« Vous pouvez rouler plus vite s’il vous plaît. » Le chauffeur de taxi me fusille des yeux, pour ma part, je suis blanc, très blanc et j’ai l’impression que je vais mourir. « Vous ne pensez pas que vous en faites un peu trop ? Et puis faites attention de ne pas tâcher ma banquette » me demande le chauffeur de taxi, mais je ne lui réponds pas, j’essaye de nouveau de joindre ma sœur, mais elle semble trop occupée pour s’intéressait à ma situation. Pourquoi je me mets ainsi dans tous mes états ? Parce qu’en voulant pour une fois rendre service à ma sœur, j’ai fait la vaisselle et il y avait un verre cassé qui m’a coupé le bras. Lorsque j’ai commencé à perdre du sang, mon premier réflexe a été d’appeler Ellie, mais elle n’a pas répondu, bien trop occupé avec ces patients à l’hôpital. Je me suis dit ensuite que le mieux à faire était de me rendre à l’hôpital, alors j’ai appelé directement le taxi. Pourquoi ne pas appeler directement une ambulance ? Tout simplement parce que je n’y ai pas pensé.

Lorsqu’il me dépose enfin au parking de l’hôpital, je lui glisse deux billets trouvés dans mes poches et je file en trottinant jusqu’aux urgences. Je regarde brièvement autour de moi, pour trouver Ellie, mais je ne la vois pas, j’avance alors à l’accueil. « Excusez-moi, je viens de me couper, il faudrait qu’un médecin me recoud, vite ! » La standardiste me fixe, pas du tout impressionnée par mon ton inquiet et me demande de lui faire voir ma fameuse blessure et quand elle la voit, elle l’inspecte calmement, tandis que moi je suis plutôt tendu. Elle se mets à sourire et me dit que je vais devoir attendre en salle d’attente. « Quoi ? Mais je vais me vider de tout mon sang et en mourir … Appelez ma sœur, c’est Ellie, elle travaille ici. » Elle me regarde toujours calmement, mais je remarque bien que je l’embête. « Ellie Wheeler ? Je ne pense pas que votre sœur puisse vous aidez, elle est pédiatre, elle s’occupe donc exclusivement des enfants. Votre blessure n’est pas profonde, restez donc appuyé avec vos compresses sur la plaie et dès qu’un médecin se libère, il regardera votre plaie. » Je n’en crois pas mes oreilles, je vais vraiment devoir attendre pendant que je me vide de mon sang ? « Mais, madame … » Elle me fixe alors sans plus le moindre sourire aux lèvres. « Monsieur, allez dans la salle d’attente ! » Son ton autoritaire me fait flipper et je n’insiste pas, je file m’asseoir dans la salle d’attente déjà rempli. Je m’assois à côté d’une brunette et en face d’une vieille dame qui ne me quitte pas des yeux. Je fixe plusieurs fois ma plaie, prêt à pleurer, d’ailleurs je sens que les larmes me montent, mais la vieille dame face à moi me regarde d’une telle manière que je n’ose pas me mettre à chialer. Ce regard qui veut dire ‘comporte toi comme un homme, pas comme une mauviette.’ Sauf que je n’y peux rien moi, si je suis une mauviette. Le courage n’a jamais été l’une de mes qualités, et puis Ellie a tendance à dire que je suis un froussard et je ne la contredis jamais, donc c’est sûrement vrai. Qu’on me vienne en aide, par pitié.

