4 mois. J’étais venue, poussée par un élan de masochisme, entendre quelqu’un me balancer à la figure mes quatre vérités telles qu’elles l’étaient. Et Elio remplissait cette tâche à merveille, il ne me ménageait pas le moins du monde. Bien que je m’y attendais, cependant, le choc fut rude. J’encaissais chaque coup avec un peu plus de difficulté à me contenir mais je le faisais. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle je ne le coupais jamais, j’attendais toujours d’être sûre et certaine qu’il ait fini de dire ce qu’il avait à me dire avant de lui répondre et je lui laissais ensuite le temps de le faire à son tour. Parce que je n’étais pas là pour me justifier, je n’étais pas non plus vraiment là pour qu’il me pardonne (consciente que ce n’était pas près d’arriver) mais pour entendre la vérité. Néanmoins, je voulais que lui aussi puisse entendre la vérité, la mienne, du moins mon point de vue, qu’il ait le droit à ces explications que j’aurai dû lui fournir des mois plus tôt. Et tout commençait par les excuses que je lui présentais. Je n’avais pas été là pour lui quand sa sœur était décédée, j’avais failli à mon rôle d’amie à quittant Brisbane sans même les avertir et j’en étais désolée. C’était la stricte vérité, même si je ne pourrais jamais changer le cours des choses. Ce fut alors à son tour de m’écouter parler, de m’écouter lui raconter ce que moi j’avais vécu. J’en venais à évoquer les raisons de ma fuite hors de Brisbane et lorsque j’évoquais le fait que d’une certaine façon voir la tristesse qu’il ressentait suite au décès de Matteo m’avait poussé à partir, il en conclut que « Donc c’était ma faute… » Je levais aussitôt les yeux au ciel. « Ce n’est pas ce que j’ai dit » répondis-je alors presque désabusée par ce qu’il venait de dire. Ce n’était pas sa faute. Les choses étaient simplement ce qu’elles étaient et son désespoir qui ne faisait qu’écho au mien ne faisait que m’enfoncer un peu plus dans les ténèbres à l’époque. Il n’y pouvait rien, moi non plus, c’était la faute à pas de chance comme on dit. Je tentais de lui expliquer ce que je voyais à l’époque, persuadée qu’il pouvait comprendre cela au moins, à défaut de me pardonner, je voulais au moins qu’il sache ce qui m’était passé par la tête.
Lorsque j’avais enfin terminé de faire mon mea culpa, lorsqu’enfin je reconnaissais ce que tout le monde savait déjà : que j’avais merdé en beauté. Alors que les larmes que je m’efforçais de retenir depuis le début venaient à pointer le bout de leur nez, Elio s’emporta presque aussitôt. « Non… Non je t’en prie tu pleures pas ! C’est trop simple de venir ici et de chialer devant ma porte ! Je sais bien que t’as mal Heidi et que ça a dû être dur pour toi. Mais ça l’était pour nous tous ! Tu crois que quand je vais dans des endroits où j’allais avec lui je ne pense pas à Matt ? Que je ne souffre pas ? Tu crois que tous les jours quand je regarde mes neveux j’ai pas mal de me dire que leur mère est morte ? Mais je vais de l’avant ! C’est ce qu’on fait et je peux pas… Je veux pas que tu reviennes dans ma vie parce que je crois pas que tu vas m’aider à aller de l’avant. J’ai plus besoin de toi - quand tu étais mon amie c’était différent mais aujourd’hui tu l’es plus… » Il se tut un instant et je sentais que la conversation commençait réellement à mal tourner. « Quand t’es partie t’as cassé ce processus, on aurait pu avoir mal ensemble. Passer à autre chose. C’est ce qu’on fait avec Kaecy tous les jours, encore aujourd’hui on s’entraide mais toi… Toi t’es partie et maintenant tu reviens et je sais pas ce que tu veux de moi mais… Je recommencerai pas ce processus. J’en ai pas envie… J’ai pas envie de te laisser revenir dans ma vie et c’est injuste de me le demander. De venir ici et de pleurer sur mon perron, je voulais pas de cette conversation… Ni de ton retour. » reprenait-il finalement après quelques instants de silence « Bien sûr que c’est trop simple et crois-moi c’est pas ce que je veux, j’essaye de pas pleurer. Crois-moi j’essaye de toutes mes forces de pas pleurer et de garder la tête haute. Mais s’il te plait Elio, ne joue pas à ce jeu-là avec moi. Ne fais pas comme si tu ne savais pas. Ne fais pas comme si tu ignorais que j’étais faible. Je l’ai toujours été et t’es bien placé pour le savoir. Après toutes ses années passées avec moi et Matteo, tu sais pertinemment que je n’ai pas la moitié de votre courage à toi et Kaecy et encore moins de celui de Matteo. Tu l’as toujours su, on l’a tous toujours su. Alors ne fais pas comme si mon départ t’avait étonné, comme si vraiment ça ne me ressemblait pas d’être aussi faible et lâche, parce qu’on sait tous les deux, au fond, que c’est faux » C’était presque à mon tour d’être énervée, sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que je venais d’admettre face à lui une de mes plus grandes faiblesses. Si Matteo s’en était toujours très bien sorti dans la vie, c’était parce qu’il avait en lui un courage à toute épreuve. Un courage que je n’avais jamais possédé. J’avais constamment besoin d’être rassurée, j’étais fragile et un rien semblait capable de m’ébranler. J’étais un château de carte, joli à voir mais pas bien solide. Un coup de vent et hop ! Il n’y avait plus personne. En équilibre instable constamment. Je ne m’expliquais pas réellement cette faiblesse d’esprit qui me distinguait clairement du reste de mes amis les plus proches à savoir : Kaecy et Elio. Peut-être était-ce dû à l’absence de figure paternelle dans ma vie. La mort de mon père m’avait énormément affectée et il semblait qu’à partir de ce moment-là j’étais devenue faible et en constant besoin d’être rassurée. Elio le savait bien : c’était lui et Kaecy qui m’avaient ramassé à la petite cuillère lorsque Matteo m’avait annoncé qu’il s’était engagé dans l’armée. C’était lui et Kaecy qui tentaient de me rassurer à chaque fois que Matteo était en mission et qu’il ne donnait pas de nouvelles. Il semblait que sur mon frère, à l’instar de ses deux meilleurs amis, la peur n’avait aucune prise, contrairement à moi : la peur me paralysait.
