« Dix, neuf, huit... » Et voilà, je ne suis plus qu'à quelques secondes d'entrer dans l'année 2016. Qu'est-ce que ça me fait ? Pas grand chose. Bien sur j'ai le cœur lourd de ce qu'il s'est passé cette année. Les questions sont nombreuses et la première concerne, comme chaque année, Emily. Si l'on me demandait quel est le vœux que je souhaiterai voir se réaliser, ce serait de voir ma meilleure amie à nouveau sereine, sans l'ombre de ses fantômes dans ses yeux. « Sept, six, cinq... » Tout les fêtards se sont regroupés sur la magnifique plage de Brisbane. A présent le décompte est psalmodié par tous et cela crée presque une entité vivante : le son naît des cordes vocales de chacun puis se mêle aux autres afin de former un ensemble homogène qui grossit, grossit et grossit encore jusqu'à monter vers les cieux. Sublime.
Il y a une petite brune aux cheveux clairs à quelques mètres, celle-ci semble également seule – ou avoir, comme moi, perdu son groupe dans le chaos général – à cinq secondes à peine du nouvel an. Les couples se rassemblent, les amis se regardent et se tendent pour se préparer à l'explosion finale, les plus âgés sont plus modérés mais s'amusent de leur coté. « Quatre, trois... » L'alcool aidant, je me rapproche lentement de la brunette, oubliant toutes mes inhibitions passées. Bah quoi, c'est le nouvel an, nous sommes sur une plage où tous font la fête, pourquoi ne pas en profiter ? Dans le pire des cas, elle me gifle. Dans le meilleur... eh bien, dans le meilleur je ne finirai pas la soirée seul. « Deux, un... » Ca y est : les yeux de tous pétillent tandis que les amoureux se penchent l'un vers l'autre pour... s'embrasser langoureusement, pour bien débuter l'année. Pas possible que je sois en reste... non, vraiment, je ne veux pas commencer 2016 comme ça.
« Zéro, bonne année ! » ENFIN ! Le cri d'allégresse résonne partout et irradie mon cerveau avec bonheur. Je me sens comme allégé d'un poids : une nouvelle année, c'est débuter sur de nouvelles bases, recommencer à zéro, … c'est une chance qu'on offre à tout le monde une fois par an. Celle d'oublier les démons du passé et de se recentrer sur le présent. Peu y arrivent, malheureusement. A minuit pile je décide de vivre cet instant, le présent, et regarde le visage de ma voisine une microseconde avant de – sur un coup de tête – poser mes lèvres sur les siennes, lui offrant ainsi un baiser dont j'espère qu'elle se souviendra longtemps. Je mets toute la passion dont je suis capable dans ce baiser, toute la colère mais aussi toute la joie que je ressens. Tout se mêle dans mon esprit confus. Lorsque je me recule un peu, je vois distinctement le visage de ma camarade pour la première fois. Le choc est immense. Il s'agit d'Emily. Pas une Emily quelconque : mon Emily, l'intrépide Bush. « Merde ! » Le juron m'échappe avant que je ne puisse le refréner. Je passe une main devant ma bouche en signe de surprise. « Emily ? » Remarque totalement inutile : je sais que c'est elle. « Je suis... je suis désolé, vraiment, je ne t'avais pas reconnue. » En fait je ne suis pas désolé. Loin de là.
Ethan & Emily « A new year is coming. How are we supposed to feel ? » Des mains. Tout ce qu’Emily était capable de distinguée était des mains. Certaines tenaient les boissons de leur propriétaire alors que d’autres lui bloquaient le passage lorsqu’elle essayait de se séparer de la foule pour respirer un peu. Pleins de gens étaient réunis sur cette plage de la ville de Brisbane pour célébrer le nouvel an. Emily avait tenté d’inviter sa sœur jumelle à l’accompagner, mais comme celle-ci avait d’autres plans, elle décida d’y aller par elle-même. Histoire de ne pas recommencer la nouvelle année seule à l’appartement. Elle croisa quelques visages connus, mais comme elle est de retour que depuis quelques temps et qu’elle ne fut pas des plus sociables, elle préférait vagabonder d’une personne à une autre.
Cependant, nouvelle année ne voulait pas nécessairement dire, tout changer. Comme la plupart des jeunes sur la plage, Emily n’en était pas à son premier verre. Ce qui explique son besoin de s’éloigner un peu. S’était déjà un gros avancement pour elle de pouvoir garder un emploi pour plus que quelques mois, elle comptait sur cette progression pour continuer petit à petit. D’ailleurs, ces relations avaient recommencé à se ressouder. Tranquillement, elle laissait les autres se rapprocher d’elle. Par contre, ce soir, elle avait envie de ne plus penser, de pouvoir être complètement libre de ses pensées et de ses sentiments et l’alcool l’aidait à lui apporter ce besoin.
Elle calla donc la dernière gorgé de son verre et elle se mit à crier en chœur avec les autres fêtards le décompte si attendue en cette veille du premier jour de l’année : « 10,9,8… ». Emily ferma les yeux et laissa l’air frais venir jusqu’à elle, la seule sensation qu’elle avait besoin présentement. « 7,6,5,4,3,2,… » Alors qu’elle s’apprêtait à crier avec les autres, quelque chose lui retenu les lèvres. Il eut un délais avant qu’elle comprenne ce que s’est. Une nouvelle sensation, quelque chose de plus passionné que le vent sur sa peau, quelque chose qui voulait essayer de s’exprimer. Emily resta dans cette position pour une couple de seconde maintenant. Elle avait été trop surprise pour réagir sur le coup. Maintenant qu’elle s’était laissée aller au plaisir des sens, elle laissait celui-ci s’embraser. Les lèvres qui capturaient les siennes avaient donné à Emily la liberté qu’elle recherchait pendant un instant avant que, finalement, le visage de ce transmetteur d’émotions se montre et s’identifie dans la tête d’Emily. Ethan. « Merde ! … Emily ? » La première chose qu’Emily se demandait s’était pourquoi son meilleur ami avait-il fait cela ? « Je suis désolé, vraiment, je ne t’avais pas reconnue. » Bouche bée, tout ce qu’Emily réussi à formuler c’est un « Ethan ? ». Elle le regarda attentivement, ces traits donnaient l’impression qu’il était tout aussi surpris qu’Emily parce qu’il venait de faire. Pour ne pas avoir à penser, c’était maintenant gâché ! Elle le regarde froidement comme elle le faisait depuis un long moment maintenant. Les souvenirs qu'elle partageait désormais avec Ethan n'étaient plus empreint de joie et d'amour comme ils l'ont jadis été, mais de craintes et d'angoisses. Elle s'est promise d'essayer de repartir à nouveau pour cette nouvelle année, tâcher de vivre sa vie au lieu d'en avoir peur à cause de son passé dans les SEALS. Maintenant que c'est fini, les souvenirs doivent rester derrière et il est temps de recommencer. Le baiser d'Ethan, bien qu'il l'ait surprise et choqué, lui a plu.
