J’étais aussi surpris qu’amusé de voir Naïa jouer les dures à cuire. J’ai failli faire la réflexion qu’elle ne trompait personne avec sa frimousse d’ange puis je me suis souvenue qu’elle était parfaitement capable de botter des culs si nécessaire - à commencer par le mien – et j’ai ravalé ma raillerie. Ensuite elle a attrapé la main que je lui tendais et j’ai senti une nouvelle sensation adoucissante me parcourir de part en part. Je comprenais même pas comment elle pouvait avoir un tel effet sur moi. Aussi instantanément. C’était presque de la magie à ce stade. De la sorcellerie, même ! Je me faisais la réflexion qu’elle était d’une rare délicatesse quand soudain elle s’est brusquement laissé tomber sur le canapé, s’affalant à moitié sur moi au passage. J’étais tellement surpris de ce revirement de situation que j'ai d'abord sentit mes yeux s'écarquiller avant d'éclater de rire. J'avais l'impression de ne pas avoir rigolé comme ça depuis une éternité. Et putain ça faisait du bien. Naïa était habituellement si professionnelle. Découvrir cet aspect d’elle était une bouchée d’air frais.
- M’en parle pas ! Les apparences sont trompeuses et on est même trahi par les siens...
J’ai haussé les épaules, faussement attristé par la situation, tout jetant un coup d’œil de reproche à mon canapé à l’aspect douillet qui était en fait un vrai tape-cul. Elle rigolait comme une enfant et j’ai aussitôt reporté mon attention sur elle. Moi, je souriais comme un con en me mordant la lèvre inférieure. J’arrivais pas à décrocher mon regard d’elle. Merde, elle était vraiment adorable. Ensuite elle a posé sa tête contre mon épaule et j’ai passé un bras autour des siennes. C’était tellement spontané, j’ai même pas réfléchi à ce qui était bien ou mal, approprié ou non. Je pensais qu’au contact de sa peau sur la mienne, à l’odeur de ses cheveux, au souvenir encore récent de son rire angélique. Je sais pas vraiment comment l’expliquer mais j’avais l’impression d’être totalement bourré tout en étant outrageusement sobre. Sorcellerie, je vous dis. Quand elle a parlé de Leila, j’ai hoché la tête. Je savais la chance que j’avais de l'avoir pour fille. Je savais aussi que j'étais absolument pas digne de sa patience et de son amour, même si j’étais décidé à tout entreprendre pour regagner sa confiance et lui offrir la vie qu’elle méritait. J’ai senti la main de Naïa se resserrer autour de la mienne et sa voix se briser légèrement sur ses dernières paroles.
- Elle est extraordinaire, tellement forte… et brillante… Je sais pas ce que je ferais sans elle.
J’aurai volontiers pu faire l’éloge de ma fille pendant des heures mais j’avais le sentiment que quelque chose n’allait pas. Comme la possibilité que j’ai pu faire quelque chose de mal ne m’effleurait pas l’esprit sur le coup j’ai penché la tête vers Naïa, scrutant son visage comme pour y lire la raison de son mal-être –ou du moins ce que j’avais ressenti comme tel. Mais comme elle avait toujours le regard dans le vague j’ai fait un mouvement de tête dans sa direction, mes yeux cherchant les siens :
- Hey, j’ai appelé doucement, mes doigts caressant inconsciemment sa main. Ça va ?
L'entendre rire était délicieux, j'ai bien l'impression que c'est la première fois que je voyais pas un Phoenix trop préoccupé ou sombre et il faut avouer que ça me fait plaisir, plus qu'une simple petite victoire personnelle, un sentiment de bien-être ! Si j'étais capable de pouvoir lui faire passer des bons moments en dehors de mes serments d’assistante sociale, ne serait-ce donc pas mieux ? Et si seulement il avait simplement besoin de reprendre goût à la vie pour réussir à s'épanouir à nouveau et sortir de sa torpeur destructrice, Leila ne devrait pas être la seule personne qui arrive ainsi à le faire sentir vivant, heureux. Et puis ce n'est pas comme s'il méritait tout son malheur, c'est un homme bien, malgré tout ce qu'il laisse transparaître, je crois en lui bien plus que n'importe quelle personne et c'est bien la première fois que je me laisse autant porter dans mes bonnes manies de soutiens, ça dépasse largement le professionnel, mais je n'en ai pas vraiment grand-chose à faire à l'heure actuelle et soyons honnête je crois que ce petit instant hors de la "réalité" est aussi bien pour lui que pour moi, j'aimerais ne pas reprendre cette place d’assistante sociale au risque de devoir tout rayer par la suite, mais je m'enfonce dangereusement dans un piège dont je ne pourrais m'échapper.Il rentrait dans mon petit "jeux" d'humour avec son fameux canapé pas si confortable qu'en apparence et continuait à rire comme une gamine, qu'est-ce qui me prend ? Ce qui me rassurait c'est qu'au lieu de me prendre pour une folle il semblait amusé par ma joie et son regard que je qualifierais presque de captivé était d'autant plus plaisant. Comme j'aimerais retourner quelques années en arrière pour retrouver mon insouciance, quand on est jeune tous est plus simple, aujourd'hui je me bats avec ma raison pour une simple soirée pizza avec lui, c'est à faire pitié.