Bien que je m’énervais un peu, l’émotion qui primait était une profonde tristesse. C’était terriblement douloureux d’écouter ce qu’Elio avait à me dire, non seulement parce qu’entendre la vérité ne faisait jamais de bien, mais surtout parce qu’elle venait d’Elio lui-même. Elio avait tellement représenté pour moi par le passé que savoir avec quel mépris il me considérait désormais, c’était presque insupportable. J’avais toujours eu un profond problème concernant les hommes, vestige de l’absence de figure paternelle durant mon enfance. C’était Matteo qui avait été mon modèle masculin le plus proche. Puis il y avait eu Elio, avec qui j’avis grandi. Je l’avais toujours admiré, presque idolâtré. D’abord parce que c’était le meilleur ami de mon frère et que ce titre lui donnait à mes yeux un statut particulier. Mais également parce qu’Elio était le premier garçon que j’avais fréquenté en dehors de mon frère. C’était un des modèles masculins de mon enfance. Mais c’était également le premier garçon pour lequel j’avais éprouvé plus que de l’amitié, sans nécessairement parler d’amour (que savait-on au juste de l’amour à 15 ans ?) mais tout du moins une certaine attirance toujours mêlée de cette espèce d’adoration. Nul doute que plus tard, la personne avec qui je me verrais construire ma vie, avoir des enfants auraient des traits communs à ceux de Matteo et d’Elio. Parce qu’ils avaient été mes modèles. Aujourd’hui, je me retrouvais face à Elio, que j’admirais toujours de par sa force (il avait survécu à la mort de son meilleur ami, avait encaissé celui de sa sœur et avait choisi d’élever ses deux neveux, si ça ne n’était pas avoir de la force et du courage, je ne savais pas ce que c’était) mais je me confrontais à son rejet brutal et froid. Il me semblait alors que quelque chose en moi se brisait, si tant est qu’il restait encore quelque chose à briser. « Je devrais sans doute appeler Kaecy pour qu’elle vienne te voir… Pas que tu restes seule. Tu peux rester ici en l’attendant si tu veux… De toute façon j’allais partir. » ajouta-t-il. Si je n’étais pas à ce point désespérée, je crois que j’aurai ri jusqu’aux larmes. Si même Elio, qui me méprisait au plus haut point, semblait s’inquiéter de la solitude à laquelle je devais faire face, c’était alors la preuve que j’étais réellement seule au monde. Au lieu de rire cependant, mon regard flirtant avec le sol quelques instants, je secouais la tête négativement. « Je crois que j’ai largement assez abusé de l’altruisme et de la générosité de Kaecy. Ne lui dis pas que je suis passée. » Je ne voulais pas que Kaecy le sache, parce que je la connaissais par cœur, malgré mon année de silence, elle se sentirait mal pour moi alors qu’elle ne devrait pas. C’était moi la méchante qui l’avait abandonnée, elle aurait normalement dû me rejeter avec deux fois plus de force qu’Elio s’évertuait à le faire.
Ces quatre mois de silences avaient laissé germer en moi une amertume encore bien plus profonde que celle que je pensais couver. Elle était grondissante, prête à sauter au cou de quiconque oserait la défier. Heidi l’avait défiée, elle était venue chercher ces mots que je ne voulais pas lui dire – que j’avais tenté de garder pour moi car je les savais trop blessant. Mais à force de les garder aux chauds ils avaient grandi pour devenir plus fort encore et aujourd’hui ils sortaient avec fracas bien décidé à faire du mal. Ca marchait évidement, je savais parfaitement où toucher pour lui faire mal, pour lui montrer qu’elle ne méritait plus rien venant de nous. J’aurais pu lui permettre ces larmes – au moins. Mais elle me ramenait à ma propre culpabilité et il m’était impossible pour le moment de l’accepter. C’était Heidi la coupable, elle l’avait mérité – je devais me détacher de ces sentiments que j’avais eu en vers elle si profonds. De cette attachement qui avait fait d’elle, presque un membre de ma famille. En tout cas de la famille que j’avais choisi. Parce qu’en perdant Matt la douleur avait été cuisante mais accompagnée de celle de perdre Heidi et elle avait choisi consciemment de provoquer cette douleur… Elle avait fait ces choix aussi mauvais étaient ils et aujourd’hui j’avais les miens à faire. « Bien sûr que c’est trop simple et crois-moi c’est pas ce que je veux, j’essaye de pas pleurer. » « Essayes plus fort. » J’ai l’impression de n’être plus que méchanceté – de n’avoir rien d’autre à lui donner. Et je sais qu’elle ne doit pas me reconnaître dans ce rôle – que je n’ai jamais été à cette place dans sa vie. J’avais toujours souhaité la protéger parce qu’elle était cette jeune fille un peu fragile mais tellement attachante. Parce que quand elle me regardait avec cette admiration un peu cachée j’avais l’impression d’être quelqu’un de bien ou en tout cas de pouvoir le devenir. Dans les yeux d’Heidi je n’étais jamais un raté et j’avais tant besoin de cette vision à une époque. Elle me rassurait – faisait de moi une meilleure personne. Une personne qui malgré les tentations de la chair était toujours resté éloigné d’Heidi par respect. Je pouvais être respectueux, même si elle me plaisait – même si les petits regards que nous échangions parfois étaient déjà bien trop suggestifs, jamais je n’avais été plus loin. Elle avait aussi su faire de moi un homme qui résiste – qui sait où sont ces priorités. J’avais tendance à les perdre facilement à l’époque. Après avoir reçu un héritage considérable la vie me paraissait beaucoup plus simple – je pouvais profiter, me payer ce que je voulais – ne plus compter. Avoir des gens comme Heidi, Kaecy et Matt dans ma vie m’avait permis d’avoir certains points de repère. A la mort de Matt tout avait volé en éclat – ce petit confort avait disparu. Heidi s’en était allée elle aussi. Même Kaecy et moi avions pendant un certain moment pris des routes différentes bien que nous aurions été bien incapable de couper les ponts. J’avais lapidé tout mon héritage en voyage et conneries, aussi vite qu’il était arrivé. Puis, ma sœur était décédée sellent ma vie à un avenir bien différent que celui que j’avais imaginé.