Je n’avais pas pour habitude de faire un tel vacarme, même qu’habituellement j’étais quelqu’un de très discret, mais faut dire que ma frousse l’emportait sur mon bon sens et ma timidité. Je suis donc en train d’hurler à l’hôpital, sans me dire que dans la salle d’attente des dizaines d’autres personnes attendent d’être soigné. Sur l’ordre de la femme se trouvant à l’accueil, je vais m’asseoir sans rien ajouter, essayant de prendre sur moi-même, même si je n’ai qu’une envie, c’est de pleurer. Je fais rapidement un combat de regard avec la vieille dame qui se trouve devant moi, mais elle gagne le duel haut la main, je me contente de baisser les yeux. J’attends alors que le temps passe, tapant nerveusement du pied sur le sol, lorsque la brunette à mes côtés m’adresse la parole. « Ils sont un peu débordés. » Je tourne alors la tête vers elle, avec une tête de chien battu. « Oui, je me doute, mais j’ai un peu mal. » J’ai presque envie de la supplier elle de me venir en aide, mais si elle est assise à mes côtés, c’est bien qu’elle a également un problème, non ?  Je la regarde de la tête aux pieds, mais elle ne semble avoir aucun problème physique, mais je ne pense pas que les urgences soignent les problèmes mentaux, alors c’est peut-être quelques choses qui ne se voit pas. Je ne prends pas plus de temps à l’observer, car elle me demande ce qui m’est arrivé. Je lui fais alors montré rapidement ma plaie au bras, mais la vue du sang me fait frissonner, alors je la recouvre aussi vite avec les compresses. Je réfléchis un instant, me disant que je ne vais quand même pas osé lui dire la vérité, elle me prendrait pour un véritable looser. J'en suis peut être un, mais c'est une inconnue, elle n'a pas besoin de le savoir, alors je me mets à mentir. « Il y avait le feu dans un immeuble et une femme criait à l'aide. Du coup, j'ai voulu l'aider et je suis rentré dans l'immeuble, j'ai grimpé au moindre cinq étages en évitant les flammes et puis ensuite en sautant par la fenêtre avec la femme dans mes bras, je me suis coupé. Mais t'inquiètes j'ai l'habitude. » Et puis comme si c'était un signe, mon bras se mets à me piquer, comme pour me dire de ne pas mentir, alors je fais une petite moue et la regarde en pinçant ma lèvre supérieure. « La vérité, c'est que je faisais la vaisselle et je pense qu’il y avait un verre cassé et puis … Voilà le résultat. » voilà autant lui dire la vérité, si elle veut se moquer elle pourra. On a fait clairement plus viril comme blessure, mais bon, j’aurais préféré ne rien avoir du tout, ça aurait été plus facile pour moi. Je ne peux m’empêcher de lui retourner la question. « Et toi, pourquoi tu es là, tu m’as l’air en forme ? » Bah oui, elle semble bien, je ne comprends pas et je n’aime pas, pas comprendre. Je me mets à stresser de nouveau pour mon bras. « Tu penses qu’ils vont quand même vite s’occuper de moi ? » Elle ne peut pas trop savoir, après tout elle patiente comme moi et comme toutes les personnes dans la salle, mais peut être qu’elle essayera de me rassurer et c’est ce qu’il me faut actuellement.

Je mens à la jeune femme à côté de moi. De quoi j’aurais l’air en disant que je me suis coupé à cause de la vaisselle que ma sœur m’a obligé à laver aujourd’hui. Je me mets alors à lui inventé une histoire sortie de mon imaginaire, en passant pour un héros qui aurait sauvé une femme des flammes, alors que lorsque quelqu’un fume à côté de moi et allume son briquet, je frémis, trouillard que je suis. Je lui dis alors la vérité, mais je vois dans ce regard que de toute manière, elle ne croyait pas mon mensonge. Elle me confirme qu’elle n’y a pas cru une seconde, car je n’ai pas de suie sur le visage. C’est vrai que je n’y avais pas pensé. Elle m’explique qu’elle a des amis pompiers et qu’à chaque fois qu’ils reviennent d’intervention, ils en ont plein le visage. Je me mets alors à avoir un petit rire nerveux. « Je ne suis pas un très bon menteur, mais je trouvais plus cool l’histoire du sauvetage que l’histoire de la vaisselle. » Pour une fois que je voulais passer pour un mec