Je laissais ma tête se poser sur son épaule par la suite, troublée son regard je préférais détourner mon attention, mais il m'enlaçait délicatement et toute cette attention, ce rapprochement ne faisait finalement que faire brûler un peu plus toutes ses sensations inexplicables qui m'envahissent, il serait peut-être temps de me résonner, si seulement j'en avais réellement envie. Je savourais cet instant et je me sentais si bien que j'aurais voulu couper se foutus temps pour profiter un peu plus de ce rapprochement, c'est comme si bizarrement j'étais plus sereine et en sécurité près de lui, il faudrait absolument que je me détache de ce sentiment qui prend mon corps en otage, mais l'interdit c'est ce qu'il y a de plus attirant, non ? Ce qui me sortait de ma petite "rêverie" c'était une photo de famille un peu plus loin, je l'admirais quelques instants, je ne pouvais m'empêcher de les imaginer avant tout ça, ce drame ! Pourquoi le destin est si cruel avec certaine personne, j'aurais bien aimé qu'il m'épargne moi aussi, connaître une vie moins triste et sans tourment. J'ai sans trop réfléchir complimenté son adorable fille, auquel je tiens aussi beaucoup et je ne permettrais jamais qu'ont les séparent tous les deux. Il me répondait en faisant ses éloges et il disait tout à fait vrai sur elle est aussi bien le fait que sans sa fille, il ne sait certainement où il en serait, ce que je confirme sans faute, sans elle il n'aurait aucune motivation pour s'en sortir ce serait une vraie catastrophe, mais elle est ici et par la même occasion je suis ici grâce à elle, bref c'est une chaîne sans fin.
- Ne te pose pas la question, elle est ici c'est le principal !
J'essayais de garder le cape, d'être forte comme toujours et de ne pas laisser mes sombres pensées m'envahirent, mais à ce moment-là c'était un peu plus fort que moi, je ne m'étalais finalement pas sur le sujet et laissais place au silence pour reprendre un peu mes esprits et laisser ma bonne humeur refaire surface, mais de toute évidence je n'étais pas si douée que je le pensais, Phoenix semblait intrigué et je me rendis compte de la façon dont je serrais sa main, comme si je m'accrochais à lui. J'avais beau avoir le regard au loin, je voyais bien qu'il essayait d'attirer mon attention et il penchait sa tête comme pour lire dans mon regard ce qui n'allait pas en me demandent par la suite si ça allait, j'avalais difficilement ma salive, merde ça fait combien de temps qu'on ne m'a pas sincèrement posé cette question en attendant réellement une réponse ? Je ne sais même plus, mais j'en avais le cœur serré. Que pourrais-je bien lui répondre ? " Non je pense à ma fille qui est décédé quelques heures après sa naissance ? Et que par la même occasion je repense à mon mariage qui s'est détruit par la suite... Sans oublier le fait que je n'ai pas de famille pour m'épauler" Non, ce n'est pas mon genre de me livrer, de parler de moi et de mes malheurs, même si pour une fois je me sentais prête à dire ce qui me bouffe toutes les nuits et ce qui me pousse à boire en solo ma vodka devant des émissions pourries. Je suis comme ça, je viens en aide aux autres mais je ne laisse personne m'aider, je sais qu'un jour je vais craquer, mais je ne fais que retarder un peu plus l’échéance en espérant que le bonheur va frapper à ma porte pour me délivrer.
