J'avais attendu presque une semaine avant d'envoyer le SMS à Jay. Après l'apéro qui s'était fini de manière très désastreuse, nous nous sommes pas mal rapproché. Nous n'avons, finalement, pas tant de points commun que ça, mais nous nous entendons très bien. Il est mon cousin et je pense que ma décision d'en faire le parrain de ma fille est plus que bien réfléchie. Même ma femme était d'accord pour ce point. Elle l'aime beaucoup, je le sais. Mais avec tout le stresse de cette semaine, tout ce qui s'est passé entre temps, la crise cardiaque de Clara, sa réanimation, son opération d'urgence... je n'avais tout simplement pas le temps ni même la tête pour penser à Jamie. J'étais assit à côté de la couveuse, une main posée sur le tout petit corps de ma fille, entrain de l'observer se remettre de l'opération d'il y a deux jours, lorsque je pense à Jamie. Me demandez pas pourquoi, mais son nom m'arrive à l'esprit et l'idée que je ne l'ai pas prévenu pour quoique ce soit me frappe de plein fouet. Et c'est à ce moment là que je lui ai envoyé un SMS.
Un simple 'tu es parrain'. Son excitation dans son message se lisait sans mal et j'avoue que je m'en veux un peu. J'espère qu'il va tout de même accepter d'être parrain malgré l'état dans lequel se trouve ma fille. Je pourrais le comprendre s'il ne le souhaite pas. Il a pas mal de souci lui aussi, dans sa vie privé, que je ne veux surtout pas lui ajouter un poids de plus. Mais nous verrons ça en temps et en heure. Lorsqu'il me dit qu'il sera la dans 10 minutes, je range mon portable et me lève. Je caresse une dernière fois la joue de Clara puis retire ma main de la couveuse et me détourne. Je préviens rapidement l'infirmière que je serais assez rapidement de retour, puis sort du service.
Je descends ensuite dans le hall où je m'installe dans un des fauteuils. Prenant une profonde inspiration, je me passe une main sur le visage en soupirant doucement. Si je le pouvais je m'endormirais là, maintenant, sur place, tant ces fauteuils sont confortable. Mais je ne peux, je vais devoir attendre mon retour à la maison. Et encore, je ne pense pas que je pourrais dormir cette nuit. Je ne rouvre les yeux que lorsque j'entends la voix de Jamie qui m'interpelle. Me redressant, je cligne un peu des yeux puis me lève et sourit à mon cousin.
« Salut Jay»le saluais-je en faisant deux pas vers lui. Je grimace lorsqu'une vive douleur se fait sentir dans ma cheville quand j’appuie sur mon pied mais essaie de l'ignorer. J'enlace rapidement Jamie et le sert un instant contre moi avant de me détacher. « Merci d'être venu » disais-je d'une voix qui ne me ressemble absolument pas. En général je suis bien plus enjoué et de bonne humeur, mais là je ne peux tout simplement pas. Même mon sourire me semble plus que forcé.
A peine mon message envoyé, je quitte la maison comme un courant d’air et saute dans la voiture. Les rues sont un peu encombrées et la circulation me fait arriver plus tard que je ne l’aurais pensé. Néanmoins, il ne me faut pas plus de vingt minutes pour atteindre l’hôpital. Seigneur, j’en connais l’itinéraire par cœur depuis à peu près tous les points de la ville sans même avoir besoin de GPS tant Joanne et moi sommes des habitués de la maison. Elle pour sa grossesse, et moi pour mes propres suivis qui nécessitent des rendez-vous particulièrement réguliers. Plus vraiment besoin de carte de fidélité à ce stade, une chambre à notre nom conviendrait tout aussi bien. Avec une place de parking. Je me gare sans trop de mal et atteins enfin le bâtiment. Mon pas est pressé, je ne supporte pas d’être en retard par rapport au temps dans lequel j’avais annoncé mon arrivée. Dans le hall, il ne me faut qu’une seconde pour repérer Thomas. Assis, il semble fatigué, dépité. Ses traits sont terriblement tirés, son regard dans le vague laisse deviner qu’il dort presque les yeux ouverts. Je serais sûrement à sa place dans quelques mois. J’approche de mon cousin, l’interpelant pour le sortir de ses songes. « Merci à toi de m’avoir prévenu ! » dis-je après une brève accolade, le sourire aux lèvres malgré l’inquiétude que m’inspire toute cette situation. Mon naturel optimiste m’aide à conserver une attitude