La route jusqu'à la maison est particulièrement silencieux. Joanne et moi sommes à l'arrière de la voiture, chacun observant la nuit qui tombe sur Brisbane de son côté. Mais main dans la main, les doigts entrecroisés. Chacun dans ses pensées, dans ses inquiétudes, mais avec le soutient indéfectible de l'autre. Je regarde toutes ces voitures passer et me demande si Daniel est dans l'une d'elles. J'observe les lumières à travers les fenêtres des maisons et des appartements, et je me dis que nous sommes peut-être en train de passer juste devant lui sans le savoir. A moins qu'il ait quitté la ville. Je m'efforce de ne plus penser au pire, pour ne pas complètement perdre la tête. Nous allons le retrouver, et en vie. Nous avons encore toutes nos chances. Le pire est sûrement de se sentir complètement désarmé et dépendant du travail des policiers. Nous ne pouvons rien faire, si ce n'est attendre, et espérer qu'ils trouvent quelque chose et nous rendent notre fils dans les prochaines heures. Je n'arrive toujours pas à imaginer que quelqu'un que je connais puisse me prendre mon enfant. Qu'un tel acte puisse être prémédité à ce point. Depuis combien de temps sommes-nous suivis sans nous en rendre compte ? Depuis quand veut-on nous prendre notre bébé ? Et pourquoi ? L'argent. Toujours l'argent. Je ne vois que ça. J'attends l'appel masqué de cet homme qui a Daniel à n'importe quel moment sans avoir le moindre doute qu'il finira par nous contacter. Ce qui est une excellente chose, dans le fond. Qui dit rançon dit que le petit est toujours en vie et devrait le rester. Les idées fusent dans ma tête devenue soudainement particulièrement lucide, après des heures dans la confusion et la panique totale. Le trajet passe finalement plus vite que je ne pensais. Nous arrivons devant chez nous et sommes escortés jusqu'à l’intérieur par les deux officiers qui nous ont raccompagnés. Je devine aisément à leur regard qui glisse sur l'ensemble de la maison puis sur le salon luxueusement meublé qu'eux aussi sont désormais persuadés que tout ceci n'est qu'une question d'argent. « Nous allons lancer l'alerte enlèvement un fois de retour au post- » « Non, surtout pas. » je coupe l'un des hommes en déposant ma veste sur le porte-manteau de l'entrée. Le mur couvert de photos de famille. Le policier hausse un sourcil, sûrement un peu vexé que l'on vienne prétendre lui apprendre son travail. Mais ce n'est pas l'enlèvement de n'importe quel bébé, ce n'est pas une situation banale. C'est un enfant d'aristocrate, ce qui change toute la donne. Et en matière de médiatisation des scandales, je suis le seul expert ici présent. « Quand l'alerte passera, nos téléphones ne vont pas arrêter de sonner, tous les journalistes de Brisbane et d'Australie voudront avoir un commentaire. Et si le kidnappeur nous appelle, il sera noyé dans toute cette anarchie. » Nous risquons de manquer l'appel, trop occupés à débouter tous les médias, ou à prier pour que toutes ces sonneries cessent. « Les bébés se ressemblent tous plus ou moins pour les autres, et il a pu être changé depuis le temps, alors rien ne sert de le signaler. » A cet âge, il n'y a vraiment que les parents d'un bébé pour le reconnaître entre tous les autres. Une personne extérieur ne fait pas la différence, pas assez pour le reconnaître formellement au détour d'une rue. « Sans oublier que ça pourrait faire fuir la personne qui le tient. Ca ne fera que vous mettre des bâtons dans les roues. » Je penserai à remercier mon père pour les leçons de management de situations de crise de ce genre. Le professionnel des scandales sexuels est actuellement une bonne source d'inspiration. « Je vais en parler à l'inspecteur. » dit l'agent après avoir réfléchi et juger que la réflexion n'est pas sans pertinence. Je me permets de lui serrer la main, à lui et à son collègue avec qui j'ai été imbuvable. « Merci encore. » dis-je en toute sincérité avant qu'ils se passent la porte et s'en aillent. Je ne sais pas pourquoi, je tiens à verrouiller la maison. Cela me fait sentir plus en sécurité, scellant cette bulle qui nous tient momentanément éloignés d'un monde où l'on arrache