« Crois-moi j’essaye de toutes mes forces de pas pleurer et de garder la tête haute. Mais s’il te plait Elio, ne joue pas à ce jeu-là avec moi. Ne fais pas comme si tu ne savais pas. » Mes sourcils se froncent pour montrer mon incompréhension alors qu’elle continue. « Ne fais pas comme si tu ignorais que j’étais faible. Je l’ai toujours été et t’es bien placé pour le savoir. Après toutes ses années passées avec moi et Matteo, tu sais pertinemment que je n’ai pas la moitié de votre courage à toi et Kaecy et encore moins de celui de Matteo. » Cette fois je n’ai même plus envie de l’écouter. Son ton est plus sec et il m’agace, ma main quitte la poignée pour venir se passer sur mon visage comme pour le prévenir qu’elle en fait trop – qu’elle commence à m’agacer sérieusement avec ces excuses bidons. « Tu l’as toujours su, on l’a tous toujours su. Alors ne fais pas comme si mon départ t’avait étonné, comme si vraiment ça ne me ressemblait pas d’être aussi faible et lâche, parce qu’on sait tous les deux, au fond, que c’est faux » Je secoue la tête cette fois, sans comprendre la portée exacte des ces paroles. « C’est quoi ça ? Un concours de lâcheté ? Tu veux quoi de moi Heidi ? Que je te dise que tu as eu raison de partir ? Ou alors que je te comprenne ? Je sais très bien ce que c’est que d’être un lâche mais là c’est bien pire… » J’avais moi même mes tords niveau lacheté. « C’est pas juste la fuite… Moi aussi j’ai voulu fuir et plus d’une fois. C’est le non respect que tu as eu face à nous. Je me moque bien que tu fuis au bout du monde… Mais pas un mot ! Pas une SEUL MOT pendant toutes ces années ?! » Je commence sérieusement à m’énerver. « Comme si on comptait pour rien ? Qu’on avait pas des sentiments nous aussi ? Qu’on était que des vulgaires choses ? » Ma lèvre tremble légèrement de colère mais d’émotion aussi. « Jamais j’aurais cru ça de toi… C’est pire que de la lâcheté… C’est pire que tout pour moi ! Je me suis senti trahis. » Peut-être que le mot est dur mais c’est ce que j’ai ressenti. Cette impression de m’être fait berner par mon amie – de ne pas avoir droit au respect – de ne compter pour rien. « Ta fragilité on la connaissait tous… Mais je te croyais meilleure que ça,… De toute évidence je me suis trompé. » J’avais sans doute été aveuglé par mes sentiments à son égard, le fait que je la connaisse depuis si longtemps que j’ai connaissance de sa vie antérieur avait probablement altéré mon jugement. Mais jamais je n’aurais pensé être à coté de la plaque à ce point… Jamais je ne l’avais vu comme quelqu’un de lâche… Juste un peu plus faible… Un peu plus sensible.
