Je regarde Elio partir avec le coeur lourd. Je ne le quitte pas des yeux jusqu’à ce qu’il entre dans la galerie d’Erin et je soupire un peu. « Kyrah ! Tu viens jouer avec nous ? » Je finis par me retourner pour regarder les jumeaux, un sourire presque un peu forcé sur les lèvres. Je dois rester forte, ne pas penser à la peine que j’ai pu faire à cette femme, à tout ce que je bouscule sur mon passage. J’ai toujours été un peu égoïste, à ne penser qu’à moi, sans imaginer le mal que je pouvais faire autour de moi. Mais aujourd’hui, les choses sont différentes, et je suis bien consciente de ce que je fais, ce que j’ai fait. Je ne peux pas dire véritablement que je regrette tous ces choix, parce qu’ils m’ont beaucoup appris, m’ont fait grandir, mais me retrouver face aux gens que j’ai blessé n’est pas chose facile. Je suppose que c’est un coup du karma. Enfoiré. Après une courte hésitation, je décide d’aller jouer un peu avec les jumeaux, pour me changer un peu les idées, et je me dis que si je veux essayer quelque chose avec Elio, je vais bien devoir m’attacher à ces petits monstres. Nous jouons plusieurs dizaines de minutes, et quand Elio revient, j’ai une tête rousse posée en sac à patates sur mon épaules. Je le dépose par terre et m’approche d’Elio. Ses yeux sont un peu rougis, mais il a un petit sourire au coin des lèvres qui se veut rassurant. « Je crois… Je crois que ça va aller. » Je souffle un peu, comme si j’avais dû retenir ma respiration pendant tout ce temps. Je lui offre un mince sourire. « Elle veut voir les jumeaux. » Je hoche un peu la tête et me retourne pour les regarder. Elio leur explique qu’ils vont pouvoir aller voir leur grand mère, et ils sont encore plus excités qu’ils ne l’étaient. Je ne sais pas sur quelle centrale électrique ils sont branchés, mais c’est de la haute tension. Nous les accompagnons jusqu’à l’entrée et ils entrent comme des furies, connaissant visiblement très bien les lieux. Je laisse échapper un petit rire amusé, qui se stoppe à l’instant où Elio prend ma main. Je ressens comme une vague d’énergie me parcourir, quelque chose de puissant, et mon regard vient se poser dans le sien, avant qu’il ne prenne le chemin d’un petit coin plus tranquille. Là, il vient plaquer doucement mon corps contre le mur et je ne bronche pas, le laisse faire avec envie. Sans plus tarder, il scelle ses lèvres aux miennes dans un baiser passionné qui me retourne tous les sens. Je n’ai jamais rien ressenti d’égal à ses baiser. Jamais. Avec personne. Mon coeur s’emballe et mes mains reviennent prendre possession de lui, de ses formes, passant sur ses muscles, caressant sa peau, remontant jusqu’à sa joue, sa nuque, ses cheveux. Il me rend complètement folle, et a le pouvoir de me retourner le cerveau, me faire oublier tout, tout ce que j’ai vécu, ce qu’on a vécu. Et c’est exactement ce dont j’avais besoin. J’en prends conscience aujourd’hui plus que jamais. Si auparavant il n’y avait que la danse qui comptait pour moi, aujourd’hui, il y a une donné supplémentaire. L’amour. Elio. Lui, lui et personne d’autre. C’est étrange, mais je n’ai plus envie d’aller voir ailleurs, tout me semble fade et sans saveur, même le corps des femmes qui me faisait auparavant devenir folle ne m’attire plus. Non, tout ce que je veux, c’est lui. Mes mains glissent sous son t-shirt et je soupire contre ses lèvres de sentir sa peau, ses abdos légèrement contractés. Pourquoi j’ai envie de lui chaque fois que je le vois, chaque fois que je le touche. Je rêve qu’il me prenne là, maintenant, dans cette rue où tout le monde pourrait passer à tout moment. A bout de souffle, je me force à séparer nos lèvres et, les yeux toujours clos, je viens poser mon front contre le sien. « Arrête… » Mon souffle est court, raccourci par l’envie qui me dévore, alors que tous les papillons de mon ventre sont affolés. « Laisse-moi respirer sinon je vais pas réussir à me contrôler… » Il sait très bien de quoi je parle, il sait à quel point mon appétit sexuel est important, il connaît mon passif, mais je dois aujourd’hui arriver à contrôler mes pulsions. Je finis par pencher la tête en arrière en soufflant doucement, les yeux toujours clos, et mes