| | | (#)Lun 30 Nov 2015 - 18:51 | |
| Se trouve devant mes yeux une apparition à laquelle je ne croyais plus. Un mirage auquel j'ai cru de nombreuses reprises, et qui s'était toujours joué de moi avec un sadisme certain. Dans la rue, au travail, partout. Elle était partout. La désillusion n'était que plus grande à chaque fois que je me rendais compte que je me fourvoyais. Une chevelure brune, une peau mate, mais ce n'était jamais elle. Jour après jour, les semaines passant, mes yeux ne me trompaient plus. Résigné, et l'âme en lambeaux, je commençais à me faire à l'idée que ces visions ne sont plus que les appels, au loin, d'un fantôme qui me hantera jusqu'à la fin de mes jours. Pourtant, elle est juste là. Mes yeux arrondis par le choc cherchent à évaluer la réalité de la situation. Mais peut-on vraiment se fier à ce que l'on voit ? Pendant quelques secondes, alors que mon coeur cesse tout battement, que ma respiration se coupe, je reste figé, là, bouche entrouverte. Je la détaille, du bout des cils au bout des ongles. En tout point similaire aux photos encadrées dans le salon. Mes doigts lâchent la poignée de la porte et ma main retombe mollement au bout de mon bras. Elle est aussi immobile que moi, et me regarde d'un drôle d'air. Quand le temps reprends son cours, mon rythme cardiaque s'emballe. Mon cerveau et mon corps se remettent en marche tout à coup. J'approche d'un pas pour prendre la jeune femme dans mes bras. Seigneur, elle est là, vraiment là. Je peux la toucher, sentir son parfum, sa chaleur, ses mèches brunes chatouiller mon visage. J’entraîne Loan à l'intérieur, et ferme la porte derrière elle. Attrapant sa main, je la tire jusqu'au salon et l'assied dans le canapé. Pendant une petite minute de panique, je ne sais plus quoi faire, comment réagir. Mon esprit est si embrouillé que j'ai du mal à me rappeler mon propre nom. Je passe une main dans ma tignasse blonde, tente de garder les pieds sur terre. « Qu'est-ce qu'il... » s'est passé ? Non, je ne peux pas lui demander ça. Pas maintenant. Cela serait si soudain, alors qu'elle vient juste de réapparaître et qu'elle semble si perdue, elle aussi. Je ne devine pas les émotions normales d'une personne retrouvant son chez soi sur son visage -on croirait plutôt que chaque pièce de la maison lui est inconnue. Quoi que, je ne sais pas ce qu'il peut y avoir de normal comme réactions dans une situation pareille. Peut-être que les réactions anormales sont ce qu'il y a de plus adéquat. Mon regard reste planté dans le sien, désespéré à l'idée d'attendre des réponses plus longtemps. Pourtant, je prends mon mal en patience, et mes pas me dirigeant vers la cuisine, je trouve enfin comment reprendre ma question ; « ...te ferait plaisir de boire ? » Je me rattache aux pensées pratiques pour rester calme. Qu'importe son histoire, un café lui fera sûrement du bien, l'odeur d'une boisson chaude lui rappellera qu'elle est chez elle. De loin, je l'observe, encore et toujours. La sonnerie du téléphone me fait sursauter, je renverse une marrée brunâtre de café sur tout le plan de travail en lâchant un juron quand l'eau brûlante atteint ma main. Typique de ma part. Je me jette sur le combiné comme si ce contact avec l'extérieur était la dernière bulle d'oxygène dans l'océan. « Mike, je ne vais pas pouvoir m'occuper de cette faire. Je suis désolé. Mike, écoute, bon sang ! Elle est revenue. Loan est là, à la maison. » Silence au bout du fil, lui non plus n'y croit pas. Il m'a vu me rendre au tribunal dans un état plus déplorable de jour en jour. Alors qu'il se met à m'assommer de questions dont je n'ai pas moi-même les réponses, je lui raccroche quasiment au nez, n'ayant pas la motivation pour m'expliquer. Quand je m'apprête à quitter le bout de mur sur lequel est fixé le téléphone, je me ravise et récupère rapidement le combiné pour composer le numéro de l'une de mes sœurs. Je n'ai aucun idée de l'heure qu'il est, et sûrement est-elle encore dans l'avion. Elle est la plus jeune des deux, et elle a récemment décrété qu'elle voulait quitter l'Irlande pour me rejoindre en Australie, prétextant qu'il est absolument hors de question que je traverse la disparition de ma femme seul. Autant dire qu'il a été parfaitement impossible de résonner