aussi positive que possible, non sans prendre sur moi par moments. Mais pour le coup, je sens que Tom a bien besoin d’une épaule, et les miennes sont assez larges pour qu’il se repose dessus pendant un instant. A le voir, il a largement eu son quota d’émotions pour le mois. « J’ai hâte de la voir ! » dis-je avec ce même sourire. Depuis qu’il m’a proposé d’être le parrain de la petite, cela ne cesse de me trotter dans la tête, et de plus en plus au fur et à mesure que le moment fatidique approchait. Mais il me semblait qu’elle devait arriver un peu plus tard que cela. Pour ce que j’en sais dans ce domaine, c’est-à-dire rien du tout, je pensais qu’il restait un peu de temps. J’ai toujours un peu de mal à croire que c’est à moi qu’il souhaite confier ce rôle plutôt qu’à quelqu’un d’autre, et j’en suis terriblement honoré. C’est un peu comme un pacte entre nos deux familles et qui rend leur unicité un peu plus officielle, quelques mois après avoir découvert nos liens de parenté. « Enfin, je peux la voir non ? Ton message laissait penser que quelque chose cloche. » Je lance le sujet en douceur, espérant que rien de grave n’est arrivé. Au moins, la petite est bien en vie. Tom disait que ce n’était pas la grande forme. Je redoute la raison. « Dis-moi comment va Ida. » Depuis le sms de mon cousin, je m’inquiète également énormément pour celle que je considère comme mon amie. La grossesse de Joanne étant à risque, je ne peux que comprendre l’angoisse que la simple idée que l’opération puisse dégénérer engendre. En revanche, je n’imagine pas la panique face à une telle réalité. J’espère seulement qu’elle va bien.
Je m'en veux un peu – beaucoup ?- de ne pas avoir prévenu Jamie que maintenant. Sérieusement, il est le parrain de ma fille et n'a connaissance de sa naissance qu'une semaine après ? Je le prendrais assez mal, moi. Mais l'heure n'est pas aux remords infondés. L'important c'est que je l'ai prévenu finalement, non ? Dans tous les cas je suis, présentement installé dans un des fauteuils du hall d'entrée et j'attends la venue de mon cousin. Il a dit qu'il serait là dans 10 minutes et ne devrait donc pas tarder à arriver.
Et effectivement, c'est le cas. Alors que je suis entrain de m'endormir, je suis surpris par la voix de Jamie qui m'interpelle. Je me lève, le prends dans mes bras et le remercie d'être venu. En contre parti, il me remercie de lui avoir envoyer le message. Je ma passe une main dans les cheveux ; S'il savait … enfin peu importe. Je lui fais signe de me suivre et nous nous éloignons du hall d'entrée pour aller vers les ascenseurs. En l'attendant, Jamie me dit avoir hâte de voir Clara. Je baisse simplement le regard, ne répondant rien, pas même lorsqu'il me demande s'il peut vraiment la voir.
« T'as raison ...» soufflais-je en entrant dans l'ascenseur. Je me laisse aller contre la paroi et laisse la porte se refermer alors que Jamie me demande si Ida va bien. « Non, pas vraiment» disais-je en secouant la tête « Enfin. Pour tout t'avouer, Clara non plus ne va pas bien» je me passe une main sur le visage en soupirant « Elle est née trop tôt. Beaucoup trop tôt. 1 mois ½ avant terme» je déglutis et lève le regard sur Jamie « Elle est sous couveuse et son état est critique. Critique mais sa vie n'est pas en danger pour autant. Du moins, elle ne l'est plus » je me redresse et sort de l'ascenseur «Elle a fait une crise cardiaque hier matin et a dû être opéré d'urgence. Là elle est entrain de se remettre de l'opération mais elle a de fort risque de garder des séquelle à vie de sa crise » je me dirige vers la porte du service et sonne.
En attendant, je me tourne vers Jamie « En ce qui concerne Ida … elle n'est pas sortie de sa chambre depuis l'accouchement. Trop faible d'abord car elle a perdue pas mal de sang, elle n'en a tout simplement ni l'envie ni la force. Pour elle c'est dur aussi psychologiquement de mettre au monde un enfant bien trop tôt. Elle … pense avoir échouée » reprenais-je avec une petite pointe d'amertume. Je suis plus déçu qu'autre chose. J'aurais tellement aimé voir Ida comme elle l'était avec Alexander. Heureuse, soulagée, belle, magnifique, sensuelle. Prête à accueillir un autre enfant.