les bébés à leurs parents. Les chiens sont étrangement calmes. Ils ont été impressionnés par les deux policiers et n'ont pas osé émettre le moindre son. Chacun sur leur tapis préféré, ils se sont couchés et attendent le bon moment pour quémander des caresses. Il y a un étrange silence dans la maison. Un silence lourd et dérangeant. Je ne sais pas si nous sommes censés essayer de simplement vivre normalement. Non, impossible. Le temps s'est arrêté entre ces murs, toutes les particules de poussière sont figées dans l'air, les coeurs sont suspendus entre deux battements. L'attente est d'une cruauté sans nom. Pourtant, c'est tout ce que nous pouvons faire. Attendre. J'approche de Joanne et la prends dans mes bras, la serrant assez fort, le visage au creux de son cou. « Tu es plus forte que moi au final. » je murmure. Je prends une grande inspiration, assimilant sa chaleur et son parfum. Quel cauchemar. « Je t'aime. » Je me redresse, non sans trouver ma tête particulièrement lourde et mon échine raide. Mes doigts glissent dans les mèches blondes de la jeune femme pour dégager son visage. Puis je m'approche pour l'embrasser, délicatement. « Je t'aime tellement. » je souffle à nouveau au bord de ses lèvres. Je la garde ainsi dans mes bras pendant de longues minutes, caressant ses cheveux, jusqu'à ce que je me dise que nous ne pouvons pas rester ainsi figés. « Je sais que tu ne voudras rien avaler, mais je pense que nous sommes tous les deux vidés. Et vu la nuit qui nous attends, nous ferions mieux d'avoir un minimum de forces. » Car je ne sais pas pour elle, mais je ne compte pas dormir tant que je n'aurai pas mon fils de retour. J'appellerai moi-même le poste de police toutes les heures pendant la nuit pour savoir où ils en sont, s'ils osent dormir, eux, pendant que mon petit est en danger. « Fais-moi plaisir de manger quelque chose. Juste un thé avec quelques biscuits. » Je ne la forcerai pas à manger plus que ça. J'en serais moi-même incapable. Mais juste de quoi tenir. Je l'embrasse sur le font, ne lui laissant pas vraiment le choix. « Je vais préparer tout ça, pendant ce temps tu peux commencer à dresser la liste que l'inspecteur a demandé. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Les policiers comptaient mettre en oeuvre leur procédure habituel, en déployant l'alerte enlèvement au niveau national. Jamie les coupa dans leur phrase, par un refus bien catégorique. La jeune femme observait la scène sans dire mot. Après tout, il était sacrément connaisseur en matière de scandale et restait avant un journaliste. Il savait mieux que quiconque comment tirer les ficelles et éviter de se faire accaparer par les médias nationaux. Joanne n'aurait certainement pas supporté toute cette pression supplémentaire. Elle restait encore cette poupée vide et sans âme, elle avait l'impression d'avoir perdu une partie de son identité en lui prenant son enfant, tout ceci préméditation. Le bel Anglais remercier les policiers, qui s'éclipsèrent rapidement. La porte d'entrée fermée, tout était si calme, bien trop calme. L'air était pesant et irrespirable et ce fut à ce moment là qu'elle comprit véritablement que Daniel n'était pas là, et qu'il lui manquait horriblement. Joanne avait envie de pleurer, mais les larmes ne venaient pas, comme desséchée. Il s'approcha d'elle afin de la prendre dans ses bras, venant loger son visage dans son cou. "Non, ce n'est pas vrai." dit-elle tout bas, la voix tremblante. "Tu verrais l'intérieur, et tu verrais que ce n'est pas vrai." Elle accepta toute sa tendresse, ayant besoin de sa chaleur et de son affection. Il se redressa pour pouvoir l'embrasser tendrement, mêlant ses doigts dans ses boucles blondes. "Je t'aime aussi. De tout mon coeur." lui répondit-elle, les yeux brillants. Le couple restait ainsi pendant quelques minutes avant de se décider de faire quelque chose. Jamie n'allait pas la laisser sans qu'elle n'avale quoi que ce soit. Elle secoua négativement la tête, ne se voyant pas manger quelque chose dans l'immédiat, mais le regard de Jamie en disait long et il lui fit clairement comprendre qu'il ne lui laissait pas le choix. La jeune