C’est cette sensibilité qu’elle me rejette une fois de plus au visage avec ces larmes et si je me refuse le droit d’être touché il est évident que ça ne marche pas très bien – et qu’il me faut encore une fois tenter de protéger le peu de ce que je n’ai pas brisé. Pour ça il lui faut Kaecy… Il lui faut une amie. « Je crois que j’ai largement assez abusé de l’altruisme et de la générosité de Kaecy. Ne lui dis pas que je suis passée. » Une fois de plus mon regard se fait pesant alors que je la regarde… « Je ne cache jamais rien à Kaecy… » Ce n’était pas vrai à cent pour cent… J’avais évidement quelques secrets et parfois je me faisais long avant de finir par les avouer mais elle finissait toujours par tout savoir. J’avais d’ailleurs failli rajouter à l’adresse d’Heidi un « surtout pas pour toi. » Mais je me trouvais bien assez dur comme ça sans en rajouter. « Et si elle sait que je t’ai laissé partir dans cet état je ne donne pas cher de ma peau. » Je fais un léger sourire amusé en y pensant. Mais quand Heidi relève les yeux vers moi il disparaît aussi tôt et je m’en veux de cette faiblesse de ma part. Je ne veux pas lui donner de sourire… Ou une porte pour rentrer dans un quelconque sujet de conversation sympathique elle ne le mérite pas. « Alors rentres… » ma voix est autoritaire alors que j’ouvre la porte, mais je finis tout même pas ajouter un léger. « S’il te plait. » Qui me brule presque la gorge. « Tu peux t’asseoir. » je lui montre le canapé et m’éclipse presque aussi vite dans ma chambre pour enfiler un pantalon dans le but de sortir au plus vite de cet appart. J’attrape mon portable pour envoyer un message à Kaecy et lui dire de se ramener au plus vite. Puis alors que je finis d’envoyer le message je sens une vague de culpabilité me saisir et quand je retourne au salon pour voir la mine déconfite d’Heidi c’est pire encore. Je me pose à coté d’elle les bras sur les cuisses en regardant le sol avant de commencer ma phrase. « Ecoutes Heidi… Je sais que ce que je t’ai dit c’est… C’est blessant. Et je vais pas te mentir c’était le but… Je crois que je veux te faire du mal. Et pour ça je m’excuse… C’est la raison pour laquelle je voulais pas te parler, je savais que je voudrais te blesser comme je l’ai été… Mais ça me fait mal de te voir comme ça… Ca ne change rien à ce que je pense de toi et du fait que je ne veux plus avoir à faire à toi mais… Je pensais que je me sentirais bien de te faire du mal… » Je laisse un petit instant de flottement avant d’ajouter. « C’est pas le cas… » Moi aussi je peux me tromper il faut croire.
L'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur. Les êtres s'attachent et deviennent dépendants les uns des autres à tel point que lorsque l'un vient a partir, le monde s'écroule autour de l'autre. Δ
« C’est quoi ça ? Un concours de lâcheté ? Tu veux quoi de moi Heidi ? Que je te dise que tu as eu raison de partir ? Ou alors que je te comprenne ? Je sais très bien ce que c’est que d’être un lâche mais là c’est bien pire… C’est pas juste la fuite… Moi aussi j’ai voulu fuir et plus d’une fois. C’est le non respect que tu as eu face à nous. Je me moque bien que tu fuis au bout du monde… Mais pas un mot ! Pas une SEUL MOT pendant toutes ces années ?! Comme si on comptait pour rien ? Qu’on avait pas des sentiments nous aussi ? Qu’on était que des vulgaires choses ? Jamais j’aurais cru ça de toi… C’est pire que de la lâcheté… C’est pire que tout pour moi ! Je me suis senti trahis. » Je laisse Elio me cracher au visage ces dernières horreurs, pleinement consciente de les mériter. Lorsqu’Elio avoue s’être senti trahi, je ne peux que le comprendre et quelques larmes supplémentaires viennent perler aux coins de mes yeux suite à cette révélation. « Je ne sais pas ce que j’attends de toi Elio ! En fait, je ne sais même pas pourquoi je suis venue te trouver ce matin. Tout ce que je sais c’est que c’est comme un besoin vital. J’avais besoin de te voir et d’avoir cette conversation avec toi. Je crois que j’avais besoin de savoir à quel point j’avais pu te décevoir et combien tu me détestais aujourd’hui. La vérité c’est que c’est terriblement difficile d’encaisser tout ça. Je sais que j’ai pas le droit de dire ça, j’ai pas le droit de ressentir ça, mais tu m’as terriblement manqué, c’était presque instinctif de venir te trouver. La vérité, c’est que je suis lâche et que je me rends compte aujourd’hui que j’ai besoin de toi. Vous êtes tout ce qu’il me reste avec Kaecy. » Je sais pertinemment que je vais m’en prendre plein la tronche à nouveau suite à ce que je viens de révéler à Elio, qu’il va me détester encore plus pour ce que j’ose lui dire alors que c’est moi la méchante dans l’histoire. Mais j’ai besoin que ça sorte. J’ai besoin qu’Elio sache ce qu’il se passe dans ma tête. Parce que j’ai l’impression au fond de moi qu’Elio croit que pendant mon année de silence je n’ai jamais pensé à eux, j’ai l’impression qu’il pense que les quitter a été facile pour moi. C’est justement tout le contraire. Chaque jour je pensais à eux et à Matteo. Je me souvenais des nuits où je me réveillais en pleurant en pensant à eux et à mon frère et où même Dean ne parvenait pas à me consoler. J’étais partie, sans leur dire au revoir, parce que je savais que jamais ils ne m’auraient laissé partir et que je n’aurai jamais eu la force de m’opposer à eux. La tentation de répondre à leurs appels et leurs emails était tellement grande à chaque fois que je devais prendre sur moi pour les ignorer. Je savais que si je flanchais une seule fois, que si je répondais au moindre de leurs messages, je retomberai dans leurs bras. Je ne pouvais rien refuser à Elio ni même à Kaecy.
