Ce soir, j’avais envie d’action. D’une bonne action bien divertissante. Il y a parfois des soirs où j’ai envie de me faire passer incognito pour aller draguer deux ou trois petits gibiers intéressants, surtout que depuis que je ne suis plus stérile, même si ce n’est pas vraiment le terme, je peux enfin chercher l’homme parfait qui me donnera mon enfant. Bien sûr il ne sera jamais parfait, parce que sinon je n’aurais aucun intérêt à le jeter dès qu’il m’aura fait mon enfant, mais au moins il aura de bons gênes. Toujours est-il que ce soir, non, ce n’était pas cette mission qui allait me divertir. J’allais aller au restaurant. Oui c’est étrange dit comme ça, mais je ne vais pas dans n’importe quel restaurant, c’est celui de ce cher Monsieur Blake qui a tout perdu en un claquement de doigts alors qu’il n’était même pas encore dans ce pays. Je l’avais connu dans une soirée mondaine à l’époque et on avait bien sympathisé. Aussi, quand j’ai appris sa chute sociale, ce fut un déchirement de perdre une autre créature mondaine et intéressante. Mais ce ne fut qu’un souffre-douleur de plus quand il arriva sur Brisbane, et autant dire que ça me plaît tout autant comme divertissement. Evidemment, depuis je l’ai bien emmerdé déjà, tellement que je n’ai plus accès à son restaurant. Seulement ils n’ont jamais été futé dans ce domaine-là. Alors j’avais réservé une table pour deux ce soir-là sous un faux nom et m’y rendais munie de ma perruque brune, histoire de ne pas non plus trop attirer l’attention. J’avais également fait un effort pour ne pas m’habiller trop sexy, plutôt classe, avec mon tailleur rouge et noir et m’étais rendu au rendez-vous. Ce ne fut pas bien difficile d’entrer finalement, ils ne demandent jamais de pièce d’identité au final, c’est bien trop facile. Je m’installais à ma table  et me commandais à manger en passant inaperçu. Ce ne fut qu’au moment de l’arrivée de mon plat que j’interpelais le serveur pour lui faire une remarque désobligeante sur le repas Votre plat monsieur, ne devrait pas figurer au menu, c’est une horreur. Faites-le bien savoir à votre patron. Lui expliquais-je calmement mais d’une voix bien stricte et froide à lui en glacer le sang.

S'il y avait bien une chose que Lawrence détestait c'était les clients mécontents. A chaque fois qu'il recevait une plainte de l'un d'entre eux, il cherchait toujours à trouver où se trouvait le problème. Etait-ce un réel souci dans sa cuisine ou s'agissait-il d'un emmerdeur qui venait lui casser les pieds avec un petit air prétentieux? C'était là le défi à vouloir pécher sa clientèle dans les rangs de la haute société. Il avait amélioré le menu, y avait ajouté de fins mets dont les  gastronomes français auraient certainement pu s'inspirer et pourtant, il y avait toujours quelque petit enquiquineur pour venir lui chercher misère. "Monsieur, une dame en salle nous a..." Le serveur se sentait mal à l'aise devant le chef cuistot. Lawrence qui était justement dans les parages s'approcha en écarquillant les yeux. "Qu'y-a-t-il Steven?" Gêné de devoir maintenant rapporter les dires de la femme à son boss, Steven lui expliqua brièvement la situation et Lawrence, très solennel sortit pour aller discuter avec la cliente mécontente. Il ne lui fallut aucun temps de réflexion pour directement reconnaître Rebecca. La blonde incendiaire avait beau se cacher sous une perruque brune, il ne pouvait la confondre. Serrant les dents, il s'approcha de sa table avec agacement. "Rebecca, que puis-je pour toi?" Il savait qu'il venait de lui offrir une occasion en or pour qu'elle le fustige d'insultes avec un de ses sourires hypocrites mais il n'en avait que faire, il voulait qu'elle disparaisse au plus vite. "J'espère que ce plat était réellement infect, cela t'apprendra peut-être à ne plus remettre les pieds par ici." dit-il en regardant l'assiette qu'elle avait tout de même assez bien entamée. Il ne savait pas pourquoi la jeune femme prenait ce malin plaisir à lui mener la vie dure. Ils avaient bien accroché à New-York lorsqu'ils s'étaient rencontrés. Mais c'était comme si cette femme féline avait soudain décidé qu'il ne méritait pas sa considération. Probablement une des conséquences de sa déchéance dans la société dont ils étaient tous deux issus. Et ce comportement des plus abjects le confortait dans son déplaisir face à de telles personnes. Ils s'étaient bien entendus mais cela ne comptait plus à partir du moment où son compte en banque n'était plus supérieur à celui de la dame Priest.  