Elle remarque la distance qu'elle avait mise entre leur corps, puis lève les yeux vers son ami. Son visage n'avait pas changé, il exprimait toujours la même surprise qu'elle avait lu sur son visage lorsque leurs lèvres se sont séparées. Plusieurs questions lui passaient par la tête. Pourquoi l'avait-il embrassé? Savait-il que s'était elle? Mais Emily décide de toutes les repousser pour se fier à son instinct. Son instinct qui est la seule chose qui ne l'avait pas déçue à ce jour. Elle décide de le suivre et de profiter de ce petit instant de bonheur qu'Ethan lui avait permis de vivre, le premier depuis longtemps. Emily s'avance et sans perdre le moindre instant presse ses lèvres sur celles d'Ethan. Rallongeant ce plaisir d’un petit moment.
Je perçois le moment exact où elle me reconnaît, celui où ses narines frémissent et ses yeux s'écarquillent. Avant, ça ne nous dérangeait pas tant que ça. Faire l'amour, s'embrasser, se câliner, se reposer dans les bras l'un de l'autre... ce n'était pas une habitude pour autant, ce n'est arrivé que quelques fois et pourtant ça a bouleversé ma vie sexuelle. Elle était la première... alors forcément. Mais depuis que la jeune demoiselle a refait surface j'ai la désagréable sensation de nager dans des eaux troubles. J'ai même eu une panne, sérieusement ! Pas une panne de voiture, non. Ç’aurait été tellement mieux ! Une panne, juste comme ça, au moment de conclure avec une magnifique blondinette. Elle a plutôt bien réagi elle, mais moi qui voyait ma fierté remise en jeu, j'ai flippé. Depuis je n'essaie même plus d'approcher des femmes qui m'attirent habituellement, sauf ce soir où cette envie s'est de nouveau manifestée. Emily parasite mes pensées les plus intimes, et pour moi c'est un problème. D'abord parce que c'est ma meilleure amie, ensuite parce que ce serait une mauvaise idée de coucher l'un avec l'autre quand on sait tout ce qu'il s'est passé dans les grottes afghanes.
Mon esprit est encore sous le choc et englué dans une colle forte et compacte, et ce que fait Emily n'est pas pour arranger les choses. Putain, est-ce qu'elle... ? Oui, elle est bien en train de m'embrasser avec ferveur. Ça a le don d'annihiler toute pensée et je passe la main derrière sa nuque pour caler son visage contre le mien, traçant des cercles du pouce en un mouvement apaisant. Le reste du monde s'évapore tandis que nous nous étreignons comme autrefois. Puis ce moment d'intimité se termine à cause d'un fêtard qui a sans doute trop picolé. Il nous bouscule, nous déstabilisant en même temps. Finalement j'ouvre les yeux et secoue un peu la tête pour remettre mon cerveau à l'endroit. « Ah... » je pousse un son étranglé, cherchant quoi dire. Mes yeux se plantent dans les siens et je regarde à droite puis à gauche avant de prendre sa main pour l'emmener près d'un arbre où tout est calme, ce qui contraste de beaucoup l'ambiance dynamique de la plage. « Pourquoi t'as fait ça Emi' ? » je lui demande un moment après. Les questions se bousculent dans ma tête et c'est bien la première d'entre elles. C'était agréable mais nous faisons peut-être une connerie après tout, je ne veux pas la pousser dans une voie sans issues. « C'est pas que je n'ai pas aimé mais... je ne t'avais pas reconnue et puis... là, soudain, ça m'a sauté aux yeux. On ferait mieux de ne pas trop tenter le diable, tu ne crois pas ? » Mon regard se pose sur ses lèvres pulpeuses, sur ses joues rosie et le cou où son cœur bat rapidement. Elle est belle, magnifique même. Adolescent, je suis certain que tout les mecs me jalousaient d’être constamment avec une fille comme elle. Encore maintenant, d'ailleurs.
Ethan & Emily « A new year is coming. How are we supposed to feel ? » Les vapeurs de l’alcool se faisaient ressentir dans la tête d’Emily. Elle avait placé ses mains sur les hanches d’Ethan et avait eu l’impression de perdre le contrôle en ressentant la pression des mains de son partenaire sur son visage. Cette pression qu’il exerçait avec ses mains pour la rapprocher de lui durant les quelques fois qu’ils s’étaient laissés aller aux plaisirs physiques. Cependant, la passion ne faisait pas vraiment partie de la vie d’Emily ces derniers temps. Les quelques fois où elle s’était tannée de repousser tout le monde, elle choisissait quelqu’un pour faire passer le temps tout en prenant soin d’éloigner toute trace émotionnelle.
L’étreinte s’était vite arrêtée par quelque chose qui bouscula les deux. Emily qui essayait de se remettre droite garda les yeux fermés et prit sa tête entre ses deux mains. Oh non, qu’est-ce qui lui avait pris ? Elle décida quand même d’ouvrir ses yeux et d’affronter le regard d’Ethan, à la fois interrogateur et chamboulé. Elle essaya de trouver une excuse, mais rien ne lui venait à l’esprit d’assez plausible pour la situation en cours. Elle se fit alors couper le fil de ses pensées par la main d’Ethan qui l’entraina plus loin devant un arbre, un peu plus loin de tous les cris de réjouissance qui se faisaient entendre sur toute la plage. Elle essaya de se concentrer sur ce qu’Ethan disait. Elle arrivait à capter le message général, mais était toujours en train de chercher un moyen de sortir de cette situation avant de se mettre à paniquer pour de bon. «hum, je suis désolée.» Réussit-elle à formuler brièvement en essayant de cacher son malaise. Elle n’était certainement plus elle-même à ce moment étant donné ses réactions envers lui. Peut-être avait-elle trop bu sans s’en rendre compte après tout ? Pourquoi donc l’aurait-elle embrassé alors que seule la vue d’Ethan lui rappelait son traumatisme ?... Peut-être avait-elle enfin craquée et méritait-elle d’être enfermée ? Non. Elle était enfin sur le chemin de la stabilité. Ce serait vraiment une imbécilité de devenir folle maintenant. Elle pensa à s’échapper de cette situation de la façon qu’elle connaissait le mieux, c’est-à-dire de s’enfuir sans explication. Elle savait, cependant, que, cette fois-ci, cela n’aurait sûrement pas fonctionné. Il fallait qu’elle recommence à assumer ce qu’elle faisait, chose qu’elle avait l’habitude de faire plus jeune. Plus jeune ou plutôt lorsqu’elle possédait encore cette ignorance/innocence.