« Ta fragilité on la connaissait tous… Mais je te croyais meilleure que ça,… De toute évidence je me suis trompé. » A cet instant précis, je crois que mon cœur se brisa en mille morceaux. C’était incroyable l’impact qu’avait Elio sur moi : voilà qu’en moins de dix minutes de discussion je me sentais plus minable que je ne m’étais jamais sentie de toute ma vie. Sur le coup, j’en eu le souffle coupé et je crois qu’Elio s’en rendit compte. Qu’il comprit que là, c’était bon, il venait de m’achever, de m’asséner le coup fatal. Je fermais les yeux alors que je me mordais violemment la lèvre inférieure pour retenir tant bien que mal le sanglot que je sentais monter dans ma gorge. J’avais également quitté Brisbane pour une raison qui n’était pas explicable : la peur de perdre Kaecy et Elio. Je savais que je ne supporterai pas une perte supplémentaire puisque celle de Matteo était déjà la perte de trop. Alors je m’étais dit que si c’était moi qui partait, moi qui les mettait volontairement sur la touche, je n’aurai pas à souffrir de les avoir perdu puisque c’était un choix de ma part, ça n’était pas quelque chose qui me tomberait sur le coin de la figure comme la mort de Matteo. Mais au final, il semblait que ce que j’avais fui venait de se réaliser. Si Kaecy, portée par un altruisme sans bornes et absolument inhumain, m’avait accordé le pardon que j’avais demandé, je venais en revanche de perdre Elio définitivement.
Je finis par rouvrir les yeux, humides, pour faire demi-tour et rentrer chez moi. Je ne me voyais décidemment par aller travailler aujourd’hui dans cet état : j’avais actuellement l’impression de mettre faite passée au rouleau compresseur. Je rêvais de retrouver mon appartement étroit où mon chien Lago m’attendait. Lui au moins semblait toujours content de me voir, malgré mes erreurs passées. Mais Elio ne semblait plus de cet avis. « Je ne cache jamais rien à Kaecy… Et si elle sait que je t’ai laissé partir dans cet état je ne donne pas cher de ma peau. » Je relevais les yeux vers Elio et croisais l’ombre d’un sourire sur ses lèvres qui s’évapora aussitôt que nos regards se croisaient. Je semblais me ratatiner sous son regard, tant je craignais de le voir m’asséner un nouveau coup : j’avais encaissé deux fois plus que ce que j’aurai normalement pu encaisser. « Alors rentres… S’il te plait » finit-il par me lâcher, me forçant à rentrer dans son appartement. « Tu peux t’asseoir. » Je m’exécutais telle une enfant docile et m’installais sur le canapé. J’étais tellement peu en confiance et tellement angoissée et désespérée de me reprendre une veste par Elio que j’osais à peine m’installer confortablement. J’étais assise, droite comme un piquet à mâchouiller une mèche de mes propres cheveux alors qu’il disparaissait dans une autre pièce. Je n’avais clairement pas bonne mine. J’avais pourtant par le passé toujours été une plutôt jolie fille, relativement menue, mais tout en ayant toujours très bonne mine. Ce qui n’était absolument pas le cas ici : j’étais maigre, j’avais perdu beaucoup de poids (déjà que je n’en avais pas en trop) suite à la mort de Matteo et encore plus depuis que j’étais de retour à Brisbane et que ma relation avec Elio semblait toujours aussi compliquée. Il semblerait facile de croire qu’un simple coup de vent suffirait à me faire perdre pied.
Soudainement, Elio faisait irruption dans le salon à nouveau et après m’avoir jeté un bref regard de pitié (qui m’accabla encore un peu plus que je ne l’était déjà) il s’installait à mes côtés. « Ecoutes Heidi… Je sais que ce que je t’ai dit c’est… C’est blessant. Et je vais pas te mentir c’était le but… Je crois que je veux te faire du mal. Et pour ça je m’excuse… C’est la raison pour laquelle je voulais pas te parler, je savais que je voudrais te blesser comme je l’ai été… Mais ça me fait mal de te voir comme ça… Ca ne change rien à ce que je pense de toi et du fait que je ne veux plus avoir à faire à toi mais… Je pensais que je me sentirais bien de te faire du mal… C’est pas le cas… » Rester de marbre face à ce qu’Elio me disait était évidemment impossible et de nouveau, les larmes coulaient à flot sur mes joues pâles et creusées (c’est à se demander d’où sortait toute cette foutue eau). La partie où Elio trouvait encore le moyen d’insister sur le fait qu’il voulait que je sorte de sa vie acheva de me briser le cœur en mille morceaux. C’était horrible, de l’avoir là, si près, de pouvoir sentir la chaleur autrefois si rassurante émaner de son corps et de me sentir pour autant si loin de lui. Je savais que je n’avais qu’à tendre le bras pour sentir le contact rassurant de sa peau, que je pourrais lui demander l’étreinte si rassurante et familière dont j’aurai eu besoin il y a plus d’un an maintenant. Mais que pourtant tout ceci restait hors de ma portée. « C’est tellement dur et ça fait tellement mal. C’est toujours là, c’est constant. Je suis épuisée et je me sens tellement vide à l’intérieur et tellement seule. Je suis tellement désolée. Pour tout, que tu aies cru que tu ne comptais pas, que je t’avais oublié. Parce que je pourrais jamais t’oublier, même si je le voulais et crois-moi je l’ai voulu pendant un moment. Sache que rester loin de toi, sans répondre à tes messages, ça a été une des plus grosses épreuves de ma vie. Maintenant, je crois que la moindre des choses c’est de te donner ce que tu veux alors sache que si tu le veux, je disparaîtrais de ta vie. Ca sera comme si je n’avais jamais existé, ou comme si je n’étais jamais revenue. Une fois que j’aurai passé la porte de ton appartement, tu ne me reverras plus. » Je tremblais, comme une feuille, tellement sortir ces quelques mots me demandait toute mon énergie. C’était un déchirement de promettre ça à Elio, mais je lui devais bien ça, pour toutes les fois où il m’avait soutenu, toutes les fois où il m’avait consolé, toutes les fois où il m’avait fait rire, toutes les fois où nous avions joué à ce petit jeu de séduction, pour tous les moments que nous avions partagés.