- Ne t’inquiète pas.
Et puis ce n'est pas son rôle à lui de s'inquiéter pour moi, c'est l'inverse en temps normal ! J'avais la voix un peu fébrile, je n'aime peut-être pas me confier, mais je ne sais pas faire semblant. Je me concentrais sur sa main qui caressait délicatement la mienne pour ne pas trop m'immerger dans mon désespoir, Naïa il faut que tu ressaisisses. J'écartais légèrement ma main pour finalement entrelaçait nos doigts, je faisais ce geste sans trop réfléchir et relevais légèrement la tête en sa direction posant mon regard dans le sien, j'étais bien trop proche de son visage mais peu importe, dans ses yeux je pouvais m'évader.
Naïa a tenté de balayer mon inquiétude avec une voix fébrile et un sourire qui ne touchait pas ses yeux, ce qui m’a fait flipper plus encore. J’ai froncé les sourcils, mon regard parcourant sa petite mine triste tandis que ses doigts entrelaçaient les miens. Je comprenais pas ce qu’il venait de se passer. Un instant elle riait avec toute la légèreté du monde, l’autre elle semblait proie à des pensées mélancoliques. Et je ne connaissais que trop bien ce regard, pour l’avoir croisé à de nombreuses reprises dans le miroir. Je savais pas quoi faire pour l’aider et ça me rendait malade. Machinalement j’ai jeté un coup d’œil à la cuisine, vers le placard où j’avais rangé ma teacher’s quelques instants plus tôt, parce que c’était toujours vers ça que je me tournais quand j’avais besoin d’aide. Sauf que je pouvais décemment pas lui proposer de tiser… parce que c’était Naïa… l’assistante sociale de ma fille… Brusquement, j’ai senti la réalité me happer avec ses griffes dégueulasses et les battements de mon cœur s’intensifier. J’ai eu un mouvement de recul alors que mon cerveau semblait décidé à me bombarder de pensées plus troublantes et contradictoires les unes que les autres. Elles allaient si vite que j’arrivais même pas à en saisir une seule. Et c’était pas plus mal. Parce que j’avais aucune envie de me réveiller, de retomber. Je me suis passé la main sur le visage. Où était le bouton « off », putain ?
J’ai pris une grande inspiration, résigné à m’écarter de Naïa. Je me sentais sage et responsable. Ensuite j’ai croisé son regard qui me faisait un peu penser à celui du chat dans Shrek 2 et j’ai senti mon cœur se serrer. Je suis resté tétanisé comme un con l’espace d’une seconde, désorienté. Puis j’ai envoyé mes pensées noires et ma pseudo sagesse se faire foutre et je me suis retourné vers elle. Je voulais la rassurer. Sauf que je savais pas comment faire. Voulait-elle picoler ? un câlin ? être seule ? Je savais pas. Je savais pas alors je lui ai demandé.
- Naïa… ? Dis-moi comment je peux t’aider.
Ma voix était basse, comme pour ne pas l’effrayer. J’ai tendu la main vers son visage et j’ai doucement caressé sa joue, mon regard cherchant une nouvelle fois le sien. Elle allait pas bien, j’allais pas paniquer comme un connard et la laisser seule dans sa détresse. J’étais pas ce genre de personne. J’avais une implication morale envers elle. En tout cas c’est la petite histoire du « mec viril avec des responsabilités » que je me suis raconté pour m’éviter de penser aux véritables raisons et conséquences de mes actions. Parce que la vérité c’est que j’avais juste envie d’être avec elle, d’être là pour elle, de la prendre dans mes bras et de ne penser à rien d’autre.