Je ne crois même pas à ses excuses malgré la conviction qu'elle essaie de mettre dans sa voix. Putain, elle m'a embrassé ! Ce n'est pas comme si c'était une erreur, comme ce qui s'est passé il y a quelques secondes. Je ne savais pas que c'est Emily qui se cachait sous cette ravissante chevelure couleur noisette, elle était pour moi la première à apparaître en cette nouvelle année et j'ai foncé comme un benet. Quelle probabilité y avait-il que ce soit quelqu'un que je connaisse ? Sur les deux millions et quelques d'habitants que compte Brisbane il a fallu que ça tombe sur Emily, nous mettant dans un profond malaise. Cependant le malaise n'a pas duré, elle m'a embrassé en retour. Un acte délibéré, choisi. Je n'étais pas un mec lambda mais bien Ethan. Son coéquipier, son meilleur ami, son premier amant... tout me revient en pleine figure. Je réponds à son baiser avec d'autant plus d'ardeur et tant pis pour ce que ça coûtera.
«Écoute, peut-être que nous pouvons faire comme si de rien était et reprendre où nous en étions chacun de notre coté ?» finit-elle par dire après que nous nous soyons légèrement écartés, reprenant notre souffle et nos esprits du même coup. Je déteste ressentir cette petite pointe d'amertume qui me dit que ça me fait bien quelque chose. Je devrais être impassible, ne rien en avoir à foutre, pourtant je voudrais rétorquer tout de suite et l'emmener dans un coin pour bien lui montrer que ce n'est pas « comme si de rien n'était ». Sauf que je ne suis pas cette bête sauvage, cet homme de cromagnon qui laisse ses pulsions le diriger. Les femmes disent souvent que nous, les hommes, sommes dirigés par notre pénis. En ce moment, rien n'est plus vrai. Et Emily n'a pas besoin de ça après tout ce qu'elle a vécu. Moi-même je ne saurais pas comment je réagirais en la tenant à bras le corps, comme je l'ai fait dans cette grotte afghane. Ces souvenirs sont très bien là où ils sont, enterrés au fin fond de ma mémoire. « Ouais... » dis-je pour me donner une contenance, le temps de réfléchir à autre chose. Je suis encore soufflé de ce qui vient de se passer même si ça n'a pas duré longtemps. « Euh... nan.... je veux dire, non. On ne va pas faire ça. » Le ton est donné, je secoue la tête pour lui signifier que je ne suis pas d'accord et je passe ma main sur son épaule. « Tu ne voudrais pas venir chez moi, qu'on en discute ? » Associant le geste à la parole je l'amène dans un coin où l'attroupement est moindre, et me dirige vers mon immeuble.
Je suis désolée, j'ai passé du elle au je, j'espère que ça ne te dérangera pas trop...
Je n’ai pas le temps de souffler de soulagement qu’Ethan change rapidement de décision et insiste pour ne pas terminer la situation tel quel. Il n’y avait pourtant rien à redire, Je ne sais pas ce qui m’a prise. Cependant, je sais que je ne regrette pas vraiment ce choix précipité et totalement inattendu. Ses lèvres sur les miennes étaient douces et avait envoyé une décharge qui avait déclenché une pulsion à laquelle j’ai voulu assouvir en l’embrassant à nouveau. J’avais toujours aimé les caresses d’Ethan. Il avait su me mettre à l’aise dès la première fois et aujourd’hui ça me revenait en tête. Mes pensées sont probablement aussi confuses que les siennes présentement même si je tentais de faire croire le contraire.
« Tu ne voudrais pas venir chez moi, qu'on en discute ? » avait-il dit en m’entraînant plus loin. Je le suis tout en étant mal à l’aise face à la proximité. Qu’était-il arrivé du ne "tentons pas trop le diable" ? Après ce qui venait d’arriver devant tous les gens présents sur la plage, j’avais du mal à nous imaginer seuls dans une pièce sans que ces pulsions reviennent faire des ravages dans ma tête.
« Si tu veux que discuter, va falloir trouver une autre place, sinon le diable manquera pas l’appel… » Je répond en me remettant face à lui. Son immeuble était le même que le mien et il habitait l’appartement à coté et pourtant, je ne le croisais pas. Cela réduisait le risque de moment gênant ou j’essaie de chercher une excuse pour ne pas rester près de lui puisque sa présence n’est pas dérangeante, mais intimidante et elle avait toujours cet effet sur moi que je n’appréciais pas du tout de ne pas contrôler. « Ethan, je t’ai dis que je m’excusais, je vois pas ce que je peux te dire de plus… Si tu veux savoir si j’ai aimé, alors la réponse est oui et je recommencerai là, juste pour ce que ça m’a fait ressentir, mais tu l’as dit et je suis d’accord que ce ne serait probablement pas une bonne idée. » Déballais-je à une vitesse anormale. Lorsque je repris mes esprits, mon visage était devenu écarlate et je soupirais, désespérée de moi-même qui en avais probablement trop dit. Je baissai mon regard légèrement vers le sol et regardai mes souliers. J’avais qu’une envie et c’était de m’enfuir pour ne plus avoir à faire face à cette situation.
« Si tu veux que discuter, va falloir trouver une autre place, sinon le diable manquera pas l’appel… » Je tourne brusquement la tête vers elle car je ne suis pas sur de bien comprendre ce qu'elle veut dire. Quoi que c'est assez clair... mais je n'aurais jamais pensé entendre ces mots de sa bouche en ce moment. « Est-ce que tu proposes... » Je n'ose pas finir ma phrase de peur – ou d'envie – de confirmer ce que j'ai cru comprendre. Ce serait bien trop gros, bien trop énorme et époustouflant pour que ce soit réel. Pourtant la brunette m'a embrassé de son propre chef tout à l'heure et continue de nous porter sur cette voie sans que je ne l'en empêche vraiment. C'est le jeu du chat et de la souris, ce truc !
La suite me donne encore matière à réfléchir, elle a aimé, voudrait recommencer, mais est d'accord sur le fait que ça ne devrait pas se reproduire. Waouw... Si elle pensait vraiment ça, elle se serait enfuie à toute jambe, non ? Je ne sais pas. Et je déteste être dans l'ignorance : ne pas savoir, se sentir impuissant face au destin, ça me tue. En Afghanistan je me sentais comme si rien de ce que je ferais ne pourrait la sauver. J'en venais à penser qu'il faudrait que je me sacrifie pour qu'elle vive, avant de me rendre compte à quel point c'était stupide puisque nous allions mourir de toute façon. Au bout d'un mois je n'aspirai qu'à ça. La mort était plus digne que de vivre cet enfer chaque jour et j'avais abdiqué toute raison de vivre, espérant chaque jour que la faucheuse me prendrait. Mais il y avait Emily. La jeune femme était bien plus forte que ce que je pensais. Cet élan de protection que je ressentais n'était bon pour personne car il brouillait mes émotions. Dangereuse combinaison pour un SEAL captif.