Un flot de mots blessants, tout sort de moi comme en cascade, je suis incapable de me retenir, de visualiser une ligne à ne pas dépasser. Je veux qu’elle souffre, je veux la voir à terre parce que c’est tout ce que je suis capable de faire pour le moment. Elle voulait la vérité, elle est venue la réclamer et bien elle l’a, brute et violente comme je la vis tous les jours depuis son départ. « Je ne sais pas ce que j’attends de toi Elio ! En fait, je ne sais même pas pourquoi je suis venue te trouver ce matin. Tout ce que je sais c’est que c’est comme un besoin vital. J’avais besoin de te voir et d’avoir cette conversation avec toi. Je crois que j’avais besoin de savoir à quel point j’avais pu te décevoir et combien tu me détestais aujourd’hui. La vérité c’est que c’est terriblement difficile d’encaisser tout ça. » C’était du masochisme pur et dur, elle était venue en sachant pertinemment que j’allais la mettre plus bas que terre et j’étais rentré dans son jeux sans broncher lui donnant ce qu’elle attendait. Je n’avais pourtant pas l’impression que ça changeait quoi que ce soit. Je ne pensais pas que ça nous donnait une chance de passer à autre chose car j’avais bien trop de rancœur au fond de moi. « Je sais que j’ai pas le droit de dire ça, j’ai pas le droit de ressentir ça, mais tu m’as terriblement manqué, c’était presque instinctif de venir te trouver. La vérité, c’est que je suis lâche et que je me rends compte aujourd’hui que j’ai besoin de toi. Vous êtes tout ce qu’il me reste avec Kaecy. » Je la déteste d’oser me dire ça , de me réclamer alors qu’elle n’a pas su être là. De jouer avec cette corde sensible qu’elle connaît si bien chez moi. Heidi est comme une petite sœur pour moi, j’ai toujours voulu la protéger, être là pour elle et la jeune femme le sait pertinemment alors venir me dire qu’elle a besoin de moi alors que je lui demande de sortir de ma vie c’est injuste. C’est cruel et je ne lui donnerait pas la satisfaction d’avoir ce qu’elle recherche… Elle le sait bien. « Je ne fais plus parti de ce qu’il te reste Heidi… Je ne serai plus cette personne c’est fini. » Mettre fin si cruellement à notre relation me tord le ventre. J’ai envie de hurler d’aller tout casser, de me rétracter mais je n’en fais rien. Je regarde Heidi se décomposer devant moi sans avoir un geste pour elle. Rien que ce regard froid qui ne me ressemble pas.
Je voudrais qu’elle parte et en même temps je me sais incapable de la laisser partir après l’avoir détruite de la sorte. Si il ne lui reste plus que Kaecy alors elle sera son soutien une fois de plus. Peut-être que je me prendrais un savon après, que Kaecy ne me comprendra pas mais je sais qu’elle finira par accepter ma décision parce qu’elle me donne toujours la chance de m’auto-déterminer – de prendre mes propres décisions aussi mauvaises soient-elles. Je finis par l’obliger a rentrer dans notre appart et je m’éclipse un moment. Le temps de tenter de reprendre mes esprit, de comprendre la porté des mots que je viens de prononcer. Si je ne regrette pas le fond je regrette la forme. J’ai été trop violent, incapable de me retenir et je finis par aller la retrouver pour formuler des excuses qu’il m’est compliqué de donner. Comment lui dire que mes excuses n’effacent pas mes propos, qu’elle ne sont qu’un moyen de faire passer la pilule autrement mais que ça ne change rien à mon état d’esprit. Les larmes d’Heidi reviennent couler sur ces joues et je suis tout bonnement incapable de la regarder quand elle est dans cet état. « C’est tellement dur et ça fait tellement mal. C’est toujours là, c’est constant. Je suis épuisée et je me sens tellement vide à l’intérieur et tellement seule. Je suis tellement désolée. Pour tout, que tu aies cru que tu ne comptais pas, que je t’avais oublié. Parce que je pourrais jamais t’oublier, même si je le voulais et crois-moi je l’ai voulu pendant un moment. Sache que rester loin de toi, sans répondre à tes messages, ça a été une des plus grosses épreuves de ma vie. » Pourquoi elle l’a fait… Pourquoi elle nous a fait à tous si mal ? Je lui en veux encore plus, de ne pas avoir mis fin à cette torture avant, d’avoir attendu toutes ces années pour redonner signe de vie… Et instaurer un dialogue. « Maintenant, je crois que la moindre des choses c’est de te donner ce que tu veux alors sache que si tu le veux, je disparaîtrais de ta vie. Ca sera comme si je n’avais jamais existé, ou comme si je n’étais jamais revenue. Une fois que j’aurai passé la porte de ton appartement, tu ne me reverras plus. » Mes mains se joignent devant moi alors que je regarde au loin. Le silence s’installe. Pesant. Je suis incapable de lui parler. D’accepter son offre simplement parce qu’il y a beaucoup d’autres facteurs à prendre en compte. Elle ne dit plus rien non plus, juste le silence, immense silence qui prend tout l’appartement et commence à me faire monter les larmes aux yeux. Elles sont là, mais yeux brillant refusant de céder à ces sentiments. Je sais que si je parle elles risquent de prendre place alors je tente d’abord de me canaliser. Ca prend de longues minutes, le temps semble se distendre pour ne plus avoir aucun sens et au bout de ce moment qui semble interminable je finis enfin par reprendre la parole. « Ca serait injuste pour Kaecy… Elle te retrouve après tout ce temps et… Elle a besoin de toi comme toi d’elle. Alors tu vas pas repartir, tu vas pas disparaître à nouveau. Tu vas être forte et affronter la vérité qui est que toi et moi on est plus rien. Que quand tu viendras ici on ne se parleras pas et qu’on ne rigoleras pas ensemble. Tu vas aller de l’avant et affronter ça… Prouve moi que j’avais pas tord de penser que tu en valais la peine. » Je retourne mon visage vers elle pour croiser son regard. « Que tu peux te battre et pas simplement baisser les bras… » Je ne sais pas ce que j’attends d’elle exactement mais je voudrais qu’elle soit meilleure. Que tout ça puisse au moins lui servir pour devenir une meilleure personne.
