« Je t’en pris Elio ! C’est même pas pour moi, je devais remplacer un pote mais c’est impossible ce soir ! » Je soupire lourdement au téléphone. « Sérieux Nathan ? Tu peux pas me refiler au dernier moment toutes les soirées où tu veux pas aller ! J’ai une vie aussi ! » « C’est la dernière fois mon pote ! Je t’amène les partitions dans une heure et je t’explique tout ! C’est pas compliqué promis. » « Dernière fois ? » « Promis » Je suis plus ou moins sûr qu’il m’a promis la même chose la dernière fois mais je n’en tiens pas trop compte. J’avais d’autres projets pour ce soir mais je crois que je vais devoir abandonner mon canapé et penser à aller prendre une douche. Je ne peux pas dire que ma vie est bien passionnante depuis quelques semaines. Non pas que je m’apitoie sur mon sort – j’ai bien tenté de sortir, de me changer les idées mais le cœur n’y était pas. Sans parler des jumeaux qui me réclament Kyrah un jour sur deux comme si le simple fait qu’elle m’ait quitté la rendait d’un coup beaucoup plus intéressante. C’est bien eux qui la détestaient au début non ?
Nathan ne tard pas à arriver. Il m’explique que c’est un gala pour gagner de l’argent pour une association caritative qui aide les petits enfants qui meurent de faim en Afrique. A sa tête je vois bien qu’il essaye de m’attendrir pour être sûr que je ne lui refuse pas mon aide. « Je t’ai déjà dis oui Nathan, c’est bon ! Je peux quand même savoir pourquoi t’y vas pas toi ? » Son petit sourire cocasse me fait vite comprendre. « Une fille ? » « Oui et pas n’importe laquelle je peux te dire… » Partagé entre l’envie de lui dire de fuir loin très loin des emmerdes qu’une femme peut amener dans sa vie, et mon plaisir de le voir si heureux je décide de ne rien dire l’écoutant parler de ce fameux Gala de charité. « Tu peux animer une peu la soirée avec ce que tu veux. Mais après il y aura les danseuses. Là tu prends cette partition ! Tu te plantes pas et ça sera parfait. » « Je me plante jamais tu le sais bien. » Ma vanité mise de côté Nathan fini par s’en aller en me donnant l’heure et le lieu du rendez-vous. « Et habille toi classe ! C’est un gala mon gars. » Je lève les yeux au ciel en refermant la porte. Comme si je ne savais pas m’habiller classe.
J’arrive avec 5 minutes d’avance. La salle est immense, le genre salle de gros riches qui vont boire bien trop et faire un petit cheque pour se donner bonne conscience. Beurk… Je suis accueil par un homme qui de toute évidence n’était pas au courant que le pianiste officiel serait absent et une fois passé le moment de bougonnerie il finit par me présenter un peu les lieux et m’expliquer le déroulement de la soirée Puis il m’emmène à une loge. « Tu peux te préparer ici. Je viendrais te chercher d’ici une trentaine de minutes. » Je regarde la pièce avec étonnement. Il est sérieux ? J’ai une loge ? Je devrais plus souvent remplacer Nathan au final. Je me change tranquillement et décide de sortir pour visite un peu les coulisses qui ont l’air sans fin. Je crois quelques filles qui sont sans doute les fameuses danseuses dont Nathan m’a parlé. L’une d’entre elle me jette un regard un peu plus prononcé et je réponds par un simple signe de la tête. Il y a peu de temps encore j’aurais sauté sur l’occasion mais il faut croire que je ne suis toujours pas remis de ma récente rupture. Si on peut appeler ça comme ça. Et c’est sans surprise que je finis par me perdre. Impossible de me rappeler par où sont les loges. Je finis par m’approcher d’un groupe de filles qui trainent non loin. « Bonsoir… Je m’excuse je cherche le chemin des looo… » Ma voix se casse quand mon regard se pose sur elle. Kyrah. C’est pas possible, pas encore, pas ce putain de destin qui nous amène toujours au même endroit. Ca n’est même plus drôle juste douloureux. Je détourne alors le regard aussi vite que possible. « Le chemin des loges. Je me suis perdu. » Je tente surtout de ne plus croiser son regard. Parce que l’éviter. Faire comme si elle n’existait pas c’est encore la meilleure solution que j’ai. Même si mon sang tape si fort dans tout mon corps qu’il m’est presque impossible d’entendre la réponse que l’une des filles vient de me donner. Je vois juste son bras se lever pour me montrer une direction et je la prends en murmurant un « Merci » à peine audible. Je quitte le groupe avec cette envie de vomir qui me prend tout semble tourner et je n’ai qu’une envie, fuir très loin d’ici. Je marche sans m’arrêter, sans savoir où je vais, la souvenir glaçant de son regard qui croise le mien. De ce moment où nous nous sommes reconnus. Je sais que je ne peux pas faire semblant de ne pas l’avoir vu et pourtant c’est ce que fais. Parce que c’est le seule moyen que j’ai de me protéger. Parce que je ne veux pas l’entendre parler et encore moins pour me dire qu’elle est heureuse sans moi… Car je ne le suis pas sans elle.
J’enfouis frénétiquement mes affaires dans mon sac de sport lorsque Romeo arrive dans la chambre. « Tu t’enfuis ? » Je tourne la tête vers lui et rien que l’idée que ce soit le cas m’enveloppe d’un étrange sentiment de plénitude. Mais je sais que je ne peux pas, je ne peux plus, je suis prisonnière de lui, au moins jusqu’à ce que je trouve le moyen de vraiment partir sans mettre ma vie en danger ni celle des gens que j’aime. Je lui offre un sourire un peu triste. De toute manière, depuis que vis chez lui, qu’il a réussi à me convaincre de me marier avec lui, c’est ce que je suis. Définitivement triste. Je subis ma vie comme je n’aurai jamais pensé le faire un jour. « Je préfère mes affaires pour le gala de ce soir. Tu te souviens ? » Il s’avance vers moi et m’attire à lui pour m’embrasser. J’ai appris à faire semblant, je n’ai pas le choix. « J’avais oublié. C’est pour une association c’est ça ? Et tu vas danser. » Je hoche la tête. « Oui. » « Je suis désolé mon amour je ne pourrai pas être là. Tu m’en veux ? » Je secoue la tête cette fois. Bien sûr que non, je préfère même qu’il ne soit pas là. Je suis en train de faire une overdose de sa présence, j’en peux plus, je crois que je me préfèrerai morte. Ce soir, je pourrai respirer. « Faut que j’y aille, je dois y être à 17h pour les répètes avec les autres danseuses. » Il m’embrasse à nouveau. « Ok. J’enverrai Stu te chercher après. » « Non laisse, je prendrai un taxi, je sais pas trop à quelle heure ça va finir. ». Il s’éloigne et je reprends discrètement mon souffle, comme si je ne pouvais respirer que loin de lui. « Oh, Tamara chérie !? » Je lève les yeux vers lui et il s’approche à nouveau. « Regarde, j’ai fait ajuster ta bague. Tu vas pouvoir la porter ! » Il sort ma bague de fiançailles de son écrin pour l’enfiler à mon annulaire gauche. Les larmes me montent aux yeux. Pas par émotion et bonheur comme pourraient le faire les autres femmes en recevant une bague aussi belle. Non, là j’ai juste envie de pleurer, hurler, lui faire bouffer. Je vais devoir porter ce gros diamant et je n’ai pas intérêt de le perdre. Ça m’étonnerait même pas qu’il ait foutu un traceur dedans ce psychopathe.
Une heure plus tard, le chauffeur de Romeo me dépose devant l’immense salle prestigieuse qui nous accueille ce soir pour ce gala caritatif. Danser. Ça me manque tellement. J’en frissonne même à l’idée que je vais pouvoir fouler une scène, devant des gens. Les répétitions se passent bien, mais nous jouons pour le moment sur une bande sonore enregistrée, ce soir, on aura un vrai pianiste qui nous accompagnera. Je préfère danser quand un musicien joue pour nous et avec nous plutôt que la froideur d’une bande sonore. Sur le parquet, je me sens revivre, littéralement, j’oublie tout, ma vie foireuse, mon futur mari qui me séquestre. Ce soir, je suis juste Kyrah. Kyrah la danseuse. Avant de danser, nous allons serrer quelques mains, nous fondre dans la masse, alors j’ai enfilé ma plus jolie robe. Une de celles que Romeo adore m’offrir pour l’accompagner à ses soirées de merde où je me fais chier comme un rat mort et où j’ai mal à la mâchoire à force de sourire faussement comme une bonne petite femme du monde. Mon cul ouais. Je dormais dans la rue y’a encore six mois !