mains nouées dans sa nuque. Je secoue la tête en souriant avant de réouvrir les yeux pour le regarder. « Pourquoi tu me rends aussi folle ? Pourquoi toi ? » Mon regard intense jongle entre ses yeux, avec une puissance bien connue. Je me mords la lèvre inférieure et le pousse un peu pour pouvoir respirer autre chose que l’air qu’il m’insuffle, pour me forcer à éjecter cette envie de lui qu’il vient de me donner. « Il faut pas qu’on reste là, si ils sortent et qu’on est pas là ça va pas le faire. » Je viens lui voler un baiser et m’éloigne avant de lui faire signe de me suivre. Nous revenons devant la galerie et je me retourne face à lui, sans le toucher. Je n’ai pas vraiment envie de parler d’Erin, j’attendrai qu’on soit seuls tous les deux, je crois que j’ai peur qu’elle sorte avec les jumeaux et qu’elle surprenne une conversation qu’elle ne devrait pas entendre. « Oh, je t’ai pas dit, je vais retourner quelques temps en Russie. » Je grimage un peu, surtout en voyant ses yeux s’arrondir sous la surprise. « Ma mère est très malade, mon frère m’a appelée y’a deux jours pour m’annoncer ça. Il me paye le billet d’avion aller-retour. J’ai pesé le pour et le contre mais je crois qu’il faut que j’y aille, je m’en voudrais de ne pas être allée la voir si jamais elle… enfin… » Je secoue la tête et soupire. « C’est ma mère quand même… même si elle m’a légèrement abandonnée ici après la mort de mon père. » Je hausse un peu les épaules et j’entends du bruit derrière moi qui me force à me retourner. « Moi je prends la main de Kyrah pour rentrer à la maison ! » « Mais non c’est moi ! » Ils se ruent sur moi et je me sens assaillie. « Olà les terreurs on se calme deux secondes ! » Je lève les bras en l’air et ils me regardent avec leurs grand yeux. « J’ai deux mains, chacune la vôtre et pas d’histoire ! » Je leurs tends mes mains qu’ils prennent sans tarder alors que je relève le regard pour croiser celui d’Erin qui est là un peu plus loin, les bras croisés à nous regarder. Je lui adresse un sourire un peu triste avec une moue désolée. Finalement, je regarde Elio pour lui demander d’un simple regard si on peut y aller.
J’ai besoin d’elle, de ce contact. De ce nous qui prend de plus en plus de place dans ma vie. Ces mains qui parcourent mon corps, glissent sur ma peau et font monter le désir en moi. Mes lèvres contre les siennes, nos corps enlacés, tout est là pour me rendre fou, pour me faire oublier le reste et entre autre le lieu un peu insolite où nous nous y adonnons. « Arrête… » Elle pose son front contre le mien et j’en profite pour respirer un peu. J’ai l’impression d’enfin pouvoir le faire. De ne pas savoir comme respirer quand elle est loin de moi. Je pose un léger baiser sur son nez et elle le plisse légèrement comme si ça la chatouillait, je trouve ce geste adorable. « Laisse-moi respirer sinon je vais pas réussir à me contrôler… » Je me sépare de son contact mais mes baisers descendent lentement vers son cou, je n’ai pas envie d’arrêter, pas envie de revenir dans le monde réel. « Et alors ? » J’aime cette bulle dans laquelle nous nous enfermons, bulle de désir et d’envie où seule elle sait me faire rentrer. J’aime qu’elle en ait autant envie que moi et sentir son désir émaner de tous les pores de sa peau. Pourtant ces mains dans ma nuque m’induisent le chemin de la sagesse et je remonte le visage pour l’observer. Son regard azur se plongeant dans le mien, la beauté de nos échanges plus fort encore que les gestes. J’en reste presque pétrifié. « Pourquoi tu me rends aussi folle ? Pourquoi toi ? » Mon coeur s’emballe alors que son regard ne quitte plus le mien. Un léger silence s’installe parce qu’elle et moi savons qu’il n’y a pas de réponse à cette question. Qu’entre nous c’est bien plus fort que tout ce qui pourrait être expliqué. Et peu importe au final les pourquoi… L’importe c’est que ça existe. Qu’on le vive avec le bon et le mauvais. Je voudrais lui dire que je l’aime – là maintenant d’un coup – ça me prend aux tripes mais je n’ai pas envie de tout gâcher. Pas envie de faire face à ce que ça veut dire pour nous. Alors je ne dis rien… Un léger sourire coquin se glissant sur mon visage avant qu’elle ne se