Eireen était restée une bonne partie de la journée assise sur le canapé de la villa. Elle avait reçu des messages. Mais elle n'avait même pas jeté un coup d'oeil à ses derniers. Non pas qu'elle s'en fichait. Enfin, si, peut-être un peu. Leela avait quitté subitement la ville. Elle doutait que ça ait un rapport avec son ex qui l'avait agressée. Enfin, elle en était pratiquement certaine. Elle avait pas vraiment eu l'occasion de croiser Dylan non plus depuis qu'elle était au courant pour sa leucémie. Honnêtement, l'irlandaise se sentait seule. Vraiment seule. Oui, en quelque sorte, elle se sentait abandonnée. Elle avait l'impression que c'était le cas d'ailleurs. Qu'elle allait devoir affronter cette épreuve toute seule. Et ça la faisait chier d'ailleurs. Elle avait passé une main dans ses cheveux. Son téléphone avait sonné une énième fois. Combien de messages depuis le début de la matinée ? Eireen n'en savait rien à dire vrai. Elle avait arrêté de compter après le septième ou bien le huitième. Oui, elle finirait par les consulter à un moment ou à un autre. Mais pas tout de suite. Parce qu'elle savait très bien qu'on allait lui demander comment ça allait. Et ça allait pas. Mais alors pas du tout. Elle avait le moral dans les chaussettes. Et pas qu'un peu. Eireen poussa un soupir. Elle pencha la tête sur le côté. Oui, elle était dans un de ces moments où elle n'avait pas le moral. Le pire, dans tout ça, c'était qu'elle se sentait bien. Enfin, elle ne se sentait pas malade. Et pourtant, les résultats disaient autrement. Poussant un nouveau soupir, elle avait fini par se lever. Elle avait préparé un sac. Non, elle ne comptait pas partir en voyage. C'était loin d'être ça. Elle allait se faire hospitaliser, finalement. Elle avait reculé l'échéance. Et c'était pas bon. Pas bien. Du tout. Et puis, ils allaient pas la garder longtemps. Le temps de lui faire des examens. Et après, ils la relâcheraient un moment. Avant d'aviser pour le traitement. Ca l'énervait déjà, rien que d'y penser. Eireen avait fini par se retrouver dans sa chambre, descendant, ainsi, le sac qu'elle avait préparé. Elle avait pas envie d'y aller. Mais c'était pas comme si elle avait le choix après tout. Non. Fallait qu'elle passe par la case hôpital. Elle avait pas vraiment le choix. Eireen allait reposer ses fesses sur le canapé quant on sonna à la porte. "Flûte ... c'est qui ..." Elle était pas d'humeur à recevoir de la visite. Mais alors pas du tout. Elle s'était quand même rapprochée de la porte et avait fini par l'ouvrir. "Kaleb ..." Pas vraiment celui qu'elle s'attendait à voir. Surtout après toutes les rumeurs qui avaient pu courir sur lui et sa petite escapade. Elle lui avait quand même laissé le bénéfice du doute, parce qu'elle ne croyait pas vraiment tout ce qu'on pouvait lire dans la presse mais bon.