Vêtue donc d’une magnifique robe de grand couturier, courte devant et touchant le sol à l’arrière, un bustier mettant en valeur ma petite poitrine et mes cheveux ondulés tombant en cascade sur mes épaules. Au pied, une paire de talons aiguille de plus de centimètres sur lesquels je pourrai danser sans aucune difficulté, comme si j’étais née avec. Je discute avec les filles, nous sommes cinq, et marchons dans les couloirs alors que mon regard est fixé sur la jeune femme à côté de moi à qui j’explique quelque chose de complètement futile. « Bonsoir… Je m’excuse je cherche le chemin des looo… » Mon regard se tourne à l’instant où j’entends cette voix familière, celle-là même qui fait exploser mon coeur dans ma poitrine en une fraction de seconde. Putain. Je tourne la tête vers lui. LUI. C’est pas possible, pourquoi la vie nous en veut à ce point ? Il détourne rapidement le regard et une envie de pleurer s’empare de moi. « Le chemin des loges. Je me suis perdu. » Je me sens conne, tellement conne. Une de mes amies lui indique la direction et contrairement à lui, je n’arrive pas à détourner mon regard de lui. C’est impossible. « Merci » Je le regarde partir mais ne me retourne pas, ce serait beaucoup trop douloureux. J’avale difficilement ma salive et essaie de reprendre un souffle plus naturel pour ne pas éveiller les soupçons. « Putain il était canonissime celui-là. Faites-moi penser à le retrouver après quand il aura bu un peu de champagne ! » Je serre les dents. « Et donc tu disais ? » Je suis perdue. Je relève les yeux vers la jeune femme qui me demande de poursuivre notre conversation mais j’en suis bien incapable. « Je euh… je sais plus. Merde. Attends j’ai oublié un truc dans la loge. M’attendez pas, je vous rejoins dans la salle ok ? » Je fais demi-tour et accélère un peu le pas. Comme si je pensais pouvoir le rattraper. Bien sûr que non, il a déjà disparu. Pourtant, je me prends à prier pour que la vie m’aide à le retrouver. Maintenant qu’on est là tous les deux. Je ne sais même pas ce que je suis en train de faire. Je dois l’éviter, je le sais, pour son bien, pour le mien. Mais c’est plus fort que moi. Finalement, je m’arrête au milieu d’un couloir, soupirant pour essayer de ravaler les larmes qui cherchent à perler sur mes joues, par l’émotion, la peur, et tout un tas de mélanges d’émotions qui se propagent comme un poison dans mes veines. Soudain une porte s’ouvre près de moi, je m’écarte un peu pour ne pas me la prendre, et c’est le visage d’Elio qui apparaît, plongeant son regard dans le mien. Putain. Pourquoi c’est si puissant ? J’ai l’impression de rêver. J’ai juste envie de lui sauter dans les bras, l’embrasser, lui dire à quel point je l’aime. Mais ce serait cruel. J’esquisse un sourire, un sourire triste. « Décidément. Je crois que le destin est contre nous. » Je me racle un peu la gorge et baisse les yeux, nerveuse. « Tu… tu vas bien ? » Mais quelle conne. Quelle conne ! Autant lui demander si c’est la fiesta depuis que je l’ai envoyé chier comme la pire des merdes. Lorsque je relève le regard et croise le sien, c’est une explosion à l’intérieur de moi. Pourquoi c’est si puissant ce qui nous lie ? Et pourquoi la vie cherche sans cesse à nous remettre sur le même chemin alors que c’est impossible ? Je soupire un peu alors qu’il ne répond pas. « T’as raison. C’est idiot. Je… je vais retourner dans la salle. Bonne soirée Elio. » Je ne sais même pas ce qu’il fait là, je ne suis pas sûre de vouloir le savoir. S’il s’avère que c’est lui qui joue ce soir, je ne suis pas sûre que j’y arriverai…
Je ne sais pas où je marche, je crois que je n’ai même pas suivi la direction que l’on m’a indiquée. Le plus important étant simplement de m’éloigner de Kyrah. De retrouver mon souffle et de calmer mon cœur qui s’est emballé d’un seul coup. Je rentre dans les premières toilettes que je trouve et m’asperge d’eau alors qu’enfin je semble me calmer. Relevant la tête j’observe mon reflet dans le miroir avec un certain dégout. Je me déteste de la laisser encore me toucher autant, de ne pas savoir être plus digne. De ressentir encore tout mon corps la désirer alors même que je devrais juste la haïr, l’oublier. C’est ce que je tente de faire pourtant, depuis des semaines. Passant tantôt du coureur de jupon que j’étais à l’époque à cet homme aigri et déçu des femmes qui ne veut plus les voir. Kyrah a détruit quelque chose en moi et la revoir me donne cette impression étrange que je ne saurais jamais me rebâtir… Pas sans elle. Quand je sors des toilettes elle est là à nouveau, son regard qui plonge dans le mien, faisant renaitre mes souvenirs. Je m’arrête pour l’observer sans un mot espérant que ce silence suffise à la faire bouger de mon passage. Pourquoi elle est là d’ailleurs. Pourquoi elle n’est pas restée avec ses amis. « Décidément. Je crois que le destin est contre nous. » Je fronce les sourcils d’abord avant de prendre la parole d’un ton froid. « Qu’est ce que tu fais là ? » La question est générale et en réalité elle n’a pas de réponse que je ne connaisse déjà. Parce que même si j’ai l’impression qu’elle m’a suivi je sais que ça n’aurait pas de sens. Pourquoi le ferait-elle alors qu’elle m’a bien fait comprendre qu’elle ne souhaitait plus me voire. « Tu… tu vas bien ? » Cette fois je lève un sourcil en secouant légèrement la tête. Je ne quitte plus son regard, je n’ai plus envie d’être faible. Il n’y a qu’elle et moi dans se couloir. On se connaît assez pour ne pas avoir à se cacher. A jouer à ces jeux stupides de politesse. D’ailleurs je ne réponds pas à sa question me contentant d’un regard froid. « T’as raison. C’est idiot. Je… je vais retourner dans la salle. Bonne soirée Elio. » « C’est ça… Bonne soirée à toi aussi. » Je n’arrive même pas à lui souhaiter ça sincèrement alors que nous prenons tous deux des directions différentes. Je finis par retrouver ma loge non sans mal, la boule dans mon ventre qui ne cesse de se resserrer. « Ah t’es là ! J’te cherchais ! Tout vas bien ? On dirait que t’as vu un fantôme. » Je tente un sourire sans doute peu satisfaisant mais c’est suffisant pour l’homme qui me regarde de haute en bas jugeant sans doute mon costume pour décider si il est correct ou pas. « Très bien, allons-y » Je devrais sans doute remercier mon père. Ce costume est un cadeau de lui, au moins il m’aura servi à quelque chose. « Nous avons encore quelques trucs à mettre en place mais tu peux aller profiter du buffet en attendant, je te ferais signe quand tu pourras commencer à jouer. » Je ne me fais pas prier pour me jeter sur un verre de champagne que j’engloutis d’un trait espérant faire passer mon malaise et mon envie malsaine de scruter les environs à le recherche de Kyrah. « Monsieur Harrington c’est ça ? » Je me retourne pour faire face à une jeune femme. « Pitié non c’est mon père… Moi c’est Elio. » La jeune femme me fait un sourire un peu charmeur et je la remets enfin. « On s’est croisé avant des les couloirs et je viens d’apprendre que vous… Enfin tu serais notre pianiste. J’espère que tu es bon. » Je fais un petit sourire partagé entre l’envie de me lancer dans ce petit jeu de séduction et l’impression que tout ça est puéril. Si je le fais ça serait en grand partie dans le but de rendre Kyrah jalouse… Hors je pense qu’elle a dépassé ce stade aujourd’hui. « Je suis le meilleur. » Et puis merde, je fais ce que je veux. J’attrape un deuxième verre que je bois presque aussi vite que le premier. « Whoua… Stressé ? » Je la regarde sans trop comprendre avant de me rendre compte de la vitesse à laquelle j’ai descendu mon verre. « Heu… Non non… J’avais soif… » Voilà que mon regard se pose sur Kyrah. A nouveau, comme un aimant. Comme si il ne pouvait capter qu’elle dans cette foule de gens. Je ne peux m’empêcher de la trouver belle dans sa robe, ces cheveux qu’elle remet lentement derrière son oreille. Je me souviens de leur odeur, j’envie la personne qui peut la toucher, la sentir, l’aimer… Je l’envie comme je la déteste. Je les déteste toutes les deux. Son regard croise le mien et je le détourne pour le reposer sur la jeune femme. « Je vais gentiment devoir me préparée mais on se voit après Elio ? » Elle insiste sur mon prénom avec un sourire immense. « Oui bien sûr. » La jeune femme est mignonne et si Kyrah n’était pas dans les parages peut-être même qu’elle me ferait son petit effet mais comme à mon habitude mon cerveau ne pense qu’à la belle Russe. Et j’ai beau tenter de me défaire c’est impossible. La voyant s’éloigner du groupe pour prendre un verre je me dirige vers elle, me poste un peu derrière elle sur sa gauche. Il me semble la voir légèrement se crisper, comme si elle sentait ma présence avant même que je la touche, que je lui parle. Alors que mes lèvres son incapable de sortir un son pendant plusieurs secondes et que je reste figé derrière elle. Trop proche. Mon souffle dans son cou, mon regard sur son épaule dénudée qui fait monter un désir que je refoule aussi vite. « Désolé Kyrah… » Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi je m’excuse. Peut-être de ne pas savoir accepter. Je l’avais pourtant promis un essaie et elle pourrait décider. Elle a fait son choix aujourd’hui et je devrais le respecter sans pour autant devenir un connard de première. « On est pas obligé de faire comme si on se connaissait pas… Enfin on est pas des gamins… » Je rie un peu parce qu’au fond c’est ce que j’ai l’impression d’être un gamin. Un gamin qui c’est fait briser le cœur et qui ne s’en remet pas. « J’ai juste pas envie de faire semblant que la situation me convient… Que je t’en veux pas… Mais je vais bien. » C’était sa question première et même si ma réponse est un mauvais mensonge c’est sans doute ce qu’elle attend de moi. Elle ne veut pas savoir à quel point elle me manque. Je me penche un peu en avant pour attrape le verre qu’elle n’a toujours pas pris, mon corps frôlant légèrement le sien. Je regrette aussi vite ce contact et me redresse alors que Kyrah se retourne pour me faire face. « Je suis content de voir que tu danses à nouveau. » Une parole sincère que je lui adresse alors que je lui tends le verre. Et quand elle le prend mon sang se glace mes yeux se posant sur la bague qu’elle porte à son doigt. « Jolie bague.. » Le ton est à nouveau cassant. Ma seule arme pour me protéger sans doute. « Je vois que tu ne perds pas de temps… Mais j’imagine que l’amour n’attend pas. » Je sens tout mon être se briser alors que je sors ces quelque mots. Mon regard encore rivé sur cette bague qu’elle porte fièrement à son doigt – et pas n’importe quel doigt. « Sacré bijou… Elle doit avoir de l’argent avec ça… T’as tiré le gros lot. » Sans doute que je ne devrais pas me lancer dans ce genre de conversation. Je ne devrais pas non plus m’étonner qu’elle soit avec quelqu’un qui peut lui offrir ce que je n’aurais jamais pu… J’ai eu tord de penser que je lui suffirais… Elle me l’a bien fait comprendre en me rayant si facilement de sa vie. Me donnant l’impression de n’avoir été que le pantin d’une histoire que je n’ai même pas comprise.