défasse de mon emprise, me laissant un peu frustré. « Il faut pas qu’on reste là, si ils sortent et qu’on est pas là ça va pas le faire. » Je sais bien qu’elle a raison et pourtant je n’ai pas du tout envie de bouger. Elle vient déposer un rapide baiser sur mes lèvres avant de partir devant et je reste un moment immobile comme un gamin qui refuserait d’obéir. Mais le regard qu’elle me lance me décide à la rejoindre. Je ne lui fais pas remarquer mais son sérieux m’étonne. Elle vient de faire passer les jumeaux avant son désir… Avant le mien aussi. Et c’est avec un pincement au coeur que ça me frappe… Kyrah aurait été une bonne mère. Je garde tout ça pour moi évidement, et je la rejoins devant la galerie me postant face à elle toujours avec ce petit sourire de diablotin au coin des lèvres. J’ai encore envie d’elle – toujours – et c’est bien plus difficile pour moi de fixer des limites à ne pas franchir. « Oh, je t’ai pas dit, je vais retourner quelques temps en Russie. » Mon sourire disparaît d’un coup en entendant ces mots pour faire place à une mine bien moins heureuse. Je fronce légèrement les sourcils alors que je la regarde avec incompréhension. « Quoi ? » Elle ne peut pas être sérieuse ! Pour combien de temps ? Pourquoi ? Je sens ma gorge se nouer et tout mon corps se crisper à l’idée qu’elle me quitte. J’ai trop de questions mais pas besoin de les poser car Kyrah enchaine déjà. « Ma mère est très malade, mon frère m’a appelée y’a deux jours pour m’annoncer ça. » J’ai de la peine à assimiler ce qu’elle vient de dire. Sa mère malade, son frère. Je ne savais même pas qu’elle avait un frère. Je fais un léger pas en avant pour me rapprocher d’elle. « Il me paye le billet d’avion aller-retour. J’ai pesé le pour et le contre mais je crois qu’il faut que j’y aille, je m’en voudrais de ne pas être allée la voir si jamais elle… enfin… » Je pense que la question ne se pose même pas. Délicatement je fais glisser ma main le long de son avant bras pour aller lier mes doigts aux siens. Je n’ai rien à redire c’est son choix. Je voudrais juste qu’elle sache que je suis là. Et que même si elle veut faire la fille forte je me doute que c’est une situation compliquée pour elle. « C’est ma mère quand même… même si elle m’a légèrement abandonnée ici après la mort de mon père. » Il me semble entendre une pointe de colère dans sa voix ou de rancoeur, mais je n’ai rien le temps de dire car les jumeaux sont déjà là. Entrain de se battre pour savoir qui va pouvoir donner la main à Kyrah. Nos mains se séparent en vitesse avant qu’Erin ne fasse son apparition. J’ai de la peine à la regarder, à assumer cette intimité que nous avons avec Kyrah. « J’ai deux mains, chacune la vôtre et pas d’histoire ! » Les garçons vissés chacun d’un côté de Kyrah nous reprenons vite la route. Je sens un certain malaise ici et le regard d’Erin posé sur nous n’arrange rien. Sur le chemin du retour nous laissons les jumeaux papoter, raconter leurs aventures. Les projets qu’ils ont avec leur grand-mère. Quand je les entends parler il est difficile pour moi de ne pas penser aux mots de mon père, à ces menaces sur leur garde, mais je tente de ne pas paraitre trop étrange. « Elio ? Maintenant vous êtes des amoureux avec Kyrah ? » Je le regarde sans trop comprendre. Me demandant ce que ma mère a bien pu leur dire. « Vous vous êtes fait des bisous au parc on a tout vu nous ! » « Ouais même que c’était dégeu… » Ils tirent tous les deux la langue et je rigole un peu. « Dites plutôt que vous êtes jaloux bande de crapules ! » Tous les deux me regardent chacun sa petite main dans celle de Kyrah avec un air de supériorité et je me marre. Echangeant un vif regard de complicité avec Kyrah. Jamais je n’aurais pensé vivre un tel moment avec elle, la voir faire partie d’une sorte de quotidien qui est le mien depuis plusieurs mois maintenant. Nous arrivons devant l’appartement et je ne propose même pas à Kyrah de rentrer… C’est une évidence. Les jumeaux la tire de toute façon à l’intérieur sans lui laisser le choix. Quand nous rentrons dans l’appartement c’est le chantier. Des cartons un peu partout, la moitié de l’appartement est vide et je vois le regard de Kyrah se poser