Ces souvenirs douloureux font surface en une seconde à peine, mon regard voilé laisse sans doute paraître la souffrance qui m'a habité pendant cet instant, avant que je ne reprenne définitivement le contrôle de mes émotions. « Okay. Alors viens, on a qu'à aller à mon appart' et démêler tout ça. » Le premier de l'an je me doutais qu'elle avait bu, comme moi, quelques verres. Mon appartement – et celui de son frère – n'étaient pas très loin et en une dizaine de minutes nous nous retrouvames devant la porte. Je composai mon code sur le clavier extérieur, celui qui était relié à une des dernières technologies en terme d'alarme – car en étant flic et ancien militaire, la sécurité n'a pas de prix. « Tu veux entrer ? » je lui demande avec une question sous-jacente dans les yeux. Nous avions ce truc qui permettait de nous comprendre en un seul regard. C'est ce qui faisait notre force en mission, puisque le silence était de mise la plupart du temps. Aujourd'hui je prie pour que ce truc n'ai pas disparu et qu'elle comprenne bien que je ne lui demande pas simplement si elle veut entrer, mais plutot si elle va en accepter les conséquences – quelles qu'elles soient. Peut-etre n'y aura-t-il rien, ou peut-etre pas. En tout cas nous avons un sacré paquet de questions auxquelles il fait répondre.
J’avais sorti ces mots à une vitesse hallucinante et je regrettais déjà de déballer tout ce qui me passait par l’esprit. Ce n’était pourtant pas mon genre de me laisser aller de la sorte. J’ai plutôt l’habitude de garder tout ce que je pense pour moi-même. J’avais cru pendant une seconde que si j’étais complètement honnête il allait laissé tomber l’affaire, mais j’ai eu tord. De toute façon, ce n’est pas son genre d’abandonner aussi facilement, le contraire m’aurait surprise. Avant même que j’aille le temps de reprendre mon souffle, Ethan enchaine : « Est-ce que tu proposes... » À vrai dire, je n’avais rien proposé, j’avais repris ses propres mots et maintenant, il interprète autrement ce que je venais de dire. On aurait dit que cette proposition lui avait fait peur vu son regard brouillé, mais il était vite revenu à lui-même. C’est lorsqu’il propose d’aller à son appartement pour une seconde fois de la soirée, que mes doutes furent confirmés.
Je le suivais quand même – ou plutôt – mes jambes avaient décidés de le suivre alors que ma tête ne savait plus quoi penser. J’avais l’impression que ma tête tournait à des miles à l’heure essayant de chercher à quoi ça allait nous mener. Je ne savais toujours pas qu’est-ce qu’il voulait démêlé et ce qu’il attendait de plus avant qu’on arrive devant sa porte. Je regardai vers la porte de l’appartement de mon frère, me disant que je suis près et que j’avais toujours le choix de partir si je veux. Pour une quelconque raison, mes jambes sont fixés au sol et mon regard dans le sien lorsqu’il me demande si je veux rentrer. Je sais ce que ça implique si j’accepte. Je sais qu’il y avait des risques que je n’arriverais peut-être pas à tenir face à cette tension qui s’était crée au cours de la soirée. Cependant, je sais aussi que je lui dois des explications. Depuis mon retour, j’avais évité de lui parler et de le croiser. À chaque fois que c’était arrivé par hasard, les mauvais souvenirs refaisaient surface. Et puis, ce soir, je l’embrasse comme si ma vie en dépendait. Cependant, je ne suis pas la seule à devoir en fournir, lui aussi. Même si j’étais celle qui avait fait les premiers pas pour l’embrasser de nouveau, il avait répondu de la même façon. Dans tous les cas, est-ce que je voulais vraiment en parler ? Et puis, d’ailleurs, de la façon dont s’est fini notre discussion, je ne suis pas sûre que de s’expliquer fasse encore partie du deal. Je n’étais en fait plus sûre de rien, ce qui m’agaçait un peu.
Je le regardai ces yeux qui me scrutaient attendant ma décision. Ses yeux, qui, étaient à la fois beaux à s’y perdre, mais aussi perturbants par toutes les images – ou plutôt – les souvenirs que l’on pouvait voir. Je ne pouvais pas m’enfuir, pas à nouveau. Ce serait repousser le malaise à plus tard. De plus, je m’étais promis d’arrêter de m’enfuir. Je lui fis un signe de tête pour qu’il ouvre la porte. Autant que les choses se fixent maintenant. Il fallait que je commence à assumer mes choix dans la vie.
Je rentrai donc dans son appartement, avant lui, quand je l’entendis fermer la porte derrière moi doucement. J’inspectais les lieux. C’était la première fois que je venais ici. Ce n’était pas étonnant de voir que la structure était fait de la même façon que celle de l’appartement de la porte d’en face, mais j’avais l’impression de le voir un peu partout dans de simples petites choses. Je me retournais vers lui, ne sachant pas trop vers où me diriger. Pour finalement, me retourner et avancer vers son salon. En regardant les quelques photos ou tout ce qui pouvait se rattacher à lui qui me rappelle ce que je connaissais de lui. J’étais restée silencieuse, même si mon cœur me dit que j’étais prête pour cet affront. Ma tête, qui est l’organe que j’écoute le plus entre les deux, n’avait pas envie de prendre les devant et était encore sceptique face à cette situation.
- Avant tout chose, ça te dérange si je me prends un verre d’eau ?
J’avais accompagnée la parole aux gestes et m’était tranquillement dirigée vers la cuisine. L’alcool m’avait déshydraté en plus de toute cette tension qui se propageait à l’intérieur de moi qui m’exténuait.
- D’ailleurs, tu devrais en prendre un toi aussi ou un autre verre d'alcool,au choix, mais ce ne serait pas conseillé.