« Qu’est-ce que tu fais là ? » Son regard me sonde, me transperce, et déjà mon coeur s’accélère. De le voir, de le regarder plus précisément. Il est toujours aussi beau, et à en croire les battements de mon coeur, je crois que je mes sentiments pour lui n’auront pas de fin. Pourtant, même si son ton sec et ferme ne me surprend pas, il me blesse profondément. Je ne peux pas lui en vouloir, c’est moi qui suis partie en lui disant que je ne voulais pas de tout ça, de nous, de notre histoire. Et il ne sait pas à quel point ça m’a coûté, à quel point je regrette, et surtout, à quel point je ne pensais aucun des mots que j’ai pu lui dire. Le blesser était ma dernière envie, et pourtant j’y ai été obligée. Je ne réponds pas à sa question, je pense que ça n’a aucun sens. Il sait de toute manière que je ne suis pas là pour lui, je ne savais même pas qu’il serait là, et si j’avais su, je ne serais même pas venue. J’hésite, mais lui demande s’il va bien. C’est la seule chose que j’ai réussi à lui dire, à lui demander, et non sans bégayer. Mais je me rends vite compte que cette question ne rime à rien, qu’elle est ridicule, et je ne manque pas de lui faire comprendre. Je préfère encore tourner les talons, venir le voir n’était pas une bonne idée, et il me le fait sentir encore plus avec les quelques mots qu’il daigne m’adresser. « C’est ça… Bonne soirée à toi aussi. » Il ne le pense pas, il me souhaiterai morte plutôt que de passer une bonne soirée alors qu’il est dans les parages. Une boule considérable dans la gorge, je me contente de hocher très légèrement la tête, ne lâchant pas encore son regard. Et puis je fais demi tour, laissant simplement le bruit de mes talons prendre de l’ampleur tant mes pas sont rapides pour s’éloigner de lui. Je voudrais partir, partir loin, mais je ne peux pas, je me suis engagée, et j’ai besoin, une fois dans ma vie, d’honorer mes engagements.
Lorsque je reviens auprès des autres danseuses, elles n’ont pas besoin de me connaître depuis dix ans pour comprendre que ça ne va pas bien, je suis à deux doigts de pleurer mais je me retiens. « Oulà, qu’est-ce qui se passe ? » Je secoue la tête et essaie de ravaler ma rancoeur, et surtout cette boule nichée dans ma gorge, qui se propage jusqu’à mon estomac. J’ai comme envie de vomir d’un seul coup, sûrement le feu de l’émotion. J’attrape une coupe de champagne et la descends d’une traite sans penser que ça pourrait bien tout faire foirer quant à la représentation tout à l’heure. Tant pis. Y’a plus grave que ça, et présentement, j’avais besoin de sentir les bulles et l’alcool me passer par la trachée pour aller toucher cette foutue boule dans mon estomac. J’essaie de faire bonne figure, de sourire quand on me sourit, mais le coeur n’y est pas. Je ne pense qu’à lui, il est là quelque part, sûrement à quelques mètres de moi, et je peux même sentir sa présence, son odeur entre tous ces gens qui ont forcé sur le parfum. Au moment de tourner la tête je croise le regard du jeune homme, en train de discuter avec une des danseuses. Mon coeur se serre et je détourne rapidement les yeux, pour me protéger sûrement. Je reste quelques minutes à continuer de sourire sans trop savoir pourquoi, et puis une fois mon verre vide, je me dirige vers le buffet, et alors que je l’atteins presque, mon corps se contracte en sentant une présence, sa présence. Je m’immobilise, son corps près du mien, très près, trop près. Je peux sentir son souffle sur mon épaule, et je suis bien incapable de me retourner. « Désolé Kyrah… » Je ferme les yeux, mon coeur prenant une allure folle comme si j’étais montée dans un grand huit. Je sens mon estomac remonter jusque dans ma gorge et je serre au plus fort les mâchoires pour me retenir de me retourner et l’embrasser comme je ne l’ai jamais fait. « On est pas obligé de faire comme si on se connaissait pas… Enfin on est pas des gamins… » Je réouvre les yeux en entendant son petit rire nerveux. « J’ai juste pas envie de faire semblant que la situation me convient… Que je t’en veux pas… Mais je vais bien. ». J’ai mal, j’ai si mal de lui faire vivre tout ça, de nous faire vivre tout ça. Je m’en veux terriblement mais je continue de me hurler à moi-même que c’est pour le protéger. Il vient me frôler pour aller chercher une coupe de champagne et je frissonne, je frémis, je perds pieds. C’est alors que je me retourne pour plonger cette fois mon regard dans le sien avec une telle intensité que j’ai bien l’impression que le sol va se dérober sous mes pieds. « Elio je… » « Je suis content de voir que tu danses à nouveau. » Je baisse les yeux, esquissant un micro sourire tellement mal à l’aise. Il me tend un verre que je récupère entre mes mains. « Merci. Je crois que j’en avais vraiment besoin, tout reprendre à zéro…. » Je sens que j’ai perdu Elio en cet instant, ses yeux sont rivés sur ma coupe de champagne et je fronce un peu les sourcils, cherchant à comprendre. « Jolie bague.. » Mon coeur fait un bond dans ma poitrine et je me liquéfie carrément. Ma bague. Putain… Il a de nouveau changé de ton et je sens que s’il a voulu faire un effort en venant vers moi il y a quelques minutes, c’en est fini. Je vais pour essayer de dire quelque chose mais il me coupe avant même que je n’en ai eu le temps. « Je vois que tu ne perds pas de temps… Mais j’imagine que l’amour n’attend pas. » Je baisse cette fois les yeux, honteuse, perdue, fautive. Mon pouce vient toucher la bague à mon annulaire gauche et c’est comme si elle me brûlait d’un seul coup, je voudrais simplement la retirer, la piétiner, juste pour lui faire comprendre que tout ça n’a aucune importance pour moi. Je me mords l’intérieur de la joue si fort que le goût du sang vient déjà me donner cette sensation désagréable que j’aurai voulu éviter, mais ce n’est rien comparé à la douleur dans ma poitrine. Mes yeux s’embuent mais je n’ai pas le droit de craquer, pas devant lui après tout ce que je lui ai fait subir. « Sacré bijou… Elle doit avoir de l’argent avec ça… T’as tiré le gros lot. » Je ne peux m’empêcher de venir porter la coupe de champagne à mes lèvres pour la finir d’une traite. « C’est… Ecoute Elio je… » Je quoi ? Je quoi putain ? Je ne peux pas lui dire. Je ne dois pas. Je soupire « Je suis désolée, je pensais pas que tu serais là ce soir, je voulais pas que tu vois ça. Je m’en veux, je regrette le mal que j’ai pu te faire, et je suis sincèrement désolée. Sincèrement. » Cette fois, je plonge mon regard dans le sien, à le recherche de quelque chose, mais rien. Je passe nerveusement ma main dans mes cheveux et me racle la gorge essayant de repousser cette sensation désagréable. « Kyrah ? Tu viens on doit aller de changer avant d’être en retard ! » Je baisse les yeux et soupire. « A tout à l’heure. » Je ne voyais pas quoi dire d’autre, mais quelle idiote.
Je m’éclipse finalement, le coeur lourd, et la tête complètement ailleurs. Je vais pourtant devoir me concentrer si je veux donner le meilleur de moi-même. Nous filons dans les vestiaires et je m’empresse de retirer ma bague avant même de me changer. J’enfile ma tenue et mes pointes alors que j’entends quelques bribes de conversation. « Arrêtez, il est trop canon ! » « J’crois que Kyrah aussi est sur le coup. » Je relève la tête. « Quoi ? » « Il te plait bien le petit Elio non ? » Je soupire un peu. « C’est mon ex. Donc non. Et je suis fiancée. » J’esquisse un faux sourire et me redresse. « On y va ? ». Sur le côté de la scène, appuyée contre le mur, je peux voir Elio s’installer près du piano et tout un tas de souvenirs s’empare de moi. Je pense que ça va être compliqué, je ne suis même pas sûre d’en être capable.
Une certaine tension est palpable, ce simple contact ce simple regard. Il existe quelque chose et si je n’étais pas aussi obnubilé par cette façon dont Kyrah m’a jeté je l’aurais peut-être senti. J’aurais sans doute vu son regard légèrement embrumé, cette façon dont elle pose ces yeux sur moi ou encore, cette envie de bien faire. Mais je ne vois rien de tout ça, juste une fille qui m’a jeté pour venir pavaner avec sa bague de fiançailles devant moi à peine quelques semaines plus tard. Une fille qui m’a fait croire en l’amour comme je ne l’avais jamais connu – qui m’a fait croire qu’elle pouvait être la bonne personne pour moi – que je pouvais l’être aussi, lui faire connaître l’amour, la confiance… Puis qui c’est offerte à une autre. Tout ça n’a toujours pas de sens, j’ai beau le tourner de toutes les manières possibles ça reste tellement soudain, incompréhensible… Et c’est peut-être ce qui fait le plus mal. Ne pas comprendre. « C’est… Ecoute Elio je… » J’attends la suite – même si je ne suis pas sûr de la vouloir. Comme si je méritais qu’elle me donne des explications. Et pourtant avant même qu’elle ne reprenne la parole je sens bien qu’une fois de plus je n’aurais rien. Que de plates excuses qui sonnent faux à mes oreilles. « Je suis désolée, je pensais pas que tu serais là ce soir, je voulais pas que tu vois ça. Je m’en veux, je regrette le mal que j’ai pu te faire, et je suis sincèrement désolée. Sincèrement. » Le mal qu’elle a pu me faire ? Pourquoi est-ce qu’elle parle au passé ? Est ce qu’elle ne voit pas qu’elle m’en fait encore ? Que je me sens détruit, perdu et que chacun de ces mots se gravent au fer rouge sur mon cœur ? Je voudrais lui hurler ma haine, cracher mon venin plus fort – avec plus de rage. Mais même ça m’est impossible. Parce qu’elle s’excuse plutôt que de me vendre la Kyrah que je provoque, celle que j’ai connu et qui jamais ne m’aurais laissé parler d’elle comme ça… Prétendre que l’argent à de l’importance pour elle, qu’elle a choisi sa compagne par rapport à ça. Je voudrais la voir s’énerver, me haire raviver cette flamme qui est morte. Mais elle ne le fait pas… Elle s’excuse… Et ces mots ne font qu’augmenter ma peine et ma haine. « Kyrah ? Tu viens on doit aller de changer avant d’être en retard ! » Mon regard vacille entre cette nouvelle fille et Kyrah. Je n’ai plus rien à rajouter. Elle non plus… Nous en resterons là… « A tout à l’heure. » J’espère bien que non… Mais je me retiens de le dire à haute voix me retournant pour prendre un troisième verre de champagne. J’ai envie que ça tourne… J’ai envie de tout oublier et plus particulièrement cette soirée. Je me retourne pour observer la foule de gens qui petit à petit s’entassent. La plus part d’entre eux ont l’air heureux… Pas comme moi.