cette tête de mule qui doit arriver aujourd'hui. Quand Loan revient. Pas de sonnerie, je tombe immédiatement sur le répondeur. Avec de la chance, elle aura mon message en arrivant et trouvera un moyen de venir ici toute seule. « Hm… Trésor, je ne vais pas pouvoir passer te chercher à l'aéroport. J'ai un gros empêchement. Tu verras ça une fois à la maison. A tout à l'heure. » Comme si le monde avait décidé de s'accélérer, prédisant un immense étau qui doit se resserrer sur moi très bientôt, une ombre frappe à la porte de la cuisine donnant sur le jardin. Je reconnais la silhouette sans aucun mal, et soupire d'exaspération. J'entrouvre la petite porte, et la jeune femme saute à mon cou pour s'emparer de ma bouche avidement, les doigts déjà parés à la course au déboutonnage de ma chemise. Je dois l'arracher à moi avec fermeté pour la remettre dehors. « Ce n'est pas le moment, je suis désolé, je… » La panique m'ayant rendu trop brusque, je vois sur la moue de mon amante un certain choc. Je respire un grand coup, tente de calmer mon coeur qui se cesse de palpiter, puis dépose un baiser sur sa joue. « Ma femme est là, dans le salon. » « Tu te fous de moi ? Tu avais dit qu'elle ne reviendrait sûrement jamais ! Tu m'as menti, c'est ça ? » Bon Dieu, je n'ai pas le coeur à ça. Et Loan qui attend depuis de longues minutes va finir par trouver mon comportement louche. « Plus tard, tu veux ? Rentres chez toi. Je t'appellerai. » A elle aussi, je lui claque la porte au nez. Je prends une minute pour souffler, nettoyer le désastre de café qui inonde la cuisine. Après être enfin parvenu à en remplir deux tasses, je retourne dans le salon. Etrangement, même si mon coeur s'arrête en voyant ma femme, un sourire étire doucement mes lèvres malgré moi. A vrai dire, je m'attendais presque à comprendre qu'elle n'avait été qu'une autre illusion, et qu'en entrant dans cette pièce, elle se soit évaporée de nouveau. Alors, je me réveillerai seul dans mon lit, la tête alourdie par ce verre de vin en trop. Mais elle est toujours là. Je pose les tasses sur la table basse, et m'assied à côté d'elle. Tendrement, je prends son visage entre mes mains, et dépose un baiser sur ses lèvres. « Tu m'as tellement manqué... » Hypocrite, de la part d'un homme qui vient de mettre son amante à la porte ? Oh non, ce n'est pas à cause de cela que j'autoriserai quiconque à douter de mon amour pour ma femme. Elle est mon seul amour, le vrai. Je prends ses mains dans les miennes, embrasse ses phalanges, sa peau toujours si douce. L'esprit enfin calme, je pourrais presque verser une larme de joie en la retrouvant enfin, ici, chez nous. Mais un détail m'interpelle et efface immédiatement mon sourire. J'inspecte ses mains, et demande; « Loan, où est ta bague ? » |
| | | | (#)Lun 30 Nov 2015 - 19:33 | |
| Dix sept ans. Dix sept ans que je suis au courant du secret familial, ou du moins, du secret que porte ma mère. J’ai une soeur jumelle que ma mère a pris la décision d’abandonner à la naissance, en choisissant une des deux filles qu’elle allait garder. Au hasard. Elle n’a pas eu ma chance. Je ne sais rien d’elle, j’ai cherché pendant dix-sept ans, partout, mais rien. Enfin si, beaucoup de fausses pistes. Si j’ai pris la décision d’entrer dans la police il y a quinze ans, c’était uniquement pour ça, pour retrouver sa trace. Et je commençais à perdre espoir, quand un ancien ami de la police m’a appelé pour me donner une nouvelle piste. Forcément, j’ai eu du mal à y croire, mais cette fois, tout concorde. Le coeur battant, je continue mes recherches sur mon ordinateur, j’ai du mal à y croire. C’est peut-être bien la fin de mes recherches alors. Je monte à toute allure dans ma voiture et rentre dans le gps l’adresse qu’a trouvé Andrew suite à toutes ses recherches. Enfin. Loan Brody, me voilà. Après plus de deux heures à rouler - ce qui est dingue, c’est de savoir qu’elle habitait juste là, à deux heures de chez mes parents, de chez moi désormais - je gare la voiture devant la maison. Après une longue hésitation, je sors de la voiture, le coeur à mille à l’heure. Je n’arrive pas à croire que je vais enfin rencontrer ma soeur jumelle, mon double, la 2ème partie de moi, que je cherche depuis près de deux décennies.. Je sonne à la