Emily investit mon appartement, comme si elle le connaissait déjà. Mais elle le connaît déjà, tout du moins elle en a une réplique exacte chez son frère. Si quelque chose se passe mal je suis heureux qu'elle n'ait que quelques pas à faire pour se sentir en sécurité, j'espère toutefois que la fuite ne sera pas nécessaire. Je ne vais pas la manger, après tout. Sa présence envahit chaque parcelle du logement comme si elle déployait une aura chaleureuse. « Avant tout chose, ça te dérange si je me prends un verre d’eau ? » Sa question m'étonne. Un verre d'eau ? Je hoche la tête en fronçant les sourcils. Elle n'a pas attendu mon approbation pour se servir, elle connaît le principe. « Vas-y, tu sais que tu n'as pas à te gêner ici. Fais comme chez toi. » fais-je plus pour la forme que pour le fond. Quelque part, j'aime la voir investir mon espace comme si c'était le sien. J'aime l'avoir ici, chez moi., comme deux vieux amis. Si elle avait peur elle ne se serait pas permise de se servir alors c'est bon signe. Fut un temps où j'envisageai de prendre une colocation avec elle. A partir du moment où j'ai quitté la maison familiale, lors de ma formation, j'ai voulu mon indépendance totale. Mes frères me voulaient dans leur entreprise, moi je voulais parcourir le monde en tant que SEAL, voir ce que l'humain pouvait faire de mieux ou de pire. Lors des permissions j'aimais rester seul un jour ou deux. Malgré cela j'aurais adoré qu'Emily et moi habitions au même endroit. Au moins nous aurions économisé en déplacement quand nous nous voyions pour une soirée télé, match, ou un cinéma, une sortie avec l'équipe... Un jour peut-être. « D’ailleurs, tu devrais en prendre un toi aussi ou un autre verre d'alcool,au choix, mais ce ne serait pas conseillé. » Je rêve ou elle vient de me conseiller de boire de l'eau pour faire tomber la cuite ou l'atténuer ? « On croirait entendre ma mère. » je ris allègrement. « Mais t'as probablement raison. » Même si je ne crois pas que quitter cette ivresse soit vraiment génial. L'ivresse, ça aurait pu me servir d'excuse pour ce qui risque de se passer ou les paroles que je prononcerai. Est-ce que ça ressemble à une fuite ? Oui, j'aurais pu me cacher derrière les verres d'alcool pour expliquer n'importe quoi. Manque de bol, je n'en ai pas bu suffisamment pour me prendre la cuite du siècle. Je m'avance vers elle, l'imite et bois une gorgée d'eau. C'est bien moins bon qu'un verre de whisky, presque fade. En même temps, c'est de l'eau... je ne sais pas ce à quoi je m'attendais. Pour rendre l'eau plus attrayante je l'aromatise avec du sirop de pèche. « Henri m'a dit que tu vivais chez lui. Ça se passe bien ? » je demande pour gagner du temps.
La gorgée d’eau prise venait rafraichir mes idées et calmer mes pulsions cardiaques qui n’avaient pas cessés de grimper depuis que je suis rentrée dans l’appartement ou, plutôt, depuis qu’Ethan était entré dans le décor de ma soirée. Être avec lui présentement était moins douloureux que je l’aurais imaginé, mais de savoir que je n’arrivais pas à me sentir totalement en sécurité en ce moment m’empêchait de bien réfléchir. La question qui me passait le plus souvent en tête est : à quel moment ce changement s’est fait ? À quelle moment de ma vie, la présence du garçon, qui autrefois représentait le monde à mes yeux, est devenue une nuisance pour ma santé mentale ? La réponse pouvait sembler évidente, mais pourtant je persiste à croire que tout ce qui m’arrive ne peut pas être relié qu’à ce dramatique passage. Il n’avait rien fait pour que je me sente ainsi. À l’opposé, il avait tout fait pour que je me sente protéger durant cet interminable moment. Alors, je n’avais aucune excuse pour ne pas me sentir tout à fait à l’aise à ses cotés, mais pourtant c’était plus fort que moi et ça m’agaçait. D’où les raisons pour lesquelles je m’étais tenue à l’écart quand je suis revenue dans la petite ville d’Australie.
« On croirait entendre ma mère » avait-il dit ce qui a eu pour effet de me sortir drastiquement du questionnement qui pesait sur mes épaules. Je me retournais vers lui alors qu’il laissait échapper un rire. Ce son qui sonnait bien à mes oreilles, qui était rassurant dans un sens. Sa remarque me fait sourire. Je n’avais pas l’intention d’agir ainsi et je suis la dernière personne à qui faudrait écouter les conseils d’ailleurs, mais c’est ce qu’il fit. Le fait qu’il ait rajouté du sirop de pêche dans son eau décroche un rictus à mes lèvres. Je m’étais habituée à l’eau pur et simple puisque c’était notre breuvage principal en mission. Peut-être s’était-il lassé ? Pourtant je ne fis aucune remarque, même si l’envie de le taquiner me tente vraiment. La peur que ce ne soit plus comme avant ou, encore, que l’ambiance devienne embarrassante, même si elle l’était déjà légèrement, m'avait arretée. Une question s’ensuivit de sa part qui m’indiquait qu’il avait parlé à mon frère récemment. Étonnant. J’aurais cru qu’Henry ne lui parlait plus parce qu’il avait cette tendance à mettre tout sur le dos du jeune homme. Je soufflais avant de répondre : « Il a plusieurs choses à gérer de son côté et il ne cesse de vouloir jouer le babysitteur avec moi plus qu’avec sa propre fille. Sinon ça va » Pourtant, je m’étais efforcé de lui cacher le plus possible mes rechutes et de lui montrer que les bons côtés, ceux où je mettais le plus d’effort possible pour sortir et faire semblant que les activités proposés par d’anciennes rencontres m’intéressaient vraiment. Il devait arrêter de toujours s’inquiéter, même si ça avait un but protecteur, ça m’irritait. Je repris une inspiration avant de continuer : « Toi, ça va ? » Gagner du temps. C’était peut-être ce que j’essayais de faire. Éviter de rentrer dans les détails plus sérieux qui commençaient à me stresser. Signe qui se démontrait par mes mains moites et par mon poids que je faisais répartir sur un pied puis sur l’autre depuis un moment.
Ce que je prends pour de l'envie n'en est finalement pas. Les yeux d'Emily rivés sur le sirop de pêche que je viens de verser me donnent l'impression qu'elle en veut également, ce qu'elle a refusé un peu plus tôt. En la regardant je remarque tout ces détails qui ne m'échappaient pas il y a cinq ans, sa dent qui mordille sa lèvre, son ventre contracté comme si elle retenait un fou rire, … elle se retient de dire quelque chose, sinon je ne m'y connais pas. « Tu sais que je suis un bec à sucre... je suis devenu accro à ces trucs... Beurk, je suis devenu un vrai citadin. » fais-je avec une moue dégoûtée, plaisantant comme avant. C'est certain qu'en Afghanistan nos rations n'étaient composées que d'eau ! Nous avions parfois des amalgames de sirop pour changer un peu, seulement quand nous étions au camp. En revanche, partis en mission nous n'emportions que le strict nécessaire. Puis la prise d'otage avait tout changé... l'eau ne nous parvenait qu'en quantité limitée. Assez pour survivre, trop peu pour être lucide. Dans les premiers temps, quand nous étions dans des cellules cote à coté, nous partagions cette eau à couvert des insurgés. Les rations n'étaient pas les même pour tous alors nous faisions en sorte que chacun ai sa part. Jamais je n'ai retrouvé ce niveau de solidarité en rentrant.
