Regardant l'heure tourner sur sa montre, Ezra hésitait toujours. Il ne savait pas s'il aurait le courage d'y aller. Pas qu'il n'avait pas envie de passer une soirée en compagnie d'Amelia, au contraire, il adorait sa présence. Elle avait été toujours une sorte de rayon de soleil dans sa vie, surtout quand il broyait du noir. Elle avait toujours été auprès de lui, comme il avait été auprès d'elle. Elle était une personne importante dans sa vie. Ce n'était pas pour ça qu'il n'avait pas la foi d'aller la rejoindre au bar ce soir, non. C'est que maintenant qu'il savait que Ginny était de retour en ville, il n'arpentait plus les rues avec la même confiance. Il appréhendait de la rencontrer à chaque coin de rue et dans chaque lieu où il allait. Pourquoi ? Car depuis qu'ils s'étaient revu au garage, il n'avait pas réellement encore digérer tout ce qu'elle lui avait annoncé. Et la revoir signifierait en reparler. Savoir ce qu'il en pensait. Mais il ne savait qu'en penser, il ne savait ce qu'il devait lui dire, ni pourquoi, pour quelles raisons. Tant d'interrogations qui restaient en suspend faisaient qu'il était toujours là, en jogging sur son canapé alors que l'heure du rendez-vous qu'Amy lui avait donné s'affichait sur la pendule. Il était en retard, alors qu'il ne faisait rien depuis des heures. Pour vous dire, il avait même un congé, alors qu'il détestait ça. La dernière fois qu'il avait du prendre des congés, il n'y avait pas si longtemps, c'était parce-qu'il s'était retrouvé dans le coma suite à un accident de la route. Plaisant comme souvenir. Il finit quand même, après encore quelques minutes d'hésitation par bouger de son canapé. Il prit les premières fringues qui lui tombèrent sous la main et partit en direction du bar, celui qu'ils connaissaient l'un comme l'autre par coeur pour y avoir passé la moitié de leur temps d'étude là bas. Leur repère, le bar où ils avaient travaillé pour arrondir leurs fins de mois, celui où ils s'étaient rencontrés et où cette amitié était née. Ils en avaient vécu des histoires, drôles comme bouleversantes, dans ce bar. Mais pourtant, c'était toujours ici qu'ils revenaient. Parce-que c'était leur endroit, rien qu'à eux. Arrivé sur place, Ezra put constater que foule commençait à se faire. En temps normal, cette pensée l'aurait fait sourire, car ça lui aurait rappelé ces soirées qu'ils avaient passé dans le rush des clients toujours plus nombreux, alors qu'Amy et lui étaient au service. Aujourd'hui, même l'ombre d'un sourire n'osa pas s'approcher de son visage. Amy le vit directement d'ailleurs, lui faisant signe de la rejoindre. Il arriva près d'elle rapidement, toujours avec cette tronche de six pieds de long. Elle l'embrassa sur la joue, il en fit de même sur son front. « Bonsoir vous. Je peux vous offrir quelque chose à boire? » Ezra s'assit sur le tabouret situé à ses côtés, avant de voir que le barman était déjà là et attendait sa commande. Il prit quelques secondes de réflexion avant de finalement verbaliser son état émotionnel général en passant sa commande. « Un scotch, double s'il vous plait. » Toute personne connaissant bien Ezra savait qu'avec un simple verre de rhum dilué, comme on trouve dans sa boisson préférée qui est le mojito, il finissait bourré au bout d'à peine deux verres. Alors quand il commençait par commander un scotch, ce n'était jamais bon signe concernant son état de pensées. Amelia dut le comprendre rapidement, car sa prochaine question fut très pertinente. « Bon alors, qu’est ce qu’il s’est passé? » Ezra soupira. Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Il ne savait même pas s'il était apte à répondre correctement à cette question, car il n'était pas sûr de savoir lui même ce qu'il s'était passé. Et puis, il n'avait pas encore formulé les faits à voix haute depuis sa rencontre avec Ginny, il ne savait donc pas réellement par quoi commencé. « Il s'est passé que j'me suis aperçu que je faisais partie de ces abrutis toujours accro à la même femme, même des années après... » Il soupira plus lourdement, et son verre arrivant à ce moment là, il le prit sans attendre et le but. Cul sec.