porte, espérant que ce soit elle qui ouvre. Il est presque 21h. Un jeune homme ouvre la porte et ses yeux s’arrondissent. Il semble hésitant, me regarde longuement. Je peux comprendre en même temps, si je ressemble comme deux gouttes d’eau à la femme qui vit ici… S’il vit ici aussi, c’est forcément qu’ils se connaissent. Je n’ai pas le temps de réfléchir plus longtemps que déjà il se jette littéralement sur moi pour me prendre dans ses bras, et je me sens prise de cours. Quoi dire ? Quoi faire ? Par simple courtoisie, je relève mes bras, le coeur battant, pour l’étreindre doucement comme pour le rassurer un peu. Je ne sais pas trop dans quoi je m’embarque à vrai dire. Tout ça est si soudain. Je ne sais pas exactement s’il était au courant que Loan avait une jumelle, qu’elle me cherchait elle aussi et que du coup il se sent pris d’un élan de tendresse, ou si c’est qu’il me prend pour ma soeur. J’essaie de rester calme, mais pourtant, aucun son ne sort de ma bouche. Il prend ma main et m’attire à lui pour m’emmener jusque dans le salon où il me fait asseoir sur le canapé. Je reste muette, ne lâchant pas ses yeux. « Qu'est-ce qu'il... » Je serre un peu les mâchoires, attendant la fin de sa phrase, comprenant la panique dans son regard. Il s’est passé quelque chose. Il s’est passé quelque chose avec ma soeur, elle a des ennuis. « ...te ferait plaisir de boire ? » Je cligne à peine des yeux et articule comme je peux un vague « Je veux bien un café, s’il te plait. ». Je le regarde se lever et partir assez rapidement dans ce que je devine être la cuisine. Le téléphone sonne, je ne me sens pas du tout à ma place. Je me lève du canapé et fais le tour du salon, sans un bruit, regardant les photos ici et là. Un mariage. Ils sont mariés. Putain. C’est mon portrait craché. Mon coeur s’accélère un peu et je l’entends dire au bout du fil « Elle est revenue. Loan est là, à la maison. ». Mon sang se glace. C’est bien ça. Il m’a prise pour ma soeur jumelle. C’est pas possible, je peux pas faire ça, je peux pas faire ça… Je reviens m’asseoir dans le canapé et frotte frénétiquement mes mains sur mes cuisses en tentant de respirer comme il faudrait. J’entends une voix féminine mais elle est trop loin pour que je puisse comprendre, et plus rapidement que je ne le voudrais, les pas du jeune homme se rapprochent de moi. Je plonge mon regard dans le sien, en espérant trouver une solution à ce quiproquo qui vient de s’installer. Il s’installe près de moi et sans que je n’ai le temps de dire ou faire quelque chose, il vient prendre mon visage entre ses mains, délicatement, pour déposer sur mes lèvres un baiser des plus doux que je n’ai jamais reçu. « Tu m'as tellement manqué... » Je déglutis un peu et baisse le regard légèrement, fuyant. Je dois savoir ce qu’il s’est passé, ce qui lui est arrivé. Oui, je compte mentir, mentir à cet homme que je ne connais pas, mais c’est pour le bien de ma soeur, du moins, je m’en persuade. Il prend alors mes mains dans les siennes et bloque sur mes phalanges. Merde, la bague. « Loan, où est ta bague ? ». Je serre les mâchoires. Ok, à partir de maintenant, je suis sous couverture, et je dois jouer au caméléon. C’est comme ça qu’on m’appelait à Perth. J’en suis capable. Je le sais. Ça ne durera pas longtemps. Je me racle un peu la gorge avant de redresser mon regard dans le sien. « C’est… » Je me pince les lèvres et déjà, mes yeux deviennent humides et une fausse larme coule sur ma joue. Je romps la distance entre nos corps pour venir me blottir contre lui, et j’agrippe sa chemise comme un enfant tiendrait fortement les vêtements de sa mère pour se rassurer. « Il s'est passé tellement de choses, c’était horrible… » Mais quoi putain ? Il faut que je trouve une excuse, absolument. Mais je ne sais même pas dans quelles conditions elle a disparu, ni même depuis combien de temps. « Je crois que j’ai besoin d’un bain. Et je meurs de faim… » Je me décale un peu et le regarde, presque suppliante. Il a l’air si compréhensif. Je ne peux pas croire que Loan l’ait quitté sans rien dire… « Ça te dérange si je vais prendre un bain, et on se retrouve pour dîner ? » Je viens poser ma main sur sa joue, délicatement, et ferme les yeux comme si je commençais à prendre possession du corps de ma jumelle. |