Une main se pose sur mon épaule et je sursaute en me retournant. « T’es sourd mon gars ? Ca fait 2 minutes que je t’appelle tu peux aller t’installer. Chauffe toi comme tu veux si t’a pris des partitions. » « Pas besoin… » « Très bien mais tu restes dans le thème de la soirée ein ? » Je vois bien qu’il a peur que je joue n’importe quoi. Pas malin aussi de me laisser le champs libre, mais il a de la chance je connais bien ce genre de soirée pour avoir été obligé d’assister à plus d’une avec mon père et je sais le genre de musique qui est adéquate. Je vais me placer devant le piano, mon plus vieil ami. Lui et moi faisons connaissance par ce même rituel que j’opère toujours discrètement, mes doigts glissant sur les notes sans les activer. Mes pieds cherchant les pédales. C’est un beau piano et je sens une pointe d’euphorie me saisir l’espace d’un instant. J’aime l’idée de jouer devant tous ces gens, pour eux et ça me fait oublier le reste. Le pouvoir de la musique sur moi. Enfin mes doigts s’activent pour laisser la musique m’emporter. Des voix se taisent, les autres continuent, parce que ce n’est qu’un piano, qu’un peu de musique. Ca me va… Je m’en moque. Je joue une de mes compositions, sobre, qui passe bien avec le décores. Je ne sais pas pendant combien de temps je joue en oubliant le reste avant que la silhouette de l’homme ne réapparaisse. Il me laisse finir mon morceau et s’approche de moi. « Très bien, c’est parfait. On va commencer la première scène avec les danseuses. Partition une, tu fais comme on a dit. » [/color] Je hoche la tête sentant cette fois l’angoisse revenir. L’idée de voir Kyrah danser me fait mal. Parce que je sais déjà ce que ça va provoquer en moi. Il annonce les danseuses et je me force à garder le regard rivé sur mes partitions alors qu’elles rentrent en scène. Ne surtout pas les regarder – ne surtout pas la voir. Prétendre qu’elle n’est pas là – qu’elle n’existe pas. J’y arrive le temps d’un instant. Jusqu’à ce que mes doigts tapotent sur la piano pour leur annoncer le départ de la musique. Je commence, je suis la partition rien de plus. Pas un regard pour la scène pour la fille… J’arrive au bout de cette première scène sans fauter… Puis mon regard se relève. Je ne l’ai pas vu danser et c’est mieux comme ça. Mais quand mes doigts appuie sur les derniers accords nos regards se croisent. Electrique, intense faisait renaitre cette passion que je croyais morte. Je me sens happé par mon désir d’elle, plus rien d’autre n’existe… Puis elle détourne le regard et sort de scène. Comme ça… Je reste sur mon siège un peu penaud, essayant de comprendre. Puis à nouveau une certaine colère me saisit et je vais à sa poursuite. Il me faut un petit moment pour reconnaître sa silhouette parmi les danseuses mais quand c’est fait j’attrape son bras pour la tirer un peu en retrait – me moquant bien de sa conversation en court. Je plonge mon regard dans le sien, ma main quittant son bras comme si ce simple contact me brulait la peau. « T’as pas le droit de faire ça d’accord ! Pas ce genre de regard ! Je sais pas ce qui se passe dans ta tête mais t’as fait ton choix ! T’as décidé de t’engager avec ta petite minette friquée ! Donc tu ne me regardes pas comme ça ! » Je vois bien qu’elle a l’air un peu étonnée mais je ne faiblis pas. J’ai reconnu se regard, on l’a bien souvent partagé… Mais il n’a plus lieux d’être aujourd’hui. « Je sais pas quel genre de jeu masochiste tu joues mais j’en suis pas ! » J’ai déjà assez souffert je refuse que ça recommence. Je refuse de lui laisser l’opportunité de me faire du mal à nouveau. Même si tout mon corps me crie mon désire d’elle. Je me radoucis pourtant un peu, prenant un peu plus d’espace parce que je suis beaucoup trop proche d’elle à nouveau. « Je comprends pas Kyrah… Je comprends rien à ce qui se passe dans ta tête. Mais il faut que ça s’arrête. » Parce qu’elle m’envoie des signaux complètement opposés. Et que ce n’est pas pour mon bien… Ni pour le sien d’ailleurs. C’est une femme fiancée aujourd’hui et je sais bien qu’il y a une tension entre nous – on le sait tous les deux. Mais si il n’y a que ça il faut passer au dessus. Elle a fait son choix…
Une fois prête nous nous dirigeons vers l’endroit là où nous allons danser. J’essaie de m’étirer, je tors des articulations pour les échauffer et ne pas me faire mal, me forçant aussi à penser à la chorégraphie, évitant ainsi de penser trop à Elio, à sa proximité, son regard sur moi un peu plus tôt. Je reste focalisée sur ma respiration qui est pourtant encore trop saccadée. « Stressée ? » Je réouvre les yeux et les pose sur une des danseuses qui me sourit, et à qui je réponds par un sourire également, plus fin, pas tout à fait sincère. « Non ça va. » Ce n’est pas de danser devant des gens qui me stresse, c’est surtout de savoir qu’Elio est là, qu’il va jouer et que je danserai une nouvelle fois sur ses notes, ses mélodies. A l’instant où les premières notes retentissement, je sens un frisson me parcourir, une chaleur presque oubliée s’emparer de moi. Je dois souffler pour arriver à évacuer tout ça et reprendre une concentration nécessaire pour ne pas me planter. Le chef de l’organisation nous fait signe que ça va être à nous et je ferme les yeux quelques secondes pour me conditionner. Une fois entrée sur scène, je ne suis plus Kyrah la paumée, je suis Kyrah la danseuse. J’oublie tout, plus rien n’existe, j’exécute mes pas avec une précision sans pareille jusqu’à la dernière seconde, portée par les notes donnée par Elio. Tout est parfait, et je me sens à ma place pour une fois, plus que jamais. La représentation touche à sa fin et les applaudissements me permettent de garder encore un peu cette énergie. Mais lorsque je croise le regard d’Elio, je sens quelque chose en moi, quelque chose qui m’avait manqué, terriblement manqué. Cette envie, ce désir, et cet amour qui nous inonde sans qu’on ne puisse le contrôler, même avec la plus grande volonté du monde. Je me force à détourner les yeux, parce que je ne sais pas ce que je serai capable de faire tellement je me sens perdue.
Nous sortons de scène et je souffle un coup, silencieuse, alors que les autres danseuses semblent électriques hystériques même. Et puis, sans m’y attendre, je sens une main serrer mon bras et mon coeur s’accélère considérablement. Je ne connais que trop bien cette poigne, cette manière de faire. Il m’attire avec lui un peu plus loin et je le laisse faire, bien incapable de lui résister de toute manière. Je retrouve la puissance de son regard, il est en colère. « T’as pas le droit de faire ça d’accord ! Pas ce genre de regard ! Je sais pas ce qui se passe dans ta tête mais t’as fait ton choix ! T’as décidé de t’engager avec ta petite minette friquée ! Donc tu ne me regardes pas comme ça ! » Mon regard oscille entre ses yeux et je secoue très légèrement la tête, ne comprenant pas pourquoi il dit ça ? Est-ce que j’ai seulement cherché à le provoquer ? Je n’ai croisé son regard qu’une seconde, sans même avoir réussi à le contrôler. « Je sais pas quel genre de jeu masochiste tu joues mais j’en suis pas ! » Je serre les mâchoires et mon regard s’assombrit. Qu’il m’en veuille c’est une chose, mais qu’il arrête de vouloir toujours me rabaisser, me faire passer pour ce que je ne suis pas. J’arrive à saturation. Si j’ai été calme jusqu’à présent, il risque bien de retrouver la Kyrah qu’il connaissait au début de notre relation, cette fille impulsive, colérique, manipulatrice. Cette fille qui le poussait à bout d’un simple regard ou d’une simple mot. Il m’a changée, il a fait de moi une autre, et aujourd’hui c’est comme si je régressais à son contact. « Mais de quoi tu parles putain ? J’ai rien fait Elio ! J’ai rien dit alors arrête maintenant de me faire passer pour ce que je suis pas ! » Il s’éloigne et son regard change sensiblement. « Je comprends pas Kyrah… Je comprends rien à ce qui se passe dans ta tête. Mais il faut que ça s’arrête. » Je passe mes mains dans mes cheveux, complètement perdue. Quoi dire, quoi faire ? Je suis tellement partagée par tout ce qui se passe à l’intérieur de moi que je me sens bouillir. « Mais tu comprends pas ! Tu comprends rien ! » De nouvelles larmes perlent au bord de mes yeux. De rage, de colère, de peine aussi. « Tu fais chier putain ! J’essaie de faire au mieux, de rester éloignée de toi pour arriver à t’oublier comme toi t’essayes de m’oublier, mais c’est pas de ma faute si on se retrouve toujours sans le vouloir ! J’y suis pour rien ! MERDE ! » J’ai envie de m’arracher les cheveux. Pourquoi tout est toujours compliqué avec lui ?
Je quitte sa proximité pour ouvrir la première porte près de nous dans laquelle je m’engouffre. Des toilettes. Je viens poser mes mains sur le rebord d’un des lavabos, la tête baissée, le souffle court. Pourquoi je ne suis pas assez forte pour lui résister ? Pourquoi tout mon corps, mon coeur, mon âme me crie de le retenir, de lui dire à quel point il me manque, à quel point j’ai envie de n’être qu’avec lui. Mais je ne peux pas, je ne dois pas. Et je me le répète en boucle. Tu peux pas faire ça Kyrah. Tu peux pas. Je souffle, et quand j’entends la porte s’ouvrir, je tourne la tête. Qu’est-ce qu’il fout là ? « Ne rends pas les choses plus difficile Elio s’il te plait. » C’est un réel supplice. J’essaie de garder mes distances avec lui mais bon dieu que c’est difficile. « Je contrôle rien, j’y peux rien si quand t’es dans les parages je perds pieds, si quand tu me regardes j’ai juste envie de me jeter sur toi. Tu veux la vérité ? J’arrive pas à te résister. Je sais pas pourquoi, je sais pas ce que tu m’as fait. Mais on peut pas, on peut pas. » La fin de ma phrase s’est terminée dans un souffle alors que sans même je ne m’en sois rendue compte, nos corps se sont rapprochée comme des aimants. Comme à chaque fois. Mon souffle est plus court, et je n’entends plus que le sien. Je m’approche encore, sans le regarder, et ma main s’approche de lui, doucement, pour venir glisser sur sa chemise, sur son torse. Mon coeur s’accélère. Je sais que je ne devrais pas. Mais je suis bien incapable de me contrôler. Il me manque tellement… Je dois passer pour une folle, lui dire qu’on ne peut pas, et je me retrouve finalement contre lui, à le toucher, à sentir l’envie prendre le pas sur tout le reste. Et je relève mon regard finalement dans le sien, puissant, électrique. J’ai envie de lui comme jamais, mais je ne dois pas. Je ne dois pas. Je ne dois pas.