L'attachement est une absurdité, une incitation à la douleur. Les êtres s'attachent et deviennent dépendants les uns des autres à tel point que lorsque l'un vient a partir, le monde s'écroule autour de l'autre. Δ
Je restais persuadée que c’était ça le pire : je savais pertinemment ce qu’allait me dire Elio. Il n’y avait aucun doute quant à l’issue de cette conversation désastreuse : Elio allait continuer à me détester et m’ignorer comme il le faisait si bien depuis plusieurs mois et moi je resterai seule. C’était écrit et je le savais. Au fond, c’était comme savoir qu’on était dans une voiture lancée à pleine vitesse face à un mur et accélérer quand même. Je savais que j’allais en avoir pour mon grade mais j’étais venue quand même : comme si j’avais besoin de me prendre cette raclée monumentale pour prendre conscience de mes erreurs passées. Pourtant le fait que je sois au courant de ce qui m’attendait n’avait en rien atténué la douleur que je ressentais à chaque fois qu’Elio ouvrait la bouche pour m’asséner un nouveau reproche. J’étais condamnée à le laisser m’en mettre plein la tronche sans pouvoir broncher non seulement parce que c’était moi qui était venue le trouver mais également parce qu’il avait entièrement raison sur le fond. Si ses reproches et son attitude volontairement blessante ne m’avaient pas autant affecté j’aurai sûrement été capable de prendre un peu plus de recul et de me dire que si Elio réagissait si violemment pour le moment c’était juste un réflexe auto défensif : il voulait me blesser comme je l’avais blessé. J’aurai sûrement pu me rassurer en me disant qu’avec un peu de temps, il s’adoucirait et laisserait peut-être une chance à notre amitié. Mais je n’étais pas en état de me rassurer de la sorte et je prenais chaque parole d’Elio au pied de la lettre : je n’avais pas le moindre espoir qu’Elio me pardonne un jour de l’avoir abandonné. « Je ne fais plus parti de ce qu’il te reste Heidi… Je ne serai plus cette personne c’est fini. » avait-il asséné une fois de plus, comme s’il avait peur que je l’oubli. Il s’était pourtant assuré que je ne me méprenne pas sur ses intentions vis-à-vis de moi en me répétant une bonne dizaine de fois qu’effectivement je ne représentais plus rien pour lui désormais. Et si les 9 fois précédentes n’avaient pas suffi à me briser le cœur en mille morceaux et à me nouer la gorge, cette fois, il n’y avait pas le moindre doute : Elio avait réussi son coup. Je me sentais minable, aussi minable qu’il avait dû se sentir face à mon absence de réponse à ses tentatives désespérées d’avoir de mes nouvelles l’année passée.
Et de toute évidence, ce n’était rien comparé à comment je me sentais alors qu’Elio venait de m’obliger à rester dans son appartement pour attendre Kaecy (alors que lui ne désirait qu’une chose : me voir disparaître), tant mon état lui inspirait de la pitié. Au fond, je connaissais Elio, je savais très bien qu’il était assez difficile pour lui de me voir pleurer de la sorte, car une chose est sûre : si Elio me détestait aujourd’hui, ça n’avait pas toujours été le cas et on n’effaçait pas si facilement de longues années d’amitiés. Je savais qu’Elio ne pouvait pas balayer d’un revers de la main l’affection qu’il éprouvait à mon égard fût un temps, car j’avais été incapable de l’oublier à Adelaide alors que j’avais tout fait pour. C’était cette raison qui m’avait longtemps empêché d’aller voir Elio, de le prendre à part comme je le faisais aujourd’hui pour obtenir des explications : je savais que je ne saurais retenir mes larmes et je ne voulais pas qu’il pense que j’essayais de l’amadouer. Et c’était pour cette raison que je lui faisais la proposition qu’il avait mentionné plus tôt : ne plus jamais me revoir. Ca serait simple, ça règlerait le problème en surface. Quelques secondes silencieuses s’ensuivirent, je comprenais alors qu’Elio étudiait la proposition que je venais de lui faire. Et je crois que définitivement cela me fit plus de mal que tout ce qu’il avait pu dire. Au fond, je ne m’attendais pas à grand-chose d’autre, mais voir qu’il hésitait sérieusement à accepter de ne plus jamais me revoir m’affectait énormément. Voilà un moment que je ne me rendais même plus compte du nombre de larmes qui coulaient sur mes joues, silencieusement, alors qu’Elio réfléchissait à mon offre. « Ca serait injuste pour Kaecy… Elle te retrouve après tout ce temps et… Elle a besoin de toi comme toi d’elle. Alors tu vas pas repartir, tu vas pas disparaître à nouveau. Tu vas être forte et affronter la vérité qui est que toi et moi on n’est plus rien. Que quand tu viendras ici on ne se parleras pas et qu’on ne rigolera pas ensemble. Tu vas aller de l’avant et affronter ça… Prouve moi que j’avais pas tord de penser que tu en valais la peine. tu peux te battre et pas simplement baisser les bras… »
