Les yeux embués, la gorge serrée, Malia quitta une nouvelle fois son travail en plein après midi. C’était la quatrième fois en une semaine qu’elle n’arrivait plus à donner le change jusqu’à tard le soir. Ses employés tentaient de faire comme si tout était normal, mais la blondinette n’allait pas bien du tout. Chaque soir, c’était le retour en arrière, avec des flashs, des rêves sur son malaise, sur son verre qui avait été rempli d’une puissante drogue, le GHB. Malia pensait pouvoir passer au-delà de ça, mais en réalité, elle était bien loin du compte. Pourtant, sa cousine, qui ne cessait de s’en vouloir depuis ce soir-là, essayait de lui faire comprendre que c’était du passé : elle était saine et sauve, personne n’avait abusé d’elle, en deux mots, elle était en vie. Sauf qu’elle était bien loin de tout ça. La seule pensée était de ne pas avoir pu se défendre, s’être senti vulnérable en une fraction de secondes, et ne pas connaitre son destin. Il lui fallait à présent du temps pour s’en remettre, et refaire confiance de nouveau. Car oui, déjà qu’elle avait déjà un gros souci avec la confiance, elle redoublait de vigilance à présent. Sa porte était verrouillée chaque soir, et elle ne cessait de se réveiller toutes les heures, l’empêchant considérablement à se reposer comme il se devait. Après tout, elle avait fait un séjour à l’hôpital, où elle avait ingurgité tout un tas de sédatifs, et c’était dur de s’en remettre. Une seule chose de bien ressortait de ce séjour à l’hôpital : Andrew. Malia s’était réveillé avec son doux visage face à elle, et tout de suite, elle s’était sentie mieux, en sécurité. Enfin même un peu trop. La trentenaire lui avait carrément posé des questions sur leur relation, ou tout du moins, sur ce bout de relation qu’ils nourrissaient depuis quelques semaines. Et les médicaments que les médecins qui avaient administré, avaient fortement aidé à la faire parler. Un peu trop justement à son goût. Et puis elle était sortie de l’hôpital, et n’avait pas pris la peine de répondre à ses appels ou à ses sms. Elle aurait aimé lui répondre, mais c’était plus fort qu’elle. Andrew était un homme, et peut-être que lui aussi finirait par la laisser tomber, alors il était plus facile de couper tout contact.
En quittant sa galerie, elle pensa au seul endroit au monde où elle se sentait bien : la plage. Elle avait donc pris sa voiture, et avait foncé sur la route pour atteindre la plage, ses lunettes de soleil cachant sa fatigue et ses yeux gonflés. Et puis finalement le bruit de l’eau cognant sur les rochers lui fit savoir qu’elle était arrivée. Elle traversa la route, et mit ses pieds dans le sable chaud. Une sensation de bien-être lui parvint, bien que les larmes coulaient encore sur sa joue. La mer, l’embrun, le sable, étaient essentiels à son quotidien, et surtout maintenant. Si elle avait eu sa planche de surf, elle aurait été plus loin en allant carrément dans l’eau, et profitant du calme et des douces secousses de l’eau. Tant pis, elle profiterait au moins de la vue, et se calmerait en écoutant les vagues. Sauf qu’elle ne put s’empêcher une nouvelle fois, d’éclater en sanglots. C’était plus fort qu’elle. Les larmes avaient besoin de sortir, et peut-être qu’un jour, elle n’en aurait plus à sortir. Malia n’était pas du genre à pleurer, et les seules fois où ça avait pu lui arriver, c’était en mémoire de ses parents. Seulement pour ses parents. La blondinette ne pleurait ni pour les hommes, ni devant les films, et encore moins pour avoir quelque chose. Alors qu’elle se vidait de ses larmes, une ombre devant elle vint lui cacher le soleil. La première qui lui vint à l’idée était de renvoyer bouler cette personne, afin de finir sa séance de pleurs. Sauf que lorsqu’elle leva le nez vers cette personne, elle fut surprise de reconnaitre un visage plus que familier : Andrew. Il se tenait debout, devant elle, le regard cherchant à comprendre la situation. Sa première question serait sûrement un « tu es sur que ça va ? ». Malia préféra couper court à la situation. Et puis comment l’avait-il retrouvé ? C’était peut-être ses employés qui avaient vendu la mèche, ou alors il la connaissait assez pour savoir qu’elle viendrait ici après son agression. « Cette fichue allergie aura ma peau ! » Elle passa sa main sur ses joues, puis sous ses yeux pour effacer ses larmes. La blondinette se pressa de remettre ses lunettes de soleil. Ses yeux devaient être affreusement gonflés, son maquillage ne devait plus ressembler à rien. Et même si elle avait décidé de mettre de la distance avec Andrew, elle ne voulait pas qu’il la voit dans un état pareil. « Tu viens surfer un peu ? Il y a des belles vagues aujourd’hui. » Malia baissa les yeux machinalement vers le sable. Elle ne tenait surtout pas croiser son regard où elle craquerait en deux-deux.