Il ne fallut pas bien longtemps à ce cher Blake de me reconnaître. Quel déception. J’aurais bien joué la cliente mécontente incognito encore un peu. Mais au moins j’avais réussi à traumatiser son serveur, peut-être qu’avec un peu de chance il va démissionner et Blake devra se démener pour en trouver un autre. C’était minime, mais rien que cette idée pouvait me satisfaire, du moins pour l’instant. Parce que malgré le fait qu’il m’ait reconnu, je n’allais pas non plus le laisser tranquille, sans avoir pris la peine de finir son plat. Je faisais mine de rien, ni déçu, ni contente, juste froide, le regardant pour finalement reporter mon regard sur mon plat presque terminé. Il était mangeable, même s’il ne valait pas la qualité d’un autre restaurant que je préférais davantage Mmh ce n’est pas terrible mais je peux m’en contenter. Faut dire que je l’ai commencé, je vais tout de même prendre le temps de finir. Surtout si c’est pour polluer ta clientèle. Pas sûr que je te donne tout de même le moindre sous pour ce plat vraiment pas terrible. Faudrait que tu songes à viser un peu plus haut. Déjà que tu es au plus bas Blake, songe à gagner quelques étoiles, ça te redonnera un peu confiance en toi. Disais-je avec totale hypocrisie pour l’emmerder le plus possible, faisant passer mes paroles pour des conseils alors que je me moquais simplement et clairement de lui. Bien sûr il a tous les droits de me virer dehors, mais c’est à ses risques et périls, il sait très bien que je peux lui faire une scène devant ces mangeurs infectes que je n’osais même pas regarder, pour lui faire perdre le peu de réputation qu’il possède.

Plus le temps passait et moins Lawrence supportait la jeune femme. Il n'arrivait pas à comprendre comment certaines personnes pouvaient prendre du plaisir à en tourmenter d'autres. Après tout, n'étaient-ils pas tous des êtres humains? Et voir Rebecca à l'action lui rappelait les méfaits de Nathan Siede. Il se disait qu'après tout, cette vengeance qu'il planifiait aurait probablement bien lieu d'être. Ces gens sans scrupules méritaient qu'on les remette à leur place une bonne fois. Cependant Lawrence ne savait pas que faire de Becca. Il aurait voulu la mettre dehors mais il savait qu'elle aurait fait une scène et bien que l'idée de l'humilier devant tout le monde l'enchantait, il ne savait qui s'en sortirait le plus mal entre eux deux. La femme avait tout de même une certaine réputation et lui non. Qui aurait-on cru? Et jusqu'où irait-elle pour lui casser les pieds? "Mange, mange à ta faim oui, on dirait que tu en as besoin." Il désigna la silhouette bien trop fine de la blonde incendiaire. "Même si tu devrais éviter de manger toutes les garnitures, tes hanches semblent suffisamment mal en point!" C'était bas mais c'était le jeu que elle même avait ouvert. Un jeu mesquin et sans fin. Elle devait être assez superficielle que pour se soucier de son apparence, non.?  Il s'assit sans y être invité et poussant l'assiette vers Rebecca lui dit sur un ton calme mais mauvais "Mais mange vite et dégage de mon restaurant." La prochaine étape c'était d'appeler la police. Il se fichait de ce que cela ferait au restaurant mais elle avait réellement le don de le hérisser. Pas parce qu'elle se moquait de lui mais parce qu'elle prenait plaisir à abattre un homme à terre, du moins ce qu'elle pensait être un homme à terre.

Mon petit jeu de ce soir a toujours été d’actualité chez moi. Ou tout du moins depuis le début de mon adolescence, voire même un peu avant. J’ai toujours pris ce malin plaisir à emmerder les autres, à aller toucher là où ça fait mal. Mais le plus jouissif c’est quand ils se sentaient réellement attaqués et qu’ils perdaient les pédales. Avec Blake c’était différent. J’essayais de le ramener plus bas que terre, mais il trouvait toujours un subterfuge pour m’évincer, pour m’envoyer balader comme s’il n’avait que faire de ce que je lui disais. Et je sais très bien que ce n’est pas le cas, ce n’est jamais le cas. Et avec personne. Il était prometteur oui, mais il n’a pas eu de chances. Sauf que la chance on se la provoque, et il est évident que sa chute il ne doit s’en vouloir qu’à lui-même. Une image ça se préserve, ça se chérit, chose qu’il ne semble pas comprendre, vu ce qu’il me dit avant de m’inciter à finir mon plat et s’être installé en face de moi. Quel privilège dis donc ! Faut savoir Blake, je suis maigre ou grosse ? Si tu hésites comme ça, je ne comprend pas comme tu arrives à gérer ce lieu … Enfin tu dois te faire assister plus qu’autre chose, c’est même évident. C’était aussi évident qu’il ne pourrait jamais réussir à m’atteindre, à moins que la chance tourne enfin à sa faveur, mais il allait devoir faire fort, je suis plutôt du genre intouchable. Il voulait bien evidemment que je déguerpisse rapidement, mais ce n’était pas mon souhait, non, bien au contraire Oh … Vraiment ? Tu es sûr que tu ne veux pas que je t’aide à reprendre ta vie en main ? Lui demandais-je faussement intéressée et triste pour sa petite vie devenue minable pour finalement lui sortir un sourire mesquin.

