Rosalie avait un rendez-vous avec celui qui suivrait de près les finances de son club sur le point d’ouvrir ses portes. Aussi, s’était-elle apprêtée comme à son habitude, ne laissant aucun détail au hasard. De sa chevelure à ses ongles en passant par ses vêtements issus de la dernière collection d’un créateur à la mode, rien de trop extravagant cependant. Elle vérifia une dernière fois qu’elle avait en sa possession tous les papiers constituants son dossier réclamée par l’expert et elle se sentit enfin prête à prendre la route. Elle s’autorisa néanmoins un petit passage devant le miroir pour inspecter une dernière fois son apparence et surtout son sourire qui devait correspondre à l’image qu’elle était désireuse de communiquer. La française maitrisait parfaitement le jeu des apparences, plusieurs années de pratique à son effectif et tout à fait consciente qu’obtenir l’aide d’un si grand cabinet ne se ferait pas sans mal, elle voulait se sentir prête pour cela. D’autant plus que si elle avait un rendez-vous aujourd’hui c’était grâce à une connaissance qui la portait en haute estime qui avait convaincu cet expert reconnu de lui accorder un peu de son temps.

Le véhicule s’immobilisa devant la grande bâtisse et Rosalie s’en extirpa sans un mot pour son chauffeur qui connaissait les rouages du lien qui l’unissait à sa patronne. Les talons de madame Blake claquèrent en direction de la porte, puis de l’ascenseur dans lequel elle s’engouffra. Appuyant sur les boutons pour indiquer l’étage désiré, elle sortit son téléphone pour consulter ses mails, pour la seconde fois depuis ce matin, un signe d’impatience. Elle attendait une réponse de ce créateur italien qui lui avait communiqué l’envie d’intégrer ses créations à son futur défilé, et puisqu’il serait sur Brisbane dans les prochains jours, il avait suggéré qu’ils se rencontrent pour en discuter. A mi-chemin, elle fut rejointe par un visage qu’elle identifia immédiatement, pour son plus grand déplaisir et comme si cela ne suffisait pas qu’elle ait à se coltiner cette chère Milena, la cabine émit une plainte métallique avant de s’arrêter net. Merveilleux.

“Miss Grimes, le chef de chantier m’a appelé, il semblerait que les travaux vont prendre un peu plus de temps que prévu…” Il passa sa main dans sa nuque, gêné d’annoncer une telle nouvelle à une Milena déjà bouillante de rage. “…mais il faudra également revoir le budget à la hausse.” Voilà, la grenade était lancée. Il fallait à présent attendre quelques secondes avant qu’elle n’explose. Milena sentit ses membres trembler. “Pardon?!” S’il y avait bien une chose que la redoutable avocate n’appréciait pas, c’était qu’on la mène en bateau. “Attendez…” Elle s’installa plus confortablement sur son siège, regarda avec envie le verre de martini que la secrétaire fébrile lui avait servi avant de poursuivre: “…je vous ai engagé pour vous occuper du financement de mon cabinet, nous sommes d’accord?” Il hocha la tête en ravalant sa salive. L’homme était âgé, rempli d’expérience et d’habitude, il paraissait sûr de lui. Mais il fallait croire que Milena était l’une des rares à le faire flancher. “Comment expliquez-vous le fait qu’à CHAQUE FOIS que je vous rends visite, vous me demandez un supplément?” Cette fois-ci, elle sortit de ses gonds. “Gérer des finances n’est-il pas VOTRE METIER?” Elle vociférait, ses cheveux lui tombaient sur le visage lorsqu’elle s’exclamait et accentuait certains de ses mots. “Alors monsieur, vous n’aurez pas un centime de plus. Débrouillez-vous pour arranger ce merdier.” Là, elle devenait incontrôlable. Elle employait même des mots qu’elle n’aurait jamais osé prononcer. “Bonne journée.” Sur ce, elle retourna les talons et se dirigea à grandes enjambées vers le couloir principal. Elle prit l’ascenseur et retourna dans le parking pour prendre place dans sa voiture. Elle fulminait. Et puis elle se rendit compte qu’elle avait oublié son sac, elle n’avait que son téléphone en main. “MERDE.” Elle tapa du pied contre le pneu arrière de son véhicule et se hâta de remonter à l’accueil. Elle ne dit mot à la secrétaire et pénétra dans l’ascenseur déjà occupé par… une personne qu’elle n’appréciait pas. Décidément, le ciel était bel et bien contre l’Anglaise. Elle respira un grand coup et se recula contre la paroi, à l’opposé de Rosalie. L’ascenseur démarra et s’arrêta net après quelques pétarades. “Il ne manquait plus que ça…” Milena prit sa tête entre ses mains et tapa du pied, espérant qu’il redémarre. Rien n’y fit et elle remarqua ensuite le rictus caractéristique de la rousse. “J’aurais tellement préféré être coincée ici avec Warren… Comment va ton cher mari? Tu l’embrasseras de ma part.” L’avocate toisa son interlocutrice avant de sourire dans le vide.