C'était étonnant. Qu'il soit là sur le pas de la porte. Oh, Eireen aurait pu savoir qu'il était rentré. Depuis longtemps. Si elle avait daigné jeté un coup d'oeil à ses messages. Bon, il était vrai qu'elle avait reçu plein de messages. De tout un tas de personnes. Elle avait pris la peine d'en lire aucun. Trop déprimée. Trop dépassée par les événements. Elle était juste ... pas bien. Mais alors, pas bien du tout. Elle savait très bien que ce n'était pas bon pour elle de s'enfermer de la sorte. Que ça la ferait pas se sentir mieux. Et que ça serait même tout le contraire. Elle savait qu'elle devait se bouger les fesses. Et qu'elle devait ... Et bien, qu'elle devait faire en sorte de ne pas rester toute seule. De s'entourer du monde. Mais elle avait du mal ... Elle avait beaucoup de mal à le faire. Elle ne savait pas pourquoi d'ailleurs. Peut-être ... qu'en étant entourée, elle se serait mieux sentie. Mais Eireen n'avait pas envie de partager tout cela avec quelqu'un. Parce que ... parce que le destin était incertain. Alors, voir Kaleb ici, oui, ça lui faisait plaisir. Tout comme ça la faisait souffrir. Il ne tarda pas à la saluer et à lui donner la raison de sa présence. Elle était restée dans l'ouverture de la porte, quelque peu appuyée contre celle-ci, regardant le pilote de moto. Y'avait plus chaleureux comme retrouvailles, c'était un fait. Elle n'aurait rien su, elle n'aurait rien lu de la presse, sans doute qu'elle se serait empressée de lui sauter au cou pour lui dire oh combien il avait pu lui manquer et que ça faisait plaisir de le voir. Et même si au fond d'elle elle aimerait le lui dire, ça ne sortirait pas de sa bouche. Du moins, elle ne pensait pas. Elle avait quelque peu croisé les bras tandis qu'il la fixait. "Oui ... Je ... J'ai été pas mal occupée et j'ai un peu ... beaucoup même ... laissé tomber mon téléphone." La première partie de sa phrase n'était pas vraie. Elle n'avait rien fait de spécial. Hormis tourner en rond dans la villa et s'inquiétait pour sa prochaine hospitalisation et tout ce qui pourrait s'en suivre. "T'es pas le seul à avoir eu le droit à dû Eireen joue à la morte." Sans mauvais jeu de mot. Mais oui. Elle avait joué à la morte. Et elle pensait qu'elle allait continuer à le faire d'ailleurs. Enfin, elle pouvait se tromper mais elle n'était pas vraiment certaine de repartir sur les chapeaux de roue. Kaleb en vint à lui poser la question qui fâchait. La question laquelle elle n'aimait pas répondre. D'où le fait qu'elle évitait soigneusement les appels ou bien les sms. "Tu veux boire quelque chose ?" Oui, elle avait pris soin d'éviter la question. Elle finirait par lui répondre. Ou pas. Eireen avait fini par se pousser de la porte, histoire de le laisser rentrer dans la villa. L'irlandaise s'était dirigée vers la cuisine. Sans doute, au passage, qu'il verrait le sac de voyage qu'elle avait préparé et que ça apporterait encore des questions mais bon. Elle était plus à ça près. "J'ai connu mieux. On a encore perdu un coloc avec Dylan." Justin était parti. Elle avait pas compris toute l'histoire mais il était parti. Elle était pas certaine, d'ailleurs, qu'il reste en Australie. Enfin. Avec la faute à pas de chance, Dylan perdrait peut-être sa dernière coloc. Si jamais la leucémie était très méchante. Mais elle préférait pas y penser. L'année n'avait pas été très bonne pour les colocataires. D'abord Riley. Ensuite Kaleb. Et Justin maintenant. A qui le tour ?

Elle sentait que ça allait être galère. Au fond, elle était contente qu'il soit passé. Parce que ça voulait peut-être dire qu'il tenait un peu à elle, même si cela ne l'avait pas forcément empêché d'aller faire des folies à droite, à gauche. D'ailleurs, faudrait qu'elle lui en cause ... Histoire de savoir si la presse lui avait encore fait des ennuis alors qu'il n'y était pas pour grand chose ou bien, si, au contraire, y'avait un fond de vérité pour tout cela. Même si elle avait envie de savoir, elle ne savait pas trop si elle souhaitait discuter de tout cela. Eireen était déprimée. Elle était morose. Elle voyait noir. Elle n'aimait pas la situation. Elle n'aimait pas le fait qu'elle allait devoir être hospitalisée. Elle n'aimait pas savoir que cette foutue maladie était revenue. C'était pénible. Vraiment pénible à dire vrai. Et tout le monde prenait, en quelque sorte. C'était plus facile pour elle de dire qu'elle allait bien ou bien de ne voir personne. Comme ça, au moins, elle n'avait pas besoin d'en parler. Alors, qu'il soit là, face à elle ... C'était ... c'était difficile quand même. Très difficile. Parce qu'elle savait qu'elle devrait le lui dire. Et elle n'en avait franchement pas envie. "Y'a des périodes plus faciles que d'autres." avait-elle dit dans un léger hochement de