femme allait chercher l'ordinateur portable, pour rentrer et récupérer les contacts. Tout se fera bien plus rapide, informatiquement, et le tout sera envoyé par mail à l'inspecteur. Pendant ce temps, Jamie préparait de quoi grignote et faire en sorte que sa belle prenne quelques forces. Une fois qu'elle avait transmis tous les contacts à l'inspecteur, elle s'approcha de son fiancé qui venait tout juste de terminer de tout préparer. "J'étais sérieuse, tout à l'heure." lui dit-elle. "Ca m'a mise en colère, mais ça n'altère en rien ce que j'ai dit." Joanne prit doucement l'une de ses mains, qu'elle caressait, qu'elle embrassait parfois. "Il est hors de question que je te vois te détruire de toutes ces manières là sans rien faire, sans être capable de panser quoi que ce soit. Alors je préfère vivre et endurer ça avec toi." Elle se mit en face de lui captant son regard en mettant sa main libre sur sa joue. "C'est nous, ou rien." Jamie savait qu'elle en était capable, et qu'elle s'y tiendrait. Elle se blottit alors contre lui, frôlant ses lèvres. "Alors j'endurerai tout ça avec toi. Un mariage, c'est pour le meilleur et pour le pire. Hors de question que je te laisse dans tout ce que tu te fais subir." Joanne l'embrassa tendrement. Ils prenaient les tasses et la petite assiettes de gâteaux pour s'installer dans leur petit coin salon. La jeune femme restait collée à lui. C'était la seule source de chaleur et d'affection existait à ses yeux en ce bas monde. Daniel lui manquait horriblement. Elle n'avait pas envie d'allumer la télé, ni faire quoi que ce soit d'autre, mis à part attendre. Jamie lui donna sa tasse de thé et la força à prendre des biscuits, qu'elle ne mangea pas de tout de suite. Que dire, que faire, elle n'en savait rien. Elle se sentait vidée, desséchée, inerte. La seule chose qui lui permettait de tenir le cap, c'était Jamie. Le fait qu'il soit là, et qu'il ait pu reprendre ses esprits. Joanne était épuisée, mais le sommeil ne venait pas, l'esprit bien trop occupé par leur malheur. Son coeur se mit à battre à vive allure dès que le téléphone retentit une première fois. Avant même que son fiancé ait pu décrocher, des larmes coulaient déjà le long de ses joues.
Joanne s'empare tout de suite de l'ordinateur pour dresser la liste de notre entourage. Tout le monde doit y passer, même les amis les plus proches. Tout le voisinage pour commencer, du moins ceux dont nous avons les coordonnées. Lehyan, Duncan. La famille. Les parents de Joanne, son frère, sa sœur, même s'ils sont loin. Mes parents, les Beauregard, les Rhodes, et même Rosalie. Tous les collègues. Ceux du musée, ceux de la radio. Les amis, les plus intimes jusqu'aux plus éloignés. J'ai rarement les noms des personnes avec qui je me suis battu quand j'arpentais les bars. Mais les deux ou trois m'ayant marqués, je les fais inscrire dans la liste. Bryan, Camael. Ce dernier avait déjà été ravi de m'extorquer une somme conséquente, il pourrait vouloir plus. Je n'en sais rien. Je songe à chaque nom et me demande, un par un, s'ils pourraient m'en vouloir et me prendre mon fils. La réponse est toujours la même, négative. Je n'arrive pas à penser qu'un être humain puisse faire ce genre de chose. Seulement un monstre. Et ce n'est pas un masque assez ignoble que je parviens à appliquer sur qui que ce soit. Le mail est envoyé. Une bonne chose de faite, ainsi qu'une des dernières choses que nous pouvons faire pour aider à retrouver Daniel. Maintenant ? Notre unique tache est d'attendre. Et répondre au téléphone. J'ai machinalement disposé tout le nécessaire sur le plateau face à moi, sans vraiment faire attention à ce que je fais. Le thé est chaud, versé dans les deux tasses. Quelques gâteaux sont entassés dans des assiettes. Picoter des choses sucrées peut nous faire un peu de bien au moral, me dis-je, et cela nous tiendra éveillé. Happé par mes pensées, je sursaute lorsque Joanne me rejoint dans la cuisine. Je suppose qu'elle veut encore parler de la cigarette. Merci Hannah pour cette sale habitude qui s'est calquée sur moi avec une facilité folle. Un rituel contagieux pour une personne comme moi. Le regard