sur tout ça sans trop comprendre. « On a enfin trouvé un nouvel appartement… Quelque chose d’un peu plus grand. » Il me semble voire une pointe d’inquiétude dans son regard et j’enchaine aussi vite. « C’est pas loin d’ici, à quelques rues à peine. » Je me souviens de cette conversation que nous avions eu alors que notre enfant était encore en vie – cette chambre qui devait être prévue pour notre petite fille. A quel point cette naissance aurait pu tout changer. Mais je chasse au plus vite cette idée de ma tête. Dani chuchote quelque chose à l’œil de son frère qui hoche vivement de la tête avant de se retourner vers Kyrah. « On va te faire une surprise Kyrah ! » Je sourie attendri n’osant pas leur dire qu’ils n’ont pas besoin d’annoncer les surprises et déjà ils disparaissent dans leur chambre. Je vais me poser sur le canapé et Kyrah vient se mettre à côté de moi. Je tourne la tête vers elle et nous échangeons un baiser tendre. Un qui n’a pas de but précis, qui ne nous mène pas vers un quelconque acte, juste le plaisir de se toucher, de se sentir. Je m’installe dans le canapé en me mettant en position semi-couchée et Kyrah vient se coller à moi, sa tête sur mon torse, ma main caressant ces cheveux avec tendresse. Cette tendresse sans problème me fait du bien m’apaise et j’ose aborder à nouveau le sujet. « Je ne savais pas que tu avais un frère… » Je n’ose pourtant pas aborder le sujet de plein fouet, lui parler de sa mère, de sa maladie. De son départ. De ce que ça provoque en moi comme peur. « Lui aussi est reparti en Russie si j’ai bien compris ? » J’ai de la peine à croire que la famille de Kyrah l’ait simplement laissé dans la merde sans jamais rien faire pour l’aider. Pour l’empêcher d’avoir à se prostituer pour avoir un toit sur la tête. « Quand est ce que tu pars ? » Ma voix semble un peu plus étouffée alors que je lui pose la question. J’en ai tant d’autre en réserve mais je ne veux pas la brusquer. Elle doit être là pour sa mère… Si elle ne le fait pas elle le regrettera toute sa vie.
Avec lui, le temps semble se figer, nous avons vécu plus d’émotions en l’espace de quelques heures aujourd’hui qu’en une semaine loin de lui. Je me surprends à chaque fois de me rendre compte de tout ça, de notre histoire, de ce que nous vivons. Une chose est sûre, je suis loin de m’ennuyer. Je me force pour une fois à jouer la raisonnable et lâche Elio, même si je dois bien avouer que ce moment rien que tout les deux était très tentant. Mais je ne voudrais pas qu’Erin nous cherche et tombe sur nous, dans cette ruelle, à nous bouffer littéralement. Je fais passer ça sur le compte des jumeaux, mais c’est plutôt au coeur d’Erin que je pense. Je crois que je lui ai assez fait de mal comme ça. Et puis finalement, je lâche la bombe. L’annonce de mon départ précipité. Je ne savais pas quand j’allais lui annoncer cette nouvelle. A vrai dire, il n’était même pas prévu qu’on se voit aujourd’hui, qu’on discute de tout et de rien, et encore moins de ça. « Quoi ? » Je sens qu’il est surpris, qu’il se raidit. D’un côté, ça me fait plaisir qu’il ait peur que je m’en aille. De l’autre, j’aurai préféré ne pas avoir à lui dire une chose pareille. J’aurai préféré rester là, ne pas savoir ma mère malade, ne pas me rajouter du stress en pensant revoir mon frère. Je crois que je n’ai pas besoin de ça présentement. Mais après tout, peut-être que ça pourra me faire du bien de changer un peu d’air. Je sens la main d’Elio caresser mon bras et attraper ma main et je lui souris, pour le remercier d’être là, d’être tendre avec moi. Parce que si j’ai tendance à aimer le chaos, il y a aussi des moments où tout ce que je veux, c’est de la tendresse. SA tendresse. Finalement, les jumeaux et Erin sortent, juste après qu’Elio ait lâché ma main, fort heureusement. Les terreurs se battent mes mains et ça me fait rire, et plaisir aussi. Parce qu’on ne peut pas dire que ça se soit de suite bien passé entre nous. Mais je crois que nos différends sont de l’histoire ancienne. Je peux pas dire que je les aime, ni même que je les supporte, mais une fois de temps en temps, j’accepte. C’est déjà pas mal. « Elio ? Maintenant vous êtes des amoureux avec Kyrah ? » Je