Andrew était installé, tranquillement, sur une chaise, les pieds légèrement surélevés grâce à une poubelle qu'il avait retourné. Il avait eu une intervention assez longue. Un gars qui avait été ramassé à la petite cuillère, en quelque sorte. Il avait rencontré une voiture. Et sur le coup, c'était la voiture qui avait gagné. Andrew avait été appelé aux urgences afin de voir ... s'il pouvait faire quelque chose. Foie foutu. Rate foutue. Plusieurs organes touchés. Il lui manquait un doigt, sectionné dans l'accident. Ouais, le mec était dans un sale état. Et pas que à dire vrai. C'était grave. Son coeur s'était arrêté à plusieurs reprises. Mais il était reparti. Le médecin s'était acharné sur lui au bloc. Et avait tout fait. Tout fait pour le tirer de ce mauvais pas. Finalement, ça n'avait pas été suffisant. Et il était mort. Et ses organes étaient en charpie. Il n'avait même pas pu faire un bon donneur d'organes. Une mort inutile. Et un sauvetage qui n'avait pas mené à grand chose. Alors oui, quand Andrew perdait une vie, ça le touchait. Toujours. Mais ça passait vite. Parce qu'il ne pouvait pas se permettre que ça le touche tout le temps. Il ne pouvait pas vivre avec les fantômes de ceux qu'il n'avait pas pu sauver. Et ils étaient nombreux. Il préférait vivre avec le souvenir de ceux qu'il avait pu aider. Qu'il avait pu sauver. Et eux aussi étaient nombreux. Faudrait qu'il songe à aller dormir. Il avait remplacé un collègue. Il n'aurait pas dû travailler. Son jour de repos. "Bientôt fini ?" demanda l'infirmière qui venait de rentrer dans la salle de repos. Andrew jeta un coup d'oeil à sa montre. "Dix minutes si j'ai de la chance." Si on ne l'appelait pas pour bosser sur un trauma. "Rentre chez toi. J'dirais que j't'ai pas trouvé." Il eut un sourire. Ouais, il était crevé. C'était une bonne idée. Il allait rentrer chez lui. Et puis pioncer un moment. Et après, il savait pas trop ce qu'il ferait. Il avait toute l'après-midi devant lui. Alors, avant de partir, il avait pris soin de prendre une bonne douche. C'était bien de bosser à l'hôpital. Ils avaient des douches pour les journées chaotiques. Et ça, c'était top. Et pas qu'un peu d'ailleurs. Douché et rhabillé, il était donc rentré chez lui. Et il s'était élardé un moment sur son canapé. Combien de temps ? Peut-être bien une bonne heure. Peut-être deux. Mais au moins, il se sentait reposé. Et en forme. Et bien qu'il pensait à la jolie Malia dont il n'avait pas forcément de nouvelles depuis l'histoire de la discothèque, il avait envie ... de faire un peu de surf. Ouais. Il aimait ça. Beaucoup. Donc, il avait récupéré deux ou trois trucs. Ainsi que sa planche de surf. Et il avait pris son véhicule. Parce que y allait à pied, c'était compliqué. Bien trop loin. Quand il arriva à son but, une bonne demie-heure après être parti de chez lui, Andrew constata qu'il n'y avait pas grand monde sur le paring. C'était une bonne chose. Ca voulait dire que y'avait peu de surfeurs et qu'il aurait les vagues pour lui. Ou presque. Il se frotta les mains. "C'est chouette ... Vraiment chouette." Il eut un hochement de la tête et il marcha un petit peu afin de trouver le coin idéal où il pourrait s'installer. Et c'est là ... C'est là qu'il aperçut cette silhouette blonde au loin. Enfin, au loin, façon de parler puisqu'il n'était pas bien loin d'elle. Alors, Andrew se rapprocha. Histoire d'être sûr que ça soit Malia et pas quelqu'un d'autre. Et c'était bien elle. Elle ne semblait pas être en grande forme. Il pencha la tête sur le côté. "Tu sais, il existe certains traitements contre les allergies. J'dis pas qu'on peut tout éviter. Mais ça peut aider." Bien qu'à dire vrai, il était pas certain que ça soit réellement une histoire d'allergie. Il en vint à planter son surf dans le sable et il s'installa à côté de Malia. "Ouais, j'venais surfer. J'ai eu une nuit de folie alors j'me suis dit, pourquoi pas décompresser et aller surfer un peu ?" dit-il dans un hochement de la tête. "A ce que je vois, t'es pas vraiment là pour surfer toi par contre." Il regarda à l'horizon. Son regard se portait loin, très loin. Sur les bateaux de plaisance qui étaient au loin. "Tu veux en parler ?"
La fin de journée n’allait peut-être pas se finir si mal que ça finalement. Bien qu’en voyant Andrew elle avait eu envie de partir pour qu’il ne la questionne pas, elle n’en avait rien fait. Malia était resté posé sur le sable, appréciant l’instant présent. L’idée de s’éloigner de lui n’était plus qu’un lointain souvenir, et là tout de suite, elle était contente qu’il soit là. Avec un peu de chance, elle pourrait même le voir surfer de loin, comme une groupie ou un truc du genre. Au lieu de ça, il planta sa planche dans le sable et s’installa à côté d’elle, un geste qui lui provoqua comme un frisson. Elle ne savait pas si c’était du au fait qu’elle avait du mal à approcher un homme ou si tout simplement c’était le fait de le savoir tout proche d’elle. "Tu sais, il existe certains traitements contre les allergies. J'dis pas qu'on peut tout éviter. Mais ça peut aider." Qu’il était mignon. Il faisait peut-être ça pour répondre à son histoire d’allergie, bien qu’il n’y croyait surement pas, mais le geste était plus que sympathique. Elle releva la tête vers l’océan et inspira une bonne bouffée d’air. Au lieu de lui répondre, elle se contenta de le regarder et de lui sourire. Pour la première de la journée, on ne lui avait pas servi des phrases bancales comme « rentre chez toi » « tu es certaine que ça va ? ». Il s’était contenté de répondre à ses paroles, sans aborder un sujet plus que sensible. Et rien que pour ça, elle lui en était reconnaissante."Ouais, j'venais surfer. J'ai eu une nuit de folie alors j'me suis dit, pourquoi pas décompresser et aller surfer un peu ?" C’était l’un de leur point commun. Le surf était pour eux, un moyen de décompresser, de réfléchir, de se vider la tête. Seul ou à deux, comme ils avaient pu le faire quelques semaines avant. Elle lui sourit de nouveau, en tentant un peu d’humour. « Une nuit de folie ? A l’hôpital ou chez toi ? » Pour la première fois depuis quelques jours, elle se mit à rire. Sans se forcer, et en posant une question où la réponse l’intéresserait sûrement bien plus qu’elle ne voulait l’admettre. Son côté madame curieuse avait refait surface, et c’était plutôt bon signe. Et puis finalement il tenta une approche. Subtil, mais qui amènerait à l’éternelle question « Est-ce que ça va depuis ta sortie de l’hôpital ? » "A ce que je vois, t'es pas vraiment là pour surfer toi par contre." De nouveau, elle plongea son regard dans le sable, comme pour se préserver et surtout pour souffler un bon coup afin d’éviter les larmes. « J’aurai bien aimé avoir ma planche pourtant. » Le regard vers l’océan, elle allongea ses jambes dans le sable. "Tu veux en parler ?" Malia tourna la tête vers lui. Il était si beau, si adorable. Ils ne se connaissaient pas depuis des années, et pourtant elle n’avait aucun mal à lui faire confiance. Et ça, c’était une grande chance pour le trentenaire. La confiance était quelque chose d’extrêmement important aux yeux de la blondinette, et c’était un peu la consécration, le stade ultime de l'amitié lorsque Malia se confiait à quelqu’un. « Je… Hmm j’avais besoin de respirer un peu. Loin de tout ça. Du bruit, des clients, des sonneries de mon téléphone. Et ici, c’est l’endroit où je me sens le mieux. Même si j’adore mon métier, je viens souvent ici, juste pour le calme, le bruit de la mer, les embruns, ou même le bruit des mâts des bateaux qui s’entrechoquent. Ça me rappelle mon enfance, les balades avec mes parents. » Elle se confiait comme un livre ouvert. Les mots sortaient facilement, et elle n’avait pas peur d’être jugé ou coupé dans son discours. Il était là, à l’écouter, et à hocher parfois la tête. C’était tout ce dont il lui fallait ce soir. Alors dans un silence royal, elle continua. « J’ai du mal à comprendre ce qui m’est arrivé. Enfin à encaisser surtout. Tu vois ce que je veux dire ? Je sais, je suis vivante, mais après ? On m’a drogué, et on m’aurait fait je-ne-sais-quoi ensuite. Et pourtant, je ne m’estime pas heureuse que ma cousine m’ait retrouvé. Je n’arrive pas à me dire que finalement tout est derrière moi. Comment on peut mettre ça derrière soi ? » Elle baissa de nouveau la tête, sentant les larmes montaient.