Après qu’Ezra eut posé son verre sur le comptoir, il vit Amy vider le sien à la suite. Apparemment, elle était partie pour l’accompagner dans sa soirée absolument réjouissante. Il s’énervait d’être comme ça pour une histoire idiote de base. Enfin, idiote. Disons qu’il ne devrait pas réagir comme ça à la présence de Ginny, le temps qui s’était écoulé depuis leur dernière entrevue aurait du le refroidir complètement, il aurait du l’oublier et passer à autre chose. Mais ça ne s’était pas passé comme ça, malgré la vie qui passe, il n’avait pas oublié le visage et les sentiments qu’il éprouvait pour elle. Le fait qu’il ait eu un enfant ensemble avait mis des bâtons dans les roues de l’oublie d’Ezra. C’est pour ça aussi qu’il n’avait sûrement pas pu l’oublier aussi simplement. « A croire que le passé finit toujours par nous rattraper.. » Amelia soupira, et Ezra ne put s’empêcher de faire pareil. Elle ne savait pas à quel point elle avait raison, en ce moment même. C’était exactement ce qui était en train de se passer dans la vie d’Ezra, le passé le rattrapait au galop. « Et.. Elle est passée te voir dans un but précis ou juste pour se montrer, prendre des nouvelles et faire réparer sa voiture comme si de rien n’était histoire de te faire déprimer un peu plus ? » Il lança un regard en coin à Amy, pour voir si elle se foutait de lui ou pas. Apparemment pas, elle avait l’air sérieuse en posant cette question. Elle avait son air de curieuse aussi, il ne pouvait pas lui en vouloir. Elle le connaissait tellement bien qu’elle pouvait comprendre rapidement que la venue de la jeune femme ne l’avait pas laissé de marbre. En même temps, rien qu’en voyant sa tête dans le miroir, il avait pu se rendre comptes lui même qu’il était chamboulé - alors qu’en général, on a toujours plus de mal à l’admettre seul. « Si en cinq ans elle n’a pas donné de nouvelles, tu penses qu’elle serait assez vicieuse pour juste venir et me faire souffrir ? » Il arqua un sourcil. D’accord, il jouait sur l’humour noir, ce n’était pas forcément la bonne solution. Amy n’y était pour rien, et il n’avait pas le droit de jouer comme ça devant elle juste pour se sentir mieux. Mais il savait que c’était aussi la seule personne avec qui il pouvait se le permettre. La seule personne qui pourrait le comprendre quand il agissait comme ça. Il soupira finalement de nouveau avant de reprendre la parole. C’était aussi la seule personne à qui il oserait confier ses ressentis et les pourquoi du comment de la situation. « Elle est revenue avec Noah… » Mais il n’était pas encore prêt à en parler. Pas encore, et pas aussi sobre. Il avait du mal à intégrer l’information alors en parler à voix haute était quelque-chose d’autant plus compliquée. Il posa alors ses coudes sur le comptoir, la tête dans les mains. Qu’est-ce qu’il avait fait pour se retrouver dans cette situation ? D’accord, il n’avait pas été là pour son fils, pas du tout même, mais il n’avait pas réellement eu le choix. Il lui avait été enlevé, en vérité, emmené loin de lui par sa belle famille qui le détestait plus que tout au monde. Il n’était qu’un moins que rien pour eux, alors il ne s’était jamais vu prendre l’avion sur un coup de tête et parcourir tout l’Angleterre pour retrouver Ginny. Il aurait pu, mais à quoi bon, se faire jeter de nouveau à l’arrivée ? Son coeur n’y aurait sûrement pas survécu. « Tu sais depuis quand elle est rentrée ? » « Franchement j’en sais rien, et je sais pas si j’ai envie de savoir tu vois. » Il entendit ensuite Amelia commander de nouvelles boissons mais ne releva pas la tête. Il lui faisait confiance, elle saurait prendre ce qu’il faut pour lui remonter le moral. Le serveur revint rapidement. « Tiens, il paraît que ça aide bien. » Ezra releva cette fois ci la tête de ses mains, et ne put s’empêcher de sourire quand même. Les shots de tequila avaient déjà eu raison plus d’une fois, et apparemment Amy était motivée au point qu’ils aient raison d’eux encore ce soir. Il prit son verre, trinqua avec elle et le but directement derrière en même temps qu’elle - il trichait cependant car il buvait pure sa tequila sans prendre de citron derrière, ce n’était pas forcément l’agrume qu’il préférait au monde. Le bruit du verre reposé sur le bois du comptoir claqua aux oreilles d’Ezra et il soupira cette fois ci de soulagement. Parfois, il se dit qu’il aimerait revenir au temps où il était encore derrière le comptoir, où leurs vies semblaient bien plus simples que maintenant. Mais il fallait grandir, il fallait devenir adulte et s’assagir. Ezra détestait ça. Il piqua alors un deuxième verre de tequila qu’il but lui aussi cul sec, avant de finalement se lancer. Il devait parler, c’était inévitable, il allait devenir fou sinon. « A quel moment tu penses que j’ai merdé, Amy ?» Le regard qu’il lança quand il regarda Amelia était pur, simple et pourtant débordant de désorientation.