Enfin. J'entre dans le service lorsqu'on vient nous ouvrir et présente rapidement Jamie comme mon cousin et parrain de Clara « J'ai beau le lui dire et répéter, elle ne veut rien savoir » je regarde Jamie «Pas ici » disais-je doucement en entrant dans la pièce où se trouvent trois couveuses dont celle de Clara.
C'est face à un Thomas complètement épuisé, déprimé, dépité que je me trouve. Quelqu'un qui tient sur ses deux jambes par on ne sait quelle force, mais qui serait bien tenté laisser cette fissure en lui s'ouvrir complètement pour s'y enfoncer, s'y perdre, et se laisser engloutir tout entier par l'obscurité. C'est le lot des maris, des pères de famille. L'on attend d'eux qu'ils aient des épaules à toute épreuve, la tête froide en toutes circonstances, qu'ils puissent tenir les fondations du foyer quand tout semble s'écrouler. Il faut tenir bon. Rien n'empêche de montrer des signes de faiblesse tant que l'on se s'effondre pas. Parfois, cela demande un moral d'acier. Néanmoins, Tom est bien éreinté, et j'ai beaucoup de peine à le voir ainsi. Attentif, je l'écoute m'expliquer l'état de la petite Clara, née prématurément. Je fronce les sourcils, inquiet, lorsqu'il évoque sa crise cardiaque. Forcément, Ida n'est pas au mieux non plus. L'épreuve doit être rude pour toute la famille, et je ne pense pas qu'il y ait de fautif là-dedans. « Pourtant ce n'est pas de sa faute, elle n'a rien fait pour déclencher ça, non ? » je demande, bras croisés. C'est peut-être indiscret. Qui sait s'il s'est passé quelque chose qui a précipité l'accouchement, si elle a eu un problème, trop de stress, ou si elle a en effet été imprudente -mais la Ida que je connais ne mettrait jamais la vie de l'enfant qu'elle porte en danger.
Nous entrons enfin dans la salle qui accueille les couveuses, et je suis mon cousin jusqu'à celle de ma filleule. Elle est minuscule. Il est impressionnant de la voir là-dedans, couverte de patchs, reliée à une machine. Tous ces tubes me donnent un sacré coup au coeur, mais je garde un petit sourire. Elle est en vie après tout. Elle est là. « Salut toi. » Je me tourne vers une jeune femme en blouse et lui indique les deux grands trous qui permettent d'accéder au nouveau né. « Je peux ? » Elle acquiesce et me tend une paire de gants, précisant que je ne dois pas trop solliciter la petite, fragile, qui a bien besoin de repos. Je me contente de caresser sa tête du bout des doigts, délicatement, et inspecter ses minuscules mains. « Comme tu es mignonne. Le début du parcours est un peu difficile, mais ça ira mieux. Tout le monde est là pour toi. Et un grand homme a dit un jour : all you need is love. » Clara ne m'entend peut-être pas, et me comprend encore moins. Mais j'ai pris l'habitude de parler ainsi à mon fils à travers le ventre de Joanne, pour qu'il sache que je suis là. Dans le fond, cela me semble normal. Rien que le son, les vibrations d'une voix peuvent réconforter. Je ne laisse pas plus longtemps mes mains dans la couveuse, retire les gants et remercie la sage-femme.
Puis je me tourne vers Thomas. Ses traits sont terriblement tirés par l'inquiétude. « Il ne faut pas trop t'en faire, nous sommes forts dans la famille. » lui dis-je avec un petit sourire se voulant rassurant, une main sur son épaule. « Si une si petite chose a déjà pu survivre à tout ça, c'est forcément qu'elle est incroyablement forte. » Elle tient bon, elle s'accroche. Elle fait des belles frayeurs à son entourage, mais elle s'en sort. Je suppose qu'il faudra du temps avant qu'elle soit remise, mais le pire est sûrement passé, et tout ne peut aller qu'en s'arrangeant. « Je pense qu'elle s'en sortira très bien. » dis-je en toute sincérité. Mon regard se pose de nouveau sur Clara. Calme, elle aussi épuisée. J'observe son ventre qui se soulève et s'abaisse, t m'en contente complètement pour déduire qu'elle va bien. « Ils t'ont dit quel genre de séquelles elle pourrait avoir ? Peut-être qu'ils noircissent le tableau. »
Je suis content et soulagé de voir que Jamie soit venu. Ça me fait un bien fou de voir un membre aussi important de ma famille. Jamie et moi nous nous entendons très bien. Je pense qu'il peut être celui qui trouvera les bon mots pour me rassurer. Il a cette sensibilité que n'a pas spécialement un autre de mes frères. C'est pour ça que lorsque je le vois arriver dans le hall, ma fatigue se dissipe un petit peu. Pas beaucoup, juste assez pour me donner le courage de me lever et le prendre dans mes bras.