Andrew savait, au fond, que Malia n'allait pas bien. Mais il était médecin. Et il savait qu'il y avait une question qu'il valait mieux éviter de demander. De savoir comment elle allait. Non. Il ne lui poserait pas la question. Si elle voulait en parler, elle lui en parlerait. Dans le cas contraire, il allait noyer le poisson dans l'eau, en quelque sorte. Il n'en parlerait pas. Il parlerait de tout et de rien. De l'océan. De la plage. Des petites choses dans le genre. Comme de sa nuit de folie comme Andrew avait pu lui dire. "Oh, ça aurait été chez moi, ça aurait été bière sur bière, soirée entre potes." Avec Duncan par exemple. "Mais c'est loin d'être ça. Une garde plus longue que prévue. Avec une chirurgie assez compliquée. J'vais pas te raconter tous les détails." Parce qu'il n'était pas vraiment certain que Malia veuille connaître tous les détails. Elle n'était pas médecin. Ca pourrait la distraire par contre. Et ne pas penser à ce qui n'allait pas. "Mais c'était pas la joie." Il secoua la tête. "Mais au moins, j'ai toute la journée d'aujourd'hui pour me vider l'esprit et pour surfer." Et il aurait bien rajouté pour la voir. Mais il était déjà là, avec elle. Il reprenait pas le boulot avant le jour suivant. Donc, ça serait bien. Et s'il pouvait passer un peu de temps avec Malia, c'était encore mieux. Il espérait juste qu'elle ne finirait pas par l'envoyer promener. Alors, de manière subtile, oui, il lui demandait ce qui n'allait pas. Ou plutôt, il lui laissait le choix d'en parler. Ou de ne pas en parler. Finalement, elle semblait vouloir se confier. Est-ce que c'était une bonne chose ? Pour Andrew, oui. Ca lui ferait du bien de confier ce qu'elle pouvait avoir sur le coeur. Parce que parler, c'était une bonne chose. Toujours. Il n'irait pas jusqu'à dire que ça permettait, à chaque fois, d'aller mieux. Mais il était certain qu'elle irait un peu mieux après ça. Du moins, l'espérait-il. Malia lui confia qu'elle avait eu besoin d'espace et de calme. "Je pense que c'est un bon coin pour se planquer." avait-il dit dans un hochement de la tête. "Surtout que y'a pas beaucoup de personnes qui viennent dans le coin. Les surfeurs principalement. Alors oui ... C'est clair que t'auras l'occasion d'avoir un peu de calme dans les parages." Parce que sur les plages habituelles, y'avait souvent des gamins qui gueulaient dans tous les sens. Andrew aimait bien les enfants. Et il s'amusait souvent avec eux lorsqu'il était à l'hôpital. Mais ils étaient parfois bruyants. Enfin, ça le gênait pas tant que cela. Mais les personnes qui pouvaient vouloir un peu de calme, c'était ... compliqué. Et pas qu'un peu. Malia dériva un peu sur ce qui lui était arrivé. Et les sentiments qui remontaient à la surface. Cette histoire, ça la peinait. Ca la touchait encore. Et bien sûr, même si Andrew n'en disait rien, il était touché également. Touché qu'il lui soit arrivé quelque chose de moche. "On ne peut pas." en vint-il à lui dire. "On apprend à survivre. Et à passer au dessus de ça." C'était peut-être un peu froid ce qu'il disait. Mais en même temps, il ne voulait pas lui faire de fausses promesses. "Je peux pas te dire que tout va aller bien après ça. Parce que j'connais pas l'avenir, même s'il y aurait toujours des gens qui pourront être là pour toi ou bien de protéger." Lui, il aimerait bien être là pour la protéger en tout cas. "J'vais pas dire que j'ai vécu une chose similaire à la tienne. Mais des choses compliquées, oui. Des choses qui te serrent le coeur. Des choses qui t'offusquent. Mais tu ne peux rien faire. Nombre de fois où j'ai tenté de lutter. Ou d'aider. Ca marche pas à tous les coups malheureusement. Et parfois, le mieux à faire, c'est avancer. En tentant de ne plus y penser."