désolé, j'observe la fiancée qui, toujours si douce, embrasse parfois cette main qui sent encore le tabac froid. J'ai toujours trouvé tous les manières possibles de me détruire. Je suppose qu'à force de m'entendre dire quel bon à rien, quel parasite je suis, cela est parvenu à me convaincre du peu de valeur de mon existence. Elle en avait bien plus lorsqu'il était question de jouer le rôle d'écrin pour un autre. Aujourd'hui, je suis de nouveau le petit garçon dont personne ne voulait. Et je suis toujours surpris quand je vois que Joanne, elle, veut de moi. Nous partageons les peines comme un seul. Mais cette faute là n'est pas la sienne, et j'ai toutes les raisons de me punir. « Tu n'as pas à prendre sur toi ma culpabilité. » dis-je malgré tout. Oui, je me hais bien assez pour deux. « C'est uniquement de ma faute. » Je ne risque pas de m'ôter cette idée de la tête de si tôt. C'est mon rôle de protéger mon fils, de le surveiller. J'en ai été incapable. Je comprendrais si jamais Joanne ne souhaite plus jamais me le confier seul. J'esquisse un sourire triste. Nous apportons nos munitions pour la nuit sur la table basse du petit salon. Silencieux, il n'y a rien à dire. Rien qui ne tourne pas autour de notre drame. Et il est déjà bien assez difficile à vivre comme ça. Le silence est préférable. Le silence, et la tendresse qui nous fait tenir bon, l'un dans les bras de l'autre, attendant que les heures passent. Je garde ma fiancée toute blottie contre moi et embrasse parfois ses cheveux, sa tempe, son font. La jeune femme ferait sûrement mieux de dormir, mais je me doute qu'elle en est incapable. Lorsque le téléphone se met à sonner, mon coeur fait un bond dans ma poitrine. Le numéro n'est pas enregistré. Quand je décroche, c'est l'inspecteur qui se présente au bout du fil. L'appel ne dure qu'une minute. « Ils ne vont pas déclencher l'alerte publique. » dis-je pour informer Joanne. Ce qui est un premier soulagement en soi. « Avec de la chance, nous pourrons sortir de là presque indemnes. » Cela finira par se savoir, je suppose, mais plus tard. Le silence reprend sa place. Dix minutes, vingt minutes, une heure. « Pourquoi est-ce qu'il n'appelle pas ? » je demande, comme si Joanne pouvait avoir la réponse. Mais elle ne l'a pas. Personne ne l'a. J'imagine cet homme jouant avec son téléphone, regardant les minutes passer avec sadisme, sachant toute l'angoisse qu'il nous fait subir. Il attend le bon moment, son moment. Je me demande s'il fait attention à Daniel. S'il n'est pas en train de le laisser mourir de faim et pleurer dans un coin. Rien que d'imaginer ses cris est une torture. Lui qui ne pleure jamais.
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Jamie se sentait terriblement coupable. Il allait certainement le vivre encore pendant très longtemps, même si Daniel finit par leur revenir. Il ne serait jamais serein et se montrerait certainement encore plus protecteur et son enfant et sa fiancée. Le monde extérieur leur feront peur, chaque individu deviendrait un potentiel kidnappeur. A se demander comme se remettre de ce traumatisme, comment fallait-il pour renouer avec tout ce qui les entourait. Joanne y songeait déjà un peu, dans le meilleur comme dans le pire scénario. C'était quelque chose qui allait les hanter à vie, un suivi serait certainement nécessaire. Le temps s'étirait de manière élastique, chaque seconde semblait correspondra à une année, un siècle. Impossible de se changer les idées, de se vider l'esprit si ce n'est pour l'envahir d'idées noires et pessimistes. L'attente était insupportable, Joanne avait l'impression de se fâner un peu plus à chaque minute qui se terminait enfin. "Si tu n'avais pas été là, ça aurait été entièrement de la mienne." répliqua-t-elle doucement. "Je me demande ce qui peut se passer dans la tête des gens pour préméditer un tel crime. Il n'a que deux mois." Quel serait l'impact psychologique pour la suite, pour Daniel ? Certes, il n'avait pas encore une mémoire suffisamment développée pour s'en souvenir, mais ça devait nécessairement l'atteindre d'une manière ou d'une autre, d'être aussi brutalement séparé de ses parents. N'avoir