Je devais, je devrais me ressaisir et ne pas me laisser abattre si vite par mes souvenirs, mes blessures du passé, surtout pas devant Phoenix, bien sûr je sentais qu'il voulait m'aider, qu'il n'est pas du genre à se décharger de ce qui m'arrive, mais ce n'est pas son rôle, non c'est moi l’assistante sociale, c'est moi qui aide les gens et pas l'inverse, enfin vu le contexte ou l'on se trouve je ne sais plus réellement ce qui devrait se faire ou non... Et je ne sais pas vraiment si je veux y réfléchir pour le moment. J'essaye de rassurer Phoenix comme je peux en lui disant de ne pas s'inquiéter, mais je me doute que mes paroles ne sont pas des plus convaincantes, ma voix est faible et mon regard assez évoquant, je n'ai pas envie de lui mentir, mais encore moins de me confier et d'ouvrir mon cœur, pas comme ça, je sais dans un coin que je me trouve toujours des excuses, que je trouve toujours une route pour m'évader de ce qui me hante, à savoir si c'est bien ou mal... La seule chose qui semblait arrêter mon cerveau dans cette descente c'était bien de me concentrer sur le regard de Phoenix, je ne saurais vous l'expliquer c'est comme si d'un coup tout s'évaporais, mais je sais bien que c'est mal, que je ne devrais même pas ressentir ce brin de "liberté" à ses côtés. Je voyais, je sentais subitement que Phoenix était un peu désemparé par la situation, il eut un léger mouvement de recul et avait le regard ailleurs, il réfléchissait et je prenais conscience que mon comportement était inadapté, que je ne devais pas me laisser aller dans ses bras, mais je me sentais à la fois incapable de résister à ce rapprochement, cette sensation si parfaite d'être en sécurité, protégé. Pourquoi c'était avec lui ? J'aurais préféré que tout se passe différemment, car je sentais que tout ceci n'allait aboutir qu'à un bordel monstre dans ma tête. Je l'ai vu se passer la main sur le visage et j'ai brusquement arrêté d'entrelacer ses doigts, il faut que je m'éloigne, qu'on s'éloigne, ma plus grande peur dans cette route dangereuse ? C'est bien d'avoir besoin de lui, qu'il fasse partie d'un équilibre incertain, fictif qui ne fera que nous tirer vers le bas.
Je croise à nouveau son regard, j'espère que c'est ce qui va m'éloigner, voir dans ses yeux la vérité et que le mieux c'est qu'on stoppe ce qui se dessine entre nous au plus vite, mais c'est tout l'inverse et je ne me rends même pas compte que j'exprime toujours plus d'attention, il semblerait que je puisse me mentir à moi-même, mais que mes yeux parlent pour moi. C'est ridiculement déstabilisant cette sensation et pour une fois de plus je me laisse prendre à mon propre jeu et je ne fais qu'entretenir ce rapprochement, il semble alors plus attentif, comme si à son tour il se faisait attraper par ma mélancolie. Il me demandait simplement comment il pouvait m'aider et j'avais envie de lui jeter au visage de s'éloigner, de me mettre à la porte et de me laisser seule avec ma déprime et mes remords, mais j'étais incapable de prononcer le moindre mot qui pourrait finalement rompre le fait qu'il me porte autant d’attention, ça fait tellement du bien de voir que quelqu'un s'inquiète pour moi, on me voit toujours sous mon meilleur jour, je m'efforce d'être forte pour éviter ce genre de questions, j'avais l'occasion de me livrer aujourd’hui, mais une fois encore je ne pouvais pas, je préférais nier la vérité, même s'il n'était pas dupe, car dans sa question il voyait très bien que quelque chose n'allait pas, mais il ne me forçait pas à me dévoiler, il voulait simplement m'aider. Quand il a approché sa main de mon visage j'ai fermé les yeux, comme pour mieux profiter de cet instant et j'ai penché la tête l'espace de quelques secondes, qu'est-ce que je pouvais bien lui répondre ? Je ne savais même pas ce don j'avais besoin, hormis mettre mes pensées noires dans un placard comme je le fais habituellement.
- Ce n'est pas à toi de m'aider, c'est l'inverse normalement je te rappelle.
Je ne disais pas ceci comme une critique, ni une attaque ou un reproche, non je disais ceci, car c'est bien la vérité, j'ouvrais les yeux et relevais la tête vers Phoenix en souriant du coin des lèvres. J’attrapais délicatement sa main pour la retirer de mon visage et je déposais un baiser dessus, j'appréciais réellement la façon dont il se comportait avec moi et même si le mieux serait d'y mettre fin, je n'en étais pas capable, c'était trop délicieux. Trop engagé dans notre triste lancé je ne pouvais qu'en demander plus.
- Serre moi dans tes bras, s'il te plaît...
Ridicule ? Oui totalement j'avais envie de me frapper à l'instant ou j'avais prononcé ses paroles, mais je crois que j'en avais tellement besoin que je ne pouvais passer à côté de l'occasion, avoir l'impression quelque seconde qu'on tiens à vous, qu'on est là pour vous c'est tellement réconfortant. En temps normal j'aurais plutôt trinqué pour un verre d'alcool, mais s'il y a bien une personne qui ne devait pas être au courant de ce penchant dangereux c'est bien Phoenix, je perdrais toute crédibilité.