| | | | (#)Mar 8 Déc 2015 - 13:42 | |
| La manière dont ses yeux s’embuent et se bordent de larmes me fend le coeur. Je me sens me liquéfier intérieurement, perdre tous mes os et toute ma force en la voyant si fragile, visiblement blessée et horrifiée par ce qui lui est arrivé. Je ne sais toujours pas de quoi il s'agit, et malgré ma patience, être dans ce néant est d'une frustration sans nom. Mon rythme cardiaque s'emballe de plus belle. A la voir, il s'est passé quelque chose d'affreux. Les pires scénarios me reviennent en tête. Quelqu'un lui a sûrement fait du mal. Qui sait si elle a été violentée, violée, dans quelle cave elle a été jetée, dans quelles conditions elle a vécu pendant ces deux mois. Loan s'agrippe à moi, serre ma chemise, se blottit comme un animal, légèrement tremblante, comme si son enfer de ces dernières semaines se trouve juste derrière la porte de la maison. Je tente de respirer, mais j'en suis incapable. Ma mâchoire se serre tandis que je pose une main délicate sur la tête de ma femme et caresse doucement ses cheveux bruns. Je dépose un baiser sur le sommet de son crâne, murmurant ; « C'est fini… C'est terminé maintenant, tu es à la maison. Tout va bien... » Je redresse son joli visage de deux doigts sous son menton, puis caresse sa joue, passe une mèche derrière son oreille. Les femmes aussi belles et gentilles attirent la jalousie, la convoitise, et éveillent chez certaines personnes à l'esprit dérangé des desseins terribles dont ils n'ont parfois pas conscience eux-même -le bien et le mal s’emmêlant complètement dans leur vision du monde. Qui sait si elle a été victime de ce genre de personne malade ? « Il ne t'arrivera plus rien. » dis-je en l'embrassant sur le front. J'aimerais la serrer si fort dans mes bras pendant des heures pour réaliser qu'elle est bien là. J'aimerais l'embrasser encore et encore pour rattraper le temps perdu et me nourrir de l'amour qui a été absent de cette maison pendant trop longtemps. Je pourrais lui répéter cent fois à quel point je l'aime, qu'elle m'a manqué, que je devenais fou sans elle. Et pourtant, tout cela me semble complètement inapproprié. Elle a besoin d'air, de repos. D'un bain et d'un repas. « Non, bien sûr… Je te laisse profiter d'un bain chaud, et je vais préparer le dîner. » Je lui souris tendrement, et ris nerveusement. « Ou plutôt, je vais appeler le chinois pour que le dîner arrive comme par magie. Je ne me suis toujours pas inventé des talents de cuisinier. » A vrai dire, j'ai toujours été une catastrophe en la matière. Ces quelques semaines seul ne m'ont pas encouragé à apprendre à faire des pâtes correctement. Il était plus simple d'ingurgiter ma peine avec du fromage fondu, des poivrons et des anchois sur une immense pizza. Loan quitte finalement le canapé pour se rendre à l'étage. Je saute sur mes pieds pour la retenir au milieu de l'escalier, attrapant sa main à travers la rambarde. « Hé… Je t'aime. » Elle file entre mes doigts et rejoins l'étage. J'écoute ses pas sur le parquet pendant quelques secondes, les yeux fermés. Il n'a jamais été si bon de l'entendre marcher dans la maison. Je quitte le bas de l'escalier quand j'entends l'eau couler dans la baignoire. A nouveau, j'attrape le téléphone et une des dizaines de brochures de restaurants livrant à domicile qui s'entassent dans un des tiroirs de la cuisine. Nous avons un traiteur chinois dont nous sommes les grands habitués. La carte est tellement immense, même pour la livraison, que nous n'avons pas encore tout goûté. C'est notre jeu, d'habitude, quand Loan n'a pas envie de cuisiner. Yeux fermés, chacun doit laisser son doigt tomber au hasard sur le menu et commander le plat en question, même si cela semble immonde. Cette fois, je prends des valeurs sûres. Le tout sera livré dans une bonne demi heure. En attendant, je vérifie mes messages sur mon portable. Un sms de ma sœur me dit que son avion est arrêté pour plusieurs heures à Singapour. Elle ne sera pas là avant demain. Tant mieux. Elle aurait sûrement été le bouleversement en trop ce soir. Finalement, je m'assied dans le canapé, cela vaudra mieux que tourner en rond. Je ronge mes ongles, passe mes mains par mes cheveux, sur mon visage, ne sachant pas quoi faire de mes dix