« Hey, ne m’attends pas surtout ! » Ezra ne fit même pas attention à la remarque de sa meilleure amie et but son deuxième shooter cul sec. Bordel, ça faisait du bien par où ça passait. Il mit ensuite un petit temps avant de lui poser la question, cette question qui trottait dans sa tête depuis des années maintenant mais qu'il n'avait jamais réellement voulu poser, sûrement par peur de la réponse qui pourrait suivre. Mais depuis quelques jours maintenant, il pensait ne plus avoir grand chose à perdre, et puis Amy serait peut-être franche dans sa réponse, mais pas méchante, c'est ce qui poussa Ezra à se laisser aller. Et la réponse de la jeune femme le surprit, et pas qu'un peu. « Je crois que c’est la fois où tu as refusé les avances de ce beau brun, tu sais Pedro, celui qui voulait à chaque fois t’attendre jusqu’à la fin de tes services pour pouvoir te raccompagner chez toi. Je penses que t’as manqué le coche avec celui-là. Vous auriez été beaux ensemble, franchement. » Le rire de la jeune femme parvint jusqu'à ses oreilles, et malgré la réponse ridicule d'Amelia alors que la situation était plutôt dramatique - il en venait à se dire qu'il pouvait se saouler la tronche à la téquila pour faire passer la situation Ginny -, Ezra ne put s'empêcher d'avoir un petit sourire. C'était ça aussi qu'il aimait, dans cet équilibre qu'ils avaient construit au fil du temps avec Amy, c'était qu'ils arrivaient à se faire sourire voire même rire dans n'importe quelle situation, aussi foireuse qu'elles soient. « T'es con quand tu t'y mets, c'pas possible. » Son sourire s'agrandit un peu. Amelia avait peut-être sorti ça pour détendre l'atmosphère et faire une blague, il n'empêchait qu'Ezra se souvenait très bien du jeune homme en question. C'était dans les premiers moments où il travaillait dans ce bar, Pedro était venu boire un verre avec des amis. Ezra avait toujours eu le contact facile et ils avaient discuté une bonne partie de la soirée, chacun d'un coté du bar. Cependant, Pedro ne représentait rien d'autre pour Ezra qu'un de ces nombreux gars qui venaient passer du bon temps dans ce bar, et puis surtout il n'était absolument pas intéressé par ce genre d'humains là. Alors, lorsqu'il vit Pedro revenir maintes et maintes fois, commandant toujours ses verres à Ezra et personne d'autre, il avait commencé à se sentir mal à l'aise, et Amelia avait bien sûr assisté à la scène du jour où Ezra avait mis les choses au clair avec Pedro. Elle était morte de rire au fond du bar pendant qu'Ezra tentait de ne pas avoir à ramasser le jeune homme à la petite cuiller alors qu'il venait de lui proposer plus ou moins un rendez-vous. Cependant, un souvenir n'étant pas éternel, Ezra perdit rapidement son sourire et attendait maintenant une vraie réponse de la part de la jeune femme. Une réponse qui pourrait lui faire comprendre pourquoi et comment il en était arrivé là, à toujours avoir l'air d'un con quand il s'agissait des femmes - ou plutôt de cette femme là, Ginny. Amy but alors un nouveau shooter avant de prendre la parole, il retenait presque son souffle. « C’est pas toi qui à merdé, Ez’ et tu le sais. T’as toujours fait ce qu’il fallait et si ce n’était pas assez pour elle et sa famille ben.. C’était qu’elle ne te méritait pas, c’est tout. J’espère juste qu’elle s’en mord les doigts à l’heure qu’il est. » Ezra fit une petite moue, peu convaincu, attrapant le verre qu'Amelia lui tendit pour le boire d'un coup sans réfléchir. « Parce que ce qu’elle a fait, ce n’était pas juste ni pour toi, ni pour Noah. » Après quelques secondes de silence où il essayait d'intégrer la réponse de la jeune femme, Ezra soupira. Il était d'accord avec elle sur un point, c'était certain, c'était que ce que Ginny avait fait n'avait été juste ni pour lui ni pour leur fils. Les deux garçons ne se connaissaient pas alors qu'Ezra avait de l'amour à revendre pour ce petit garçon, et qu'il avait sûrement besoin d'un père à l'heure qu'il était - parce-qu'il ignorait encore que Ginny l'avait remplacé rapidement par un autre homme, à qui elle était mariée et qui se faisait passer pour le père du gosse. « J'aurai pu faire plus... J'aurai du faire plus. Me battre pour elle, Amy. J'ai rien fait, et regardes où ça me mène aujourd'hui quoi... Je regrettai déjà avant, mais aujourd'hui c'est encore pire. Parce-que je l'ai eu de nouveau en face de moi, devant mes yeux, comme avant... Ca fait chier. » Par réflexe, il attrapa deux shooters et en tendit un à Amy cette fois - il ne voulait passe faire fâcher une deuxième fois de ne pas l'avoir attendu, non mais oh. « Et tu as pu le voir ? Du moins.. une photo ? » Le jeune homme secoua la tête. « Non, mais... Elle serait d'accord pour que je le rencontre. Ce qui est déjà énorme, je trouve, elle ne m'a pas encore mis totalement dehors ça veut dire du coup... Et je pense que je vais aller le voir. J'en meurs d'envie, en fait, mais... Si c'était une connerie ? Il ne me connait pas, il pourrait très bien me virer de sa vie, me reprocher même s'il est petit de pas avoir été là... Je sais pas si je survivrai à ça. Ginny, je sais presque gérer. Mais un gosse... Mon gosse... » Il fit une petite moue à Amelia avant de faire signe au serveur de leur rapporter une nouvelle tournée de shooters. La petite moue était là parce-qu'il savait à quel point elle le connaissait, et surtout à quel point elle avait du être là pour lui lorsque Ginny était partie. Et malgré toute l'amertume qu'elle pouvait éprouver à son égard, Amelia n'avait jamais réellement dit de mal de Ginny devant Ezra car elle savait à quel point elle comptait pour lui. Elle avait toujours été franche ça c'était sur, mais toujours avec des mots et des intonations qui permettaient de ne pas faire péter plus de câbles à Ezra. C'était aussi grâce à elle qui s'en était sorti.