Cette petite virée à la plage allait être plus que bénéfique pour Malia. Même si le calme et le bruit des vagues l’avaient déjà fait se sentir mieux, il y avait à présent Andrew, juste à côté d’elle, pour discuter, et surtout se confier un peu. Le destin les avait de nouveau réunis, sur un pur hasard, puisqu’il était là pour surfer. Comme quoi, ils étaient fait pour se croiser assez souvent. En le voyant devant elle, Malia n’avait pu que renoncer à son idée : l’éviter et ne plus répondre à ses appels. Sa présence lui faisait un bien fou, et elle se confiait à lui sans aucune retenue. Il comprenait sa souffrance, et il devait en croiser tous les jours, des cas comme celui-ci à l’hôpital. Malia était juste une « patiente » de plus, une victime de plus qui s’ajoutait surement à sa longue liste. Lui non plus n’avait pas passé une bonne journée, et c’était la raison pour laquelle il était ici, souhaitant surfer pour se vider la tête. Comme quoi, cette plage devait être vraiment un bon endroit pour « se planquer » comme il venait de dire. Elle l’écouta attentivement, tout en se passant les mains sur les joues pour la énième fois de la journée. La blondinette laissa finalement passer quelques instants avant de reprendre la parole. « Je me doute que ça ne doit pas être facile pour toi à l’hôpital. Toute cette peine, ces horreurs que tu dois voir. Les personnes qui partent trop tôt et surtout les familles à qui tu dois annoncer la triste nouvelle. Ca doit te permettre de relativiser pas vrai ? Et puis si tu es là pour surfer, et te "vider la tête", tu as du avoir une rude journée? » Elle tenta d’imaginer les cas qu’il pouvait traiter tous les jours. Les agressions, les victimes entre la vie et la mort. Et peu à peu, son cas lui paraissait si petit. Elle avait été droguée, mais rien de plus. Personne ne l’avait touché, on ne l’avait pas frappé, rien. Toutefois, quelque chose dans cette histoire avait le don de lui faire perdre le sens des réalités. Chose qu’elle tenta d’expliquer à Andrew. « Même si j’arrive à mettre tout ça dans un côté de ma tête, je n’arrête pas de repenser à la scène, et à ce sentiment d’impuissance. Quand ton corps ne réagit plus avec ton cerveau, et que tu ne peux pas te défendre. Le moment où tes yeux se ferment peu à peu, alors que toi, tu ne veux pas les fermer. Ou tu veux juste avertir quelqu’un. Tes mains ne font pas ce que tu veux, tu aimerais juste faire de grands signes, et au lieu de ça, tu t’écroules sur le sol, toujours consciente de la situation, mais tu n’es plus maître de ton corps. J’aurai aimé pouvoir me défendre, donner des coups, faire quelque chose. Et depuis, je ne me sens plus en sécurité. Je me dis que même si là, quelqu’un, même toi, tu essayes de m’agresser, je ne saurais même pas me défendre ! Je n’ai jamais ressenti ce sentiment avant, ou même ce besoin de me défendre. Et pourtant j’en ai vu des choses, et j’en ai visité des pays ! Mais ce sentiment d’insécurité permanente me pèse, et je ne sais pas comment faire pour y remédier. Je vérifie je-ne-sais combien de fois si ma porte est verrouillée. J’ai même songé à installer une alarme. » Elle ne s’était pas interrompue une seule fois. Son ton avait changé, il n’était plus question de pleurer, mais plutôt de hurler, de cogner. Sa colère était contre elle, et contre ce sal*** qui lui donnait envie de vivre cloisonné dans sa maison. Pour finir, elle lui avoua sa pensée ultime, sa solution à ses problèmes. « Je songe même à repartir. M’installer ici de façon permanente était peut-être une mauvaise idée. »
Travailler à l'hôpital, ce n'était pas toujours une partie de plaisir. Mais ça ne voulait pas dire pour autant qu'il se lamentait sur son sort ou bien qu'il n'aimait pas ce qu'il faisait. Non, du tout. Disons que ... Et bien, disons qu'il n'essayait pas de penser à tous ces malheurs. Il essayait de se concentrer ... Et bien, de se concentrer sur le fait qu'il devait sauver des gens. Et parfois, il n'y arrivait pas toujours. Et oui, à ce moment là, il était dans une humeur massacrante. Mais il n'était pas dieu. Il ne pouvait pas sauver toutes les vies qui pouvaient passer entre ses mains. C'était triste à dire. Mais c'était comme ça. Il devait faire avec. Il devait relativiser les choses. Se dire qu'il arrivait à sauver des vies quand même mais qu'il ne pouvait, malheureusement pas, sauver tout le monde. Et que c'était comme ça. Et pas autrement. Alors oui, il voyait du malheur dans son boulot. Mais il voyait également des rires. Ou bien des sourires lorsque ... Et bien, lorsqu'une situation était désespérée et qu'il arrivait à retourner tout cela à son avantage. Enfin, pas à son avantage. Mais disons qu'il était heureux. Et qu'il redonnait le sourire à certains de ses patients quand il arrivait à les sauver. Eux ou leurs proches d'ailleurs. "Y'a pas toujours que des mauvaises nouvelles." dit-il dans un hochement de la tête. "Oui, c'est vrai que ça arrive. Des patients que j'peux pas vraiment. Et ce sont des larmes. Un flot de larmes ... Et j'essaie de leur faire comprendre que parfois, la mort est plus ... douce ... que la vie." Pourquoi disait-il cela ? Parce que ... Et bien, parce que les patients souffraient. Mais leur famille également. Et parfois, même un médecin ne pouvait pas forcément les sauver. Parce que c'était trop compliqué. Ou bien parce qu'il n'y avait rien à sauver. Et que c'était comme ça. Enfin. "J'dis pas que c'est toujours le cas. Mais y'a des fois où ouais, c'est pas drôle." Il secoua la tête. "Et c'est dans ce genre de cas que ouais, j'ai besoin un peu de faire autre chose et de venir surfer. Parce que surfer, c'est la vie. Et c'est marrant." Ouais. Et ça faisait du bien. Et c'était chouette. "J'dirais bien que tu as besoin, toi aussi, de faire un peu de surf." Ca lui remonterait le moral. Et ça lui permettrait d'aller mieux. Ou pas. Parce que la pauvre Malia était vraiment ... Elle était au bout du rouleau, si on pouvait dire cela ainsi. Ca n'allait pas bien. Elle pensait encore à ce qui lui était arrivé. Elle avait peur. Peur de se faire agresser à nouveau. Peur de ne plus être en sécurité. Peur d'avoir à se défendre mais sans pouvoir y arriver. Il leva les mains en l'air pour lui montrer qu'elle ne craignait rien avec lui. "C'est pas moi qui vais t'agresser." Il secoua la tête. "Après ... J'conviens que ... C'est pas une période évidente. Tu as songé à un teaser ? Ou une bombe lacrymo ?" lui demanda-t-il. "J'dis pas que ce sont les meilleures des armes. Mais ça pourrait peut-être t'aider à te sentir un peu plus en sécurité ?" Quand elle en vint à lui dire qu'elle serait capable de s'en aller et de s'en retourner chez elle, ce fut comme si le coeur d'Andrew venait de se briser. Parce que ... Parce qu'il n'avait pas envie qu'elle s'en aille. Il l'appréciait. Beaucoup. Et savoir qu'elle envisageait s'en aller ... Oui, c'était moche. Très moche. Il tourna son regard vers la mer. Qu'est-ce qu'il pouvait lui dire ? Est-ce qu'il pouvait se montrer égoïste et lui dire que ... Et bien, que ça ne l'enchantait guère ? Il n'en savait rien. Andrew doutait. Et c'était rare qu'il doute. Rare qu'il ne sache pas quoi dire. Autant être honnête. "J'dois te dire que ... que je serais plutôt triste si tu t'en allais. Mais j'comprends." Il scrutait l'horizon. Peut-être que ce qu'il avait cru voir n'existait pas. Peut-être avait-il un peu trop espéré.