doigts. Mon cerveau s'active pour savoir ce que je vais dire ou faire une fois qu'elle sera redescendue. Trouver des sujets léger, du parler pour ne rien dire, histoire de ne pas la brusquer, qu'elle se sente chez elle. Faire comme si de rien n'était le temps qu'elle trouve le bon moment pour me dire ce qui lui est arrivé. On frappe à la porte. La commande. Je récupère le sac plastique et des petits cartons de nourriture, paye le tout, et les dispose sur la table de la salle à manger. Personne ne mange dans une salle à manger. Mais bon. Je prends une grande inspiration. Tout ira bien. Tout ira bien… Loan revient pendant que j'installe la table, transférant le contenu des cartons dans de grandes assiettes disposant des couverts au cas où elle n'ai pas la tête à se battre avec les baguettes, et servant deux verres d'eau. « Debra arrive demain de Dublin. Elle devait… eh bien, me tenir compagnie. Elle va rester ici le temps de se trouver un toit. On risque de se marcher un peu dessus pendant quelques temps, je suis désolé. » Ce ne sont pas les meilleures conditions de retour pour elle, mais je ne me vois pas mettre ma sœur dehors ou lui dire d'aller à l'hôtel alors que ni elle ni moi n'avons les moyens de payer un séjour prolongé. Elle saura sûrement se faire petite. « Et voilà. Canard laqué et chop suey pour Madame. Je n'ai pas fait de commande au hasard cette fois, je me suis dit que, vu que tu adores leur canard, ça te ferait plaisir. » Et elle a horreur du riz, surtout le leur, qu'elle trouve trop sec. Mais je ne savais plus le nom des légumes qu'elle commande tout le temps en accompagnement. Ceux-là me semblaient bien. Nous nous installons à table et avant qu'un silence trop lourd ne s'empare de l'air, je bredouille, sans trop savoir quoi dire ; « Tu… tu as l'air d'aller bien. » |
| | | | (#)Mar 8 Déc 2015 - 19:53 | |
| Blottie contre lui, je prends le temps de respirer son odeur, m’approprier le grain de sa peau, la vitesse de son coeur et le bruit de sa respiration. Tout a son importance, rien ne doit être laissé au hasard. Je sens sa main caresser délicatement mes cheveux et ce simple geste m’arrache un frisson. Définitivement, il l’aime. « C'est fini… C'est terminé maintenant, tu es à la maison. Tout va bien... » Il vient redresser mon visage et je me contente de hocher la tête, le regard légèrement fuyant, et les lèvres closes. « Il ne t'arrivera plus rien. » Bon dieu, mais qu’est-ce qui a pu lui arriver ? Si depuis dix sept ans mon but était de retrouver ma soeur, aujourd’hui, ce but a changé. Je me dois de trouver où elle est, et ce qui lui est arrivé. Pour ça, je n’ai pas d’autre choix que de continuer de faire semblant, laisser cet homme croire que je suis Loan, son épouse. Je ne sais même pas comment il s’appelle. La mission semble périlleuse, mais je me dois d’essayer, pour elle, pour ma jumelle. Il me faut pour ça un peu de temps, seule, pour fouiller, trouver des indices, avancer du mieux que je peux. Et rien de mieux qu’un prétexte, un bain pour me détendre. C’est exactement ce dont j’ai besoin. « Non, bien sûr… Je te laisse profiter d'un bain chaud, et je vais préparer le dîner. Ou plutôt, je vais appeler le chinois pour que le dîner arrive comme par magie. Je ne me suis toujours pas inventé des talents de cuisinier. » J’esquisse un fin sourire, un peu triste mais sincère. Je suis déjà dans mon personnage. « Merci. » J’en apprends un peu plus sur lui, ça m’évitera de faire des boulettes. Je me lève alors, devinant que la salle de bain se trouve à l’étage, comme la plupart des maisons de ce type, en espérant ne pas me planter, sinon, va trouver une excuse. Le jeune homme me rattrape et je sursaute presque, sur le qui vive. « Hé… Je t'aime. » Je tourne le visage pour le regarder et je lui adresse un mince sourire en guise de réponse, juste pour le rassurer, avant de monter à l’étage pour trouver la salle de bain. Coup de bol, c’est une suite maritale, chambre et salle de bain privative. Je ferme la porte derrière moi et fais couler l’eau du bain au maximum pour couvrir les bruits éventuels que je pourrai faire en ouvrant à peu près tous les placards, tiroirs, coffres qui se trouvent dans la chambre, à la recherche d’indices. Pour le moment, je veux simplement