En chemin vers l'ascenseur, je lui explique le -ou plutôt les- problèmes sans trop entrer dans les détails. mon explication se concentre surtout sur Ida car s'est le sujet qui semble plus importé à Jay. lorsque je lui dit qu'elle s'en veut horriblement de ce qui s'est passé, il mz dit que pourtant ce n'est pas sa faute.
"ouais c'est bien mon avis aussi" répondais-je avant de secouer la tête "et non elle n'a rien fait de mal Ida. Elle ... Je ... Enfin la grossesse n'était pas de tout repos. Elle avait des douleurs, beaucoup de nausées. Après elle est retourné en Norvège pour Nouvel an. Peut-être que ce sont les 24h de vol qui ont amenés un stresse supplémentaire sur son organisme? Je ne sais pas"
Nous finissons par sortir de l'ascenseur avant et nous nous dirigeons vers le service de néonatalogie. Là je sonne et je laisse Jay entrer avant lorsqu'on nous ouvre la porte. Je lui explique encore rapidement que Clara est sous couveuse pensant que Jay soit assez intelligent pour comprendre tout ce que ça implique en plus. tout ça afin de minimiser un peu le choc qu'il peut avoir.
Nous arrivons dans la chambre dans laquelle se trouve ma fille. Je fait un rapide check des fonctions vitales, commençant a m'y connaître un peu dans ce domaine. Pendant ce temps mon cousin demande autorisation a l'infirmière de s'approcher de Clara. Elle lui donne des gants et je me décale afin qu'il puisse plus facilement y accéder.
Je le laisse totalement faire. Au début je mz sentais un peu tendu mais en voyant la douceur dont fait preuve mon cousin je me détends bien rapidement et l'observe, attendrit. Adorable. Il est beaucoup trop adorable. J'ai vraiment fait le bon choix en le désignant comme parain, bien que rien ne soit encore officiel.
JAmie fini par se tourner à nouveau vers moi et me demande les conséquences que pourrait avoir ces problèmes sur Clara, par la suite. Je croise les bras et hausse les épaules "des problèmes cardio pulmonaire sûrement" répondais-je sur une voix dans laquelle on sent l'inquiétude "sous formz d'asthme dans le mieux des cas, souffle au cœur ou carrément défaut et palpitation cardiaque dans le pire des cas" je me rapproche de ma fille et pose une main sur la couveuse en déglutissant "le risque de mort infantile est beaucoup plus élevé et ... Enfin, elle n'est absolument pas sortie d'affaire"
Je soupire doucement puis baisse le regard "dit Jay ... Ça tient toujours malgré tout ? " demandais-je après avoir pris une profonde inspiration et relève le regard sur mon cousin "tu veux toujours être son parrain, même si tu sais que ... enfin que ce ne sera pas facile avec elle ...?" en plus de toute la peur par rapport à la santé de ma fille se rajoute donc aussi la crainte de ne pas savoir si Jay souhaite garder ce statut qui me tient beaucoup à cœur, ou non.
Certes, vingt-quatre heures de vol n'était pas l'idée la plus brillante que puisse avoir Ida alors qu'elle était enceinte jusqu'au cou. Mais je suppose qu'elle avait ses raisons. « Ca devait être ainsi alors. » dis-je en haussant les épaules, sans aucun jugement. Je suis du genre à penser que tous les événements ont un sens et un objectif précis, qu'absolument rien n'arrive par hasard. Le destin est un pilote qui nous mène sur les routes qui ont été préalablement tracées pour nous. Parfois, il nous laisse gracieusement le choix d'aller à droite ou à gauche, à nos risques et périls. Mais le reste du temps, les choses sont ce qu'elles sont, et croire que nous avons la mainmise dessus n'est qu'une belle illusion à laquelle nous avons pourtant envie de croire.