que des visages inconnus, des voix qu'il n'avait jamais entendu. Il devait être si angoissé, et perdu. Penser à cela lui brisait le coeur et le tordait de douleur. Le téléphone avait sonné, c'était l'inspecteur qui confirmait que l'alerte enlèvement ne serait effectivement pas diffuser. Jamie avait tout de même une petite pensée sur l'impact médiatique qu'il y aurait par la suite. C'était bien le cadet des soucis de la jeune femme sur le coup. L'impatience commençait à pointer le bout de son nez, surtout chez le père de famille. Elle regarda l'heure affichée sur son portable. "Daniel aurait très faim, à cette heure-là." Est-ce que l'on prenait au moins soin de lui ? Le nourrissait-on, lui changeait-on la couche ? Joanne se fichait bien des gestes affectueux parce qu'elle savait que Daniel ne les apprécierait pas. Il sait très bien par qui il veut être porté ou non. "Nous l'aurions gardé un peu avec nous avec d'aller le bercer, pour qu'il puisse paisiblement commencer sa nuit." C'était une torture, que de songer à de telles choses. Mais avec l'heure indiquée, c'était la seule pensée qui lui traversait l'esprit. "Et avant de le mettre dans le berceau, je le ferai sourir et laisserait se blottir contre moi jusqu'à ce qu'il s'assoupisse." Leur petit trésor, leur petit miracle qui leur avait été injustement arraché. Joanne ressentait une profonde injustice, dans tout ceci. Le plus beau des cadeaux, mais finalement, pas pour longtemps. Joanne se serrait de plus en plus contre Jamie, d'autant que cela soit possible, commençant à avoir froid l'accumulation de fatigue. Elle se réchauffait les doigts avec la tasse de thé qu'elle avait entre les mains, et regardait dans le vide. Elle prit le plaid et couvrit ses jambes, ainsi que celles de Jamie avec. "Je ne sais même pas ce que l'on est supposé faire. Si on essaie de se changer les idées, si on ne fait qu'attendre ce fichu coup de téléphone. Ou si je dois continuer à me demander s'il prend soin de lui ou s'il le laisse pleurer. J'espère de tout coeur qu'il ne lui fasse aucun mal, il n'en a pas le droit. Il est encore tout petit, il est le plus innocent et gentil qui soit. Il ne mérite pas pareil enfer." s'emporta-t-elle la voix tremblante, en hoquetant, laissant deviner que son chagrin revenait au grand galop. "Nous faisions de notre mieux pour être de bons parents, et voilà qu'il ruine absolument tout en nous le prenant. Ce n'est pas humain de voler ainsi un bébé, surtout si cette enflure nous connait et sait qu'il est le plus précieux de tous." Nerveusement, elle serrait le tissu de sa chemise entre ses doigts. "J'aimerais tellement qu'il sache à quel point je l'aime. Notre petit miracle."
Il y a le boîtier du décodeur de la télévision et ses chiffres lumineux qui indiquent l'heure. Les barrettes rouges changent à une lenteur infernale. Vingt-deux heures. La nuit promet d'être longue à passer. Mais qu'importe la fatigue, je sais que je ne pourrais pas fermer l'oeil avant de tomber d'épuisement, et Joanne non plus. Je bois mon thé gorgée après gorgée, espacées de nombreuses minutes, jusqu'à ce que la boisson soit quasiment froide, et la tasse quasiment pleine. A moins que ça ne soit la second tasse. Toujours pas d'appel. Ni de la police, ni du ravisseur. Les officiers avaient pourtant promis d'appeler toutes les heures. Pourquoi y a-t-il des gens qui font des promesses en l'air ? Surtout à des parents dans pareille détresse. C'en est cruel. Le kidnappeur ne donne pas plus signe de vie. Cela m'inquiète un peu plus. Il n'est peut-être pas question d'argent. Seulement de vengeance, mais je ne sais pas pourquoi. Pire, de pur sadisme. Mais existe-t-il vraiment quelqu'un de capable de préméditer un enlèvement juste pour le plaisir de faire souffrir et de garder le petit en trophée ? Mon esprit commence à vagabonder bien trop longtemps et s'aventure dans des terrains obscurs où il n'y a pas de fin heureuse. Il n'y a pas pire que l'attente. L'attente de l'inconnu. Joanne se réconforte sûrement à sa manière en faisant le récit d'une soirée normale avec son bébé, s'il était là. « Tu ne devrais pas y penser. » je murmure, mais