Malia prenait cette rencontre comme le signe du destin. Si elle avait croisé Andrew cette soirée-là, c’était pour discuter, pour qu’il lui remonte le moral, mais surtout pour que leur chemin se croise de nouveau. En temps normal, elle n’y aurait pas cru, mais depuis sa rencontre avec Andrew, chaque « signe » lui permettait de se décider sur sa continuation de « relation » avec lui. Dès leur première rencontre, elle avait senti quelque chose de spécial, et puis elle n’avait pas pu s’empêcher d’apprécier son physique. Il fallait être aveugle pour ne pas apprécier ce qu’il dégageait humainement parlant, et physiquement parlant. Ses yeux l’avaient tout de suite fait craquer, un peu comme à ce moment précis. Malia se concentrait sur l’eau ou sur le sable pour ne pas avoir à croiser son regard. Ses lunettes de soleil aidaient aussi drôlement. Elle capta pourtant une certaine tristesse dans son regard lorsqu’il évoquait son métier à l’hôpital. Côtoyer des mourants n’était surement pas chose facile, et chirurgien était plus qu’un beau métier. Lorsqu’il lui reparla du surf, un sourire se dessina sur son visage. Le surf était un point commun, mais surtout pour eux, un moment d’apaisement. Malia acquiesça à sa remarque. « Je suis partie tellement vite, que je n’ai même pas ma planche. Sinon oui effectivement je serai venue avec toi ». Elle aurait d’ailleurs surement adoré pouvoir refaire une petite séance de surf à ses côtés. Et surtout se retrouver face aux vagues lui aurait permis de se calmer pour la soirée. Lorsqu’il vint à lui parler de taser ou de bombe lacrymo, l’idée ne lui paru pas si bête. Elle irait d’ailleurs voir ça en rentrant chez elle. « Pourquoi pas ? » se contenta-t-elle de répondre. Beaucoup plus calme après avoir déballé ce qu’elle avait sur le cœur, elle avait même avoué vouloir repartir. Malia était habitante de Brisbane depuis ses huit ans, mais c’est à ses 30 ans, qu’elle était revenue de manière permanente, en occupant un logement, en prenant un chat, et en ouvrant sa galerie. Quelques années plus tôt, cette idée lui aurait paru tellement ridicule et improbable. Elle n’avait jamais éprouvé le besoin d’avoir un mari, des enfants, un chien, et un break pour conduire tout ce petit monde au foot. Et plus les années passèrent, plus l’envie de devenir maman, et d’avoir un gentil mari s’était fait sentir. La solitude, sa meilleure amie pendant une dixième d’année, avait disparue et l’envie de se poser pour construire quelque chose avait pris le dessus. Sauf que depuis qu’on l’avait drogué, son envie d’être seule était revenu, et malgré son travail, ses amis, sa famille, Andrew, ce sentiment restait encore et encore. Et son idée de repartir qu’elle murissait depuis quelques jours, se sentait de plus en plus oppressant. Elle avait même contacté deux-trois contacts, juste pour savoir. Savoir s’il y avait du boulot pour elle, quelque part, ailleurs et surtout loin de Brisbane. Juste quelques semaines, pour faire le point. Une petite mission pour faire le point. Évidement, cela l’éloignerait d’Andrew, et comme lui, elle serait triste. Sûrement même plus que ça. Mais pourquoi pas ? Comme tout à l’heure, c’était sa seule réponse, pourquoi pas ? Elle n’avait pas le choix. Elle devrait vivre avec ça toute sa vie, et maintenant, c’était à elle de voir où elle pourrait vivre avec ça, le plus sainement possible. Elle se rapprocha d’Andrew, jusqu’à poser sa tête sur son épaule, et passer ses mains autour de celle-ci. Restant ainsi quelques instants. Elle n’aurait jamais osé faire quelque chose de ce genre, mais elle en avait besoin. Le sentir proche d’elle, s’était peut-être son seul moyen de se sentir en sécurité. Agrippé à lui, elle avait balayé en deux secondes ses idées noires, et appréciait juste le moment. Elle n’en n’était pas encore au point de l’embrasser, mais seulement son contact suffisait.
Et puis finalement, au bout d’un moment, elle se détacha de lui, se releva, sa robe dansait avec le vent. Andrew et la mer avaient réussi à la faire sourire, reprendre un peu le gout de la vie. Au moins pour ce soir. « Bon bah allez, à l’eau monsieur le chirurgien ! Toi tu surfes, et moi je t’envie de loin ? Refais moi voir comment tu surfes ! » Elle lui sourit avant de lui piquer sa planche de surf et de s’éloigner de lui, en direction de la mer. « Bon allez, dépêches toi, ou je te prends ta planche et je te laisse là ! » En réalité elle n’avait même pas son maillot de bain. Et il était peut-être un peu tôt pour se mettre en sous-vêtements devant lui.