Elle fait l’étonné, celle qui ne sait pas de quoi je parle et je pense que ça ne fait que d’accentuer ma colère. Pourquoi elle me fait ça ? Pourquoi elle ne peut pas être juste la fille qui a rompu celle avec qui tout est fini ? Non il y a encore toutes ces émotions, ces envies qu’elle m’inspire peut-être même sans le vouloir. « Mais de quoi tu parles putain ? J’ai rien fait Elio ! J’ai rien dit alors arrête maintenant de me faire passer pour ce que je suis pas ! » Je la reconnais enfin, là c’est la fille que j’ai connu, celle qui refuse de se faire insulter et accuser sans rien dire. Je ne devrais pas mais cette virulence m’arrache un sourire. Parce qu’elle est Kyrah quand elle me regarde comme ça son regard plein de colère et d’incompréhension. « T’as pas rien fait… » Je siffle entre mes dents. Je voudrais qu’elle se rend compte du mal que sa me fait – ce qui n’est qu’un regard sans importance pour elle me fait devenir fou. Je deviens totalement fou et je m’en rends compte. Plus rien n’a de sens dans mon esprit. « Mais tu comprends pas ! Tu comprends rien ! » Je reste la bouche entre ouverte sans savoir quoi lui répondre. C’est le cas. Je ne comprends pas – je me sens dépassé par des événements que je ne maitrise pas et son attitude ne m’aide pas. Pourquoi les larmes ? Pourquoi la colère ? Si je ne suis plus rien pour elle pourquoi j’ai encore ce pouvoir ? « Tu fais chier putain ! J’essaie de faire au mieux, de rester éloignée de toi pour arriver à t’oublier comme toi t’essayes de m’oublier, mais c’est pas de ma faute si on se retrouve toujours sans le vouloir ! J’y suis pour rien ! MERDE ! » Je reste les bras ballant, debout alors qu’elle me fuit pour rentrer dans la première pièce qu’elle trouve. Je ne devrais sans doute pas y aller mais ces mots on fait naitre encore plus de questions en moi – un besoin de comprendre. La conscience aussi que quelque chose m’échappe réellement. Je fais deux pas vers la porte et la main sur la poignée je m’arrête un moment. Il m’est difficile d’avaler ma salive, de réfléchir correctement. Je finis par rentrer dans la pièce, l’endroit n’est pas bien grand et déjà notre proximité me fait tourner la tête. « Ne rends pas les choses plus difficile Elio s’il te plait. » Je m’approche lentement dans le silence. Je chercher les mot, je fais le tri dans ma tête. « J’ai besoin de réponse Kyrah… » J’ai besoin de plus que ces mots qui sèment le doute. « Je contrôle rien, j’y peux rien si quand t’es dans les parages je perds pieds, si quand tu me regardes j’ai juste envie de me jeter sur toi. Tu veux la vérité ? J’arrive pas à te résister. Je sais pas pourquoi, je sais pas ce que tu m’as fait. Mais on peut pas, on peut pas. » « Mais pourquoi tu le veux ? » Mes mots dans un souffle alors qu’elle est déjà trop proche de moi pour que je puisse réfléchir. Elle parle comme si c’était une obligation alors que c’est elle qui a fait le choix de me quitter. Elle qui préfère cette femme qu’elle a rencontré il y a longtemps, le souvenir de son passé qui de toute évidence ne c’est jamais effacé. Elle est proche maintenant trop proche de moi et son ascension ne s’arrête pas. Je crois que j’ai pour ma part arrêté de respirer, le souffle court qui fait monter mon torse avec vigueur. Ce même torse sur lequel sa main glisse alors que son regard plonge dans le mien. L’intensité d’un moment que je veux autant que je souhaiterais être capable de le repousser. « Ne fait pas ça… Pas si… » Je ne peux pas continuer, j’en suis incapable. Je sais que je ne peux pas lui résister et pourtant je le voudrais. Parce que si ça ne change rien alors ça ne sera que plus douloureux. La retrouver pour la perdre à nouveau. Pourtant alors mes lèvres formulent ces mots ma bouche s’approche dangereusement de la sienne, elle capture ces lèvres, trop vite – trop furtivement et déjà s’en sépare. Ne laissant que son souffle chaud qui se mélange avec le mien, cet instant en suspend où ni elle ni moi ne semblons capable de bouger. Nos lèvres à quelques centimètres à peine, nos regards brulant de désir l’un dans l’autre. « Ne fait pas ça… » J’ai beau le dire c’est trop tard, ma main passe déjà dans son dos trouvant se place sur la cambrure de ces reins pour la faire tourner et la plaquer contre le mur avec fougue. Ma bouche sur la sienne comme un besoin irrépressible, une passion dévorant qui ne me laisse plus le choix. J’ai besoin d’elle – de son corps son contact. J’oublie le reste. Mes mains glissent le long de ces bras venant emprisonner ces mains dans les mienne les plaquant elle aussi contre le mur avec une certaine bestialité. Mon bassin collé au sien alors que déjà ces jambes remontent le long des miennes pour entourer mon bassin, nos excitations à nouveau si proches, qui s’appellent l’une l’autre. Je la désire tellement – toujours – sans être capable de maitriser mes pulsions.
« ELIO ! »
C’est l’appelle de mon nom qui me ramène à la réalité. Nos corps se séparent nous laissant dans un silence plus que gênant. Je ne dis rien de plus – pas même un regard alors que je quitte la pièce en vitesse sentant encore mon cœur battre si fort dans ma poitrine qu’elle semble sur le point d’exploser. « Ah Elio ! Je te cherchais partout ! T’étais où ? » J’ai de la peine à reprendre mes esprits. Me souvenant à peine de l’endroit où je suis. « Je... J’étais – Je… Au toilette. J’avais besoin de… » « Oui oui c’est bon j’ai pas besoin des détails, mais on te paye pas pour aller pisser alors tu retournes à ton piano. » Je hoche la tête un peu honteux. Sans doute un peu rouge et retourne à mon piano. Je sais que bientôt je devrais à nouveau jouer pour elle… Et je n’ai aucune idée de comment faire ça sans perdre mes moyens.
A l’instant où il entre dans la petite pièce, mon souffle se coupe une seconde ou deux, le temps que je reprenne approximativement mes esprits. « J’ai besoin de réponse Kyrah… ». Quelque chose tape horriblement dans ma tête, mon coeur me brûle, mon sang bouillonne. Mon être tout entier répond à cette proximité que nous nous offrons sans vraiment le vouloir. Et puis je lâche, des mots, dans le désordre, je ne réfléchis plus, je n’arrive plus à penser de toute manière. Et ça a toujours été. Elio est dans les parages ? Mon cerveau se coupe et c’est mon corps qui réagit, incontestablement attiré par le sien. « Mais pourquoi tu le veux ? » Impossible de répondre à cette question. Je ne dois pas lui dire la vérité. Je ne peux pas, ça foutrait tout en l’air, même si c’est déjà fait. Ma main prend contact avec son corps, ton torse plus particulièrement, et à l’instant où nos regards se raccrochent l’un à l’autre, c’est une explosion de saveurs. « Ne fait pas ça… Pas si… » Il ne termine pas et vient capturer mes lèvres dans un feu d’artifices. Mais le baiser est trup furtif pour en apprécier vraiment les saveurs. Je le regarde avec cette intensité particulière, nos souffles se mêlant dans un désir fou. « Ne fait pas ça… » Je ne fais rien, je reste immobile, gardant pourtant mon regard figé dans le sien, brûlant, désireux de bien plus. Je veux retrouver ce que je me suis efforcée de repousser. Je suis inconsciente. Et finalement, c’est lui qui vient me plaquer contre le mur. Je perds pieds, une fois encore. Je m’abandonne à lui, totalement. Mes lèvres scellées aux siennes, je remonte ma jambe contre lui et il me soulève pour que je puisse m’agripper à lui, nouer mes jambes autour de son bassin, sentir la chaleur de son corps contre moi, au plus profond de moi. J’ai envie de lui, plus que jamais. Mes mains dans sa nuque, je l’embrasse à perdre haleine, plus rien n’existe, plus rien n’a d’importance. Je veux rester là pour l’éternité, contre lui. Je viens tirer sur sa cravate pour l’en défaire et mes mains déboutonnent le haut de sa chemise pour arriver à toucher sa peau, bon dieu qu’il m’a manquée. « ELIO ! » C’est comme une faille spatio-temporelle, son corps s’éloigne du mien comme si je venais de le brûler à l’acide. Mes pieds touchent à nouveau terre et la descente est brutale. Je n’arrive pas à reprendre mon souffle, je suffoque, et mon regard dans le sien semble être comme un navire en pleine tempête, tentant en vain de trouver la lueur d’un phare. Il s’échappe sans même un regard, et je n’arrive pas à me retenir. Trop d’émotions. Un torrent de larmes vient dévaler mes joues et je me laisse glisser contre le mur pour finir assise à même le sol, et je ramène mes genoux contre ma poitrine, les entourant de mes bras pour me mettre en boule. Je viens de faire une grosse connerie, je n’avais pas le droit de me laisser aller comme ça dans ses bras, mais ça a été beaucoup plus fort que moi. Et maintenant, je m’en veux, et j’ai envie de mourir, d’aller mourir dans ses bras.