Il faillit éclater de rire lorsqu'elle lui demanda de préciser le fond de sa pensée. Cette femme l'exaspérait. Cette fausse sensualité qu'elle arborait à chaque sourire assassin, son air dédaigneux, cette façon de snober tout le monde... il se demandait pourquoi elle était aussi imbuvable. "Tu n'as jamais vu des maigrichonnes diformes?" Il la regarda avec cet air morne qui lui donnait bien plus de force qu'une grimace. Puis haussant les épaules, il jeta un oeil autour de lui avant de lui répondre à la seconde partie de sa phrase. "Crois-le ou non mais certaines personnes sont capables de se débrouiller par elles-mêmes. On n'a pas tous besoin d'un larbin sous la main pour nous brosser les dents." Il faisait évidemment référence au train de vie démesuré de ceux qui vivaient comme lui vivait autrefois. Si cela lui manquait? Evidemment. Mais il s'était habitué. Et il était même très fier d'avoir appris la valeur du travail à ses dépends. Il était heureux d'avoir découvert l'autre envers du décor. Cela le rendait bien plus fort.  Mais alors qu'il lui suggérait de se dépecher de partir, elle s'étendait. Elle ne voulait pas obtempérer et alors il souleva un doigt pour qu'accoure un de ses serveurs. "Mademoiselle Priest a bientôt fini de manger. Quand ce sera le cas, veuillez la raccompagner jusqu'à la porte et vous assurer qu'elle sorte. Ah et oui, j'oubliais, la prochaine fois ne vous laissez pas duper par une perruque." Lawrence désigna le haut de la tête de Rebecca avant de soupirer avec dépit "Même si je vous concède que la clientèle de ce restaurant est rarement aussi pathétique que pour utiliser de pareils subterfuges..." Insultant ainsi Rebecca, il dégageait son serveur de toute responsabilité. Il se leva et poussa sa chaise à sa place.  

Des maigrichonnes difformes. Où est-ce qu’il avait bien pu aller chercher ça ? Une maigrichonne avec une grosse poitrine ou des hanches d’éléphant ? Non, il a du prendre un sacré paquet de drogue avant de me parler de ça. Hum .. Non. Lui répondais-je sans prétention, sans y prendre une quelconque insulte pour ma part, je sais très bien que mon corps a de parfaites formes et impeccables, que nombreuses femmes m’envient. Je n’ai aucune besoin de son avis pour le savoir. Il ne cherche qu’à me blesser en retour comme je sais si bien le faire, donc ça ne m’atteint guère. Et il enchaîna. Avec une réplique que je ne comprenais pas vraiment. Il croyait vraiment que je me fais assister ? C’est qu’il est encore plus bas que je ne le pensais Crois-le ou non, les apparences peuvent être trompeuses, et que surtout tout le monde n’est pas né avec une cuillère en or dans la bouche. Alors comme ça il ne savait pas que j’étais à la tête d’une équipe et que mon argent, et mon statut dans la haute société je l’ai gagné par moi-même ? Mais je restais avec mon éternel sourire mesquin, peu importe ce que je lui disais ou ce qu’il me disait, il ne partirait pas. Non, c’est moi qui n’allais pas tarder. Je l’écoutais m’insulter encore une petite fois, prise d’un rire effroyable pour finalement me levant, faisant couiner la chaise en la repoussant en arrière et lui répondais Il n’y a que le personnel pathétique pour se faire duper ainsi. Mais tu as raison, je ne vais pas abuser de ta si généreuse hospitalité. J’ai des choses bien plus importantes à faire. Ce fut un vrai divertissement. Lui répondais-je avec un bien plus large sourire, retirant par la même occasion par perruque qui me grattait un peu tout en secouant ma chevelure dorée et partir en direction de la sortie, ayant bien profiter de ma soirée gratuite.

Malgré toute la hargne dont elle faisait preuve, Rebecca était tout de même d'une certaine sensualité. Lawrence regrettait l'époque où elle était correcte avec lui. Mais cela remontait à bien longtemps. Un temps où il la pensait décente. Pas telle le monstre impitoyable auquel il avait maintenant affaire. Elle ne l'insultait pas que lui, elle s'en prenait à tout son personnel. "C'est tellement bas de critiquer tout ce qui te passe sous la main. J'imagine que c'est une lubie, un passe-temps nécessaire pour les personnes aussi superficielles que toi." Il attendait patiemment mais fermement qu'elle se lève et parte. Elle se défit de sa perruque et il grimaça. Elle était une mascarade. Une jolie blonde qui cherchait à se déguiser pour venir faire du tort. Quel pouvait donc y être son intérêt? Il se demandait si elle était juste mauvaise ou si elle s'ennuyait. Mais au fond il s'en fichait, qu'elle parte, il ne voulait pas prolonger leur discussion. "Au revoir." maugréa-t-il sans aucune autre forme de politesse. Il fit un signe de tête au garçon pour qu'il la raccompagne et s'assure qu'elle était bien partie. Il ne la voulait plus du tout dans la zone. Si cela n'avait pas été un manque d'esthétique il aurait placardé son visage partout dans le restaurant pour spécifier qu'elle était indésirable ici. Il sourit à l'idée avant de retourner en cuisine.