cool, c’est raté, elle m’a repéré direct. Elle me dit aussi qu’elle ne pense pas que je vais en avoir pour longtemps, car l’hôpital n’aura pas trop envie que je salisse leur salle d’attente. Ce n’est pas bête comme idée, si je mets du sang partout, peut-être qu’ils s’occuperont de moi, mais je trouve ça assez sale. Je la questionne sur sa présence aux urgences et elle m’explique qu’elle est là pour faire des examens. Soudain j’oublie mon bras et j’en viens presque à m’inquiéter pour elle, même si je ne la connais pas, elle m’a l’air sympathique et je n’aimerais pas apprendre qu’elle a quelques choses de grave. « Et qu’est-ce que tu as ? Ce n’est pas trop grave j’espère ? » Pour qu’elle soit obligé de rester à l’hôpital près d’une semaine, je pense que ce n’est pas une maladie bénigne non plus. « Enchanté Eireen, je suis Kenneth. » Grâce à elle, j’ai presque oublié la douleur dans mon bras grâce à elle, mais simplement parce que je me dis que son cas est peut-être plus important que le mien et que je n’ai pas le droit de me plaindre. « Tu vis à Brisbane ? » J’essaye alors de lui changer les idées en parlant d’autres choses que la maladie, des choses qui l’aideront peut être à se sentir mieux ne serait-ce qu’un instant.

Bon d’accord, on a compris, je ne sais pas mentir. Faut dire que ce n’est pas quelques choses qu’on mets dans un cv ou dans une conversation, c’est pas une qualité qu’on demande à quelqu’un d’avoir. Moi, je suis apparemment trop honnête pour pouvoir mentir à quelqu’un. Tant pis. Elle me dit qu’une fois dehors, je pourrais mentir, mais je pense que je vais arrêter là ma carrière de menteur, ce n’est pas fait pour moi. On en vient à parler de la maladie de Eireen, qui semble bien plus grave que son physique laisse paraître. Elle a donc une leucémie, tout du moins une rechute. Je ne suis pas certain de savoir ce que c’est vraiment, mais je sais que ce n’est pas quelques choses de marrant. Elle m’a l’air attristé pour le coup et si ce n’était pas une inconnue, je l’aurais pris dans mes bras. « Je suis sûr que ça va aller, tu sais pourquoi ? » Je la laisse réfléchir un instant à la réponse, avant de la lui donner. « Parce que si ma sœur a accepté de bosser ici, c’est parce que c’est l’un des meilleurs hôpitaux du pays. » Bon, j’en fais peut-être un peu trop, parce que si ma sœur bosse ici c’est parce que c’est le seul hôpital de la ville, mais bon j’essaye de la rassurer comme je peux et faut dire que je ne suis pas doué pour ça non plus. Pour éviter de garder le sujet sur sa maladie, qui n’est pas quelques choses de forcément très joyeux et que j’espère ainsi pouvoir lui changer un peu les idées, on se présente chacun notre tour et je lui demande si elle a toujours vécu à Brisbane. Elle me confirme que oui, elle est née et a grandi à Brisbane, ce que je trouve plutôt cool, car c’est une ville vraiment sympathique. Elle me retourne la question et je lui réponds pour sourire. « Non, je suis là depuis un an et demi, je suis originaire de Melbourne. » Ma ville d’origine me manque parfois, mais le calme et le fait que Brisbane soit une ville plus petite me font du bien, je n’ai pas l’impression de courir après le temps comme ça. D’après Eireen, après la vieille femme qui m’a foutu les chocottes quelques minutes auparavant se sera à moi. J’aurais enfin la chance de me faire soigner, mais à vrai dire, depuis que je parle avec la brunette à mes côtés, j’ai complètement oublié la douleur, j’ai même oublié que je me trouve à l’hôpital. « C’est cool, je vais pouvoir aller m’acheter une glace après ça. » Je rêve d’un pot de glace à la vanille, mais je repense à la jeune femme qui est coincée ici et je continue à lui sourire. « Écoute, je ne pourrais pas rester avec toi après, ma sœur m’a donné beaucoup de truc à faire la maison … » Je m’arrête en repensant à tout ça, je me mets presque à frissonner. « Mais je peux un pot de glace aux goûts de ton choix. Pour m’avoir rassuré pour mon bras. » Et aussi parce que je suis sûr que ça lui ferait plaisir, après tout, personne ne résiste à la glace.