Comme Ezra pouvait le penser, la connaissant si bien, la réaction d’Amelia ne se fit pas attendre. Elle partit au quart de tour, après qu’Ezra eut à peine fini de parler. « Mais c’est super Ez’ ! Enfin je veux dire, tu devrais le rencontrer. Si tu ne le fais pas, je pense que tu le regretteras. Prends ton temps, réfléchis bien, mais ne tarde pas trop. Surtout si elle t’y a autorisé.. Tout n’est peut-être pas perdu.. Tu as droit à ta chance. » Le jeune homme ne put s’empêcher un sourire. Elle semblait aussi heureux que lui à cette idée, c’était fou. Il ne s’en plaignait pas, au moins il était sûr d’avoir quelqu’un qui supportait ses choix quoi qu’il arrive, et ça faisait du bien de savoir ça. Ezra attrapa ensuite le shooter qu’elle lui donna, et le but en même temps qu’elle. Ce n’était pas raisonnable d’avoir cette cadence d’alcool fort comme la tequila, mais tant pis. Même s’il était moins d’humeur morose depuis qu’il était arrivé au bar, l’idée de passer une soirée hors du temps - même si ça voulait dire complètement bourré - était plutôt une idée alléchante. « Il y a de fortes chances que j’accepte… Même si ça me fait flipper. Parce-que ouais t’as raison, je regretterai sûrement après je pense. » « Et puis comment pourrait-il ne pas t’aimer ? Si elle accepte que tu le vois, je ne pense pas qu’elle ait du lui faire un bourrage de crâne concernant ‘un père lâche’ tu vois ? C’est impossible qu’il te rejette, il va t’aimer à l’instant même où il te verra, crois-moi. » Ezra leva les yeux au ciel. La façon dont elle disait ça rendait la situation tellement simple. Oui, c’était sûr que si la gamin avait entendu parler de lui toute sa vie, il y avait des chances qu’il veuille le rencontrer enfin. Quel enfant ne désirerait pas connaître son père ? Ezra lui même aurait voulu connaître son père s’il n’avait pas été élevé par lui. Il n’avait d’ailleurs que trop peu connu sa mère, morte alors qu’il n’avait que deux ans. Et parfois, durant son enfance, il n’avait pu s’empêcher de ressentir ce manque d’affection maternelle, il aurait voulu parfois avoir sa maman auprès de lui. Mais dans son cas, ce n’était pas qu’elle était loin géographiquement parlant, c’était qu’elle n’était plus de ce monde. Ezra sentit ensuite qu’Amy posait sa main sur la sienne, il attira alors ce petit carré de chair pour venir y déposer un baiser et la garder dans les siennes. « Mais il sait qui tu es ? Elle lui a déjà parlé de toi ? » Le jeune homme haussa les épaules. « J’en ai aucune idée. J’espère, je pense, j’en sais rien en fait… Je pense que oui quand même, il a bien du lui demander si j’existais, j’aurai été à sa place je l’aurai fait… Et je pense qu’elle me porte encore assez dans son coeur pour lui avoir dit qui j’étais. » Lorsqu’il répondit à Amy, sa voix était mal assurée. Il n’était absolument pas sûre des propos qu’il avançait, après tout il n’avait eu aucune informations autre que le fait qu’il était malade, et il n’avait pas pensé à demander à Ginny. Il avait déjà eu assez d’informations pour la journée lorsqu’ils s’étaient vu, si elle n’avait pas parlé d’Ezra à Noah, il n’aurait sûrement pas supporter la nouvelle, de retour au garage. Finissant par prendre deux shoots qui trainaient, il en glissa un jusqu’à Amy avant de prendre le sien et de le boire. L’alcool commençait à tiquer dans sa tête, mais les signaux n’étaient pas encore assez forts pour qu’il y fasse quelque-chose. « Sinon, comment va Lily ? Ca fait un bout de temps que je l’ai pas vu, faudrait que je passe un soir, elle me manque. » Ezra avait toujours été là pour Amelia lorsqu’elle était tombée enceinte et que son connard de compagnon de l’époque - voyez à quel point Ezra le portait dans son coeur - s’était tiré en quatrième vitesse. Depuis, il était comme un oncle pour la petite, chose qu’il savait bien faire vu qu’il était devenu tonton la même année grâce à Thomas. A défaut d’être un père présent, au moins, Ezra n’avait jamais été un oncle absent pour qui que ce soit. Il était même un tonton gâteau, c’était horrible à voir. A chaque fois qu’il voyait Lily, comme à chaque fois qu’il voyait Alexander et maintenant Mathis, il apportait un petit cadeau pour le gosse. Il ne roulait pas sur l’or, loin de là, mais il adorait pouvoir faire plaisir.