continue de marcher, une main de chaque tête rousse dans chacune de mes mains et je regarde Elio, grimaçant légèrement. Avouer que nous sommes un couple, je crois que je ne suis pas encore prête pour ça. Mon besoin de liberté m’en empêche encore, même si je sais qu’au fond, je suis à lui, définitivement. Aujourd’hui et pour toujours. « Vous vous êtes fait des bisous au parc on a tout vu ! » « Ouais même que c’était dégueu… » Je ne peux m’empêcher de rire alors que j’adresse un regard complice à Elio. « Dites plutôt que vous êtes jaloux bande de crapules ! » Je ris une nouvelle fois, mon regard alternant celui des trois garçons.
Assez rapidement, nous arrivons chez eux, et je ne me pose pas vraiment la question. Je suis là, je ne vais pas repartir tout de suite, surtout qu’à part le néant de la maison de Kelya, je n’ai rien à faire. Une fois à l’intérieur, je regarde les cartons étalés partout, et j’ai soudain un haut le coeur. Je ne me souvenais plus qu’ils allaient déménager, et soudain je repense à la proposition qu’il m’avait faite, de faire la chambre de Nina dans leur nouvel appartement. Je me contiens au maximum, mais Elio me connaît aujourd’hui mieux que personne, et il semble sentir mon malaise. « On a enfin trouvé un nouvel appartement… quelque chose d’un peu plus grand. C’est pas loin d’ici, à quelques rues à peine. » Je hoche simplement la tête, un peu rassurée qu’il ne s’éloigne pas trop. J’aimais le fait de n’avoir que quelques centaines de mètres à faire pour le rejoindre, ou inversement. « On va te faire une surprise Kyrah ! » Je regarde les garçons courir dans leur chambre et je souris avant de me retourner vers Elio une fois qu’ils ont disparu. « Je dois m’inquiéter ? » Je ris légèrement et suis Elio qui s’installe sur le canapé. Je m’assieds près de lui et nous échangeons un baiser d’une tendresse inouïe. Quelque chose de simple, sans artifice, sans avoir réfléchi si l’un ou l’autre en avait envie, puisque de toute évidence, on en avait envie tous les deux. Le plus étrange, c’est que nous commençons à devenir quelque chose comme un couple, et ça me fait peur. Mais je crois que je préfère ne pas trop y penser pour le moment. Elio s’installe un peu mieux et je viens me coller contre lui, comme un besoin étrange. Je me love dans ses bras, posant ma tête dans le creux ce son cou, ma main sur son torse, et ma jambe sur la sienne. « Je ne savais pas que tu avais un frère… » De mes doigts, je joue avec les boutons de sa chemise, les yeux rivés sur ceux-ci. De toute manière vu la position dans laquelle nous nous trouvons, je ne peux pas réellement le regarder. « Il s’appelle Anton, et il a 7 ans de plus que moi. Quand j’étais plus jeune on s’entendait bien, mais on est très différents, et si il aimait bien me protéger quand j’étais gamine, je crois qu’il en a eu marre de mes conneries et il a abandonné l’affaire. » Je hausse un peu les épaule d’un air nonchalant. « Il me manque pas. » Je crois que je mens en disant ça. Evidemment, c’est mon frère, mais la rancoeur est trop grande depuis qu’il m’a abandonnée. Même quand on était ici tous les deux il ne faisait pas attention à moi, ne venait pas me voir à mes représentations… Il m’a beaucoup blessée. « Lui aussi est reparti en Russie si j’ai bien compris ? » « C’est ça. Il m’a juste dit qu’il voulait aider ma mère pour les papiers, les histoires de succession tout ça… Toute manière qu’il soit ici ou là bas ça change pas grand chose. Depuis qu’on est arrivés à Brisbane et qu’il a rencontré sa femme, j’existe plus. » Je me comporte certainement comme une enfant, mais je crois qu’il y a de quoi. Il m’a abandonnée quand j’avais le plus besoin de lui, et il s’est comporté comme un étranger. J’ai de quoi lui en vouloir. « Quand est-ce que tu pars ? » Je soupire légèrement, je n’ai pas vraiment envie de partir à vrai dire. Je préfèrerai rester là dans ses bras, sentir sa main qui caresse mes cheveux. « J’ai pas encore regardé les billets, mais cette semaine je pense. J’ai pas envie qu’elle parte avant que j’arrive… » Je sais qu’il préfèrerait que je ne parte pas. Il ne le dit pas, mais je le sens. « En plus, j’aime pas ce pays. Je crois que je flippe un