la tête. Et c'était une période sans actuellement. En tout cas, elle le fuyait quelque peu. Elle fuyait son regard. Elle ne savait pas trop comment réagir par rapport à tout cela. Elle ne savait pas si elle devait mettre les pieds dans le plat. Directement. Habituellement, oui, elle était comme ça. Elle n'employait pas des moyens détournés et elle disait ce qu'elle avait sur le coeur. Oui, c'était d'habitude. Là, depuis qu'elle avait appris, elle était quelqu'un d'autre. Dos tourné à lui pendant qu'elle fouinait dans le frigo, Eireen se pinça les lèvres tandis que Kaleb lui demandait ce qui se passait. Elle avait fermé les yeux une fraction de seconde. Elle n'avait rien répondu, pas tout de suite. Elle avait quelque peu serré la poignet du frigo et elle finit par le refermer, puisqu'il ne voulait rien. Le pilote avait enchaîné avec une proposition. Si elle désirait, elle pouvait très bien venir à la villa. Emménager. Pour qu'elle se sente moins seule. Quelques semaines en arrière, l'idée l'aurait enchantée. Maintenant, elle n'en savait rien. "C'est pas ça le problème." Mais alors, pas du tout. C'était pas comme si elle était toute seule. Ouais, bon, Dylan était pas souvent là. Jasmine, sa cousine, était un peu plus présente. Donc, ça allait. "Si c'était ça le problème, j'en serais même ravie et ça m'éviterait de m'faire des cheveux blancs avant l'heure." Elle avait pas de cheveux blancs. Mais bon, ça finirait par lui arriver si elle continuait de s'inquiéter de la sorte. Elle en avait peut-être trop dit. Kaleb savait qu'elle avait un souci. Bah, de toute manière, il avait dû le remarquer alors même qu'il franchissait le pas de la porte de la villa. "C'est vrai ce qu'on raconte ? Ou alors c'est encore un acharnement de la presse à ton égard ?" Elle s'était tournée et le fixait. Il voulait mettre les pieds dans le plat ? Elle aussi. Elle voulait pas le savoir, tout comme elle voulait savoir à dire vrai. Au moins, elle serait fixée. Une bonne fois pour toute. Ca briserait peut-être ses illusions mais tant pis.

Il était rare qu'elle se laisse abattre de la sorte. Il était rare qu'elle laisse ses sentiments prendre le dessus. Mais elle ne se voyait pas sourire et hocher de la tête pour montrer qu'elle allait bien. Non, parfois ... Et bien, parfois, fallait protester. Au lieu de traîner les pieds. Ouais, c'était, sans doute, pas le meilleur moment pour se rebeller. Et sans doute pas la meilleure personne. Après tout, elle n'avait pratiquement aucun grief contre Kaleb. Si ce n'était ce qu'elle avait entendu sur lui. Et ce qu'elle avait pu lire. Mais elle n'y croyait pas. Elle ne voulait pas y croire. Et si jamais il lui disait que c'était vrai ... Ca serait compliqué. Ca serait dur à entendre. Et elle partirait à l'hôpital le coeur lourd. Elle ne voulait pas y penser. Pas tout de suite. Elle voulait d'abord entendre ce qu'il avait à dire sur le sujet. Et pour le moment, elle ne s'était pas lancée dedans. Elle n'avait pas mis les pieds dans le plat. Pas tout de suite. Pour lui faire oublier sa solitude, il était prêt à lui faire une place chez lui, à la villa. Chose qui aurait pu être merveilleuse. Surtout que ça partait du coeur. Mais elle ne pouvait pas accepter. Parce que la solitude n'était pas le problème. Le problème, c'était ce qu'on racontait sur lui. Ce qu'on pouvait écrire sur lui. Le pire, dans tout cela, c'est quand elle lui posa la question, Kaleb ne semblait pas comprendre de quoi elle était en train de parler. Elle avait légèrement bougé la tête. Il était incroyable mine de rien. En même temps, oui, elle savait qu'il ne lisait pas tout ce qu'on pouvait écrire sur lui. Ils en avaient parlé, la dernière fois, lorsqu'ils étaient chez lui et qu'ils parlaient de tout et de rien. Ils en avaient parlé au détour de cette bière. Tout comme elle, elle avait pu lui dire, une fois, qu'elle ne lisait pas forcément la presse à scandale. Mais là, quand elle en avait entendu parler, elle n'avait pas pu s'empêcher. Elle aurait peut-être dû s'abstenir. Ca l'aurait empêché de souffrir. M'enfin, c'était fait. Et elle ne pouvait pas revenir en arrière. Elle ne pouvait pas oublier. "Je sais oui. Tu me l'as dit la dernière fois qu'on s'est vus." Elle avait l'impression que c'était une éternité. Elle avait l'impression que c'était le siècle dernier. Oh, elle exagérait un peu. Sans doute. Mais oui. Elle avait l'impression que ce moment était très loin derrière elle. Tout allait bien. Et maintenant, tout partait en sucette. Ou presque. Elle passa une main dans ses cheveux. "Pas que lu. Entendu également." Elle poussa un soupir ennuyé. "J'voulais pas y prêter attention. Surtout déjà que c'était vraiment pas vraiment la journée. Voire même la semaine." Oui, elle tournait un peu autour