Lorsqu’il évoqua le prénom de Lily, un sourire absolument radieux vint s’afficher sur les lèvres de la jeune femme. Le sourire qui prouvait l’amour incommensurable que pouvait avoir une mère pour son enfant, le plus beau des sourires selon Ezra. « Oh elle va très bien, elle se demande juste quand est-ce que vous allez organiser les fiançailles. Elle a vu un film l’autre jour, où je ne sais plus quelle actrice qu’elle adore allait se marier et comptait faire une immense soirée pour présenter son fiancé à tous ses amis. » Au début, Ezra ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux à entendre la réponse d’Amy, avant de se mettre à rire lorsque cette dernière se mit à sourire. Il savait à quel point la petite aimait être avec lui et pensait qu’il était une sorte de prince charmant pour elle, mais parfois lorsqu’Amelia lui sortait des phrases pareilles, aussi crues, il avait toujours une petite seconde d’hésitation à savoir comment il devait réagir exactement. Ce n’était jamais bon d’entretenir trop longtemps un complexe d’Oedipe de la sorte, mais en même temps la petite était tellement mignonne lorsqu’elle venait le voir avec sa robe de princesse et ses bagues en plastique qu’Ezra ne voyait pas d’autres solutions que de jouer le jeu. Et puis, il savait - espérait ? - que la maman de la petite ne réagisse jamais mal, lorsqu’il essayait de faire bien pour sa fille. Leur conversation autour de la petite coupa cependant rapidement court lorsqu’Amie décida qu’il était temps qu’ils aillent danser, alors qu’une chanson qu’elle semblait apprécier plus que les autres passa dans les enceintes de la salle. « Allée viens, on va danser pour oublier tout nos soucis ! » « Houla, tu commences déjà à plus être super étanche je crois toi ! Mais d’accord, pourquoi pas après tout ! » Ezra s’enfila un shoot de téquila à son tour avant de se laisser entraîner par la jeune femme sur la piste de danse improvisée. Bien que le bar, de base, ne soit pas organisé pour accueillir des danseurs ne présentant pas de piste de danse, les deux joyeux lurons ne mirent pas longtemps avant de se mettre dans une ambiance qui ne devait s’appliquer qu’à eux deux, à la vue des regards que les autres personnes présentes dans le bar leur lançaient. Mais ils s’en contrefichaient tous les deux, ce bar avait été pendant un temps leur deuxième maison, encore aujourd’hui lorsqu’ils arrivaient ils étaient accueillis comme des enfants rentrant à la maison. S’ils avaient donc envie de danser alors que la piste ne s’y prêtaient pas, c’était leur soucis. Et puis que ce fut Amelia ou Ezra, ni l’un ni l’autre ne prêtait réellement attention aux regards qu’on pouvait leur lancer ou les pensées qu’on pouvait avoir sur eux. Plus maintenant, ils savaient que ça n’en valait pas la peine. Alors Ezra vint faire tournoyer Amelia sur elle même, cette dernière tentant de faire de même avec lui par la suite - il ne lui avouerait pas qu’il l’aurait aidé à cette manoeuvre, ça aurait pu la vexer. L’alcool semblait pour une fois monter plus vite au cerveau d’Amy que celui d’Ezra car cette dernière vint rapidement d’écraser contre lui après ce qui semblait être un tour trop rapide sur elle même. Cependant, cette proximité, cette intimité entre eux ne les dérangeait pas et les deux jeunes gens éclatèrent de rire - ça faisait du bien de juste s’amuser et de ne penser à rien d’autre. « Je crois que la tequila ne me réussit pas trop. » Ezra rit en coeur avec Amelia. « Et moi j’en suis même sûr, elle n’a jamais réussi à l’un de nous deux et pourtant on en boit toujours de trop à chaque fois ! Tu penses qu’on est bizarres ? » Il continuait de rigoler pendant que la jeune femme attrapa deux nouveaux shootés - heureusement qu’elle venait de se rendre compte que la téquila n’était pas faite pour elle, sinon qu’est-ce qu’elle aurait bu, hein ? « A nous ! » Ezra trinqua son verre contre celui de sa meilleure amie. « Et nos vies catastrophiques, mais qui finissent toujours en soirées cools, grâce à toi. » Il pensait sincèrement ses paroles, faisant un sourire tendre à la jeune femme. Après tout, à chaque fois qu’il n’allait pas bien, il se tournait vers elle et d’accord, se retrouvait souvent avec