Je suis vraiment triste pour elle ; c’est une gentille fille, du moins c’est l’impression qu’elle me donne et puis même si elle n’aurait pas été une personne agréable, je lui souhaite vraiment de guérir, car personne, surtout quelqu’un d’aussi jeune, ne mérite de connaître une telle maladie. Je remarque bien qu’elle ne semble pas très optimiste sur sa situation, mais j’essaye de la faire sourire, voir rire. Ce qui ne fonctionne pas. Elle a vraiment l’air soucieuse, même si elle ne veut pas le faire montrer et je suis impuissant face à ça. J’aimerais véritablement l’aider, mais je ne peux pas, je ne suis pas médecin et je ne m’y connais pas du tout en maladie. Je me dis que je ne pourrais pas faire ce métier, car ne pas pouvoir trouver une solution pour tous les gens malades me feraient vraiment mal au cœur. On en vient à parler de ma ville natale, Melbourne. Elle m’explique qu’elle n’a jamais mis les pieds à Melbourne, ce qui me surprend assez, car c’est la deuxième plus grande ville d’Australie, même la capitale n’est pas aussi remplie. Après, je peux comprendre qu’elle n’est peut-être pas une grande voyageuse ou pour tout autre raison. « C’est une très belle ville, après il faut aimer vivre dans les grandes villes, je me sens quand même mieux à Brisbane. » Et c’est vrai, car je n’ai jamais été aussi épanouie qu’ici. A Melbourne, je n’aurais jamais osé prendre à la parole face à une femme comme Eireen, j’aurais fait profil bas. J’en viens à lui proposer de la glace, car j’ai envie d’aider comme je peux la jeune femme, mais elle m’explique qu’elle ne peut pas en étant ici, ce qui me fait perdre mon grand sourire. J’aurais vraiment voulu lui en ramené. Elle finit par me dire qu’elle serait d’accord pour une glace une fois sorti d’ici, je retrouve automatiquement mon visage d’enfant. « Super. Je prendrais de tes nouvelles tous les jours auprès de ma sœur, comme ça dès que tu pourras sortir, je t’offrirais la fameuse glace. » Je n’aurais jamais osé parler comme ça à une inconnue auparavant et voilà que je lui propose littéralement de prendre une glace avec moi. Elle m’explique que quelqu’un vient me chercher et je fixe alors la fameuse infirmière, je ne suis plus du tout rassuré pour le coup. Je me lève, en fixant Eireen sans être très serein. Lorsque le mur m’empêche de voir la jeune femme, je me concentre sur l’infirmière qui m’enlève mes compresses et prend un air de surprise. « C’est grave ? » J’en attrape presque des sueurs froides, mais là elle se mets à rire. « Pas du tout, ce n’est rien du tout, il n’y aura même pas besoin de faire de point de sutures. » Elle nettoie alors la plaie, pour la recouvrir d’un espèce de pansement, levant parfois la tête vers moi avec un petit sourire moqueur. Dès que c’est fait, je vais remplir tous les papiers qu'on m'oblige à signer et je retourne dans la salle d’attente pour faire voir à Eireen mon bras de loin. Je m’approche d’elle et lui fait un bisou sur la joue, comme un enfant. « Merci Eireen, j’espère qu’on se reverra très vite. Je te dois un pot de glace » Je ne lui reparle pas de sa maladie, car je suis sûr que tout se passera bien et qu’on se reverra à l’extérieur. Je lui offre mon sourire le plus beau et je fonce vers l’extérieur de l’hôpital, prenant la route à pieds pour rentrer à la maison. Il y a une bonne leçon à retenir de tout ça : Plus jamais je ne ferais la vaisselle pour ma sœur.