du pot. Mais il finirait par savoir où elle voulait en venir. "Et là, qu'est-ce que j'entends ? J'aurais pas dit que c'était le pire truc de ma vie mais presque. J'y ai pas cru au départ. Me suis dit "Encore des saloperies qu'on raconte sur lui", comme ce dont on avait parlé la dernière fois." Ouais, ils avaient pas mal parlé de la presse, justement. "Et c'est sorti dans la presse. Vrai, pas vrai, j'en sais fichtrement rien. C'est pour ça que je te le demande." avait-elle dit en le regardant droit dans les yeux. "T'as couché avec cette fille ou pas ?" Voilà, c'était dit, c'était demandé. En même temps, elle savait pas si elle avait vraiment le droit de lui poser la question. Dans le sens où ... Et bien, après tout, ils avaient couché qu'une fois ensemble. Ils passaient du temps ensemble. Mais ils étaient pas vraiment un couple. Ils en seraient peut-être jamais un.

De quel droit ... mais de quel droit elle venait de lui demander s'il avait couché avec cette fille ? De quel droit elle avait posé la question afin de savoir si c'était vrai ou pas vrai ? Honnêtement, Eireen n'avait pas le droit de poser la question. Ils avaient couché une fois ensemble. Oui, peut-être sous le coup de l'émotion. Ils avaient passé une assez chouette journée ce jour là et ça s'était bien terminé, si on pouvait dire cela ainsi. Ils s'étaient rapprochés. Oui. Mais ils s'étaient aussi quelque peu éloignés quand Kaleb avait décidé de déménager et de prendre sa propre villa. Elle n'irait pas jusqu'à dire que ça avait tout changé entre eux. Mais les choses étaient différentes. Et maintenant, tout se cassait la gueule. Maintenant, y'avait eu ce coup de folie à Philipp Island. Elle n'avait pas tous les détails. Elle ne les voulait pas. Elle voulait juste savoir ... sans réellement savoir d'ailleurs. Elle avait peur que son coeur ne finisse par faire une embardée. Elle avait pas besoin de stress. Non, vraiment pas besoin. Voilà pourquoi, cette question, elle avait fini par lui poser. Elle regrettait maintenant. Parce que ça finirait par la travailler cette histoire. Alors, elle avait attendu. Son regard posé sur le jeune homme, elle attendait l'explication. Une semaine compliquée. C'était la première chose qu'il avait dit. Et alors, il pensait qu'il était le seul à avoir des moments compliqués dans sa vie ? Elle n'avait rien dit. Elle n'avait rien répondu. Pas tout de suite. Il avait participé à des interviews. Il avait enchaîné tout cela. Peut-être qu'il avait repris trop tôt à dire vrai. Peut-être qu'il n'aurait pas dû y aller. Enfin, maintenant, c'était trop tard. Il avait assisté à des fêtes également. Une chose en entraînant une autre, il avait oublié la presse. Oublié qu'il était surveillé, qu'on veillait sur ses moindres faits et gestes. Il vivait, tout simplement, sans forcément se soucier des conséquences. Sans se dire que ça pourrait avoir des retombées. La réponse qu'il lui avait donné ... n'était pas totalement claire. Mais en même temps, il ne niait pas. Il se justifiait plutôt. "J'en conclus que c'est un oui donc." Ouais. Peut-être qu'elle n'avait pas compris tout ce qu'il lui avait dit. Mais pas grave. Elle voulait pas se disputer pour ça. Elle était attendue après tout. "J'pensais pas non plus que ça pourrait me toucher. Et c'est tout là le problème." Elle l'avait regardé durant quelques instants et avait fini par secouer la tête. "J'irais pas jusqu'à dire que j'pensais qu'on avait un lien spécial ou une connerie dans le genre. Mais j'avais quand même m'impression qu'on avait une sorte de connexion." Durant une fraction de seconde, elle avait baissé la tête. "Faut croire que j'me suis plantée. Mais ça m'apprendra à croire en des choses qui n'existent pas." Eireen était déçue. Oui. Et pas qu'un peu. Et apprendre ça juste avant son hospitalisation ... Ouais ... Ca n'allait clairement pas la mettre de bonne humeur quand elle serait enfermée. Enfin, c'était pas comme s'ils allaient la garder éternellement non plus. Mais pour le coup, elle avait quand même une effroyable envie de pleurer. Elle cligna des yeux rapidement. Sans doute pour essayer de retenir les quelques larmes qui avaient envie de couler le long de sa joue. Elle allait devoir être forte. Et faire comme si ça ne l'atteignait pas. [color=cornflowerflue]"Mais ça va aller ... maintenant, ça ne me touchera plus."/color] Il allait, de toute manière, lui falloir un coeur de glace si elle voulait se sortir de tout cela. De ses sentiments. Mais aussi de sa maladie. "J'comprends que tu dois vivre ta vie. J'vais essayer d'aller vivre la mienne." Loin de lui. Loin de cette souffrance. Elle avait fait quelques pas pour contourner l'îlot. Pour l'éviter aussi. Elle ne voyait pas, de toute manière, ce qu'elle pourrait ajouter d'autre.