Je ne saurais pas dire pourquoi la vie a décidé que la petite Clara devait naître trop tôt et dans de telles conditions. La raison apparaîtra sûrement plus tard, à moins qu'elle ne soit jamais visible. Ce n'est peut être pas sa vie à elle ou celle de ses parents que ces événements doivent changer. Mais, qui sait, celle de ceux qu'elle croisera tout au long de son existence et qu'elle inspirera par sa force. Après ce qu'on vécu son père, Ezra, James, Danny ou même moi, la petite saura mieux que quiconque qu'il ne sert à rien de s’apitoyer sur son sort. Aucune d'entre nous ne la laissera se voir comme une victime d'injustice. Et vu le caractère ambiant de la famille, cette fillette ne se laissera pas malmener par ses difficultés. « Tout ira bien. » je répète, sûr de cela, un sourire rassurant sur les lèvres. Je me doute que ce ne sont pas forcément des mots qui suffiront à apaiser mon cousin, mais il n'y a pas grand-chose d'autre à faire en attendant de vraiment savoir ce qu'il en est. Mieux vaut rester positif. Penser au malheur l'attire souvent jusqu'à soi.
Je plisse les yeux en voyant Tom soupirer, puis l'interroge du regard en entendant sa question. Il est légitime de penser que je pourrais demander à ne plus endosser le rôle que veut me confier le père de Clara. « C'est une question qui ne se pose même pas, Tom. » dis-je pourtant. « Bien sûr que ça tient toujours. » A mes yeux, rien de tout ceci ne saurait être remis en question. Je ne rejetterai pour rien au monde l'honneur qu'il me fait en voulant de moi comme parrain pour sa fille. Encore moins lorsque la situation se complique et qu'ils auront tous d'autant plus besoin de soutien. « Je serais vraiment ravi d'être là pour elle, de prendre soin d'elle. Tu peux compter sur moi. Et elle aussi. » Je suppose que cela va déjà le soulager d'un poids.
Je me penche de nouveau sur la couveuse pour admirer le petit être qui se trouve à l'intérieur. Si petite, si fragile. Je me sens déjà fortement lié à elle, alors qu'elle ne sait même pas qui je suis. « Mais tu dois me promettre que si elle a besoin de quoi que ce soit qui dépasse tes moyens, une opération, un traitement ou un médecin précis, tu viendras me voir. Et sans honte. » dis-je à Tom, particulièrement sérieux. J'ai les moyens, les contacts et l'influence nécessaires pour rendre leur quotidien bien plus simple. Même si le système de santé australien est à des années lumière de la cruauté de celui des Etats-Unis, et que Clara et sa famille seront toujours soutenus, il est des choses pour lesquelles ils pourront avoir besoin d'un coup de pouce. Trouver LE chirurgien qui saura la guérir, LE traitement qui rendra sa vie plus facile. « Si je peux aider, je le ferai. » Et il n'est pas question que Tom prive sa fille, ma filleule, de ce genre de chance juste par fierté. « J'y tiens. »
Jamie est parfait sous bien des points. J’ai toujours considéré son entrée dans notre famille comme un cadeau. Certes, nous avons des différences, certes nous ne sommes pas d’accord sur bien sujet, et pourtant nous nous entendons à merveille. Il a déjà prouvé à de nombreuses reprises qu’il n’était un Keynes que de nom. Son sang Beauregard a bien plus d’ampleur et est bien plus précieux. C’est ce côté-là, le soutient infaillible à sa famille, qu’il montre encore aujourd’hui. Il me conforte ainsi dans l’idée qu’il sera le parrain le plus parfait que je puisse imaginer pour Clara.
En chemin vers le service, je lui dis que non, Ida n’a rien fait de spéciale. Certes, la grossesse était dure, elle avait beaucoup de douleurs et des nausées et le stresse qu’elle avait lors de mon hospitalisation n’a sans doute pas arranger les choses. Le seul truc qu’elle n’aurait peut-être pas dû faire était de partir en Norvège pour la nouvelle année. Mais elle en avait besoin. Elle n’a plus vu ses parents depuis bien trop de temps, elle avait besoin de renouer avec sa famille et elle avait totalement conscience des risques qu’un si long vol comprenait. Mais elle était décidée. Alors je l’ai laissé partir. On ne sait pas si Clara est née prématurée à cause du stresse dans l’avion ? Enfin, là n’est pas la question. Jamie ne jugera pas Ida, alors je n’ai pas le droit de le faire non plus.