en savoir plus sur lui, et ensuite, je chercherai où pourrait bien se planquer ma soeur. Sur la table de nuit, un portrait du jeune homme et de Loan. Ils s’aiment jusqu’à mettre un portrait d’eux sur la table de nuit, ou il l’a mis seulement depuis qu’elle a disparu ? Peu importe. Je continue de fouiller un peu partout en évitant de faire du bruit avec mes pas. La chambre, ça ne donne rien. Rien d’intéressant. Je m’en vais couper l’eau du bain et me faufile hors de la chambre pour essayer de trouver un bureau ou une pièce où seraient rangés les papiers. Bingo. J’ouvre un peu tout, une fois encore, sur le bureau quelques lettres au nom de Benjamin Benjamin Brody. Il est avocat, au vue de la pile de cartes de visites posées dans un coin du bureau. Je continue de chercher et tombe sur un tas de petits post it les uns sur les autres avec des mots d’amour de Loan, destinés à son époux. Un mince sourire étire mes lèvres, et j’entends quelqu’un sonner à la porte. Merde. Je me précipite à l’extérieur du bureau, toujours sur la pointe des pieds, et rejoins la chambre, et par défaut, la salle de bain. Je m’empresse de mouiller mes cheveux, et je me déshabille pour me changer. Je réouvre les tiroirs qui contiennent visiblement les affaires de nuit de ma soeur, et enfile un petit short et un débardeur en soie, avant d’enfiler une robe de chambre qui était dans la salle de bain, visiblement celle de Benjamin vu la taille. Je sèche un peu mes cheveux et l’illusion est totale. Doucement, je descends les escaliers, pieds nus, pour rejoindre le mari de ma soeur là où j’entends du bruit. Je garde les bras croisés, bien emmitouflée dans le velours. « Je t’ai piqué ta robe de chambre, j’avais un peu froid en sortant du bain. » Je lui offre un mince sourire et le rejoins à pas de chat alors qu’il est en train d’organiser le repas. « Debra arrive demain de Dublin. Elle devait… eh bien, me tenir compagnie. Elle va rester ici le temps de se trouver un toit. On risque de se marcher un peu dessus pendant quelques temps, je suis désolé. ». Ok, objectif pour cette nuit, trouver des indices sur leur environnement familial et amical, retenir des prénoms et savoir par exemple qui est Debra. « Ne t’excuse pas, c’est normal. Ça ira. » Je le rassure d’un petit sourire un peu tendu encore, et l’écoute me présenter mon repas de ce soir. De toute évidence, Loan et moi avons les mêmes goûts. « C’est parfait ! Tu es parfait. » J’étire ma main pour venir trouver la sienne et lui offrir un geste tendre, je suppose que c’est ce qu’ils faisaient avant qu’elle ne disparaisse. Et finalement, nous nous installons à table. Un silence s’installe et je commence à manger, faisant comme si j’avais de l’appétit, même si je n’ai pas très faim. Je ne vais pas contredire mes propres paroles d’un peu plus tôt. « Tu… tu as l'air d'aller bien. » J’arrête de mâcher et tourne la tête dans sa direction, avant d’avaler d’un seul coup ma bouchée. « Ça va mieux, maintenant que je suis rentrée. » Je me pince un peu les lèvres et soupire doucement, essayant de trouver dans ma tête une raison à cette disparition soudaine. « Ils… » Je détourne le regard, essayant d’avoir une voix grave que je ne tarde pas à trouver, et une émotion dans ma voix, palpable. « Ils étaient quatre. Quatre grands mecs hyper baraqués. Je sais toujours pas pourquoi. Pourquoi moi, pourquoi maintenant. Ils m’ont posé tout un tas de questions sur des gens que je ne connaissais même pas. Ils m’ont sans doute prise pour quelqu’un d’autre, j’en sais rien. j’avais beau leur dire que je ne connaissais pas ces personnes, ils ne voulaient pas me croire… » Ma fourchette triture du bout de ses dents le canard laqué dans mon assiette, alors que mon regard est rivé sur cette dernière. « Je sais même pas quel jour on est. Ça a duré combien de temps ? » Cette fois, je redresse le regard vers lui, humide. Je pourrai très certainement concourir à l’oscar de la meilleure actrice. |
| | | | (#)Lun 14 Déc 2015 - 15:33 | |