« Kyrah t’es là ? » Je me redresse, m’appuyant sur le mur alors qu’une des danseuses dont j’ignore le nom vient d’entrer. J’essuie mes larmes d’un revers de main. « Ow… ça va pas. » « Si, si ça va. J’avais.. c’est rien. » Je me racle un peu la gorge et attrape quelque chose pour essuyer mes yeux et mon nez. « C’est que… l’organisateur te cherche. » Je fronce un peu les sourcils. « Pourquoi ? » « Je sais pas, je crois qu’il veut que tu retournes danser. Seule. Il a du flasher sur toi ?! » J’évite de lui dire que c’est surtout mon ‘futur mari’ qui finance une grande partie de cette soirée. Je sors alors des toilettes pour la suivre, me retrouvant face à l’organisateur. « Ah, tu es là. Tu es attendue sur scène dans cinq minutes. » « Mais je… c’était pas prévu ! J’ai rien préparé ! » « Tu improvises ? Je suis sûre que tu seras parfaite ! » Je déglutis. Je crois que je n’ai pas réellement le choix. « Très bien. » Je file près de la scène, passe une seconde par les loges pour arranger mon maquillage qui avait coulé, et je retrouve la scène. Au moment d’entrer, je sens mon coeur s’accélérer. Pas par le stress de danser devant du monde, mais de danser devant lui, sur sa musique. Je me laisse emporter par les notes, submerger par la musique et la mélodie. Je crois ne j’avoir jamais aussi bien dansé. Une fois la fin donnée, je ferme les yeux, reprenant doucement mon souffle. Mon regard croise celui d’Elio, plus triste que tout à l’heure, mais reconnaissance de ce qu’il vient de m’offrir. Je sors de scène et file droit dans les loges. Je me rhabille correctement, sans triche, sans artifices. Juste un jean serré et un t-shirt un peu ample. Je porte mon sac de sport sur mon épaule et me dirige presque en courant vers la sortie, lorsque je m’arrête net devant une porte. Ne sachant pas exactement pourquoi. Comme une sensation qui dépasse l’entendement. J’ouvre alors la porte, sans frapper, et tombe sur Elio. Si alors mon 6ème sens s’en mêle, je vais jamais y arriver. « Je voulais juste te dire, avant de partir… oublie ce qui s’est passé tout à l’heure. C’était idiot. On aurait pas dû. » Pourtant, le fait même de poser mon regard dans le sien me rend encore toute chose, emplie d’un désir certain. « Et je voulais te remercier aussi, pour notre duo. Ça m’a transportée, je crois que je n’ai jamais aussi bien dansé que ce soir. Tu as beaucoup de talent Elio, ne gâche pas ça. »
Il pose un regard étonné sur moi, ma chemise en vrac mon air absent probablement qu’il a compris que je n’étais pas simplement aux toilettes mais il ne dit rien. Je n’aurais probablement pas de pourboire ce soir. Je retourne m’installer derrière mon piano plus perdu que jamais entre l’envie folle d’y retourner et celle d’oublier ce qu’il vient de se passer. Parce que si je la désir plus que tout je sais qu’on ne se rend pas vraiment heureux, qu’on ne sait se faire que du mal et que pour mon propre bien il me faut l’oublier. Plus facile à dire qu’à faire pourtant… Surtout quand le destin ne cesse de s’en mêler. Je recommence à jouer sans réfléchir, je connais tellement bien mon instrument que les notes se suivent dans une cadence rythmé sans que je n’ai besoin de le préparer. Des morceaux que j’ai composés et que je pourrais jouer les yeux fermés tant ils font parti de moi. « C’est de qui ça ? » Je me retourne étonné d’entendre une voix alors que suis entrain de boire un peu d’eau. « Hem… C’est de moi. » L’homme me toise de haute en bas l’air un peu étonné. « Ce qui explique pourquoi je ne connaissais pas. Vous jouerez une de vos compositions alors ! » Je le regarde étonné avant de jeter un œil aux alentour pour voire si j’ai loupé une étape. « Je vous demande pardon ? » « Pour la danseuse. » Il dit ces mots avec une telle conviction que je n’ose pas lui demander plus de précision. J’ai reçu des partitions et il n’était pas prévu que je fasse de l’impro pour les danseuses, ni même qu’une seule danseuse ne vienne danser. L’homme qui m’a accueilli au début vient enfin éclairer ma lanterne quelques minutes plus tard. « Bon t’as entendu le patron. Il veut que tu joues ces trucs là que t’as composé… » Je trouve sa façon de parler plutôt dénigrante mais je préfère ne pas en faite tout un plat. « C’est qui la danseuse qui va revenir seule ? » « Qu’est ce que je sais moi mon grand ! Un jolie blonde. Un truc qui commence par K… Kylia ou je sais plus. » Kyrah… Je me doutais que ça serait elle – comment pourrait-il en être autrement.
Quand elle rentre sur scène je crois que j’oublie le reste, le monde, la douleur, la hantise. Ce moment est à nous deux. Juste nous – la musique et ces passions différentes mais pourtant communes qui se joignent ce soir. Je joue avec mon cœur – avec mon être – avec tout ce que je voudrais pouvoir lui dire mais que je n’ai plus la force d’articuler et son corps s’emballe à la même cadence. Le message et fort et parfois il sonne comme cet aurevoir que nous ne nous sommes jamais vraiment octroyé. Peut-être qu’il nous fallait cette soirée, pour tirer un trait. Pour accepter. Je ne crois pourtant pas y être prêt. Et moins encore quand quelques minutes auparavant nos corps brulants se retrouvaient. Quand la musique s’arrête j’ai de la peine à revenir à la vie réelle. Son regard croche le mien une nouvelle fois mais ce n’est plus la même intensité que j’y lis. Ce n’est plus qu’une tristesse inouïe qui vient me serrer les entrailles. Je quitte la scène quelques minutes après elle, j’ai le droit à ma pause. Mais je ne la cherche pas – je ne suis pas prêt pour la revoir. Peut-être qu’au final certaines questions doivent rester sans réponse. Je file dans ma loge pour rester un peu seul – prendre le temps de respirer. J’ose à peine me regarder dans un miroir de peur d’y voir ce que je pense être – un homme dévasté et complètement perdu. De peur d’être face à moi même et à ce que cette histoire a amené dans ma vie. La porte s’ouvre et c’est elle. Je la regarde dans le silence. Qu’est ce que je pourrais lui dire de toute façon ? « Je voulais juste te dire, avant de partir… oublie ce qui s’est passé tout à l’heure. C’était idiot. On aurait pas dû. » Je hoche la tête non sans éviter soigneusement son regard qui semble me dire tout le contraire de ces mots. J’ai envie d’être plus fort que mon désir pour elle. Au moins cette fois… « T’aurais pas du venir... » Je me rends compte que la froideur de mes propos peut-être mal interprété et je reprends. « Enfin t’étais pas obligé… Je le sais déjà. T’as fait ton choix il a plusieurs semaines maintenant. Et j’ai pas envie d’être un obstacle à ton bonheur. Alors on a qu’à dire que rien ne c’est passé. Que j’étais même pas là ce soir… » De toute façon je doute que sa nouvelle petite amie connaisse mon identité. Ou alors qu’elle sache que ce que moi même je croyais fini entre nous ne l’es pas vraiment. Que cette attirance ne partira jamais – même si de toute évidence elle n’est pas suffisante… « Et je voulais te remercier aussi, pour notre duo. Ça m’a transportée, je crois que je n’ai jamais aussi bien dansé que ce soir. Tu as beaucoup de talent Elio, ne gâche pas ça. » Je souris légèrement en baissant les regard. Jouant nerveusement avec mes doigts alors que je voudrais pouvoir m’échapper de cette nouvelle situation qui me donne tant envie d’elle. « Merci… » Je reste un court instant comme ça. Je devrais m’arrêter là… Ne rien rajouter attendre qu’elle s’en aille. Mais non… « Mais j’y suis pas pour grand chose – tu es une danseuse extraordinaire et tu n’as pas besoin de moi… » Je relève le regard cette fois pour le plonger dans le sien. Grave erreur – tout mon corps est pris d’un frisson incontrôlable. « Ni pour la danse… Ni pour le reste d’ailleurs… » J’ai cru pourtant à une époque qu’elle en avait besoin. De cette présence particulière que je pouvais lui apporter. C’était une erreur. « Tu devrais y aller… Bonne soirée Kyrah. » Tout mon corps lui crie l’inverse évidement. Voudrait qu’elle reste ici – qu’elle me choisisse mais c’est trop tard pour ça. Et alors qu’elle ouvre la porte à nouveau, la silhouette de l’organisateur se dessine devant nous. « Ahhh vous êtes là vous deux ! Le public a adoré ! Très beau duo ! Et le patron en redemande ! Il voudrait vous engager pour une prochaine soirée. Il m’a dit de vous dire qu’il y aura du beau monde… Le genre qui peuvent vous remarquer et… » Je le coupe dans sa phrase. « Je crois pas que ça sera possible pour moi désolé… J’ai un emploie du temps un peu chargé et… » « Je ne vous ai même pas dit de date… » Je déglutis difficilement. Je ne veux plus me retrouver avec Kyrah dans ce genre de situation. C’est ingérable pour nous deux… Et pourtant je sais que c’est une magnifique opportunité pour elle. Pour moi aussi… « Vous pourrez trouver un autre pianiste non ? C’est elle qui a fait tout le travail. » Je ne veux pas qu’elle passe à côté de cette chance mais je pense qu’elle et moi nous savons que travailler ensemble n’est pas une bonne idée.
Tout est troublé, mon monde ne tourne plus rond. Il n’a jamais tourné rond de toute manière. Mais là, c’est pire que jamais. Je m’efforce de ne pas faire le bilan de ma vie ou je risquerai bien de sombrer dans une profonde dépression destructrice. La seule personne qui me voulait tu bien, c’était lui, et je me vois obligée de le repousser, simplement dans l’optique de le protéger d’un fou furieux qui ne me veut que pour lui tout seul. C’est d’un pathétique. Je me déteste de me laisser faire comme ça, mais ai-je vraiment le choix ? En me retrouvant sur scène à danser sur une de ses compositions, c’est une sorte de renaissance. Comme si j’avais été plongée dans le coma, que ma ligne de vie sur l’oscillogramme avoisinait zero, et que quelqu’un venait poser sur ma poitrine un défibrillateur me permettant de respirer à nouveau. Mais ce moment touche à sa fin, j’ai l’impression pourtant qu’il vient à peine de commencer. Je manque de souffle, je manque de lui. Mon regard croise le sien en lui faisant simplement comprendre qu’on ne refera pas l’erreur de tout à l’heure. Et sans plus tarder, je m’éclipse, retrouvant les loges pour enlever mon justaucorps.