Nous arrivons rapidement au service, je présente Jamie comme étant le parrain de la petite et nous entrons. Arrivé devant la couveuse de ma fille, je laisse mon cousin faire connaissance avec elle et ce d’une manière les plus adorables qui soit. Il me dit alors que tout ira bien après que je lui ai énumérer les conséquences que pourrait avoir une telle naissance. C’est bizarre, je ne savais pas que Jamie était aussi positif. Ou peut-être ne l’est-il que pour moi, pour me rassurer ? Sans doute. Je parviens à lui offrir un petit sourire et hoche doucement la tête «On verra. En tout cas elle est entrain de bonnes mains ici » assurais-je « Le chirurgien qui l’a opéré avant-hier est plutôt bon. Du moins, l’est-il assez pour l’avoir sauvé» je ne l’en remercierais sans doute jamais assez.
Par la suite, vient la grande question : est-ce que Jamie veut toujours être le parrain de ma fille malgré tous les risques qu’elle encourt ? La réponse est évidente et lui vient sans réfléchir : oui. Oui il sera ravi d’être là pour elle. Un gros poids me tombe des épaules et j’hoche doucement la tête « Merci beaucoup Jay » disais-je avec sincérité en posant une main sur son épaule « Tu ne peux pas savoir à quel point ça me soulage» je regarde ma fille « Tu feras un parrain merveilleux. Le genre chez qui elle irait courir lorsque, adolescente, elle sera en pleine crise et détestera son père » un petit rire m’échappe alors qu’un sourire presque nostalgique prends place sur mes lèvres. Si seulement elle pourra survivre jusque là.
Jamie reprend ensuite la parole. D’une voix plus que sérieuse, il me dit que quoiqu’il arrive, si j’avais besoin d’aide financièrement parlant, pour Clara, je devrais me tourner vers lui et demander. Et ce sans aucune honte. Je le regarde, un instant hésitant. Jamie est riche, je le sais ça. Il vient de la haute société Londonienne et est un rédacteur en chef très reconnu ici. Et il est mon cousin ! Encore une raison d’être fier d’avoir un tel homme dans la famille. Enfin. S’il me dit ça, c’est qu’il en a les moyens, je suppose. Je fini donc par hocher la tête « Merci beaucoup Jay, j’y penserais sans faute» j’hausse doucement les épaules «Pour l’instant on se débrouille encore, nous avons des économies. Mais avec ma mise à la retraite de la Navy, Alexander à financer, Ida qui ne reprendra le boulot avant le mois prochain, je sens que ça va être assez compliqué. » je soupire doucement « Je ne veux pas priver Alexander de quoique ce soit, mais il faut absolument que je me trouve un travail le temps que je me trouve une réorientation …» je baisse le regard sur Clara. Ça risque d’être compliqué au bout d’un moment. Mais au moins je sais que Jay sera là.
Une main sur mon épaule, Tom me fait part de son soulagement maintenant qu’il est certain que je tiens toujours à être le parrain de sa fille. Je me dis que si j’avais refusé –cela ne serait jamais arrivé, mais admettons- je suis certain qu’un de ses frères aurait quand même accepté d’endosser ce rôle qui semble tant lui tenir à cœur avec grand plaisir et ce malgré les difficultés qui s’annoncent pour elle. Dans le fond, d’ailleurs, c’est d’autant plus flatteur pour moi qu’il tienne quand même à me le confier plutôt qu’à un membre de sa fratrie. Plus encore lorsqu’il me dit que je ferai un bon parrain. « Merci. » je souffle avec un sourire nerveux. Avoir une famille qui soit normale, saine d’esprit, c’est encore quelque chose de nouveau et étrange pour moi. J’ai grandi dans l’humiliation avec un père manipulateur et une mère antipathique qui n’ont jamais voulu d’un second enfant. Je ne suis pas proche de mes oncles et tantes, ni des cousins que j’ai toujours connus. Je suis le grand frère des Rhodes depuis quelques mois, et c’est un statut dont je ne suis toujours pas habitué. Alors qu’un de ces nouveaux cousins me choisisse comme parrain de sa fille, cela constitue tout de même un sacré tournant pour moi. Cela ancre ma place dans cette sorte de famille en patchwork que je découvre petit à petit. « Je l’accueillerai avec plaisir pour casser du sucre sur ton dos autour d’un thé. » j’ajoute avec un petit rire en observant le nouveau-né.