Si j’ai appris quelque chose dans cette chienne de vie c’est que bien souvent, les personnes les plus tristes sont les plus souriantes, les plus seules ont le plus grand cœur, et les plus intentionnés souffrent derrière des portes fermées. Des âmes brisées qui rependent joie et amour partout autour d’eux parce qu’ils ne souhaitent leur douleur à personne. Et soudainement, j’ai vu Naïa sous une nouvelle lumière. Et ça la rendait plus admirable encore à mes yeux. J’ignorais tout d’elle et des embûches qui la vie avait pu lui tendre mais je sentais dans son regard qu’elle portait de lourds fardeaux. Et j’ai immédiatement eu envie de les lui prendre pour la soulager, lui rendre le sourire. C’était probablement me surestimer étant donné que j’étais à peine capable de gérer mon propre bordel mental, mais en cet instant j’en avais tout bonnement rien à faire. Je voulais prendre sa peine. Sauf que je pouvais pas, à mon grand désespoir. Alors je continuais de la regarder, comme un con, comme si la réponse allait tomber du ciel. Au final c’est pas du ciel qu’elle est tombée mais de sa bouche qui s’étirait en un petit sourire triste alors qu’elle articulait d’une voix toute brisée que ce n’était pas à moi de l’aider mais l’inverse. Et ça m’a fait sacrément mal au cœur parce que j’aurais vraiment voulu qu’elle me laisse l’aider. Qu’elle laisse quelqu’un l’aider, au moins. Au lieu de tout garder en elle, comme elle avait l’air de le faire. Et au moment où cette pensée m’a traversé l’esprit, je me suis dit qu’on était peut-être pas si différent que ça, au final, Naïa et moi. J’ai eu envie d’insister, mais j’étais pas ce genre de personne. Je respectais sa décision. Alors j’ai hoché la tête. J’allais me reculer un peu pour lui laisser de l’espace, voir carrément me lever, quand tout à coup elle m’a demandé de la prendre dans ses bras. C’était tellement inattendu que je suis resté bloqué sur place l’espace d’une seconde, à me demander si j’avais bien entendue ou si je me faisais juste un délire tout seul. J’ai tourné la tête vers elle et j’ai croisé ses gros yeux un peu brillants. Alors j’ai pas hésité et j’ai passé mes bras autour d’elle pour l'attirer contre moi, délicatement d’abord, puis plus fortement, appuyant ma joue contre la sienne tandis que ma main caressait doucement ses cheveux.
- Tout ce que tu veux. Je suis là.
Ça paraissait con, dit comme ça - je veux dire, elle le savait bien que j’étais là vu que je la tenais dans mes bras - mais j’avais vraiment envie qu’elle sache que je comptais aller nulle part tant qu’elle voudrait de moi, qu’elle pouvait s’appuyer sur moi. Que j’étais là quoi. Pour elle, avec elle.
J’ai jamais été un grand parleur. Je suis pas doué avec les mots. Généralement je m’exprime davantage avec mon corps qu’avec ma voix. C’est probablement pour ça que j’étais devenu boxeur d’ailleurs. Mes débats, je les faisais avec mes poings. Mais quand il s’agissait de moments de tendresse comme celui-ci, j’avais un peu l’impression d’être un ours qui essayait de caresser un petit poussin. J’avais plus l’habitude. Mes mains me semblaient trop rêches, trop brutales pour pouvoir tenir une femme aussi délicate que Naïa sans avoir peur de la casser en deux. Ensuite je me suis rappelé qu’elle était bien plus forte et féroce qu’elle n’y paraissait et j’ai arrêté de me poser des questions. J’ai resserré mon étreinte autour d’elle, comme pour lui transmettre tout le soutient que je lui apportais et que je savais pas exprimer avec des mots.
Parce que si je faisais tout ça, c’était uniquement pour la réconforter, évidemment… Du moins c’est ce que je me racontais pour éviter de penser au fait que j’en crevais d’envie (et le réprimer) depuis ce qui me semblait être une éternité. Mais je pouvais pas y penser. Je pouvais pas y penser sinon j’allais penser à d’autres trucs pas hyper agréables... ou des trucs un peu trop agréables au contraire, et puis j'allais paniquer comme un connard et partir en courant comme une fiotte. Et je pouvais pas me le permettre. Parce qu’elle avait besoin de moi… Où est-ce que j’avais besoin d’elle ?