elle n'écoute pas. Elle s'imagine le porter dans sa chambre, le bercer, le regarder s'endormir. Au fond, ce sont des images qui font chaud au coeur sur le coup. Et puis, elles se transforment en un sanglant poignard qui se tourne encore et encore dans la poitrine lorsque l'on réalise que le petit n'est pas là. Qu'il ne sera pas bordé chez lui ce soir, et que demain matin, son berceau sera vide. Ma gorge se serre régulièrement pour contenir des larmes. Mon regard reste rivé sur les téléphones posés sur la table basse, espérant que l'un d'eux se mette à sonner. « Dis-toi que si cette personne veut de l'argent, il gardera Daniel en vie. Il s'en occupera un minimum. » dis-je sans trop savoir si cela peut rassurer Joanne ou non. Après tout, je ne suis pas très confortable avec l'idée que quelqu'un d'autre pose ses mains sur mon fils. Surtout des mains aussi sales. Je laisse ma fiancée se blottir toujours plus, et je la serre autant que je peux. La chaleur que nous échangeons est bien notre seul réconfort. C'est étrange ; avant, nous nous contentions parfaitement de l'amour que nous avions l'un pour l'autre, mais depuis l'arrivée de Daniel, cela ne suffit plus vraiment, et sans lui, il semble manquer une énorme partie de l'affection qu'il devrait y avoir sous ce toit. Il manque cet amour inconditionnel que nous partageons tous les trois. « Je pense qu'il le sait bien, et que c'est pour ça qu'il l'a emporté. » Pour nous atteindre au coeur, jusque dans notre raison d'être. Il a ainsi la main sur notre gorge, et il peut décider de continuer de serrer autant qu'il le veut. Il a la mainmise sur nous. « On va le trouver. Tout ira bien. On va nous le rendre... » je murmure en embrasant le haut du crâne de Joanne. Cela ne l'apaise pas vraiment, mais l n'y a rien d'autre à dire ou à faire. Le téléphone sonne de nouveau. Je me jette dessus sans regarder le numéro. L'inspecteur, encore une fois. Mais en raccrochant, je me risque à esquisser un léger sourire. « Le kidnappeur était fiché. Ils savent qui c'est. Un certain Rogers. Le nom ne me dit rien, et toi? » Quel abruti, de ne pas avoir mis de gants. Le voilà pris par sa propre bêtise. Pas si calculé que ça, son coup. « Ils le cherchent. » Les policiers sont en route pour chez lui. S'il est idiot jusqu'au bout, c'est là qu'il se trouve, et Daniel aussi. Le cauchemar n'aura alors duré que quelques heures. L'attente et encore plus oppressante maintenant que nous savons qu'il y a du mouvement. Nous avons sûrement tort, mais il y a cet espoir de tenir notre fils dans nos bras d'ici la prochaine heure, et de pouvoir oublier tout ceci dans une nuit de sommeil bien méritée. Lorsqu'on frappe à la porte, Joanne et moi sautons du canapé pour aller ouvrir. L'inspecteur se tient devant nous, la voiture tricolore garée devant la maison, tous phares éteints pour ne pas plus attirer l'attention. « Je voulais vous annoncer en personne que l'homme qui a enlevé votre fils est au poste. » Il en semble satisfait. Une arrestation quelques heures après l'enlèvement, ça n'arrive pas tous les jours. « Il va passer la nuit en détention, et il sera interrogé à la première heure demain. » Je plisse les yeux, contrariés. Ce type aura le droit de fermer l'oeil et de se reposer avant son interrogatoire après ce qu'il nous a fait subir ? Mes sourcils se froncent un peu plus. « Où est Daniel ? » S'ils ont le malfrat, alors ils ont notre fils. Il devrait être dans nos bras à cet instant. Le silence du policier en dit long. Il n'a pas réellement besoin d'ouvrir la bouche pour nous porter un nouveau coup fatal. « Nous… nous n'en savons rien. Il n'était pas chez lui. »
I believe in the lost possibilities you can see. And I believe that the darkness reminds us where light can be. I know that your heart is still beating, beating darling. I believe that you fell so you can land next to me. ‘Cause I have been where you are before. And I have felt the pain of losing who you are. And I have died so many times, but I am still alive