Il ne savait pas ... Mais oui, c'était pas la grande forme pour Malia. Andrew avait l'impression que ... Et bien, qu'elle n'était pas bien là où elle se trouvait. Il pouvait se tromper. Mais quand elle lui parla de s'en aller, de s'en retourner chez elle ... C'était dur d'entendre ces mots. Est-ce qu'elle parlait sérieusement ? Est-ce qu'elle allait s'en aller ? Il n'en savait rien. Mais cette nouvelle était des plus terrifiantes. Et ça l'attristait surtout. Parce qu'il pensait qu'il pouvait peut-être se passer quelque chose entre eux. Parce qu'il pensait que tout n'était peut-être pas perdu. Parce qu'ils s'entendaient bien tous les deux. Mais si elle s'en allait, comment feraient-ils pour ... Peut-être, qu'au final, il avait trop espéré. Ou trop attendu. Il n'avait pas voulu forcer les choses. Il avait préféré attendre. De voir ce que ça donnait. Et d'y aller lentement. Mais sûrement. Et tout ... tout foutait le camp en quelque sorte. Peut-être qu'elle ne partirait pas. Au fond, Andrew espérait que Malia resterait dans les parages. Et si elle s'en allait ... Sans doute qu'il aurait le coeur ... pas brisé parce que ça n'avait pas été bien loin tous les deux. Dans le sens où il ne s'était rien passé. Ils avaient eu quelques rendez-vous. Mais c'était tout. Le début ... de rien du tout peut-être. Alors, il était resté silencieux. Un peu. Quand elle s'était rapprochée de lui, son coeur eut, légèrement, un sursaut. Parce qu'il ne s'attendait pas vraiment à ce qu'elle se rapproche de la sorte. Mais le médecin avait souri, quoi qu'il en soit. Parce qu'il était heureux de ce contact. Même si ça ne voulait rien dire. Même si c'était juste une petite étreinte, comme ça. Il n'irait pas jusqu'à en sauter de joie. Mais oui. Ca mettait un peu de baume au coeur. Et il se disait que tout n'était peut-être pas encore perdu. Surtout s'il arrivait à ... Et bien, s'il arrivait à la faire changer d'avis. Peut-être qu'elle ne partirait pas. Peut-être qu'elle allait rester. Il espérait en tout cas. Combien de temps sont-ils restés l'un contre l'autre, à ne rien dire si ce n'était regardé la mer, la grande étendue d'eau à l'horizon ? Andrew n'aurait su dire. Mais il eut l'impression que ... Et bien, que c'était une éternité. Et ça faisait du bien. Beaucoup de bien. Elle finit par lui demander d'aller surfer. Elle ne l'accompagnerait pas mais elle resterait sur ... Et bien, elle resterait sur la plage à l'observer. Il eut un sourire. "Et te laisser toute seule ? T'es sûre ?" A dire vrai, surfer, ça ne le dérangeait pas vraiment. Mais alors pas du tout. Seulement, il n'avait pas forcément envie de la laisser seule. Disons qu'il était partagé. Entre le fait de rester avec elle. Et d'aller surfer un peu. Malia n'aurait pas été là, oui, pas de doute, il aurait été surfer sans plus attendre. Mais laisser Malia toute seule ... Andrew s'était levé. "T'es même pas cap de me piquer ma planche et d'aller surfer." Est-ce qu'il tentait de la provoquer ? De la faire réagir ? Ouais. Un peu. Peut-être pour voir comment elle pourrait régir et voir si elle était capable de lui chiper réellement sa planche ou pas.
A présent Malia se sentait mieux. Le poids était toujours là quelque part, mais elle ne craignait rien sur cette plage, en compagnie d’Andrew. Le soleil, l’océan et un beau garçon, c’était la combinaison idéale pour se changer les idées. Et c’était chose faite. D’ailleurs elle n’avait pas hésité un instant à se poser quelques instants sur l’épaule de son ami. Dans d’autres circonstances, elle aurait hésité, douté, et finalement se serait ravisé, en se disant qu’elle ne connaissait pas encore bien la personne. Et puis elle aurait eu peur d’envoyer des mauvais signaux, bien qu’aujourd’hui, elle ne savait pas encore trop le genre de signaux qu’elle voulait envoyer. Il n’existait pas réellement de règles précises, mais pour Malia, c’était toujours à l’homme de faire le premier pas. En tout cas, jusqu’à maintenant, c’était comme ça qu’elle voyait les choses. Et puis au final, ses relations avaient capoté, et elle n’avait pas eu le temps de comprendre ce qui s’était passé. Son entourage était pourtant certain de la raison de ses échecs : son boulot. Beaucoup trop prenant pour une femme de moins de trente ans. Et même si sa galerie d’art pouvait rouler avec ses employés, cela ne lui avait pas empêché de prendre un second job au musée, pour le plaisir, et surtout, pour avoir l’impression de continuer dans la lignée de son métier d’archéologue. A ce jour, elle avait trente cinq ans, et elle était aussi occupé qu’avant. Son envie de reprendre des fouilles, d’enseigner lui reprenait de tant à autre, surtout après une journée bien trop longue. Et puis la vie reprenait son chemin, et ainsi de suite.
Pour le moment, son envie de partir était mis sur la touche. Elle s’était relevée fièrement, avait pris la planche de surf d’Andrew, et l’avait mis au défi de venir lui récupérer celle-ci. « Tu as peur de tomber trop souvent et que je me moque de loin ? Roooh allez, je ne suis pas comme ça voyons ». Elle s’était éloignée de lui, toujours avec cette envie de s’amuser un peu. Elle se mit à courir vers l’océan, comme si elle allait elle-même surfer. Sauf qu’elle n’irait pas bien loin. Sa robe n’était pas idéale pour monter sur la planche, et se mettre en petite tenue devant lui était peut-être un peu tôt. Alors elle se contenta d’aller jusqu’à l’eau, trempant ses pieds dans celle-ci. Lorsqu’elle se retourna, Andrew était là, derrière elle, attendant surement de voir ce qu’elle allait faire. « Bon allez, je te rends ça. Je ne suis pas … disons… en tenue adéquate. Alors file dans l’eau, et promis j’attends ici bien sagement ! » La mine boudeuse, Malia lui tendit la planche à son grand regret. L’eau lui chatouillait les pieds, un bien fou à ses yeux. Sur un élan de courage, et peut-être de folie, elle proposa son idée. « Tu sais quoi ? Passe-moi ta chemise. J’ai envie de surfer, mais bon, je ne vais pas me mettre en sous-vêtements devant toi. Alors je te pique ta chemise si ça ne te dérange pas ? » Elle aurait été à la plage avec Robin, tout ça n’aurait pas eu lieu. Elles se seraient mises en petite tenue, et auraient été à l’eau sans tout ce chichi. Mais là, c’était Andrew. Donc un mec. « Bon allez, tourne toi que j’enfile ça ! …. Te retourne pas, je te fais confiance ! » Malia avait enfilé rapidement sa chemise, ce qui cachait au moins le haut, et presque entièrement le bas. Machinalement, elle tirait sur la chemise, au cas où elle s’étirerait comme par magie. « Qui commence à surfer en premier ? Honneur aux dames, ou pas ? » Un grand sourire sur le visage, ce moment lui faisait un bien fou.