La tension était palpable dans la cabine métallique. Il fallut quelques longues secondes à Rosalie pour mettre en place une stratégie. Elles étaient visiblement coincées ensemble dans un espace aussi exigu, donc le mieux qu’elle avait à faire c’était de garder le silence. Elles n’avaient rien à se dire et vu leurs différents, il valait mieux qu’elles ne s’attardent pas sur ce point. Rosalie fut ainsi décidée à faire l’impasse sur la présence de la jeune femme, cherchant un moyen de sortir d’ici car elle risquait fort bien d’être en retard et la ponctualité était un point sur lequel elle était à cheval. Aussi, fit-elle fi sur la première remarque de la brune, sortant son téléphone afin de s’enquérir de l’heure et vérifier qu’elle avait bel et bien le réseau auquel cas cela soit nécessaire, malheureusement non. Puis finalement ses résolutions volèrent en éclat lorsque la jeune femme mentionna son mari. Madame Blake voyait d’un mauvais œil la relation qui unissait son époux et à Milena, trouvant que cette dernière prenait beaucoup trop de place dans leur couple et cela n’avait rien avoir avec le fait qu’elles ne s’entendaient pas, ni avec une quelconque jalousie. Rosalie Blake n’était pas jalouse, elle considérait être au-dessus de tout cela, bien trop sur le contrôle de ses émotions pour se permettre une telle ouverture. « Il va très bien, merci de t’en soucier » répliqua-t-elle sur un ton cordial bien que froid. Le moins que l’on pût dire c’était que Milena Grimes savait la faire sortir de ses gonds. « D’ailleurs pour information, ce n’est pas en frappant l’ascenseur qu’il repartira » à comprendre, qu’elle devait se montrer beaucoup plus productive pour qu’elles sortent d’ici, car, il était certain qu’aucune des deux ne voulait s’attarder en compagnie de l’autre. Rosalie s’approcha du côté gauche, et appuya sur le bouton d’urgence afin que quelqu’un s’intéresse à leur situation. Avisant une note, ses prunelles repérèrent un numéro à appeler en cas d’incident. « Ton téléphone a le réseau ? » demanda-t-elle à Milena, peu ravie requérir l’implication de cette énergumène.

Être coincée dans un espace aussi confiné avec Rosalie était bien la dernière chose dont Milena pouvait rêver. Elle ignorait le pourquoi du comment, mais elle ne l’appréciait pas. Et elle savait que c’était réciproque. La jeune avocate entretenait une relation amicale avec le mari de la rousse, et elle savait pertinemment que cela la froissait. Elle la soupçonnait même d’être jalouse parfois, même si ses airs de femme frigide ne laissaient rien transparaître. Milena trouvait sa capacité à être incolore, inodore et insipide assez troublante. Enfin, là n’était pas le propos. Elle se laissa aller à un sous-entendu méticuleusement choisi sur le mari de la femme au foyer et scruta sa réaction avec intérêt. « Il va très bien, merci de t’en soucier. D’ailleurs pour information, ce n’est pas en frappant l’ascenseur qu’il repartira » Elle prononça cette phrase avec un ton assez froid, et Milena ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel, accoudée au fond de la cabine. Elle ne lui répondit pas et laissa passer Rosalie qui allait à présent jeter un coup d’oeil aux boutons de la machine métallique. Elle finit par se retourner après quelques secondes d’investigation. « Ton téléphone a le réseau ? » Milena resta une demi-seconde dans une espèce d’expression d’incrédulité avant de poser les yeux sur l’unique chose qu’elle possédait entre les mains: son téléphone portable. Elle soupira en répliquant: « Non, rien. Ca vaut vraiment la peine d’avoir l’abonnement le plus cher tiens… » Elle s’accouda à nouveau contre la paroi. « Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Einstein? » Elle croisa les bras en ne quittant pas des yeux son interlocutrice.  