« Il t'aime c'est normal. Si tu trouves qu'il te couve trop, pourquoi tu ne prends pas ton propre appartement ? » J'ignore si ce sujet est délicat ou non pourtant je l'aborde avec la jeune femme. Si elle vit chez son frère c'est probablement pour se sentir en sécurité ou ne pas être seule pour se remettre de ce traumatisme. « Ou bien une colocation... tu pourrais emménager ici si tu le souhaitais. » je lui propose de façon anodine. J'ai tellement envie de la voir plus souvent que j'en ai mal au ventre. Je ressens le manque d'Emily jusque dans mes tripes, pas moyen de faire autrement. Si avant je ne la bousculais pas dans le but de lui donner du temps afin de gérer ce qu'il nous était arrivé, maintenant je ne peux plus continuer longtemps ce petit manège... « Ca pourrait aller mieux. J'ai l'impression que ma meilleure amie veut s'échapper de chez moi par tout les moyens possibles, ça me fait un peu flipper. » je lui dis, une lueur de défi dans le regard. Puis je remarque un frisson qui parcourt ses bras et je lance « Tu as l'air d'avoir froid... ne bouge pas, je vais te chercher un pull. » Alors que j'arpente ma chambre à la recherche de n'importe quel vêtement qui fasse l'affaire, je prends un peu de temps pour réfléchir sans la proximité d'Emi' qui me brûle les neurones. « Assieds toi sur la canapé, j'arrive ! » je lui crie depuis ma tanière. Mon vœu le plus cher serait de la voir se sentir bien ici. J'aimerais que ce lieu devienne son refuge, l'endroit où elle va quand ça ne va pas. Si j'avais su qu'elle était à Brisbane ces dernières années je ne l'aurais pas laissée s'éloigner ainsi. J'ai eu tort de la laisser partir sans dire quoi que ce soit. Le jour où elle m'a annoncé qu'elle ne resterait pas à Brisbane me paraît encore flou. Le choc post-traumatique rendait mon cerveau si malléable qu'on aurait pu me faire gober n'importe quoi. Est-ce que ça excuse mon silence ? Probablement pas.
Je reviens enfin vers le salon avec ma trouvaille. Un pull qui cachera ces formes pulpeuses qui envoient des signaux contradictoires à mon entrejambe. C'est ma meilleure amie, merde... pas le moment pour penser aux positions du kama-sutra qu'on pourrait essayer. « Voilà, j'espère que ça t'ira. » Je drape le vêtement sur ses épaules non sans effleurer sa nuque, avant de m'asseoir en face d'elle. Cela fait bien trop cérémonieux, quand même. C'est comme si elle était une connaissance lambda que je recevais par politesse plutôt que la femme qui a le plus compté dans ma vie pendant plus d'une décennie. « Viens là... » je finis par souffler en lui ouvrant mes bras. « Depuis quand on est si éloignés, toi et moi ? On n'aurait pas du laisser le temps avoir cet impact sur nous. J'aimerais vraiment retrouver ce qu'on avait avant, ou quelque chose comme ça. Je sais qu'on a changé tout les deux mais je suis sur que l'alchimie est toujours la même. »
Ethan ne s’était pas gêné pour plaisanter sur le sirop aromatisé qu’il avait utilisé se décrivant lui-même en citadin. Je ne pourrais jamais l’imaginer en personne de haute bourgeoisie qui se prend beaucoup trop au sérieux. Juste l’idée me fit rire. « En autant, que tu ne lèves pas le petit doigt en buvant, je suis capable de tolérer. » Je le remerciais mentalement de diminuer le stress qui m’envahissait. Cet effet n’était pas resté bien longtemps. Il était réapparu en parlant de ma cohabitation avec Henry. Je le savais que mon grand frère avait un bon fond à être toujours protecteur. D’ailleurs, ça avait rassuré toute la famille que je m’installe chez lui, au lieu de rester seule. Puis, depuis quelques temps, l’idée d’avoir un chez moi m’était traversée l’esprit, mais je n’étais pas certaine d’être prête pour cela. La stabilité que j’avais semi-réussie à installer était quelques fois trop branlantes pour croire que j’arriverais à gérer mes crises de panique seule. Bien que plusieurs fois, ça me soit arrivé de ne pas vouloir déranger personne et d’appliquer les techniques de respirations qu’Henry faisait avec moi, seule dans ma chambre. Non seulement, parce que je ne voulais pas l’alarmer, mais aussi parce que je finissais par avoir un sentiment d’honte et d’amertume. Ainsi, déménager avec quelqu’un d’autre n’était pas quelque chose dont j’avais pensé. Pas envie de faire subir ces conséquences-là à quiconque. Même si c’était avec la personne qui me connaît le plus au monde. Je doute que ce que je vis, il l’a vécu à un certain moment et je sais que, si c’est le cas, il saurait comment m’aider. Sauf que je n’avais pas envie de me montrer aussi vulnérable devant lui, pas une nouvelle fois: « J’ai appris à vivre avec. Déménager n’est pas dans mes prochains plans rapprochés, lorsque ce le sera, j’y penserais de façon plus approfondie. Merci de l’offre tout de même.» C’était une demi-vérité, si la vie m’avait appris une chose c’était de ne pas voir plus loin que nécessaire quand tu ne sais pas ce que t’attend le lendemain.
Mes bras se croisèrent alors que je lui demandais si ça allait. Par surprise, il réplique avec une confrontation à propos de mon malaise d’être ici depuis le début. J’étais bouche bée pour deux raisons : la première étant qu’il arrivait encore à lire en moi comme si j’étais un livre ouvert après toutes ces années et la deuxième parce que je ne savais pas quoi lui répondre. Je ne pouvais pas le contredire. Bien que, dans le moment, je ne ressentais plus le besoin de m’enfuir ou d’être sur mes gardes, sa présence me faisait un drôle d’effet. Je le fixais dans les yeux avant de détourner mon regard rapidement sur son visage et ses lèvres. Un frisson s’était propagé aux souvenirs de ses lèvres sur les miennes. Il n’était pas passé inaperçu. Ethan s’était vite retourné pour aller chercher un survêtement, me laissant seule.