Le fait qu'elle s'était rapprochée de lui et qu'elle avait posé sa tête sur son épaule ... Ouais, c'était chouette. C'était même très chouette à dire vrai. Ca l'avait réconforté durant quelques instants. Le temps de se dire que ... Et bien, peut-être qu'il arriverait à ... Et bien ... A lui faire changer d'avis. Il n'avait pas envie qu'elle parte. Il n'avait pas envie qu'elle s'en aille. C'était peut-être égoïste. Mais ... il avait des sentiments pour elle. Ou du moins, il pensait que c'était le cas. Il en était pratiquement certain. Il n'avait pas été très chanceux en amour. Et rencontrer Malia ... Elle avait été ... une bouffée d'air. Quelque chose de différent. De bien différent. Mais il n'aurait, malheureusement, pas le temps de vérifier s'il pouvait se passer quelque chose. Si elle partait du moins. Il préférait ne pas penser à cela. Andrew préférait se dire qu'elle était juste un peu déprimée et qu'elle resterait dans les parages. Ou du moins, il l'espérait fortement. Il croisait les doigts pour, d'une certaine manière. Et il essayait de se dire, de se convaincre que tout n'était pas fini. Oui, bon, rien n'avait commencé entre eux pour le moment. Mais il espérait avoir cette chance. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il priait pour parce qu'il ne croyait pas à cela mais bon. Passons. Et revenons-en à ce qui nous intéresse. A la base, il était là pour ... Il était là pour surfer. Mais maintenant qu'il avait croisé Malia, maintenant qu'il discutait avec elle, il n'était plus certain de vouloir surfer. Ou il pourrait s'en passer. Et rester un peu avec la blonde. Rester avec elle. Contre elle. A regarder la mer. Même s'ils ne parlaient pas. Ca ne le dérangeait pas. Mais elle ne semblait pas vouloir le priver de sa petite séance de sport. Et elle pensait même que s'il ne voulait pas en faire, c'était parce qu'il avait peur qu'il se casse la figure et qu'elle se moque de lui. Mais ce n'était pas le cas. Mais alors, pas du tout. Alors, il s'était mis à rire. "Même pas en rêve. Rappelle-moi ... Mais la fois où on a été faire du surf ... C'est plus souvent toi qui étais dans l'eau que moi." avait-il dit dans un hochement de la tête. Ca arrivait qu'il se casse la gueule. Ca arrivait, oui. Mais il remontait rapidement sur son surf. Et il repartait, comme si de rien n'était. Andrew s'était levé, imitant Malia qui s'était rapprochée de l'eau. Elle avait fait trempette. Juste les pieds. Elle n'allait pas se retrouver dans l'eau. Pas la tenue pour. C'était certain. "Toujours avoir des affaires de rechange, surtout quand tu viens à la plage. Parce qu'au final, tu ne sais jamais sur quoi tu peux tomber." Et il l'avait regardée, dans un sourire. Est-ce qu'elle retiendrait la leçon ? Est-ce que la prochaine fois qu'elle viendrait à la plage, elle penserait à amener un sac de rechange ? Avec des affaires pour au cas où ? Peut-être que oui, peut-être que non. Il n'en savait rien. Mais ça serait une bonne chose pour elle. Une très bonne chose. Pour le cas où elle décidait de faire de faire trempette. Finalement, Malia avait une autre idée en tête. Elle voulait lui piquer sa chemise et ... Et se retrouver à l'eau. Et surfer. Il eut un drôle d'air sur le visage. "Ah oui ? Carrément ? T'es comme ça toi ?" Son côté spontanée ... était amusant, y'avait pas à dire. De là à ce qu'elle lui pique ses affaires pour aller surfer. Bah ... Sa chemise était pas des plus propres. Enfin, il avait un peu transpiré dedans. Et même si elle allait à l'eau avec cette chemise ... Non, Andrew pouvait pas. Heureusement qu'il avait pris et sa planche de surf et son sac. Il se baissa, ouvrit son sac et récupéra une autre chemise qu'il avait. "Elle est peut-être un poil plus courte que l'autre. Mais pas vraiment." C'était mignon en tout cas qu'elle veuille pas se déshabiller devant lui et qu'elle lui demande de se tourner. "Tu sais ... T'oublie que j'suis médecin." Et qu'il l'avait déjà vue en sous-vêtements. Quand l'ambulance l'avait amenée à l'hosto et qu'il s'était occupé d'elle. Mais bon, il s'était tourné. A sa demande. Ridicule. Mais ce n'était pas bien grave. S'il voulait qu'elle se tourne, alors, il allait le faire. Après quelques minutes, elle était changée. Et elle lui demanda qui commençait en premier. "Honneur aux dames." avait-il dit dans un sourire. Elle voulait vraiment surfer. Donc, il allait lui laisser l'honneur de commencer.
Et voilà qu’à présent, la jeune femme se retrouvait en chemise beaucoup trop courte à son goût devant Andrew. Elle se dandinait devant lui comme une midinette de 15 ans pouvait le faire devant son premier copain. Sauf que là il s’agissait de deux trentenaires, tout simplement incapable d’avouer le moindre sentiment. Ah c’était tellement beau la période de l’enfance. Où en un claquement de doigt, et surtout avec l’autorisation des parents respectifs, les deux bambins se tournaient autour, avec l’idée commune d’aller s’amuser dans un bac à sable. Pas besoin de se sentir nul, moche, ou trop timide, c’était juste beaucoup plus simple. Aujourd’hui il n’était pas question de bac à sable mais bien de surfer pour oublier les tracas et les horreurs du quotidien. Avec une certaine pudeur, elle avait donc troqué sa robe rouge pour une chemise trop courte, et pas assez extensible qu’elle ne l’avait imaginé. Elle en aurait presque regretté d’avoir proposé cette idée stupide de surfer en chemise. Car oui, c’était une réalité, il l’avait vu déjà presque nue à l’hôpital. Malia aurait été à mille lieux d’imaginer que la première fois qu’il la verrait en sous-vêtements serait à l’hôpital. Malheureusement, elle avait été droguée, et finalement elle avait atterrie aux urgences. Pas franchement le lieu idéal pour se découvrir. C’était aussi pour cette raison, qu’elle avait sincèrement réfléchie au fait de ne plus le voir du tout. Tout avait capoté ce soir-là. Ou elle avait même osé lui demander ce qu’il pourrait se passer entre eux. Elle avait joué la carte des médicaments, et surtout de l’amnésie et ce sujet s’était arrêté dès sa sortie de l’hôpital. « Comment oublier que tu es médecin… » La plaie s’était rouverte, et lui donnait de nouveau envie de sangloter. Mais elle avait décidé de ne plus ressentir ce sentiment, au moins pour la fin de la journée. Ce soir, elle s’amuserait, et demain serait un autre jour ! Un pas après l’autre, et donc jour après jour… C’était déjà assez compliqué de s’imaginer un lendemain, alors pour ce soir, c’était planifié : elle surferait, et quitterait Andrew pour rentrer chez elle, où elle rejoindrait madame moustache et ses chatons. Cela semblait un meilleur plan que de pleurer une nouvelle fois. Alors elle se jeta à l’eau, celle-ci étant à une température plus que correcte. Admirant l’horizon, elle regarda derrière elle, et fit un coucou à Andrew, restait sur la plage. Il semblait si loin, et pourtant elle savait qu’il était là, derrière elle, veillant sur elle. Et d’une certaine manière, cette pensée l’apaisait au plus haut point.