Putain tout était quand même vachement plus simple quand j’étais bourré.
Comme d'habitude c'était plus fort que moi, il ne fallait pas que je laisse trop d’émotions s’échapper, que je parle de mes faiblesses ou encore que je me permette de m’apitoyer sur mon sort et pourtant j'avais l'impression d'en avoir déjà trop fait, toute cette situation, ce rapprochement autour de mon mal-être, c'était malsain, seulement je ne pouvais pas l'empêcher, un peu spectatrice de moi-même à certains moments, la seule chose que je trouve pour me dégager un minimum de la situation, c'est simplement de ne pas en dire plus; ne pas me confier et laisser planer le pourquoi de cette soudaine tristesse qui emplit mes yeux. Je vois bien qu'il essaye, qu'il veut que je partage ce qui me bouffe de l'intérieur, dans le but de m'aider seulement je ne peux pas m'empêcher de penser que ce n'est pas son rôle à lui et je n’hésite pas non plus à lui dire, rien de bien de vexant, la simple vérité qu'il faut qu'on voie tout autant l'un que l'autre, vous avez déjà vu ça une assistante sociale qui se retrouve à déprimer contre celui qu'elle est censée suivre, drôle de situation, je crois bien que de toutes les fois ou j'ai pu prendre un peu trop le large sur le plan professionnel, c'est bien la première où je m'égare autant, mais pour l'instant je n'ai pas non plus la force de m'en détacher, je sais simplement que je vais le regretter plus tard, quand je serais probablement dans mon lit à fixer mon plafond sans réussir à m'endormir. Le regard de Phoenix me faisait presque frissonner, non ce n'est pas souvent qu'on voit quelqu'un qui veut réellement vous apporter de l'aide, vous soulager et ça me touchait au plus profond de mon âme, je n'avais pas eu besoin de cette scène pour savoir qu'il avait un grand cœur derrière ses airs d'homme endurcis par le temps, le triste destin, mais ça ne faisait que me montrer un peu plus celui qu'il est au fond, quand il n'a pas la rage qui prend le dessus ou l'alcool qui vient bousiller son cerveau.
Quand j'ai demandé telle une femme en manque d'amour qu'il me prenne dans ses bras, j'ai vu une hésitation dans ses yeux, je sais pas si c'était le coup de la surprise ou non, mais le principal c'est bien qu'il a fini par m'enlacer et moi j'ai fermé les yeux me laissant porter par son geste délicat. Si ça fait du bien ? Je ne saurais pas trouver les mots tellement j'ai ressenti ce sentiment d'être soudainement en vie, oui de me rappeler ce que ça fait quand quelqu'un tiens à vous et qu'il veut vous protéger et je ne pense pas me faire des illusions. Il ajoutait alors qu'il était là, inutile . Non pas le moins du monde, le savoir c'est une chose, l'entendre s'en est une autre... Je posais mes mains sur ses épaules comme pour mieux m'accrocher à cette étreinte, pour que tout ne s'arrête pas si brusquement et le temps semblait ralentir, je ne saurais vous dire pourquoi mais j'avais l'impression d'être à ma place, niché au creux de ses bras, mais il vaudrait mieux que j'éclipse cette sensation dangereuse, je ne devrais pas prendre le risque d'y prendre goût. Il resserrait son emprise sur moi, je crois bien que même s'il m'aurait serré contre lui jusqu'à l'étouffement je n'aurais même pas bronché, j'étais juste parfaitement bien, mais toutes ses sensations me donner encore plus l'envie de lâcher prise, de laisser mes émotions prendre le dessus, je sentais une larme de plus couler sur ma joue, heureusement Phoenix ne pouvait en rien constater de cela. Quelques secondes, quelques minutes ? Je ne savais pas réellement depuis combien de temps j'étais dans ses bras à profiter de l'instant, comme si je pouvais en extraire le plus possible et emmener cette bienveillance avec moi, quand je finirais par rentrer seule. J'ai décollé ma joue de la sienne, plantant mon regard bleuté d'une poignante sensibilité dans le sien, j'espérais ne pas avoir les yeux trop brillants, j'ai ensuite posé l'une de mes mains sur sa joue, la caressant du bout de mon pouce.