Je parviens à faire promettre à Thomas de ne pas hésiter à faire appel à moi s’il se retrouve face à n’importe quelle difficulté. Dieu sait quelles seront nombreuses pendant quelques mois, pour ne pas dire quelques années. J’espère que mon cousin tiendra parole et saura s’adresser à moi pour demander de l’aide si les économies de la famille ne suffisent plus. Ce qui risque d’arriver assez vite si Tom ne trouve pas un nouveau travail. « Tu trouveras facilement, je ne m’inquiète pas pour toi. » dis-je en l’invitant à quitter la salle afin de laisser les bébés présents se reposer en paix. Une discussion chargée d’inquiétudes de grandes personnes n’ont rien à faire dans l’espace vital de tous petits qui ont assez à faire de leurs propres combats. « La Navy a sûrement un poste à terre à te proposer, non ? Dans l’administratif, par exemple, avec des horaires fixes. » Après tout, être militaire ce n’est pas que être en mission. A la radio nous sommes régulièrement en contact avec leur pôle communication par exemple. « Être dans un bureau toute la journée n’a rien de drôle, j’en sais quelque chose, mais c’est un revenu comme un autre. » dis-je en haussant les épaules. De quoi mettre sa famille hors du besoin. « Ils ne vont pas te jeter comme ça, quand même. » Pas un homme qui a passé des années dans leurs rangs, qui a de l’expérience, qui les connaît par cœur. Quelqu’un de facilement recyclable dans un autre secteur. Ne pas en profiter serait une erreur.
« Et ce n’est pas un peu tôt pour que Ida reprenne le travail ? » je finis par demander avec un instant de réflexion. Tom m’a dit qu’elle reprendra le travail le mois prochain. Les congés maternité ne sont pas plus longs que ça ? Cela me choque d’autant plus que j’ai toujours considéré que la place d’une mère est auprès de son enfant pendant au moins les premières années de sa vie. C’est ce que je souhaite pour mon fils. Qu’il profite de Joanne autant que possible. « Un mois ça me semble court pour se remettre de ses émotions et profiter de Clara. »
Oui, Jay sera ce genre de parrain chez qui Clara ira courir lorsqu’elle détestera son père. Et Jay l’accueillera avec le plus grand des plaisirs pour casser du sucre dans mon dos, comme il dit. Je rigole doucement en hochant la tête. Il est parfait Jay. Et il le sera encore plus avec Clara. Même si j’ai eu du mal à me faire à l’idée qu’il soit un cousin dont je ne connaissais pas l’existence jusqu’à il y a moins d’un an, je n’imaginerais même plus une vie sans lui au final. Je pense que je ne le remercierais jamais assez d’être avec moi aujourd’hui.
Il me fait ensuite promettre d’aller le retrouver si Clara a besoin de quoique ce soit qu’Ida et moi ne pourront pas nous payer. Généreux en plus d’être adorable. Je le remercie chaleureusement, précisant qu’avec ma mise à la retraite et le fait qu’Ida ne travail pas, nous risqueront de ne plus avoir assez d’économies à un moment donné. Jay me rasure en me disant que je trouverais sans doute assez rapidement un boulot, que la Navy ne me foutera pas comme ça à la porte. Je baisse le regard en soupirant lorsqu’il me dit qu’il doit bien y avoir un boulot sur terre dans l’administratif à me proposer.
Je grimace, d’avantage encore lorsqu’il dit que le travail de bureau n’est peut-être pas agréable ni marrant mais que c’est un revenu comme un autre. « Je suis totalement d’accord avec toi. C’est juste qu’après avoir vécu 15 ans en plein cœur de l’action sur un navire, je n’arrive pas à me résoudre que je vais devoir être enfermé toute la journée dans un bureau» je soupire doucement et regarde Clara«Mais je vais bien devoir m’y faire à cette idée. Même si je sais pas si je ne vais pas plutôt en profité pour couper complètement les ponts avec la navy, tu sais ? » Je regarde Jay « Genre, prendre cette retraite comme un … comme un tournant et me réorienté vers un tout autre métier. Je t’avoue que l’idée de commencer une formation de kiné me revient de plus en plus souvent en tête» j’hausse les épaules «Je pensais commencer un dossier d’inscription, mais après elle est née et … voilà, il est toujours sur mon bureau » et je n’y toucherais plus tant que Clara ne soit pas rentré.