peu d’y retourner, j’ai pas spécialement de bons souvenirs là bas, et depuis que je sais que mon père a été flingué parce qu’il était dans la mafia, ça m’encourage pas à remettre les pieds là bas tu vois… » Quelle conne. Mais pourquoi je lui dis des trucs pareils ? Pour qu’il s’inquiète y’a rien de mieux. Alors je me redresse pour le regarder avec un petit sourire. « Mais t’inquiètes hein ! J’suis une warrior ! » Je viens poser ma main sur sa joue et l’embrasse sans tarder, profitant d’un petit moment rien que nous deux. Mais très vite les garçons sortent de leur chambre et je me détache rapidement d’Elio, pas vraiment habituée à afficher mes marques de tendresse au public, surtout quand il n’est pas averti. Je m’assieds mieux sur le canapé et les vois débarquer avec de la peinture plein les mains, jusque sur le bout du nez. J’ouvre grand les yeux, surprise. « On t’a fait des dessins à la peinture avec nos mains ! » Je regarde Elio l’air de lui demander si c’est normal, et il soupire en levant les yeux au ciel d’un air désespéré, ce qui me fait sourire. « Wow ! Vous êtes de vrais artistes ! Merci les garçons ! » Je prends les feuilles du bout des doigts tellement la peinture dégouline partout, et je me retiens de rire, surtout à cause de la tête d’Elio. « Ça va être l’heure de la douche je crois bien ! ».
Le calme de cette situation m’est étrange. Etre ici dans ce canapé avec les jumeaux à côté et la sentir si proche de moi. Je m’amuse avec ces cheveux d’une main, les caressants tantôts puis les faisant tourner entre mes doigts. « Il s’appelle Anton, et il a 7 ans de plus que moi. Quand j’étais plus jeune on s’entendait bien, mais on est très différents, et si il aimait bien me protéger quand j’étais gamine, je crois qu’il en a eu marre de mes conneries et il a abandonné l’affaire. » J’ai de la peine à imaginer comment on peut simplement laisser tomber. Je sais que j’en aurais été incapable avec ma sœur. Que je n’aurais pas supporté l’idée qu’elle soit dans le besoin et de ne rien faire… De m’en désintéresser. Evidement nos relations étaient un peu différentes et Leah est devenue mature bien avant moi… Avant de mourir. « Il me manque pas. » Je trouve dur d’entendre ces mots, d’imaginer qu’elle puisse être aussi détachée de sa propre famille. Mais je sais que les liens du sang sont ceux qu’on ne choisit pas et qu’il n’est pas toujours simple de les gérer. « C’est ça. Il m’a juste dit qu’il voulait aider ma mère pour les papiers, les histoires de succession tout ça… Toute manière qu’il soit ici ou là bas ça change pas grand chose. Depuis qu’on est arrivés à Brisbane et qu’il a rencontré sa femme, j’existe plus. » Il est donc marié, une information de plus que je réceptionne sans rien dire. Je laisse un léger instant de silence cherchant les mots… « Ca te blesse n’est ce pas ? » Je sais que Kyrah a de la peine avec les sentiments, et que probablement elle se cache derrière la simple idée qu’il ne lui manque pas, qu’elle se fiche de lui parce qu’il l’a laissé tombé et pourtant c’est ce qu’il me semble déceler derrière ces mots. Je dépose un baiser sur son front alors que ma main glisse dans sa nuque. Je la caresse du bout des doigts fermant les yeux pour profiter un instant de ce reprit que la vie nous offre. Les jumeaux sont tranquilles, nous aussi. Je ne sais pas combien de temps il nous reste avant le prochain tsunami mais je commence à savoir ne pas trop m’habituer aux zones plus calme - j'en profite simplement. « J’ai pas encore regardé les billets, mais cette semaine je pense. J’ai pas envie qu’elle parte avant que j’arrive… » Je voudrais lui dire de rester, de ne pas partir aussi loin de moi mais ça serait bien trop égoïste, alors je me contente de laisser mon cœur légèrement se serrer en l’écoutant parler. « Est ce que… Qu’il y a une chance pour qu’elle s’en sorte ? » Je ne connais rien de la famille de Kyrah et encore moins des relations qu’elle a avec sa mère si ce n’est ce sentiment d’abandon qui semble très présent. « En plus, j’aime pas ce pays. Je crois que je flippe un peu d’y retourner, j’ai pas spécialement de bons souvenirs là bas, et depuis que je sais que mon père a été flingué parce qu’il était