Je soufflais et me retournais pour déposer mon verre dans le lavabo après avoir avaler la trop grande gorgée qu’il restait dans mon verre. Je me dirige tranquillement dans le salon et attendit qu’il revienne avant de m’asseoir. Son contact sur ma nuque m’avait redonné un frisson. Espérons que ça repasse sur le dos du froid. « Merci » me contentai-je de dire. Si avant je n’avais pas ressenti le froid, la veste m’aidait quand même à me sentir mieux non seulement par la température qu’elle m’aidait à garder, mais aussi par le fait que j’avais l’impression d’être dans les bras d’Ethan dû à l’odeur que le vêtement dégageait. Je le regardais s’asseoir en face de moi sans poser de question, mais je me levais rapidement pour aller le rejoindre lorsque c’est bras s’écartèrent pour m’accueillir. J’avais de nouveau agi avant de penser, mais je crois qu’il savait, encore une fois, plus que moi ce dont j’avais besoin maintenant. Il se faisait tard et j’étais fatiguée d’essayer de le repousser. Alors, je m’étais installé près de lui, la tête sur son épaule regardant dans la même direction avec mes yeux qui clignaient beaucoup. « Je ne suis plus celle que tu connaissais et peut-être que lorsque tu le constateras, tu changeras d’idée. » Je regardais mes mains que j’avais reliées. L’idée de le perdre une deuxième fois, même si la première fois était de ma faute, me serait probablement insupportable. « Écoute, je crois que tu l’as compris… La soirée qui vient de se passer a pris plusieurs chemins inattendus. J’arrive plus à savoir ce que je veux ou qui je suis. Parfois, j’arrive même plus à raisonner avant d’agir et regarde-toi, tu t’en es sorti, tu parais bien, je n’ai pas envie de te faire replonger direct dans ce merdier. » Je soupirais et m’appuyais les coudes sur les genoux et le visage dans mes mains pour chuchoter : « À quel point ça serait égoïste de ma part. » Je devais être le pire puzzle du monde en ce moment et c’est pourquoi il ne fallait pas chercher à me comprendre.
Je lève le petit doigt en buvant mon sirop juste après qu'elle m’aie fait la remarque, juste pour la faire rire avant que nous entamions les hostilités – ou la résolution des problèmes – ou la croissance des problèmes... On se moque souvent des personnes qui font ça, souvent issues de l'aristocratie anglaise. Vu l'état de mon compte en banque je pourrais tout à fait lever le petit doigt sans être regardé de haut par des bourgeois. De bons placements et des missions privées pour l'entreprise de mes frères m'ont permis d'amasser un joli pactole au fil des ans, pactole qui dort à la banque en ce moment. Je le garde au cas où et je conserve les actions que j'ai, plus tard je pourrais m'en servir pour un projet, plusieurs même. Malgré cette attitude nonchalante je suis loin d’être un demeuré.
Mes espoirs s'envolent en meme temps que son refus de colocation. J'avais vraiment espéré qu'elle dirait oui... visiblement j'ai mis la charrue avant les bœufs. « Si quoi que ce soit ne va pas, si tu veux juste un endroit où on ne te pose pas de questions, … quoi que tu veuille, tu peux le trouver ici. N'hésites pas à venir n'importe quand, de jour ou de nuit. » Ma voix ferme lui fait comprendre tout le sérieux de mes paroles. Je pourrais faire n'importe quoi pour elle, c'est certain. En revanche me taire quand elle est visiblement tendue n'est pas dans mes cordes. Sur le point de l’honnêteté je suis resté exactement le même : dangereusement direct.
Le contact avec Emily est bienvenu, elle est venue de son propre chef se blottir entre mes bras grand ouverts, c'est un premier pas que je n'ai jamais cessé d'espérer. « Je le sais Emily, je le sais depuis quatre ans. Est-ce que tu m'as vu déguerpir ? Non. C'est toi qui a décidé ça toute seule, et je me suis toujours demandé si c'était ma faute, si j'avais fait quelque chose qui t'avait mise mal à l'aise là-bas... j'avais besoin de toi pour m'en remettre et tu n'étais pas là, alors qu'on aurait pu s'aider mutuellement. » Je ne réalise mon erreur qu'après avoir prononcé ces paroles indélébiles. Jamais je n'aurais du etre si direct, si incisif envers elle. Je pense tout au fond de moi qu'elle sait qu'elle a fait une erreur en me mentant ainsi, et je ne veux pas l'en blamer après ce que nous avons tout les deux soufferts. « Je suis désolé, je n'aurais pas du dire ça. Je comprends que tu aies eu besoin de t'éloigner, c'est juste que c'est... ça a été dur pour moi. » C'est comme si on m'avait amputé d'un membre. Nous avions pris l'habitude de raisonner ensemble, nous étions un véritable duo bien rodé, et il s'est dissous... ce n'était pas évident de rester entier après ça. « Écoute, je crois que tu l’as compris… La soirée qui vient de se passer a pris plusieurs chemins inattendus. J’arrive plus à savoir ce que je veux ou qui je suis. Parfois, j’arrive même plus à raisonner avant d’agir et regarde-toi, tu t’en es sorti, tu parais bien, je n’ai pas envie de te faire replonger direct dans ce merdier. À quel point ça serait égoïste de ma part. » Je reste bouche bée quelques instants avant de décider de briser sa position. « Regarde moi. » J'ordonne plus que je ne suggère. Elle et moi avons besoin d'une mise au point, c'est certain. J'ai enfin l'impression que je peux parler sans avoir honte de ce qui est arrivé, sans avoir peur qu'on ne me comprenne pas ou qu'on m'accuse d'exagérer. Elle était là, elle a vécu ça, et nous sommes tout les deux ensemble maintenant. Il n'est pas trop tard pour nous. « Peut-etre que la solution c'est d'arreter de raisonner. Pense avec ton cœur plus qu'avec ta tete, et tu retrouvera qui tu es. » Une bonne quinzaine de jours dans le bush pourraient bien lui permettre de se retrouver, aussi. « Je ne m'en suis pas sorti, pas vraiment. Le truc c'est de vivre avec, pas de faire comme si ça ne s'était pas passé. Il y a encore des jours où j'ai des cauchemars, où je me réveille en sueur avec l'impression que je vais mourir ou qu'on m'a brisé une jambe. C'est le stress post-traumatique, ça pue. On ne te demande pas d'etre irréprochable, juste d'etre heureuse et de continuer à vivre. Tu es en vie, Emily. Tu as tellement d'années devant toi... profites en pour etre fière de ce que tu fais et de ce que tu es. Il y a beaucoup d'autres manières de se rendre utile. » Ma voix s'amenuise au fur et à mesure que je parle, tandis que mes mains parcourent ses bras, ses hanches puis remontent vers son visage. « Je veux juste t'aider, qu'on soit ensemble pour gérer tout ça. Je t'en prie... » Je colle le mien à sa joue tout en respirant l'odeur fleurie de son parfum, celui-ci n'a pas changé depuis son adolescence. Finalement je dépose quelques baisers le long de sa mâchoire avant d'arriver à ses lèvres charnues que j'embrasse avec douceur.