Je me rendais alors compte qu’Elio n’avait pas envisagé la chose sous le même angle que moi. Je n’avais pas pensé un seul instant à couper les ponts avec Kaecy, je venais juste de la retrouver et je n’étais pas prête à la laisser me filer entre les doigts si facilement. « A vrai dire, ce n’est pas réellement ce que je proposais. J’ai retrouvé Kaecy et pour une raison qui me dépasse, elle a choisi de me pardonner. Je ne compte plus la laisser tomber. En revanche, ce n’est pas parce que tu vis avec elle que nous sommes obligés de nous côtoyer toi et moi. Je verrais Kaecy hors d’ici, tu n’entendrais plus parler de moi et tu aurais ce que tu voulais : que je ne sois jamais revenue. » expliquais-je d’une voix un peu étouffée et rauque d’avoir trop pleuré. « Sinon, je ne pense pas être capable de te prouver quoique ce soit pour le moment, je crois que j’ai d’abord besoin de me prouver à moi-même que je suis capable d’assumer tout ça et de faire face à mes responsabilités. » C’est la raison pour laquelle je suis revenue ici : repartir du bon pied. A nouveau, le silence s’installait entre nous après quelques instants. Quand un bruit de clés dans la serrure attira notre attention à tous les deux en direction de la porte d’entrée. A force de nous disputer, j’avais complètement oublié qu’Elio avait demandé à Kaecy de venir me voir. La jeune femme ouvrit alors la porte sur un spectacle des moins communs : Elio et moi étions assis côte à côte sur le canapé du salon, en pleurant pour ma part et à deux doigts des larmes pour Elio. La tension devait être palpable parce que Kaecy semblait à peine oser entrer dans le salon pour venir se planter devant nous après avoir abandonné son sac à main sur la table. « Je peux savoir ce qu’il se passe ici ? » Je tournais alors mon regard vers Elio, incapable de savoir quoi dire à Kaecy, parce que si ça ne comptait qu’à moi, ma meilleure amie ne se trouverait même pas ici. Elle en faisait déjà beaucoup trop pour moi.
Le dilemme continue de faire rage en moi, cette envie féroce de faire demi-tour de tout pardonner et cette rancœur si bien encrée qu’il m’est impossible d’imaginer délaisser. Il mais impossible de lui laisser ne serrait-ce qu’une infime place dans ma vie. J’aurais voulu qu’elle ne revienne jamais – c’était plus simple de la détester quand je ne l’avais pas devant moi. « A vrai dire, ce n’est pas réellement ce que je proposais. J’ai retrouvé Kaecy et pour une raison qui me dépasse, elle a choisi de me pardonner. Je ne compte plus la laisser tomber. En revanche, ce n’est pas parce que tu vis avec elle que nous sommes obligés de nous côtoyer toi et moi. Je verrais Kaecy hors d’ici, tu n’entendrais plus parler de moi et tu aurais ce que tu voulais : que je ne sois jamais revenue. » J’hoche la tête sans trop savoir quoi ajouter, ça me semble être un bon deal, exactement celui que je demande depuis le début. Je ne sais pas pourquoi ça me fend tant le cœur alors. « Sinon, je ne pense pas être capable de te prouver quoique ce soit pour le moment, je crois que j’ai d’abord besoin de me prouver à moi-même que je suis capable d’assumer tout ça et de faire face à mes responsabilités. » Encore une fois cette petite complainte de la fille brisée m’agace et je serre les points un peu plus fort. « Fait ce que tu veux Heidi. » Qu’est ce que ça peut bien me faire au final ? Qu’elle essaye ou pas ça me ne concerne pas – plus. Elle semble avoir compris le message c’est tout ce que je voulais non ?
Le silence s’installe entre nous. Je crois que nous n’avons plus rien à nous dire. C’est pesant et je devrais sans doute partir. Pourtant je reste là sans trop savoir pourquoi, comme incapable de me dévisser de ce canapé. La porte s’ouvre enfin et je laisse échapper un léger soupire de soulagement en voyant Kaecy rentrer dans l’appartement. Je sais que tous le deux nous sommes à bout et d’un coup j’en veux tellement à Heidi d’avoir forcé cette conversation. « Je peux savoir ce qu’il se passe ici ? » Je me lèvre pour aller vers Kaecy, je n’ai plus envie de laisser quelqu’un voire ne serait-ce qu’une pointe de sensibilité mais c’est d’une voix douce que je m’adresse à ma meilleure amie la remerciant mentalement d’être venue aussi vite. « Je crois qu’Heidi a besoin d’une amie… Je ne pouvais pas la laisser comme ça. » Le regard que Kaecy me lance est plein d’interrogation mais aussi un peu réprobateur, évidement elle voudrait que je pardonne moi aussi, si Heidi a besoin d’un ami elle voudrait que je puisse être celui-là mais maintenant nous savons Heidi et moi que ce n’est plus le cas. « Elio… » Je secoue la tête pour lui dire que je n’ai pas envie d’en parler. Pas maintenant – que ce n’est pas pour moi qu’elle est là. « Je vais vous laisser. » Je dépose un baiser sur le front de mon amie et quitte l’appartement sans un mot ni un regard pour Heidi. C’est mieux comme ça… Je tente de m’en convaincre. Je voudrais tellement me sentir mieux maintenant… Pourquoi ça n’est pas le cas…