Et puis, au moment de partir, je ne sais pas pourquoi mais je ressens le besoin de le voir une dernière fois. De lui dire que je préférais qu’il oublie, même si mon regard me trahit, si ma poitrine se soulevant outre mesure traduit mon manque d’aplomb face à cette situation. « T’aurais pas du venir... » Mon coeur rate un battement, son ton est froid, dur. Mais je devais m’y attendre. Je n’aurai pas dû, je sais. Quelle idiote. Après tout, qu’est-ce que j’ai pu imaginer ? « Enfin t’étais pas obligée… Je le sais déjà. T’as fait ton choix il a plusieurs semaines maintenant. Et j’ai pas envie d’être un obstacle à ton bonheur. Alors on a qu’à dire que rien ne c’est passé. Que j’étais même pas là ce soir… » Je passe une main nerveuse dans mes cheveux pour les tirer un peu en arrière et je hoche vaguement la tête, comme pour lui dire que je suis d’accord avec lui, que j’ai saisi. Mais avant de partir pour de bon, je le félicite pour sa prestation, notre prestation. Il sourit, très légèrement mais sans vraiment le vouloir, son sourire appelle le mien, comme un miroir, un écho. « Merci… » Je reste là quelques secondes, et m’apprête à quitter la pièce quand il reprend la parole. « Mais j’y suis pas pour grand chose – tu es une danseuse extraordinaire et tu n’as pas besoin de moi… » Je laisse échapper un petit rire presque timide, flattée. « Mais non c’est… » « Ni pour la danse… Ni pour le reste d’ailleurs… » Je n’ai plus l’envie de finir ma phrase et j’en perds même l’esquisse de sourire qui avait pu prendre place sur mes lèvres. je soupire légèrement face à sa manière impeccable de faire retomber l’ambiance en une fraction de seconde. « Tu devrais y aller… Bonne soirée Kyrah. » « Oui. Bonne soirée à toi aussi. » Je ne veux pas reposer mon regard dans le sien, parce que c’est trop dur, parce que je serai bien capable de faire une nouvelle erreur. La main sur la poignée, je vais pour quitter la loge d’Elio quand l’organisateur apparaît, comme ça, d’un seul coup. Je sursaute et cligne à peine des yeux. « Ahhh vous êtes là vous deux ! Le public a adoré ! Très beau duo ! Et le patron en redemande ! Il voudrait vous engager pour une prochaine soirée. Il m’a dit de vous dire qu’il y aura du beau monde… Le genre qui peuvent vous remarquer et… » « Je crois pas que ça sera possible pour moi désolé… J’ai un emploi du temps un peu chargé et… » « Je ne vous ai même pas dit de date… » Mon regard oscille entre les deux hommes, comme un arbitre suivrait une balle dans un match de tennis. « Vous pourrez trouver un autre pianiste non ? C’est elle qui a fait tout le travail. » Je secoue la tête. « Ne dis pas ça Elio, tu sais très bien que ce n’est pas vrai. » Cette fois l’homme me regarde, puis regarde Elio, et repose finalement son regard sur moi. « Très bien, attendez là tous les deux, le patron veut vous voir pour en discuter directement avec vous. Il ne devrait pas tarder ! » Il s’éclipse comme il est arrivée et je reste là, près de la porte, les bras ballants. Je me racle un peu la gorge et laisse tomber mon sac par terre près du mur, avant de prendre la parole. « Tu peux pas dire des trucs comme ça ! Si j’te dis que j’ai jamais aussi bien dansé que ce soir, c’est pas pour rien. Faut que t’arrêtes de toujours te rabaisser… » Je m’avance vers lui et m’assieds près de lui dans le sofa, la tête tournée dans son sens. Je prends soin de ne pas me mettre trop près de lui, quand même. « J’explique pas ce qui se passe quand on est ensemble, mais faudrait juste être dingue pour ne pas voir, sentir… c’est même plus fort que nous. Je sais pas quoi faire Elio, tu… tu m’rends dingue putain… » Je viens prendre mon visage entre mes mains et me lève nerveusement pour m’éloigner de lui, pour sentir un peu moins son parfum, avoir un peu moins envie de lui sauter dessus et lui faire l’amour sauvagement. « T’as raison, on va lui dire que c’est pas possible, j’peux pas me contrôler quand t’es là, c’est trop dur. On peut pas… on a pas le droit… » JE, je n’ai pas le droit.
« Ne dis pas ça Elio, tu sais très bien que ce n’est pas vrai. » Je soupire lourdement tournant mon regard vers Kyrah pour lui intimer le silence. Je me moque que ça soit vrai ou pas c’est une opportunité pour elle et je n’ai pas envie qu’elle passe à côté sous prétexte que je ne peux ou plutôt que je ne veux pas en faire partie. « Très bien, attendez là tous les deux, le patron veut vous voir pour en discuter directement avec vous. Il ne devrait pas tarder ! » Pinçant légèrement les lèvres je vais m’asseoir sur le sofa un peu ennuyé. De toute façon je ne peux pas partir, je n’ai pas fini ma soirée et je n’ai nul part où aller, il va falloir que j’entende un mec essayer de me convaincre de travailler avec l’une des seules personnes avec qui je refuse de le faire à nouveau. « Tu peux pas dire des trucs comme ça ! Si j’te dis que j’ai jamais aussi bien dansé que ce soir, c’est pas pour rien. Faut que t’arrêtes de toujours te rabaisser… » Je baisse le regard vers le sol alors que je la sens se rapprocher de moi pour finir par s’asseoir à mes côtés. « Je me rabaisse pas… » Peut-être que c’est le cas mais au fond ça a peu d’importance parce que ça n’est pas le problème ce soir. « J’explique pas ce qui se passe quand on est ensemble, mais faudrait juste être dingue pour ne pas voir, sentir… c’est même plus fort que nous. Je sais pas quoi faire Elio, tu… tu m’rends dingue putain… » Je n’ai pas envie d’entendre ces mots. Surtout pas maintenant alors qu’elle me rejette. Je lui en veux même d’oser les dire comme si c’était une évidence alors qu’elle va aller se coucher à côté d’une autre personne ce soir. « T’as raison, on va lui dire que c’est pas possible, j’peux pas me contrôler quand t’es là, c’est trop dur. On peut pas… on a pas le droit… » « On a pas le droit ? » Je fronce les sourcils en la regardant s’éloigner de moi comme si j’étais la peste. « Mais qu’est ce que tu racontes encore ? » Pourquoi à chaque fois qu’elle ouvre la bouche c’est pour me perdre un peu plus. « Puis… C’est que de la musique Kyrah… » Je tente de ramener ça à ce soir. A la proposition qui nous a été faite. Parce que je n’ai pas envie d’entendre le reste, pas envie d’avoir à nouveau cette conversation qui ne nous mènera nul part parce que Kyrah n’a pas de réponse pour moi. « Tu danseras aussi très bien si on te met sur un CD ou avec un autre pianiste t’as ça dans le sang alors ne me mêle pas à ça d’accord ? » C’est claire et net je n’ai pas envie que l’on fasse ça ensemble, elle non plus de toute évidence même si ces arguments me laissent pensif alors n’en parlons plus. « C’est une bonne opportunité pour toi Kyrah… Je m’en fiche moi. Je suis bien comme ça… Mais toi tu devrais essayer de la saisir. » On a déjà eu cette conversation tous les deux et elle sait que je redoute le moment ou quelqu’un pourrait me trouver talentueux… Parce que je n’aurais pas idée de la façon dont je pourrais gérer ça – encore moins avec les jumeaux à charge. Je finis par me lever pour aller à sa rencontre. Je me sens d’un coup plus calme alors que je la sens elle dépassée par les événements, par ses propres émotions. « Si vraiment c’est ma musique qui t’aide je pourrais passer mes partitions à quelqu’un d’autre. C’est quoi au fond des bouts de papier ? » Evidement je me voile un peu la face et je ne suis pas sûr que ça passe aussi facilement. Malheureusement Kyrah en connaît assez à mon propos pour savoir ce que cette musique représente pour moi et comme il peut m’être difficile d’imaginer que quelqu’un la joue à ma place. « C’est peut-être une opportunité pour moi aussi… Celle de laisser quelqu’un d’autre rentrer dans mon univers. » Je ne suis pas sûr d’en avoir vraiment envie. Pas sur de savoir non plus pourquoi je suis prêt à faire ce sacrifice pour Kyrah alors qu’elle me fait tant de mal. Et alors que le silence c’est installé entre nous je vais passer ma main sous le menton de Kyrah pour lui faire relever la tête – je veux qu’elle me regarde dans les yeux qu’elle n’ait pas d’autre choix que de me faire face. « J’ai juste besoin de savoir une chose… » Le contact de sa peau m’arrache une fois de plus ce frisson de désir que je repousse le plus loin possible cette fois. Bien décidé à ne pas le laisser prendre le dessus. « Qu’est ce qu’elle a de plus que moi ? » Je pourrais bien faire des suppositions, imaginer que c’est l’argent qui l’intéresse, ou le simple fait que ça soit une femme, peut-être aussi qu’elle a simplement une vie plus simple et ne lui imposera pas deux gamins qui ne sont même pas les sien et une meilleures amie qui ne l’aime pas. Mais tout ça n’est que supposition et quand je vois son corps réagir encore au contact du mien les questions ne cessent de se bousculer dans ma tête… Parce que quelque part je le sens – notre histoire n’est pas finie.