Y avait-il quelque chose de plus désopilant que deux femmes ne pouvant se supporter qui étaient amenées à devoir compter l’une sur l’autre pour se sortir d’une mauvaise passe ? Rosalie aimait à croire que non, tout comme elle aimait à croire que quelqu’un ou quelque chose là-haut prenait un malin plaisir à mettre sur son chemin ce genre de situation. Sans doute pour la punir de ne pas pousser assez loin ce style de vie écologique qu’elle conseillait à tout le monde. Après tout, ne valait-il pas mieux préféré les escaliers aux ascenseurs ? Cela lui aurait évité de se retrouver piéger avec Milena dans tous les cas, néanmoins, vous avouerez que cela n’avait rien de pratique lorsque l’on était en talons, nul doute que cette entité étrange qui se jouait d’elle ne devait en aucun cas être une femme. « Non, rien. Ca vaut vraiment la peine d’avoir l’abonnement le plus cher tiens… » Sur ce point, madame Blake était d’accord, tenez donc, à peine trois minutes piégée avec Milena Grimes qu’elle se mettait déjà à partager son avis, encore quelques minutes et nul doute qu’elle deviendrait meilleures amies, ce qui signifiait des sorties shoppings entre copines, des discussions profondes sur leur nombre d’orgasmes qu’elle avait eu durant leur vie ou bien encore de soirées devant Grey’s Anatomy. Si elle n’avait pas été aussi agacée à l’idée que ce téléphone acheté trop cher n’était d’aucune utilité, Rosalie aurait certainement souri à ces hypothèses. « Qu’est-ce qu’on fait maintenant, Einstein? » Milena croisa les bras, un regard franc dans sa direction, ce que la française prit pour un défi et dut faire un effort surhumain pour ne pas lever les yeux au ciel. « J’ai appuyé sur le bouton d’urgence, nous verrons bien ce qui se passe » cette réponse était mieux que celle qui lui était venue naturellement, à savoir, on s’assoit et on prendre le thé sur un ton ouvertement sarcastique. « C’est un immeuble très fréquenté, quelqu’un s’en rendra vite compte » Elles n’étaient pas les seules à opter pour l’ascenseur, c’était ce que se disait Rosalie, on volera vite à leur secours, avant qu’elles ne finissent par se faire des confidences espérait-elle avec un humour caustique. Comme pour éviter ce drame, une voix masculine s'éleva bientôt pour leur faire savoir qu'ils feraient aussi vite que possible pour les sortir de là.

Cette manie qu’avait la française de toujours montrer qu’elle en savait bien plus que tout le monde agaçait l’avocate. C’était d’ailleurs l’une des principales raisons de son aversion pour la demoiselle, ajouté au fait qu’elle ne se montrait pas des plus tendres envers Milena. Mais bon, cette dernière pensait que cela était purement et simplement dû à sa jalousie. Une sorte de jalousie maladive, un inconfort permanent, comme une insécurité maladive face aux absences répétées de son homme d’affaires de mari. Mais Milena n’en était pour rien, et jamais elle n’aurait envisagé une quelconque aventure avec Warren. Elle avait trop de respect en l’institution du mariage, puis elle n’était tout simplement pas intéressée… ce que Rosalie croyait à tord. L’avocate s’impatientait, et interpella la rousse sur ce qu’elles devaient faire à présent. « J’ai appuyé sur le bouton d’urgence, nous verrons bien ce qui se passe. » L’Anglaise leva une énième fois les yeux au ciel. « Tu as bon dos, toi, tu n’as rien à faire de tes journées. Il y a des gens qui doivent travailler ici… » Elle s’impatienta un peu plus encore et tapa du pied contre le sol miteux de la cabine. « C’est un immeuble très fréquenté, quelqu’un s’en rendra vite compte » Milena croisa les bras et commença à regarder autour d’elle. Aucun échappatoire. « Y a intérêt. » Elle jeta un coup d’oeil à son téléphone qui ne lui était d’aucune utilité pour se donner une contenance. « D’ailleurs, je me demande… Qu’est-ce que tu fais ici? » Elle releva la tête avec nonchalance pour regarder la rousse.

« Tu as bon dos, toi, tu n’as rien à faire de tes journées. Il y a des gens qui doivent travailler ici… » Rosalie voulut répliquer mais s’abstint, cela n’en valait pas la peine. Elle avait mieux à faire que se prendre la tête inutilement avec Milena, malgré ce que cette dernière pouvait penser. Elle n’était pas d’ailleurs la seule à penser ainsi, Rosalie était une femme au foyer et par définition, elle n’avait rien de mieux à faire de ses journées que de se montrer dans des endroits huppés, de déjeuner dans des restaurants très bien quottés et de dépenser l’argent de son mari dans des achats inutiles. Ce qu’elle faisait, mais pas seulement. « D’ailleurs, je me demande… Qu’est-ce que tu fais ici? » Madame Blake porta son regard sur la brune, un petit sourire sarcastiques aux lèvres, ne sachant par où commencer. Non pas qu’elle songeait à lui fournir une réponse à cette question mais surtout parce qu’elle ne comprenait pas qu’elles se retrouvent ainsi coincées, ensemble, et pourquoi Milena avait ce besoin de faire la conversation. Il ne faisait aucun doute qu’elles s’insupportaient mutuellement, autant rendre la chose plus agréable en faisant silence. Soudain, elle entendit un remue-ménage métallique, indiquant que l’ascenseur repartait, suivi d’une voix qui voulut savoir comment ça allait « ça va » répondit Rosa sans plus de cérémonie et la voix enchaîna s’excusant de la gêne occasionnée et annonçant que la panne était réparée. Ce n’était pas trop tôt. Un étage plus haut, les portes s’ouvrirent, annonçant la sortie de miss Blake et cette dernière se tourna d’ailleurs vers Milena, un sourire nettement plus moqueur cette fois « Bonne journée mademoiselle l’avocate » nul besoin d’être un génie pour saisir le sarcasme.