un mal de crâne impossible le lendemain matin. Mais il passait toujours du bon temps en sa compagnie et elle l’avait toujours aidé avec ses histoires merdiques d’amour à dormir debout. Il reprit ensuite sa main pour l’entraîner danser une nouvelle fois. Le fait de bouger de la sorte les aider à avoir les effets de l’alcool plus rapidement, et rapidement un sourire idiot restait collé sur le visage d’Ezra. Ca changeait du moment où il était entré dans le bar, une heure plus tôt environ, où on avait eu l’impression qu’il revenait d’un enterrement. Un slow se fit entendre, et pour une fois Ezra décida de ne pas se défiler - autant faire le pitre en dansant n’importe comment sur la piste de danse ne le dérangeait pas, mais danser un slow avait toujours eu quelque-chose qui le perturbait. Du moins, quand il était sobre ou qu’il n’avait pas encore assez bu. Son taux d’alcoolémie devait être joyeux en ce moment même pour qu’il ne se défile pas - et ce n’était pas une question d’être mauvais ou quoi en danse, il s’était toujours bien débrouillé. Et alors qu’il dansait, il lança à Amelia la question qui lu avait valu plusieurs fois des regards noirs mais qui semblait importante à ses yeux. « Sinon, les amours toi, ça en est où ? Ca fait longtemps que je n’ai pas eu de tes nouvelles de ce côté là, je m’inquiète pour toi ma caille. »

Les discussions qu’Amelia et Ezra pouvaient avoir été toujours diverses et variées. Alors oui, ils parlaient de leurs histoires amoureuses, mais il était vrai que parler de ses histoires amoureuses mettaient souvent mal à l’aise Amelia. Le jeune homme ne comprenait pas toujours pourquoi, mais il se disait qu’elle avait sûrement ses raisons. Les femmes avaient toujours des raisons qui échappaient souvent aux hommes. Après tout, ils se connaissaient depuis assez longtemps pour parler de leur intimité ? Ou alors c’était lui qui pensait que c’était possible dans leur relation alors que la jeune femme était d’un tout autre avis. Ils ne lui avaient jamais directement posé la question. Mais ça ne devait pas être un problème, ça n’en était pas un pour lui. Il n’irait pas non plus lui demander de parler de sexe, coït ou tout autre chose très personnelle, mais il lui semblait que si elle avait aussi besoin de parler de ces choses là, il était là si elle avait besoin. Il estimait que rien ne devait être tabou entre eux. Les relations intimes inclues. Ils en parlaient à l’époque, lorsqu’Amélie avait voulu qu’il vienne avec elle voir ce dernier film à la mode, racontant l’histoire d’un homme très porté sur la domination, ou bon nombre de sujets très intimement liés au sexe tels que le cunnilingus, l’érotisme et le fantasme étaient abordés. Ils en avaient parlé après, parce-qu’ils avaient trouvé ça plutôt drôle comme films - et que si ça n’avait pas été pour faire plaisir à Amy, Ezra n’y serait jamais allé, sa virilité en avait d’ailleurs pris un coup. Mais pour leurs relations personnelles, ils n’avaient jamais été jusqu’à se raconter la dernière érection du partenaire d’Amelia, comment Ezra avait pu jouir lors de son dernier rapport ou s’ils étaient l’un comme l’autre pour faire un strip-tease à leur cher et tendre. Non, jamais jusque là. Alors quand Amelia commença à perdre légèrement son sourire après la question d’Ezra, il s’en voulut rapidement de l’avoir posé. Il n’aurait pas du, même si le bonheur de sa meilleure amie importait énormément dans sa vie. « Ez.. Je crois bien qu’à ce rythme-là, Lily sera mariée avant moi. Tu sais, je serais la vieille au 90 chats. » « Des conneries tout ça, roof ! » Il joignit un petit rire à celui de la jeune femme. « Quand on a trouvé le grand amour une fois, le vrai et qu’ensuite on le perd, je ne suis pas sûre qu’on puisse retrouver ce sentiment un jour.. Enfin je crois..  