Une fois l’organisateur parti, je hausse un peu le ton rapport à Elio parce que j’en ai marre qu’il se rabaisse. « Je me rabaisse pas… » Tu parles. Je soupire pour lui faire comprendre que je ne suis pas d’accord avec lui. J’essaie de mettre des mots sur ce que je ressens mais c’est loin d’être simple. Tout mon esprit est embrouillé quand il est là, quand je sens sa présence, que j’entends son souffle, quand je sens jusqu’à l’odeur de sa peau, mon nez affuté comme celui d’un vampire. Je n’ai qu’une envie, c’est me délecter de son épiderme, mordre son cou, et… ok, il faut que j’arrête de penser à tout ça. Je me lève pour mettre de la distance entre nous, parce qu’il le faut si je ne veux pas flancher. « On a pas le droit ? » Non, on a pas le droit. « Mais qu’est ce que tu racontes encore ? » J’essaie de me calmer, mais je peine à retrouver mes esprits. Je tourne en rond comme un lion en cage, ça je sais faire. Mais répondre à ses questions c’est encore trop compliqué. « Puis… C’est que de la musique Kyrah… » Cette fois je me retourne pour planter mon regard dans le sien. Que de la musique ? Il plaisante ? Ça n’a jamais été ‘que’ de la musique, et puis ce n’est pas seulement de ça qu’il s’agit, mais bel et bien de ce qu’il se passe entre nous. « Tu danseras aussi très bien si on te met sur un CD ou avec un autre pianiste t’as ça dans le sang alors ne me mêle pas à ça d’accord ? » Je secoue la tête. Je ne suis pas d’accord. « Si c’est ce que tu crois. » Je siffle entre mes dents. Je déteste qu’il n’écoute pas ce que je lui dis. Je lui ai répété que je n’avais jamais si bien dansé que ce soir, et ce n’est pas pour la situation, c’est à cause de lui, de ses notes, de sa présence. Mais il ne semble pas prêt à l’entendre. « C’est une bonne opportunité pour toi Kyrah… Je m’en fiche moi. Je suis bien comme ça… Mais toi tu devrais essayer de la saisir. » Il me l’a déjà dit, déjà expliqué. Il ne veut pas percer dans la musique, il aurait peur de tout perdre. Je me contente de hocher la tête en soupirant. Il a raison pour une fois, je devrais saisir cette chance, mais est-ce que je serai aussi bonne la prochaine fois, quand ce ne sera plus lui derrière le piano ? « Si vraiment c’est ma musique qui t’aide je pourrais passer mes partitions à quelqu’un d’autre. C’est quoi au fond des bouts de papier ? » Je le regarde, complètement choquée de ce qu’il est en train de dire. Il serait prêt, pour moi, à donner ses partitions à quelqu’un. Mais ce qu’il ne comprend pas, c’est que ce n’est pas ses partitions dont j’ai besoin, c’est lui, simplement lui. Sa présente, et ses doigts sur le clavier. « Personne ne jouera tes partitions Elio. » Et il le sait aussi bien que moi. Du moins, personne ne le jouera aussi bien que lui. « C’est peut-être une opportunité pour moi aussi… Celle de laisser quelqu’un d’autre rentrer dans mon univers. » Je me contente de hocher la tête, silencieusement. Mais ce n’est pas ce que je lui demande. Je sais qu’on ne doit pas accepter, mais j’ai envie. J’ai envie d’avoir l’opportunité de le voir, sans rien dire à Romeo. Peut-être qu’il ne s’en apercevra pas ? C’est jouer avec le feu, mais c’est plus fort que moi.
Je soupire un peu laissant un silence s’installer. Je reste debout au milieu de la petite pièce, essayant de calmer mes peurs, mes doutes, mes angoisses, mes envies. Tout se mélange et c’est difficilement gérable. Elio arrive près de moi, je l’entends, je le sens jusqu’aux couches les plus profondes de mon épiderme. Je frissonne avant même qu’il ait dit quelque chose. Il se poste devant moi et fait relever mon menton pour que je puisse le regarder. J’en tremble presque. Mon regard azur vient trouver le sien avec une intensité que nous seuls connaissons sur le bout des doigts. « J’ai juste besoin de savoir une chose… » Mon regard oscille entre ses iris brunes et je me force presque à ne pas regarder ses lèvres qui pourtant m’appellent. « Qu’est ce qu’elle a de plus que moi ? » Mon regard s’embue immédiatement à sa question. Je n’arrive même pas à le contrôler. Si encore j’étais réellement amoureuse de quelqu’un, si j’avais vraiment retrouvé Jana, mon amour de jeunesse. Si encore j’étais heureuse dans mon couple comme je le prétends. Mais non. Rien de tout ça n’est vrai, et je lui crie par les yeux sans pouvoir articuler un seul mot. Aucun son n’est capable de franchir mes lèvres. Je secoue très légèrement la tête comme pour lui dire que j’en suis incapable. Et puis, sans pouvoir vraiment contrôler mes gestes, je viens doucement m’approcher de lui pour me mettre dans ses bras. Je pose ma tête contre son torse et ferme les yeux quelques secondes avant de murmurer un mot, un seul. « Rien. ». Il y a bien longtemps que je n’avais pas été aussi sincère qu’en prononçant ce simple mot. Mais très vite, j’entends des pas dans le couloir et je m’écarte de lui avant d’en être séparé une nouvelle fois à la hâte par la force des choses. Un dernier regard, et le patron entre dans la loge. « Très bien, vous êtes encore là. Alors je vais avoir besoin de vous pour 3 évènements… » Il nous donne les dates et je n’écoute qu’à moitié pour le moment, mon regard est rivé sur Elio. Il va me laisser seule, et je l’en supplie du contraire. « Ce n’est pas pour des associations et le cachet sera important, si ça vous intéresse. Mais c’est vous deux ou rien. » Cette fois je regarde le vieil homme qui semble être sûr de sa décision. « Mais c’est… » « Mademoiselle, j’ai rarement vu un duo aussi beau que le vôtre, et je suis amateur de musique de de ballet, croyez moi. Si je vous veux ensemble, ce n’est pas pour rien. » Je baisse cette fois les yeux. Très bien. Je hoche la tête et vais pour ouvrir la bouche et donner ma réponse négative, mais Elio me coupe dans mon élan.
« Personne ne jouera tes partitions Elio. » Je crois que ça me fait du bien de l’entendre de sa bouche. Parce que même si je le propose la simple idée de devoir livrer cette partie de moi à un autre est encore bien trop effrayante. Nous savons tous les deux que je n’en suis pas vraiment capable – pas encore prêt à m’exposer à ce point. Mais si la musique a cette place si importante dans ma vie à cet instant elle semble n’être plus rien qu’un pan à mettre de côté, le reste prenant trop de place. Kyrah prenant tout cette place que je lui ai laissé sans même m’en rendre compte. Elle m’a envahi à nouveau, faisant naitre mon besoin d’elle – de la toucher dans la sentir proche même quand je la sais si loin d’esprit. Elle est avec une autre – que je ne connais pas dont je ne sais rien et même si la réponse risque de me faire mal j’ai besoin de savoir ce que cette fille à de plus. Je ne comprends pas le regard embué de Kyrah – ni cette détresse que je lis dans son regard mais quand elle vient se blottir dans mes bras je suis incapable de la repousser, l’entourant comme je le peux – comme si j’avais besoin de la protéger d’un malheur que je ne connais pas – que je ne comprends pas. « Rien. » Ce simple mot me va droit au cœur et je me pince momentanément la lèvre pour ne pas laisser l’émotion me submerger. Je ne sais pas d’où elle vient – ce qu’elle veut dire. Je ne comprends rien – plus rien et c’est le cas depuis des semaines. Ce soir faisant grandir un peu plus mes incertitudes face à notre situation. « Je suis là… » Je passe ma main sur ses cheveux d’un geste tendre sans vraiment savoir ce que je fais ou pourquoi je le fais mais avec la certitude étrange que c’est ce qu’il me faut faire. Mais déjà les pas dans le couloir l’éloigne de moi. Je cherche son regard – je cherche des réponses qui une fois de plus ne viendront pas mais cette fois je m’en accommode. De toute façon il est trop tard – le patron est déjà là – l’instant est fini, il est passé et j’ai bien peur qu’il ne se reproduise pas de sitôt. Peut-être même jamais. « Très bien, vous êtes encore là. Alors je vais avoir besoin de vous pour 3 évènements… » Je m’étonne de l’assurance de cet homme – cette façon si simple qu’il a de penser que les choses lui sont dues sans même les demander. Mon attention se reporte à nouveau sur Kyrah – son regard me passant des messages contraires que je tente maladroitement de déchiffrer. « Ce n’est pas pour des associations et le cachet sera important, si ça vous intéresse. Mais c’est vous deux ou rien. » C’est ce que je redoutais, cette alliance que l’on ne cesse de nous réclamer sans prendre en compte nos avis. Je ne la voulais pas – j’étais prêt à la refuser catégoriquement il a quelques secondes auparavant mais d’un coup tout me semble différent. Peut-être le regard de Kyrah – ce quelque chose qui me titille et me dit qu’il me faut continuer à creuser car quelque chose se cache sous cette histoire… Quelque chose que je suis pour le moment incapable de voir. « Mais c’est… » « Mademoiselle, j’ai rarement vu un duo aussi beau que le vôtre, et je suis amateur de musique de de ballet, croyez moi. Si je vous veux ensemble, ce n’est pas pour rien. » Je la sens prête à dire non. Et si mon cerveau me crie de la laisser faire tout mon corps s’active pour faire l’inverse. « D’accord. » Le mot est simple sorti avec une telle conviction que j’ai de la peine à croire que c’est moi qui l’ai dit. « D’accord on le fera. Quelle est la première date ? » Il me répète la date et je l’écoute avec attention nous parler de ce qu’il attend de nous. J’enregistre tout dans ma mémoire, ne jetant plus un regard à Kyrah cette fois de peur que ce dernier ne lui donne la force de refuser. D’aller contre cette décision que je viens de prendre seul – sur un coup de tête et qui risque de me faire souffrir encore je le sais bien – mais jamais je n’ai été capable de me protéger d’elle. Il faut croire que certaines choses ne changent pas. L’homme finit par nous quitter – me laissant à nouveau seul dans la même pièce qu’elle ce que je sais être trop dangereux. « Tu pouvais pas passer à côté Kyrah… » Je ne la laisserais pas faire. Pas à cause de moi tout du moins. « Je te laisserais la démo de la chanson que je choisirais dans ta boite aux lettres. C’est peut-être mieux qu’on ne se voit pas entre deux. Et tu pourras t’entrainer comme ça. » Je lui fais un léger signe de tête avant de me diriger vers la porte. « J’espère sincèrement que tu pourras être heureuse Kyrah… » Je quitte finalement la pièce sans un mot de plus. Je ne peux peut-être pas être celui qui lui permet de l’être dans sa vie amoureuse mais peut-être que je peux lui permettre de faire vivre sa passion. Au moins le temps de quelques minutes. Et si l’idée de devoir repasser trois soirées avec elle me tord les entrailles je pense pouvoir le faire – j’ai besoin de m’en croire capable.