- Merci Phoenix...
C'est tout ? Est bien oui, je ne savais pas trop quoi dire d'autre, faut dire que c'est un peu le bordel dans ma tête ! Je ne prête presque pas attention à la proximité de nos visages tout ce que je veux c'est le remercier pour sa gentillesse, après tout il n'est pas obligé d'agir ainsi et je ne voudrais pas être un fardeau. Je me suis mise à sourire du coin des lèvres, un vrai sourire plein d'émotion, il serait peut-être temps que je remette une limite raisonnable entre nos deux corps, mais pour l'instant je ne peux pas m'en détacher ! Je profite au maximum de chaque parcelle de ce rapprochement, je mets tout ça sur le dos du réconfort alors que je crois bien que même sans ça, j'avais besoin d'être si près de lui, je me trouve peut-être des excuses dans le fond et... Est-ce que se serais pareil pour lui ? Une chose est sur on fait tous les deux beaux duos d’âmes perdues, ridiculement incertains. On en oublierais presque la fameuse pizza sans viande qui devait arriver ...
J’ai senti sa respiration se calmer et j’ai fermé les yeux, appuyant doucement ma tête contre la sienne, ma main caressant toujours ses cheveux pour la rassurer. Je sais pas trop combien de temps on est resté comme ça, enlacés, accrochés l’un à l’autre. Je sais pas non plus à partir de quand j’ai commencé à perdre contact avec le peu de réalité qui me restait pour partir bien loin dans un monde imaginaire, où tout était simple et pure et où la douleur n’existait pas. J’étais complètement enivré par le moment, par elle, par l’odeur fruitée de ses cheveux et la douceur de sa peau contre la mienne. Je pensais qu'à ça. Tout le reste disparaissait. J’avais l’impression que le vide qui m’habitait continuellement s’estompait pour la première fois depuis une éternité. L’impression d’être étrangement… complet. Alors bien sûr quand elle a rompu notre étreinte j’ai dû exercer un sacré contrôle sur moi-même pour pas la serrer à nouveau contre moi. J'ai lentement relâcher l’emprise que j'exerçais autour de son corps pour la libérer - malgré mon envie de la garder dans mes bras, comme un connard d’égoïste - puis j’ai baissé les yeux vers elle, sondant son regard pour m'assurer qu'elle allait bien. Quand elle m’a remercié, avec son sourire angélique, ses yeux brillants et sa main douce qui caressait ma joue, j’ai senti mon cœur se serrer et un sourire un peu triste étirer mes lèvres.
- Tout ce que tu veux.
J’ai répété. Une sensation de « trop » plutôt oppressante me nouait la gorge. Je comprenais même pas comment je pouvais être aussi bien et aussi triste à la fois. Et je voulais pas vraiment me poser la question, pour être honnête. Mon cerveau était à l’envers. Et notre proximité y était clairement pas pour rien. D'ailleurs nos nez se sont touchés et du coup ça m'a fait sourire, un peu bêtement, tendrement, comme un idiot. A mon tour, j’ai levé la main vers son visage pour caresser sa joue aussi délicatement que possible. Une étrange chaleur s'est rependu dans mon corps sans trop y être invitée et j'ai senti mes yeux glisser vers ses lèvres. Je rigolais plus trop, pour le coup. Le gorge serrée, j'ai réalisé à quel point j'avais envie de combler les quelques centimètres qui nous séparer. J'ai rapproché mon visage du sien. Puis j'ai relevé les yeux vers elle, mon regard passant d'un œil à l'autre. Complémentent perdu dans son regard azur d'une intensité troublante, j'ai senti mon cœur s'emballer quand mes lèvres ont effleuré les siennes. Et ça m’a méchamment chamboulé, la violence de mes émotions, l'ardeur avec laquelle je la désirais. Alors, brusquement, dans un sursaut de lucidité, j'ai réalisé ce que j'étais entrain de faire. Je crois que j'ai perdu toute mes couleurs et que mes yeux se sont un peu écarquillés, sur le coup de la panique. Elle allait mal, bordel. Comment je pouvais profiter d'elle comme ça ?
- Je suis désolé.