Eireen était déçue. Elle était triste. Dire qu'elle en voulait à la terre entière, ce n'était pas vrai. La seule personne contre qui elle était en colère, c'était contre elle-même. Parce qu'après tout, c'était elle qui avait merdé. Elle qui avait pensé qu'il pouvait se passer quelque chose entre Kaleb et elle. Elle qui s'était imaginée des choses. Parce que si, dès le départ, les choses avaient été claires entre eux, elle n'aurait pas eu autant d'espoir. Et elle ne se serait pas fait des idées. Et là ... Ouais, là, franchement, elle était ... dépitée ... Oui, outre sa colère envers elle-même, elle en voulait quand même un peu à Kaleb. Les torts étaient partagés, en quelque sorte. Ils avaient laissé, tous les deux, les choses s'envenimer. Et maintenant ? Maintenant, les choses allaient être différentes. Elle ne le verrait plus de la même manière. Et elle était pratiquement certaine qu'elle avait perdu, par la même, l'amitié qu'il y avait entre. Enfin, pour le moment, Eireen était trop en colère pour penser à autre chose. En tout cas, elle n'allait pas rester là. S'il voulait traîner un moment dans la cuisine, libre à lui. Elle, elle était attendue. Au pire, comme Jasmine dormait encore, elle aurait l'occasion de fermer après que Kaleb soit parti. Fallait croire qu'il était pas open pour que cette conversation se termine. D'ailleurs, il l'avait attrapée par le bras, la retenant. Un coup d'oeil dans sa direction. Qu'est-ce qu'il voulait ajouter de plus ? Hein ? Est-ce qu'elle avait envie d'écouter les excuses qu'il pouvait avoir ? Non. Pas du tout. Elle voulait qu'il la laisse. Déjà qu'elle était pas d'humeur avec son hospitalisation, elle n'avait pas vraiment besoin qu'il en rajoute plus. Mais alors, pas du tout. Est-ce qu'il pensait l'apitoyer ? Est-ce qu'il pensait réellement que ça allait arranger les choses ? Franchement, Kaleb s'attendait à quoi ? Est-ce qu'il pensait qu'elle allait lui sauter au coin ? Que tout serait pardonné ? Effacé ? Pas aujourd'hui en tout cas. Oui, elle finirait par tourner la page. Et oui, peut-être que d'ici quelques semaines, quelques mois, ils retrouveraient cette complicité. Mais pas aujourd'hui. Sa principale défense pour tenter d'arrondir les angles ? Kaleb mettait ça sur le dos du boulot, de sa passion. La moto, c'était tout. Il était en convalescence en ce moment. Mais bientôt, il reprendrait la route. Il ne serait pas là pour elle. Il ne la rendrait pas heureuse. "J'crois que c'est à moi de décider si j'mérite mieux ou pas." De toute manière, après Camael, elle pensait pas trouver pire. Oh, il avait été adorable. Jusqu'à ce qu'ils se fiancent. Et au lieu de lui dire que ça lui fichait la trouille, il avait préféré s'envoyer en l'air avec une autre personne. Alors oui, ça la foutait mal. Et pas qu'un peu. "De toute manière, la question ne se pose pas puisqu'apparemment, tu as déjà pensé à tout." Ouais, bon, Eireen avait peut-être poussé le bouchon un peu trop loin. Mais bon. Puisque ça partait en sucette, autant dire les choses. Et ne pas garder ce qu'elle pensait pour elle. Elle ne se sentirait, sans doute, pas mieux pour autant mais bon. Au moins, il aurait le fond de sa pensée. "Tu sais ce que je mérite ? Des personnes sur qui je pourrais compter. Sauf que j'ai pas vraiment ça en stock en ce moment. J'ai l'impression qu'on m'abandonne semaine après semaine. Et j'avais pensé ..." Elle secoua la tête. "En fait, je sais pas trop à quoi je pensais." Non, elle était perdue. "J'aurais tout le temps d'y penser une fois que j'serais à l'hôpital. Parce que m'battre avec toi, là, tout de suite, franchement, c'est clairement pas dans mes projets." Non, du tout.