Bien sûr qu'elle ne devrait pas y penser, tout ceci n'allait être qu'une torture supplémentaire. Mais c'était plus fort qu'elle, la seule consolation qu'elle avait. Elle s'inquiétait alors de son état, de ce que l'on pouvait faire de lui, si au moins on prenait le temps de l'alimenter et de le changer. Sachant que l'affectif était forcément lésé d'une manière ou d'une autre. Jamie tentait de trouver des mots du mieux qu'il le pouvait. La maison était si vide sans lui, et quelque part, les chiens le ressentaient également. Ils étaient éveillés, mais ne disaient rien, ils comprenaient certainement qu'il y avait quelque chose d'anormal qui se tramait. Tout ce que le couple voulait, c'était retrouver leur fils, le prendre dans ses bras. Joanne n'osait pas imaginer tous les dispositifs de sécurité que Jamie mettrait en place pour Daniel, s'ils le retrouvent et pour elle, une fois que cette histoire sera passée. Si l'imposteur connaissait bien cette famille, il savait à quel point Daniel était précieux, à quel point il était unique. Le premier enfant que Joanne a pu concevoir, qui soit en bonne santé, peut-être le dernier. Il savait l'amour et la dévotion qu'ils portaient tous les deux pour lui. Jamie avait raison, ils avaient touché là où ça faisait mal, ils avaient trouvé le bon élément de pression pour avoir tout ce dont ils désiraient. Cette idée la faisait d'autant plus paniquer. Jamie continuait d'essayer de la rassurer, ne serait-ce que de la soulager un peu. Soudain, le téléphone retentit à nouveau, et il prit l'appel. Il était un peu souriant, elle présageait donc quelques bonnes nouvelles. L'escroc était apparemment déjà connu, mais le nom ne lui disait strictement rien, qu'elle exprima par un hochement négatif de la tête. Au moins, ils avaient des nouvelles. Mais encore une fois, il fallait attendre jusqu'aux prochaines informations, et cela devenait insupportable, interminable. Joanne jouait nerveusement avec ses doigts comme elle ne l'avait jamais fait auparavant. Elle sursauta de plus belle lorsque l'on vint sonner à la porte. Ils se précipitèrent tous les deux à l'entrée. Joanne avait ce soudain espoir de voir Daniel dans le bras d'un des agents lorsqu'ils ouvrirent la porte, mais ce ne fut pas le cas. L'inspecteur leur assura que le criminel avait été arrêté. Joanne ne comprenait pas pourquoi ils voulaient attendre la nuit le lendemain alors que Daniel n'était pas dans ses bras. Jamie posait la question qu'elle n'osait pas prononcer, elle était déjà en larmes en voyant son visage désolé. "Et vous voulez quand même attendre demain pour l'interroger ?" dit-elle en hoquetant, cherchant à comprendre leur démarche. "Notre fils est encore dans la nature, on ne sait pas avec qui il est, si on prend soin de lui ou pas, et vous attendrez demain pour l'interroger. Dieu sait ce qu'il peut se passer jusqu'à demain matin." L'inspecteur se sentait profondément navré face à la détresse des parents qui ne voulaient que revoir leur enfant. "Vous n'avez pas une équipe de nuit qui peut prendre le relais ? Je ne voudrais que l'on manque une opportunité de le trouver alors que pendant le temps où ce Rogers se reposera tranquillement, mon bébé pourrait très bien..." mourir. L'idée lui effleura à peine l'esprit, mais cette vive apparition fut largement destructrice, ne laissant derrière qu'une jeune maman totalement effondrée de peur d'avoir à vivre la perte d'un enfant, une nouvelle fois. "Monsieur, si vous voulez rentrer, je peux très bien prendre le relais." Dany répondait toujours présent. "Bon sang, Dany, vous devriez être chez vous. Déjà que nous avons peu de congé dans l'année, voilà que vous les transformez en jour de travail !" "J'ai eu toute la journée pour me reposer, pas vous. Laissez-moi prendre le relais pour la nuit, vous reprendrez le dossier demain matin." L'inspecteur eut soudainement l'air dur. Dany lança un bref regard sympathique à la jeune femme, qui était toujours en train de sangloter. "C'est un bébé de deux mois, il y a caractère d'urgence quant à sa survie." argumenta-t-il. L'inspecteur finit par lui donner raison, donna quelques consignes à l'officier avant de tourner ses talons. Dany posa amicalement la main sur celui de la jeune femme afin d'avoir son attention. "Dès que j'ai du nouveau, je vous appelle, d'accord ?" Joanne acquiesça d'un signe de tête, avec un très léger sourire, et il fila aussitôt au commissariat.