Pour moi en tout cas.. » Ezra leva les yeux au ciel avant de venir faire une petite moue qui laissait très clairement comprendre qu’il lui demandait si elle se foutait de lui ou non. Amelia finit d’ailleurs par baisser les yeux, et Ezra ne put s’empêcher de venir prendre son menton dans sa main pour lui relever la tête dans sa direction. Il n’aimait pas la voir comme, la voir se sentir vulnérable surtout que ce n’était pas son intention première de la mettre dans cet état. Elle finit par plonger son regard dans le sien, et Ezra lui fit un petit sourire. « Amy… » « Désolé.. j'ai l'air stupide. » Ezra écarquilla les yeux. « Tu as l’air tout sauf idiote, crois moi. Mais tu sais bien que si tu veux me parler de quelque-chose, je suis là hein ? J’aime pas savoir que tu gardes des choses en toi alors que ça te rend mal. Crois moi, même si Lily se marie avant toi, tu l’auras elle, et moi, tu n’aurais pas que des chats pour te tenir compagnie. » Il lui fit un petit sourire tendre avant de lâcher son menton et de venir lui faire un baiser sur le front. « J’aurai pas du te demander ça, excuses moi, gifles moi si ça peut te faire du bien même. » Il osa un petit rire, montrant qu’il fallait qu’ils passent à autre chose maintenant. Ce n’était pas le bon moment, pas le bon endroit pour en parler surement non plus.

Ezra avait vu juste avec ses derniers mots. Au moins, un sourire était réapparu sur le visage d’Amelia, c’était déjà un bon point. Il n’aimait vraiment la voir avec un visage triste, elle ne méritait pas d’être triste. C’était le genre de personne qui méritait uniquement du bonheur à ce moment de sa vie, elle avait déjà eu assez d’emmerdes dans les années qui s’étaient écoulées - Ezra avait été là pour témoigner. « Dis pas n’importe quoi.. Ce n’est rien, c’est moi.. Et merci d’être là. Vraiment. Je veux.. Je veux juste danser en fait. » « Ok, alors dansons demoiselle ! » Si elle voulait danser, c’était la moindre des choses qu’il l’accompagne. Après tout, c’était à cause de lui qu’elle avait besoin de chasser certaines idées qui avaient pu venir lui parasiter l’esprit. Il se devait de palier à sa connerie. Amy vint alors se blottir dans des bras, et ils reprirent le slow qui continuait de jouer en arriver plan. Ils restèrent pendant un bon moment comme ça, mais ça convenait à Ezra. Au moins, il se sentait utile pour la jeune femme, il savait qu’il faisait quelque-chose de meilleur pour son moral. Et puis, sa compagnie n’était pas désagréable. Ca lui faisait penser, lui, à tous ces moments qu’ils avaient pu passer ainsi, blottis dans les bras de l’autre. Il avait l’impression d’ailleurs que ça faisait un bon bout de temps qu’ils ne s’étaient pas accordés un moment privilégié de la sorte. Certes, dans un bar à danser, ce n’était pas le meilleur scénario possible, mais ils étaient bien dans leur bulle. Au bout d’un moment, Amelia vint repasser ses bras autour du cou d’Ezra, qui comprit rapidement qu’elle devait s’être un minimum remise de sa boulette. Ils continuèrent de danser en se regardant les yeux dans les yeux, comme si rien autour d’eux importait encore. Les personnes qui ne les connaissaient pas auraient rapidement conclu que c’était un jeune couple qui passait une soirée tranquille en amoureux. Et pourtant, ce n’était rien de tout cela. Les paroles qu’Amelia était sur le point de prononcer allaient renforcer le jugement des étrangers, mais c’est avec un sourire qu’Ezra les reçut. « Je t’aime, tu sais. » « Moi aussi ma caille. Tu sais aussi. » Ezra savait que l’alcool altérait les inhibitions, et que dans une situation où ils auraient été sobres, ils ne seraient sûrement pas dit ce genre de choses. Ca ne changeait en rien le fait qu’ils les pensaient, mais ils étaient trop pudiques en temps normal pour se l’avouer. Le baiser que vint ensuite déposer Amelia sur sa joue ne le laissa pas plus perplexe que ses paroles. Ezra savait que quand elle avait bu, elle devait affective. Il n’allait pas s’en plaindre, voir qu’on comptait pour quelqu’un, même si cette personne était alcoolisée, ça mettait toujours du baume au coeur. Cependant, l’ambiance changea assez rapidement lorsqu’elle vint coller son front contre celui du jeune homme. Ezra ne saurait dire comment il savait qu’elle avait changé, l’instant ou le ressentit exact, mais c’était là, c’était évident. Ou peut-être était-ce d’abord ce regard long qu’ils échangèrent, cette proximité plus que normale qu’ils avaient, cette façon qu’avait eu Amelia de fermer les yeux… Alors, lorsqu’elle vint déposer ses lèvres sur les siennes, Ezra mit quelques secondes avant de comprendre ce qu’il