Elle aurait dû couper court à cette conversation plus tôt. Bien plus tôt. Elle aurait dû lui poser la question, ou pas. Et partir, sans plus attendre. Elle se serait approchée de son sac, elle aurait passé le pas de la porte. Et puis, ça aurait été la fin de cette discussion. Mais non. Il avait fallu que Kaleb la retienne. Il avait fallu qu'il veuille s'expliquer. Et ça partait en sucette. Il retournait tout ça contre elle. Sur le fait qu'elle était pas honnête. Sur le fait qu'elle s'était fait des histoires. Et qu'il avait jamais fait de promesse. Non, c'était un fait. Il avait raison. Il n'avait fait aucune promesse sur leur devenir. Il ne lui avait jamais promis qu'ils se mettraient ensemble. Fallait croire qu'il connaissait pas le film Sexe entre amis. Elle aurait été en forme, elle aurait son esprit habituel et pas un esprit torturé par les prochains jours qui allaient être un véritable calvaire, ouais, sans doute qu'elle aurait fait une allusion au film. Elle était pas dans son assiette. Et elle n'avait clairement pas envie que les choses s'enveniment. Enfin, c'était déjà plus ou moins le cas à dire vrai. C'était le bordel. Autant foutre encore plus le bordel ? Non. Elle avait pas besoin de cela. Lui non plus. "Je ne répondrais pas à ça. J'répondrais pas à tes accusations complètement dingues. Parce que j'aurais pas voulu de notre amitié, j'aurais pas cherché à te connaître. J'aurais pas cherché à discuter avec toi. J't'aurais juste rendu la vie impossible à vivre pour être rentré dans la salle de bain. J't'aurais pas traîné de force non plus au festival de juillet. Et ouais, peut-être qu'à ce moment là, on n'en serait clairement pas là aujourd'hui. Tu vivrais ta vie. Et moi la mienne." Est-ce qu'elle regrettait ? Oui, là, sur le coup, elle pouvait regretter de lui avoir parlé. D'avoir essayé de lui égayer sa vie alors qu'il était au plus mal. Deux fois ... deux fois qu'elle tentait d'aider les gens cette année. Des gens à qui elle pouvait tenir. Et maintenant, ça lui revenait en pleine gueule. "Parce que tu crois que j'avais envie de répondre ? La presse raconte des trucs horribles et après, moi, j'apprends que j'dois repasser par la case hôpital ! Tu crois que c'est marrant ?!" Elle avait haussé un peu le ton. Il bloqua pendant quelques instants sur le mot hôpital. Il ne réagit pas tout de suite. Sans doute qu'il devait chercher ses mots. Ou quelque chose dans le genre. Alors, le pilote était resté muet durant quelques instants. Avant de lui demander si elle rentrait à l'hôpital. "Non, j'y vais juste pour m'amuser." Ouais, bon, y'avait d'autre manière de lui dire. Elle passa une main dans ses cheveux avant de plaquer, durant quelques instants, ses mains devant ses yeux. Il est clair que lorsqu'on lui prendrait sa tension, celle-ci serait au plafond. "Va-t-en ... s'il te plaît ... j'veux pas parler de ça avec toi ... Et j'vais finir par être en retard." Ouais, heureusement qu'elle n'avait pas appelé un taxi d'ailleurs. Parce qu'elle aurait été en retard. Vachement en retard. De toute manière, s'il voulait rester, c'était son choix. Elle ne pouvait pas. Elle devait se faire hospitaliser. Même si elle ne le voulait pas.