| Si je ne faisais pas mon possible pour garder contenance et avoir l'air solide, je sens que je pourrais verse une larme juste en voyant Loan vêtue de mon peignoir, si belle, si adorable ainsi, mais surtout définitivement de retour à la maison. Tout m'a manqué, et tout retrouver me secoue complètement. Je pourrais me mettre à genoux dans un coin pour remercier autant de divinités différentes qu'il y a de religions pour me l'avoir rendue. Je pourrais la pendre dans mes bras, ne jamais la lâcher pendant autant de temps que son absence a duré, pour rattraper le temps perdu, tant pis si nous mourrons de faim. Mais tout est prêt sur la table, alors autant se nourrir, reprendre des forces après toutes ces émotions. Nul doute que bien d'autres sont à venir. J'ai les mains trop moites et un brin tremblantes, alors j'opte pour des couverts plutôt que des baguettes. Ma tête n'a pas faim, mais mon estomac me rappelle le mauvais traitement que je lui ai fait subir ces dernières semaines, les maigres repas, quand j'en ingurgitais un. Il me rappelle à l'ordre, comme tout le reste de mon corps. Alors j'avale un peu de mon porc caramélisé avec des nouilles sautées, ce que je préfère aussi dans tout le menu du traiteur. Tout le monde trouve cela trop écoeurant ; moi, je pourrais en manger tous les jours. Et ce goût a quelque chose de réconfortant, sur le moment. Je ne peux pas m'empêcher de regarder Loan. Je fais mine de me concentrer sur le fond de mon assiette, qui n'a rien de passionnant, en conservant un silence dont elle peut-être besoin, mais mes yeux finissent toujours par se poser sur elle, observant le passage de ses doigts dans ses cheveux pour le glisser derrière son oreille et dégager ses mèches de son visage. J'en suis au point où même sa mastication fait partie des choses les plus émouvantes que j'ai pu voir. Oui, elle a l'air d'aller bien. Elle n'est pas amaigrie, elle n'est pas plein de bleus, de plaies. Mais on dit souvent que les pires blessures sont celles qui ne se voient pas. Alors je ne sais pas à quoi m'attendre -et honnêtement, je maudits mon imagination pour me faire subir autant de scénarios capables de me couper l'appétit. Ma belle me donne enfin quelques informations sur ce qu'il s'est passé. Enlevée, donc, par des hommes qui la prenaient pour quelqu'un qu'elle n'est pas. L'histoire est vague, mais suppose qu'elle l'est pour elle aussi. Ni elle ni moi ne pouvons comprendre ce qu'il s'est passé dans la tête de ces types ou ce qu'ils voulaient. « Deux mois. Tu as disparu deux mois. » je réponds tout bas, jouant avec mes nouilles du bout de ma fourchette. Je n'ai plus faim. Alors je pose mon couvert et prends une gorgée d'eau pour faire passer cette boule qui s'est formée dans mon ventre. Je la regarde de nouveau, et me raccroche du mieux que je peux à son joli visage qui n'est pas tuméfié. « Est-ce qu'ils t'ont fait du mal, Loan ? Est-ce qu'ils t'ont frappée ou touchée de quelque manière que ce soit ? » je demande finalement, aussi difficile cela soit pour moi. Car ils ont pu la trouver belle, eux aussi. Eux quatre. Ils ont pu vouloir garder sa figure intacte, et s'en prendre à elle d'une autre manière. Je ne veux pas y penser, mais je me prépare à faire face à cette éventualité. « Tu sais pour qui ils te prenaient ? Tu as vu leurs visages, retenu des noms ? » Que ce soit les leurs ou ceux des personnes qu'ils recherchaient, n'importe quelle information sera bonne pour remonter jusqu'à eux, comprendre ce qu'il s'est passé, et avoir justice pour les semaines de calvaire qu'elle a du passer. Je plonge mon visage dans les mains, tente de rester calme et concentré en passant mes doigts dans mes cheveux. Je ne peux pas m'empêcher de me dire que derrière tout ceci, il y a peut-être un procès que j'ai gagné ou perdu pour ou contre les mauvaises personnes. Des personnes capables de choses pareilles, il y en a à la pelle. « Seigneur, si tout ça est de ma faute, je ne me le pardonnerai jamais. » je murmure, accablé. Je saute finalement sur mes jambes pour quitter la table et récupérer mon téléphone portable, composant déjà le numéro d'urgence. « Je devrais appeler la police, leur dire que tu es là, et tu dois tout leur raconter. Il faut trouver qui t'as fait ça. » |
| | | | (#)Mer 16 Déc 2015 - 13:47 | |