se passait. C’était comme si le temps s’était arrêté, comme s’il ne savait pas ce qu’il devait faire, comment il devait réagir, ce qui était bien ou mal dans cette situation. Amelia avait toujours été sa meilleure amie, il n’avait jamais eu aucun doute là-dessus. Il ne l’avait même jamais envisagé comme quelque-chose d’autre, qu’elle puisse devenir quelqu’un d’autre pour lui. Malgré tout le temps qu’ils passaient ensemble, malgré les aventures rocambolesques qu’ils avaient eu dans leurs vies et qu’ils avaient partagé. Malgré tout ça, il ne l’avait imaginé comme autre chose, quelqu’un de désirable à souhait, à côté de lui, tout juste là. Quelqu’un avec qui il pourrait, par exemple, partager un baiser. Et pourtant, c’était ce qui était en train de se passer. L’alcool a le dos large, tout le monde le sait, et Ezra le prenait savait très bien d’y prendre pour le rendre responsable de certains de ses actes. Ce soir encore, il dira que c’était à cause de l’alcool, à cause du mauvais temps ou d’une cacahuète avalée de travers. Il n’avouerait jamais qu’il l’avait fait de son plein grès. Alors que la jeune femme, après être restée collée à ses lèvres tendrement pendant un long instant, s’était reculée légèrement, les neurones d’Ezra arrêtèrent d’essayer de comprendre la situation. Et comme par réflexe - mais surtout par envie non avouée -, il attrapa le poignet de la jeune femme pour la ramener de nouveau près de lui, la coller même tout contre lui. Et il pencha alors sa tête pour venir cette fois ci l’embrasser elle, de son initiative à lui. Cette fois ci, contrairement à la tendresse avec laquelle Amelia venait de faire ça, il vint embrasser la jeune femme avec plus de fougue. Un baiser légèrement plus bestial, celui qui vous coupe assez rapidement le souffle et qui peut ne jamais s’arrêter si les deux protagonistes n’ont pas envie d’en rester là. Tenant le visage d’Amy en coupe, ils restèrent ainsi un temps qui lui sembla si court et si rapide à la fois, au beau milieu de ce bar qui avait connu toutes leurs joies et leurs peines de jeunes adultes en devenir. Plus de doute, pour toutes les personnes présentent autour d’eux, c’était un couple. Et c’est de quoi il avait l’air en ce moment même. A partir d’un moment, et Ezra ne saurait encore une fois dire lequel, le jeune homme dut avoir un éclair de génie qui lui fit comprendre que ce qui était en train de se passer était  mal. Très mal. Vraiment pas bien du tout, et surtout vraiment pas normal. A quel moment il en était sciemment venu à embrasser sa meilleure amie ? Surtout, pourquoi ? Il savait pertinemment qu’il n’avait aucun sentiment amoureux pour elle, que ce qu’il ressentait c’était de l’amitié - la plus dure qu’il soit, mais de l’amitié tout de même. Cette intimité n'avait donc aucune raison d'être. Comme s’il venait de recevoir un électrochoc, Ezra s’écarta alors d’un coup d’Amelia, lâchant rapidement par la suite son visage. Quelques secondes de silence planèrent autour d’eux. Il se devait de dire quelque-chose, faire quelque-chose, n’importe quoi mais ils ne pouvaient pas rester tous les deux comme ça comme deux idiots à ne rien faire. « Ok… » Ezra se chiqua l’intérieur de la joue. Boulet, boulet, boulet. Ou comment ne pas se sentir mal à l’aise du tout non, c’était absolument le meilleur exemple qu’on pouvait donner. Il se sentait tellement mal à l’aise qu’il finit par détourner son regard de la jeune femme. Mais bordel, qu’est-ce qu’il venait de faire au juste ? A part la plus grosse connerie de sa vie ? Il se passa alors une main sur son visage, avant de partir tout aussi brusquement en direction du comptoir. Il y jeta quelques billets qui trainaient dans sa poche - et qui feraient largement l’affaire pour payer leurs consommations. Se retournant une dernière fois vers Amelia, honteux jusqu’aux bouts des oreilles, il réussit à prononcer une seule phrase. « Je… Je rentre chez moi, je t’appelle plus tard. » Il l’avait prononcé sur un ton froid et très distant, alors qu’il ne prenait jamais ce comportement quand il était avec elle. Mais là, c’était comme s’il n’avait pas le choix. Enfilant rapidement sa veste, il soupira avant de se diriger en direction de la sortie du bar.