Au final, Jay me demande si Ida ne reprendrait pas le travail un peu trop tôt. Je le regarde puis hoche la tête « C’est vrai qu’un mois c’est cours, mais elle peut travailler à domicile avec son métier et elle peut arranger ses horaires. Elle est flexible. Et puis je suis là, moi aussi.» je pince légèrement les lèvres « et je pense que ça lui fera du bien de penser un peu à autre chose»
En toute logique, si Thomas le souhaite, la navy continuera de lui ouvrir ses portes. Certes, le terrain est terminé pour lui, c’est une chose à laquelle il doit se résigner, et cela semble aussi un peu le miner. “Oh, crois-moi, c’est quelque chose que je comprends bien.” dis-je tout bas avec un sourire compatissant. Je ne pensais pas finir dans un bureau moi-même un jour, quoi que cela était l’évolution la plus logique de ma carrière. Mais il n’est pas facile de tirer un trait sur le terrain, loin de là. Se lever tous les jours sans savoir ce qui nous attend vraiment, les imprévus, ce stress bénéfique, cette nervosité épanouissante. C’est un truc de masochistes, me direz-vous. Un truc que ne peuvent pas comprendre ceux qui n’ont jamais rien connu d’autre qu’un open space. Mais on s’y fait, au bureau. Malheureusement.
La vie de Tom change du tout au tout, rien n’est épargné. Et plutôt que de se raccrocher à la seule chose connue, un repère qui lui offrirait de la stabilité, le voilà avec une idée en tête, celle de complètement se réorienter. J’hausse un sourcil malgré moi, surpris avec une pointe de désapprobation. “Si tu veux mon avis, ce n’est pas le bon moment pour ce genre de bouleversements, il y en a déjà bien assez comme ça à gérer.” Il a toujours été dans l’armée, il s’y connaît, il aime ça. Je ne crois pas qu’il y ait moment plus mal choisi pour laisser tomber cela.
Mais chaque chose en son temps. Pour tout le monde, je pense, Clara est la priorité absolue. Elle a besoin d’eux, et sûrement plus longtemps qu’un mois. Les parents sont seuls juges à ce sujet, et Thomas semble persuadé que Ida a besoin de reprendre le travail tôt pour se remettre de cet accouchement prématuré, cet échec qu’elle vit si mal. “Je ne suis pas bon en psychologie féminine -”qui l’est?” tu me diras- et encore moins quand cela concerne la maternité, alors à mon avis Ida saura mieux que personne comment gérer la situation et faire ce qu’il y a de mieux pour elle et Clara.” En tout cas, j’ai pleine confiance en elle à ce sujet. C’est une bonne mère. Ma main se pose sur l’épaule de mon cousin. Nous retournons à l'ascenseur ; dans le hall, nous pourrons éventuellement prendre un de ces ignobles cafés sortis d’horribles machines juste histoire d’avoir quelques chose de chaud à boire en papotant. “Toi, avant tout de chose, profites de ta fille et de ton fils.” dis-je avant que l’ascenseur n’ouvre ses portes. Nous montons dedans et j’appuie sur le bouton du rez-de-chaussée.
Bras croisés, je réfléchis à la situation de Tom sans vraiment réussir à me mettre à sa place. Qui le pourrait? Mais je veux me rendre utile pour l’aider, je veux être une épaule sur laquelle il peut s’appuyer. “Je te trouverai des interventions comme consultant chez ABC si tu as besoin de mettre du beurre dans les épinards.” dis-je en haussant les épaules, gardant cette esquisse de sourire au coin des lèvres. Vu l’actualité, ce ne sont pas les opportunités de caser mon cousin quelque part à la radio ou à la télévision pour donner une expertise sur une info, ce sera toujours ça de pris. “Je peux prendre ta relève ici de temps en temps si tu veux, histoire que tu ailles te reposer chez toi. Tu as vraiment l’air vidé par tout ça.” je reprends une fois de retour dans le hall.
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