dans la mafia, ça m’encourage pas à remettre les pieds là bas tu vois… » Oui je vois très bien et je sens d’ailleurs une vague d’inquiétude me saisir à l’idée qu’elle aille là-bas. « Mais t’inquiètes hein ! J’suis une warrior ! » Je fronce légèrement les sourcils « Tu peux pas me balancer ça et penser que je ne vais pas m’inqu… » Elle vient joindre ces lèvres aux miennes et je me tais plaçant mes mains dans son dos pour la serrer contre moi. Elle sait comment me faire taire il n’y a pas de doute. Je profite un moment d’elle, de nous jusqu’à ce que la venue des jumeaux ne l’éloigne de moi. « On t’a fait des dessins à la peinture avec nos mains ! » Tous les deux sont pleins de peinture et je soupire légèrement n’osant même pas imaginer l’état de la chambre. De toute façon j’ai déjà tiré un trait sur la caution depuis longtemps. « Wow ! Vous êtes de vrais artistes ! Merci les garçons ! » Leurs dessins sont de vrais catastrophes mais ça fait bien rire Kyrah et même si j’essaye de rester sérieux je ne peux m’empêcher de laisser un petit sourire se fraye un chemin sur mon visage. « Ça va être l’heure de la douche je crois bien ! » Je suis bien d’accord avec elle mais apparemment pas les jumeaux. « Regarde ! Là c’est toi ! Et Elio et vous vous faites des bisous pour faire un nouveau bébé. » Je sens un certain malaise me saisir mais je continue pourtant à sourire. Puis les jumeaux continuent leurs explications. « Et là c’est Kaecy, avec ces livres et un chien, on a pas de chien mais si on est sage peut-être que Elio il nous en achètera un. Et là haut c’est maman dans le ciel et elle est avec le bébé… Celui qui était dans ton ventre mais qui est dans le ciel maintenant. Elio dit que maman prend soin de sa petite fille vu que lui il prend soin de nous c’est un échange de bon… préduction » Il ne connait pas le mot et si dans d’autres circonstances ça m’aurait faire rire cette fois je me sens un peu mal à l’aise. Je vois bien que ça la touche. Et je suis moi même un peu mal, les jumeaux ne se rendent pas compte, ils ont bien plus de facilité à aborder le sujet. « Okay c’est très bien, magnifique, allez on file à la douche et on touche pas les murs, les mains en l’air moussaillons ! » Les jumeaux lèvent les mains et je les accompagne jusqu’à la douche. Puis je reviens trouver Kyrah qui observe les dessins. Je m’approche à pas feutrés venant déposer une de mes mains dans sa nuque en restant debout derrière elle. « Je suis désolé Kyrah, ils ne se rendent pas compte… » Je me mords nerveusement la lèvre en regardant ce dessin. « Tu… veux qu’on en parle ? » C’est un peu étrange de lui demander ça mais je ne sais pas si elle a eu la chance de le faire – peut-être qu’elle n’en a pas envie mais si je ne lui demande pas je ne peux pas savoir. Avec les jumeaux je n’ai pas eu d’autres choix… C’est un peu une thérapie même si je suis toujours incapable de toucher à un instrument de musique – incapable de m’y remettre. J’avance pas à pas.
« Ca te blesse n’est ce pas ? » Je ne réponds pas. Quoi répondre à ça, je crois qu’il me connaît suffisamment maintenant pour savoir à quel point j’ai du mal à assumer les sentiments qui me traversent, et encore plus à mettre des mots sur ceux-ci. Alors au lieu de lui répondre, je préfère de loin garder le silence. Il a compris qu’il ne valait mieux pas insister, et je lui en suis reconnaissante. Finalement, il me demande quand je compte partir. Pour l’instant, rien n’est encore sûr, je n’ai eu Anton au téléphone qu’il y a quelques jours, et je me suis dit que j’allais me laisser encore un peu de temps. « Est ce que… Qu’il y a une chance pour qu’elle s’en sorte ? » Je soupire légèrement. « Je sais pas trop, Anton n’a pas su trop bien l’expliquer, il est pas très doué pour gérer les crises. Je verrai ça quand je serai là bas. » Je finis par me confier à lui par rapport à ce pays qui m’effraie plus qu’autre chose. Mais en laissant échapper mes craintes, je me rends compte que j’ai dû l’inquiéter, alors que ce n’était pas du tout mon but premier. « Tu peux pas me balancer ça et penser que je ne vais pas m’inqu… » Je ne le laisse pas finir et l’embrasse pour le faire taire. Je ne sais pas si ça fera