| Il a fallu que je trouve quelque chose, rapidement, quelque chose qui entraînait un traumatisme moral, mais pas physique, du moins, pas quelque chose qui se voit. Je n’ai pas eu besoin de remarquer que le jeune homme a les yeux partout, et qu’il est incroyablement attentif, aux moindres détails. Alors je sais que je n’ai pas le droit à l’erreur. Le pire, c’est de parler et de voir ce mélange d’émotions dans le regard du jeune homme. La colère, la peur, l’angoisse, la douleur. Tout ça concentré en un seul homme. Mais où es-tu Loan ? « Deux mois. Tu as disparu deux mois. » Mon coeur s’emballe un peu dans ma poitrine. Deux mois, c’est extrêmement long. Il peut s’en passer des choses en autant de temps. Je pense à ma soeur qui est peut-être quelque part, ou qui est peut-être même déjà morte. L’émotion me gagne, ce qui n’aide pas Benjamin à se rassurer, de toute évidence. « Est-ce qu'ils t'ont fait du mal, Loan ? Est-ce qu'ils t'ont frappée ou touchée de quelque manière que ce soit ? » Je relève le regard vers lui, juste une seconde, et le baisse à nouveau vers mon assiette. Je ne réponds pas à sa question, volontairement. Ne dit-on pas ‘qui ne dit mot, consent’ ? « Tu sais pour qui ils te prenaient ? Tu as vu leurs visages, retenu des noms ? » Je ferme les yeux cette fois et grimace légèrement, me pinçant les lèvres avant de lui répondre d’une voix faible. « Non, tout est flou je… ». Je soupire légèrement et lève les yeux au ciel pour essayer de ravaler mes larmes. Je n’ai pas vécu tout ça, mais peut-être que ma propre soeur est en train de le vivre, et ça me met dans tout mes états. « Seigneur, si tout ça est de ma faute, je ne me le pardonnerai jamais. » Je l’entends murmurer tout ça et aussi bas que lui, je lui dis simplement : « Arrête. » Je n’ai pas envie qu’il s’en veuille, il n’y est sûrement pour rien, du moins, je l’espère. Après tout, je ne connais rien de lui, je ne sais pas s’il traîne dans des affaires louches, peut-être que c’est à cause de lui oui, qui sait ? Il se lève d’un seul coup et je relève le regard pour l’accompagner, il va s’emparer de son téléphone et appuie déjà sur les touches. « Qu’est-ce que tu fais ? » « Je devrais appeler la police, leur dire que tu es là, et tu dois tout leur raconter. Il faut trouver qui t'as fait ça. » Je me lève rapidement et le rejoins à toute allure pour appuyer sur le bouton ‘raccrocher’ avant que quelqu’un ne décroche. « Benjamin non, s’il te plait. » Je le regarde, avec cette intensité qui me connaît si bien, et déjà les larmes viennent se bousculer au bord de mes yeux. « J’ai pas envie de parler à la police, c’est trop tôt, laisse-moi un peu de temps, je t’en prie. » Je viens récupérer le téléphone dans les mains du jeune homme et le repose sur le buffet avant de m’avancer plus près de lui. Je prends son visage entre mes mains, mon regard jonglant entre ses deux yeux. « Je suis rentrée, je suis là, tout va aller bien maintenant. » Je m’en persuade. Je sais que je vais devoir redoubler d’efforts pour trouver ce qui s’est passé, pour ne pas lui faire avoir des doutes quant à mon identité. Je vais devoir jongler entre la vie de ma soeur et la mienne, qui est déjà bien compliquée. Mais je ne peux pas me résoudre à abandonner ma soeur au moment où elle a sans doute le plus besoin de moi. Je viens déposer doucement mes lèvres sur celles de Benjamin et me love dans son cou quelques secondes, sentant ses bras se refermer autour de moi. « J’ai plus très faim. J’aimerai aller me coucher. » Je laisse un instant de flottement et remonte ma main jusque dans le cou de mon faux mari. « Tu veux bien venir avec moi, et laisser ton boulot pour ce soir ? » Je connais les avocats, je sais à quel point ils bossent, et je pense que ce Benjamin ne fait pas entorse à la règle. Il doit bien avoir laissé plus d’une fois sa femme s’endormir seule pendant qu’il travaillait dans son bureau. Après avoir acquiescé, je le laisse débarrasser la table et je monte à l’étage, quittant la robe de chambre trop grande de Benjamin pour me glisser sous les draps. Je ne sais pas encore trop bien comment me comporter avec lui. Je ne sais pas comment Loan se comportait avec son mari. Et puis, je n’ai jamais vraiment été en couple, je veux dire, à part avec Joy, que j’ai trompée à la première occasion venue. Être en couple n’a jamais été naturel pour moi, et je sais que je vais redoubler d’efforts pour être la meilleure femme qui soit. |
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