Vint enfin le moment où elle chevaucha les vagues, chutant parfois lourdement de sa planche. Comme une fillette pleine d’espoir, elle remonta à chaque fois dessus, tentant de faire mieux ensuite. C’était d’ailleurs ce qu’elle essayait de faire depuis maintenant quelques jours, se reconstruire, mais en pleurant de nombreuses fois avant de pouvoir aller mieux. Le surf c’était sa vie. Et à présent, sa vie ressemblait au surf. Après un petit moment, elle revint sur la plage, trempé de la tête aux pieds, et ne sachant pas réellement combien de temps elle était resté à l’eau. La chemise lui collait à la peau, dévoilant ainsi ses dessus. Finalement pour une qui voulait les cacher… Mais elle était heureuse ! Crevée mais heureuse ! Elle s’étala dans le sable, à bout de souffle. « Ca m’a fait un bien fou ! Ouais j’suis tombé, mais qu’est-ce que ça m’a fait du bien ! » Elle le regardait, penché au dessus d’elle, se demandant surement ce qu’elle faisait allongé sur le sable, presque à faire l’ange avec ses bras. « Bon bah je vais te rendre ta chemise, et je vais te laisser surfer tranquille. Tu en as surement encore plus besoin que moi ! Et puis si je reste ici, tu vas te sentir obligé de raccourcir ta séance de surf. » Elle s’était relevé, pour se planter droit devant lui. Ses yeux dans les siens. Un instant sans rien dire, puis elle brisa le silence. « Merci pour tout. Je vais pouvoir rentrer à présent, avec un poids un peu présent dans ma tête. » Elle ne voulait pas le déranger encore trop longtemps, et pourtant, elle n’avait aucunement envie de partir de cette plage.
Elle avait pris la planche de surf. Et elle s'était dirigée dans l'eau. Et Andrew s'était rassis en attendant que ... Et bien, en attendant qu'elle fasse un peu de surf. Oui, il avait l'air d'être con, là, tout seul, sur la plage, à regarder celle pour qui il avait des sentiments. Mais bon, il avait pas deux planches de surf. Du moins, pas sur lui. Il en avait une vieille à la maison. Qu'il ne sortait pas souvent. Mais ça pouvait être utile dans des cas de ce genre. S'il avait pensé à la prendre, il aurait pu surfer en même temps que Malia. En même temps, le médecin n'avait pas pensé, à une seule seconde, qu'il aurait pu croiser Malia pendant sa petite séance. Oh que non. Mais ça lui faisait plaisir de la voir. Plaisir de voir qu'elle avait le sourire, même si elle ne gardait pas toujours ce sourire. Non. Il savait ... Ou du moins, il se doutait que c'était difficile pour elle. Il se doutait que ce n'était pas simple. Il se doutait qu'elle devait souvent penser à son agression. Ou plutôt, au fait qu'elle avait été droguée. Parce qu'elle n'avait pas eu le temps d'être agressée. Et Andrew remerciait le ciel pour ça à dire vrai. Dans le sens où ça l'aurait détruite. Enfin, c'était ce qu'il pensait. Déjà qu'elle était pas mal perturbée à cause de cette histoire ... Ca aurait été pire, sans doute, si ... Et bien, s'il s'était passé quelque chose. Et le médecin ne voulait pas y penser. Du tout. Là, il se contentait de regarder la jolie blonde qui surfait. Qui chutait aussi, assez souvent. Les vagues devaient être bonnes mine de rien. Oh, parfois, elle arrivait à rester quelques minutes sur la planche de surf. Avant de s'écrouler à cause d'une vague. Est-ce qu'il était content ? Il aimerait bien avec elle, c'était un fait. Mais il était content qu'elle s'amuse autant.
Combien de temps elle resta sur la planche avant de regagner la plage ? Andrew n'aurait su réellement dire. Son téléphone était dans la voiture. Tout comme sa montre. La seule chose qu'il avait, c'était son sac de sport. Et dedans, il n'avait rien pour regarder l'heure. Parce qu'il n'avait pas envie de se faire voler quand il laisserait son sac sur la plage. Enfin, s'il restait à dire vrai. Parce que maintenant qu'elle avait surfé et qu'elle revenait auprès du médecin, il n'était pas totalement certain que ... Et bien, qu'il allait s'attarder sur la plage. Peut-être que oui. Peut-être que non. Il n'en savait rien. Il verrait bien. Malia avait fini par revenir sur la plage. Et elle s'était littéralement écroulée dans le sable. Elle était essoufflée. Et non pas parce que ... Et bien, parce qu'elle s'était fait mal ou quelque chose dans le genre. "Surfer, ça fait toujours du bien." avait-il dit dans un hochement de la tête tandis qu'il était penché au dessus d'elle, avec un sourire. "Tu sais ... s'écrouler comme ça dans le sable, c'est jamais bon. Tu vas avoir du sable partout. Surtout dans les cheveux." Et il aurait bien ajouté dans ses sous-vêtements également mais ça, elle devait être au courant. C'était le risque quand on venait sur la plage et qu'on était mouillé. On s'retrouvait avec du sable un peu partout. Et c'était plutôt chiant mais bon. Peut-être que ça ne dérangeait pas Malia. Elle en vint à lui dire qu'elle allait lui rendre sa chemise. Parce qu'il en aurait besoin. Il eut un sourire. "Tu sais, t'es pas obligée de partir." avait-il ajouté en secouant la tête. "Mais en même temps, t'as peut-être encore des choses à faire." Parce qu'il ne savait pas depuis combien de temps elle était sur la plage. Andrew ne savait pas depuis combien de temps elle était là. Donc, ouais, si elle devait partir, il la laisserait partir. Il en serait triste. "Et pour la chemise, tu peux la garder si tu veux. Et me la rendre une prochaine fois." C'était pas gênant. Du tout. C'était pas comme s'il n'avait que cette chemise après tout. Elle le remercia. Pour lui avoir libéré l'esprit. Et lui avoir permis de penser à autre chose. "Mais y'a pas de quoi. C'est quand tu veux." Ouais, pour sûr.