taire ses inquiétudes, mais au moins, il ne me dira pas à quel point il ne veut pas que je parte. Finalement, les garçons arrivent tout barbouillés de peinture et je ne peux réprimer mon rire amusé. Elio, bien que dépité, se met à sourire lui aussi. « Regarde ! Là c’est toi ! Et Elio et vous vous faites des bisous pour faire un nouveau bébé. » Je perds mon sourire dans l’instant. Ce qui aurait pu être tout à fait mignon me met d’un seul coup mal à l’aise. Pas qu’il parle d’Elio et moi comme étant un couple qui s’embrasse, mais surtout parce qu’il mentionne un nouveau bébé. J’essaie de me forcer à sourire pour ne pas inquiéter les enfants, mais une boule se forme déjà dans ma gorge. « Et là haut c’est maman dans le ciel et elle est avec le bébé… Celui qui était dans ton ventre mais qui est dans le ciel maintenant. Elio dit que maman prend soin de sa petite fille vu que lui il prend soin de nous c’est un échange de bon… préduction ». Cette fois c’en est trop, ma haine pour les enfants semble revenir à grand galop. Les yeux désormais troubles, je me racle un peu la gorge juste pour signifier à Elio que je ne me sens pas bien et que j’ai besoin qu’il m’aide. Sans plus tarder, il prend les choses en main. « Okay c’est très bien, magnifique, allez on file à la douche et on touche pas les murs, les mains en l’air moussaillons ! » Les garçons ne bronchent pas et Elio part avec eux pour aller dans la salle de bain, alors que je lève la tête vers le plafond pour essayer de ravaler mes larmes. Jusqu’à présent, j’avais essayé de repousser toutes ces émotions, je n’en ai parlé à personne, à peine touché deux mots à Kelya, mais j’ai juste plongé ma peine dans l’alcool, ne trouvant que cette façon pour me libérer. Je prends les dessins entre mes mains et regarde ce qu’ils ont dessiné. Mes yeux rivés sur la silhouette d’Elio et moi, et plus haut, une femme tenant mon bébé dans ses bras. Je finis par jeter les dessins sur la table basse et je prends ma tête entre mes mains, me refermant sur moi-même, glissant mes doigts dans mes cheveux. Les larmes coulent sur mes joues jusqu’à ce que je sente la présence d’Elio derrière moi. Je me redresse et essuie rapidement mes larmes en prenant une légère inspiration pour me calmer. « Je suis désolé Kyrah, ils ne se rendent pas compte… » « Je sais. » Je souffle entre mes dents, bien consciente que tout ça ce n’est pas la faute des garçons, même s’ils ont déclenché l’état dans lequel je me trouve. « Tu… veux qu’on en parle ? » Je repasse mes mains sur mes joues pour essuyer ce qu’il reste de mes larmes et je me racle un peu la gorge pour éclaircir ma voix. « Non, ça va. » Evidemment, il est le plus à même de savoir que ça ne va pas. Mais il n’est pas en mesure de me forcer à quoi que ce soit. Il fait le tour du canapé et s’assied à nouveau près de moi alors que mon regard se pose à nouveau sur les dessins. « Tu… tu leur a vraiment dit que ta soeur prenait soin de notre.. d’elle ? » Je pose mon regard dans le sien et le laisse prendre ma main. Je vois que son regard s’embue lui aussi et je soupire. « Je crois que c’est pas le moment d’en parler. J’ai… j’ai pas envie qu’ils me voient dans cet état. J’ai pas envie de… enfin je… » Je soupire et ravale ma salive difficilement. « On en parlera, j’ai sans doute besoin d’en parler. Mais pas maintenant. » Je viens passer ma main sur sa joue en faisant une petite moue désolée. « Tu m’en veux pas ? » J’entends la porte s’ouvrir et je me retourne pour croiser le regard de Kaecy. « C’est moi je… oh. » Oh. Voilà comme elle me voit. Allez savoir pourquoi, d’un seul coup j’ai très envie de quitter cet endroit. « Kaecy, salut. Je… tu tombes bien, j’allais partir. » Je me pince un peu les lèvres dans une moue gênée et je me lève avant de me tourner vers Elio qui se lève à son tour. Je lui murmure pour qu’il soit seul à entendre. « Kelya ne revient que la semaine prochaine. Passe quand tu veux. » Je dépose un baiser sur sa joue et me dirige vers la porte. « Bonne soirée. » Et je quitte l’appartement, le coeur lourd. Cette journée remplis de toutes ces émotions m’a complètement flinguée, et je crois que j’ai réellement de sommeil. Demain sera un autre jour.