C'était facile de dire les choses maintenant que c'était partie en sucette. C'était facile de dire qu'elle aurait pu l'appeler ... Ou bien décrocher quand c'était lui qui appelait ou qui lui envoyait un sms. Eireen aurait pu prendre son téléphone et décider de l'appeler. Ou bien répondre à ses messages. Elle aurait pu lui dire que ça n'allait pas. Elle aurait pu lui dire qu'elle était dans une mauvaise passe. Elle aurait pu le prévenir. Oui. Mais elle ne voulait de personne. Parce qu'elle n'avait pas envie qu'on lui pose des questions. Parce qu'elle n'avait pas envie qu'on ait un regard de pitié vers elle. Parce qu'elle n'avait pas envie qu'on pose une main sur son épaule et qu'on lui dise que tout irait bien. Parce qu'elle savait que ça n'irait pas. Oui, peut-être qu'elle flippait trop. Peut-être qu'elle s'inquiétait trop sur le sujet. Peut-être que c'était n'importe quoi et que ça allait s'arranger. Que c'était pas si grave que tout cela. Mais Eireen n'arrivait pas à penser le contraire pour le moment. Non. Le stress la foutait en l'air. Elle se demandait encore pourquoi ça lui arrivait encore. Elle se demandait pourquoi une rechute. Pourquoi à ce moment là. Surtout qu'elle était plutôt bien dans sa vie, hormis ce petit épisode au sujet de Kaleb. Elle n'aurait pas fait de rechute, elle n'aurait pas été malade, peut-être qu'elle ne l'aurait pas autant mal pris. Sans doute qu'elle n'aurait pas fait une scène. Elle aurait été vexée peut-être. Un peu en colère. Elle aurait compris. Et elle aurait tourné la page, sans en faire toute une histoire. Elle aurait sûrement dit ok, elle aurait sûrement eu un hochement de la tête. Peut-être une pointe de déception. Quelques larmes. Et ça se serait arrêté là. Là, elle avait les nerfs à vif. Un rien l'énervait. Tout l'énervait. Sans doute pour cela que c'était plus facile, pour elle, de rester seule alors que pourtant, elle n'aimait pas forcément la solitude. Elle aimait bien les gens. Elle aimait bien la compagnie. Mais pas en ce moment. La seule personne qu'elle pouvait tolérer, c'était éventuellement Jasmine. Sa cousine. Parce qu'elles parlaient de tout. Sauf de cela. Sa meilleure amie ? Elle ne savait même pas si elle pouvait considérer Dylan comme sa meilleure amie. Elles vivaient ensemble. Elles se voyaient rarement. Jasmine n'aurait pas été là, ouais, sans doute qu'elle aurait déménagé. Une grande villa pour deux, ça faisait beaucoup de dépenses pour pas grand chose. Enfin, elle aurait sans doute l'occasion d'y réfléchir pendant son hospitalisation. Elle verrait bien. Kaleb lui confia qu'il ne voulait pas la blesser. Et qu'il serait rentré plus tôt. S'il avait su seulement. Il ne semblait pas vraiment comprendre qu'elle l'avait fait exprès. Se couper de tout. De tout le monde. Se couper de ses proches. De ses amis. Parce que c'était mieux pour elle selon elle. A quoi s’époumoner à essayer de lui faire comprendre ? Ca l'énerverait sans doute plus. Autant l'éviter. Eireen préférait ... Elle préférait couper court à la conversation. Parce que ça lui faisait mal. C'était elle qui s'était mise dans cette situation, oui. Mais elle voulait pas continuer. Pas aujourd'hui. Pas comme ça. Sans doute que ça irait mieux quand elle aurait digéré la nouvelle. Ou pas. Kaleb était têtu. Il était pas prêt à la laisser filer et voulait même l'accompagner, ajoutant qu'il pouvait compter sur elle. "Pourquoi qu'après tu me dises que c'était prémédité et que j'ai voulu profiter de la situation ?" Ses mots à lui après tout. Enfin, il ne l'avait pas dit de cette manière mais c'était comme ça qu'elle l'avait compris. "J'crois pas que ça soit une bonne idée." Non. Du tout. "On est dans un pays libre après tout. Tu fais bien ce que tu veux." Il avait qu'à l'accompagner si c'était ce qu'il voulait. Ca voulait pas dire pour autant qu'elle allait lui parler. Eireen s'était rapprochée de ses affaires. Elle était prête à partir. Elle avait trop tardé après tout.