Je referme lentement la porte de la maison sur l'officier dont la voiture s'éloigne petit à petit. Encore une fois, je verrouille à clé. J'ai l'impression qu'il n'y a que ça pour me faire sentir en sécurité pour le moment. Ca, et la présence de Joanne. Je soupire, déçu, épuisé par ces montagnes russes émotionnelles. J'espérais tant que nous aurions déjà notre fils de retour. Je le voyais déjà dans nos bras, soulagés que cela ne soit qu'une courte mais terrifiante mésaventure. Mais il n'est pas là. La maison est toujours vide. Silencieuse. Morte. Je me tourne et me laisse appuyer mon dos contre la porte, cette trop petite barrière entre nous et ce monde extérieur bien trop cruel. Et si vaste. Un bébé n'est qu'une aiguille dans une botte de foin dans une si grande ville, un si grand pays. Ils ne savent pas où il est. Qu'est-ce que cet homme a bien pu en faire ? Je n'en sais rien, je suis trop dépité pour réfléchir et continuer de penser à de tel scénarios. C'est trop difficile. Je préfère débrancher mes neurones un à un, éteindre mon cerveau un moment. Après tout, nous avons une heure jusqu'au prochain coup de fil. Une heure à attendre. Une nouvelle heure d'angoisse. Je tends le bras et ma main vers Joanne pour l'inviter à s'approcher. Elle fait quelques pas jusqu'à revenir se blottir contre moi. Sa chaleur me fait tout de suite un bien fou. Je ne vais pas mieux pour autant. Mon coeur, mes tripes, tous mes organes sont tordus par la peur. Je me sens si vide et épuisé que je ne sais plus vraiment si je continue de respirer, ou si je l'oublie parfois. Je serre fort ma fiancée. Il n'y a qu'elle qui me fasse tenir. Je me revois il y a quelques mois, celui qui ne voulait pas d'enfants, pas de famille à construire. Et je me vois maintenant, misérable et au fond du gouffre, parce que j'aime ce petit être plus que tout au monde, plus que ma propre vie, et que me le prendre revient à m'arracher le coeur battant de la poitrine. Il n'y a que Joanne pour qui mes jambes me maintiennent debout. Elle est forte, alors je peux, je dois l'être. Elle en doute, elle ne veut pas le croire, mais elle est forte, et à cet instant, je sais qu'elle l'est bien plus que moi. Néanmoins, l'effort est commun. La terre tremble et s'ouvre sous nos pieds pendant que nous faisons de notre mieux pour soutenir les piliers des fondations de notre foyer en attendant que la catastrophe prenne fin, qu'importe l'issue. Nous avons le dos courbé et les membres tremblants, mais ce n'est pas le moment de faillir. Même si nous ne faisons qu'attendre, tenir bon est notre manière d'être là pour notre Daniel, même en son absence. Quand il reviendra, car il doit revenir absolument, il ne sera pas accueilli dans le champ de ruines que sera devenu sa maison et la relation de ses parents. Il retrouvera son cocon, cette famille qui l'aime, la chaleur de son berceau. Les choses ne seront plus vraiment comme avant bien sûr. Le traumatisme sera trop grand. Nous remettre de cette épreuve sera difficile. Mais nous le pouvons. Oui, il nous sera rendu, et nous tiendrons bon en attendant. J'embrasse tendrement Joanne, son visage entre mes mains, le regard plein de cet espoir d'avoir Daniel très bientôt avec nous. En traînant un peu des pieds, nous reprenons place dans le canapé, prêts à attendre. A l'autre bout du quartier, l'officier fait passer ledit Rogers sur le grill. Il le travaillera toute la nuit s'il le faut, afin de découvrir où le bébé se trouve. Il n'a que deux mois, il est si fragile. Mais il ne dit rien. Il reste muet comme une tombe. Puisqu'il est pris, il admet avoir kidnappé le bébé. Du reste, les questions restent sans réponses. Au petit matin, quand Joanne et moi nous réveillons dans le sofa après nous être assoupis à force d'épuisement, nous écoutons tous les messages laissés par la police. Aucune bonne nouvelle. Pas d'appel de la part de celui qui le détient, pas de demande de rançon. Le point mort. Pas de Daniel. Et ainsi, le berceau est resté vide toute une semaine.