«Si quoi que ce soit ne va pas, si tu veux juste un endroit où on ne te pose pas de questions »… Cette partie résonne en moi. D’un côté, je n’y crois pas. Si quelqu’un arrive chez toi en plein milieu de la nuit, le premier réflexe d’une personne normale est de demander qu’est-ce qui se passe ? De plus, j’ai le chic de me mettre dans des situations peu recommandées parfois et ça inquiète les personnes autour de moi, d’où mon léger ralentissement. Néanmoins, ce genre de comportement suscite des questions. Sauf qu’Ethan n’est pas n’importe quel de ces personnes. Le ton qu’il prend me prouve qu’il comprendrait probablement… ou pas. Il a aussi ce besoin de ramener une personne à l’ordre quand il le fallait et c’est ce que je cherche à fuir dans des situations de ce genre. Si, habituellement, je n’ai pas la langue dans ma poche pour dire ce que je pense, je me retiens de le contredire et je hoche la tête. J’en profite pour baisser les yeux afin qu’il ne repère pas l’hésitation qui a envahit mon esprit.
On ne s’habitue jamais à la sensation d’une réalité avant/après. On croirait que tout ce que tu gardes en mémoire du passé fait partie d’une autre vie. La réalisation d’un avant bien plus heureux paraît surréelle et Ethan me ramène durement à cette réalité qu’est la nôtre. Celle où je l’ai abandonné. Celle où j’ai de la difficulté à le voir ailleurs que sur du sable, à moitié couvert de sang. La conversation dérape légèrement lorsque ses accusations me donne l’effet d’une claque au visage. J’avais pris la décision de m’éloigner parce que, non seulement, c’était pénible d’être à côté de lui et de ne voir rien d’autre que ces atrocités, mais aussi, parce que c’est ce que je croyais qui était le mieux pour nous deux. Je m’éloigne de ses bras à ce moment-là et l’observe pour voir son regard triste changé pour un regard désolé. Même avec ses excuses, j’ai la gorge nouée. « Enfin, je sais que ça été dur, mais t’as quand même réussi. Ça aurait pu être bien pire… » Je ne l’accusais pas d’avoir réussi, mais instable comme je suis, j’aurais pu aussi bien l’entraîner dans pire. D’ailleurs, je n’aurais peut-être jamais eu cette décision-là, si je n’avais pas cru qu’il allait être bien entourer et mieux sans ma présence. Je soupire et me referme, après avoir comparer nos états mentaux.
Or, Ethan en décide autrement. J’obéis à son ordre et le regarde. Son discours se veut suppliant. Comme s’il souhaitait que je lui laisse une chance ou que je me laisse une chance, un des deux. Il me rappelle ce que ma famille m’a répété des milliers de fois et, même si j’éprouve un pincement de voir qu’il est du même avis, je ne peux pas le contredire encore une fois. Il le sait. « Je ne sais pas, c’est mon combat contre la vie. » je réussis à murmurer. Il y a même des journées où j’ai l’impression d’être en contrôle, avant que quelque chose finisse par déraper. J’ai envie de me convaincre que je n’ai pas besoin de personne. En fait, je me suis convaincue pendant 4 ans, mais je déconne et panique encore trop souvent pour penser que je suis capable de me gérer… « Je veux juste t'aider, qu'on soit ensemble pour gérer tout ça. Je t'en prie... » Je détourne le regard, une fois de plus, pour ne pas avoir à l’affronter directement. « Je ne suis pas certaine de voir ce que tu pourrais faire de plus qu’Henry…» Semi-vrai. De toute façon, je n’ai pas l’impression d’être apte à prendre n’importe quelle décision ce soir et ce qu’il fait n’est pas pour aider non plus. Son contact me fait frémir et je résiste aux envies qui me passent par la tête lorsque ses lèvres roses entrent en contact avec ma peau. Je le laisse faire et ferme les yeux jusqu’à ce que celles-ci m’embrassent tendrement. Je renforce légèrement le contact sur ses lèvres et ma main se lève dans une tentative d’aller la déposer sur son cou, mais se décourage et le prend par le bras à la place pour m’éloigner de quelques centimètres avant de chuchoter, mon front déposé sur le sien : « Je devrais peut-être y aller » gardant les yeux bien fermés.
« Enfin, je sais que ça été dur, mais t’as quand même réussi. Ça aurait pu être bien pire… » Je peine à masquer ma réaction choquée à l'intention de la belle tellement ces paroles me semblent hors de propos. Même après quatre ans j'ai toujours l'impression qu'on me rend moins victime que d'autres parce que justement je ne me suis pas laissé traîner au fond du trou. Cela ne rend pourtant pas mon calvaire moins présent, je pensai qu'Emily l'aurait compris mais je garde cette conversation pour plus tard puisque nous sommes tout les deux à cran et sous tension. Le soir du nouvel an... Comme elle le dit, c'est son combat contre la vie, encore un terme qui me choque. « Contre la vie ? Ça ne devrait pas être pour la vie, plutôt ? » Question rhétorique à laquelle je n'attends même pas de réponses. J'aurais aimé ne pas être là pour lui faire la morale, j'ignore si elle a des personnes autour d'elle qui la rappellent à l'ordre. Ses paroles me touchent en plein cœur tandis qu'elle me compare à Henry, son frère. Que pourrais-je lui apporter de plus ? Je ne sais si elle est sérieuse en affirmant cela, si elle pense vraiment que je n'ai rien de plus, ou si elle cherche juste à me blesser pour me faire fuir. « Si tu le dis... »
Mes lèvres conquièrent les siennes sans trop de difficultés alors qu'elle aussi a envie de ce « plus » que nous pourrions nous offrir. Mais il n'est pas temps, pas encore. Emily aussi se met des limites. Trop de non-dits et d’incompréhensions jalonnent encore notre relation, un parcours semé d’embûches nous attend encore et j'espère avoir la force de ne pas abandonner. Si je n'étais pas si persévérant, je ne serais pas SEAL. « Tu as raison, on se voit demain pour discuter si tu veux. » Je serre les dents à m'en péter les machoires pour ne pas lui en dire davantage et m'enfoncer dans le pathétique. La situation est déjà assez tendue comme ça pour que je ne complique les choses. Si elle restait nous pourrions faire des choses que nous regretterions demain. « Passe une bonne nuit Emily. » lui dis-je sur le pas de la porte, les yeux plongés dans ses prunelles.