Je me suis empressé de dire en m'écartant. Elle allait mal. J’étais en vrac. C'était mal. C’était mal pour tellement de raisons que je commençais sérieusement à me noyer dedans. Je me suis passé la main sur le visage pour essayer de me ressaisir. Elle avait confiance en moi, et moi je venais de tout foutre en l'air. Comment j'avais pu lui faire ça ? Putain. J’étais vraiment un sale con.
- Je suis désolé. Je vais… enfin, la pizza va pas tarder… je vais… mettre la table.
C’était minable. Et c'était aussi la deuxième fois en une soirée que je prenais la fuite. (Quel homme...) Mais là, sur le coup, c’est tout ce que j’ai trouvé. Pour prendre du recul. Pour lui foutre la paix. A contre cœur je me suis écarté d’elle et je me suis dirigé à grands pas vers la cuisine. Là, j’ai regardé autour de moi comme un camé cherchant sa dope et mes yeux se sont instinctivement posés sur le placard dans lequel j’avais rangé ma bouteille de teacher’s quelques instants auparavant. Tentant. Mais j’ai secoué la tête : Naïa allait aussitôt s’en rendre compte. D’un autre côté… elle serait tellement déçue et dégoutée qu’elle voudrait certainement plus s’approcher de moi après ça… d’ailleurs elle me collerait peut être même une beigne ou deux et ça me remettrait peut être les idées en place… Je me suis passé les mains sur le visage, accablé par ma propre connerie. Non, c’était une idée de merde. Putain j’étais en forme ce soir. Et je réalisais avec horreur que malgré ma récente prise de conscience et tout ce que ça impliquait, j'avais toujours autant envie d'elle. Alors j’ai appuyé ma tête contre le mur en face de moi avec un peu plus de violence que nécessaire - histoire de me requinquer - et j’ai soupiré en fermant les yeux.
Est-ce que c'est bien, est-ce que c'est mal ? Je ne saurais vous donner la réponse juste, moi tout ce que je sais, c'est que sa fou le bordel dans ma tête. d'un point de vue professionnel c'est juste injustifiable, je perdrais toute crédibilité et mon poste serait peut-être même bien en danger si on apprenait que je suis aussi proche d'un de mes clients, je crois avoir déjà franchi certaines limites à plusieurs reprises, mais là c'est différent et pire, car dans le fond il est question de sentiment mais je devrais pouvoir me contenir, c'est mon devoir... Mais d'un point de vue personnel, merde qu'est-ce que ça fait du bien qu'on m'attribue un peu d'attention et de délicatesse, car oui malgré ses mains abîmées par le temps et son cœur brisé il savait faire preuve de douceur et ceci apaise les quelques démons qui hantent mon esprit. J'aurais dû avoir le sentiment de faire une erreur, la force de ne pas rester dans ses bras mais c'était presque naturel, comme si on était finalement faits pour en arriver là, ce n'est pas avec tout le monde que je me sens si aisément sereine, avec personne pour être exact... Le seul vrai en risque dans tout ça c'est bien d'avoir envie de me confier à Phoenix, d'en avoir besoin ? Et il ne fallait pas, je ne pouvais pas me permettre de me reposer sur lui, alors qu'il n'est même pas encore en paix avec lui-même, qu'il lutte toujours contre son addiction pour l'alcool et pour bien élever sa petite Paige, je serais qui pour rajouter un peu plus de complications dans sa vie ? Je ne serais pas digne de moi pour faire ça, alors je pense que c'est bien la dernière fois que je laisse ma faiblesse prendre le dessus en sa compagnie, je ne veux pas qu'il se fasse dû soucis pour moi inutilement. Ce que je ne peux par contre pas promettre c'est bien de résister à cette foutue envie d'être dans ses bras, d'être en sécurité près de lui... Je me permettais finalement de m'écarter un peu, sans pour autant rompre notre proximité, tout ça simplement pour le remercier de toute cette bienveillance, je ne sais pas vraiment si c'est de la pitié ou non, mais je peux vous dire qu'au final je m'en fiche.
Je lui souriais avec sincérité, me permettant de caresser délicatement sa joue, je perdais un peu la notion de la réalité une fois envoûtée par son regard, je ne saurais même plus vous dire ce qu'il m'a répondu tellement j'étais ailleurs... J'ai juste senti sa main sur ma joue et réalisais ensuite cette envie qui me brûlait les lèvres quand nos visages se sont rapprochés, quand il s'st permis de laisser un infime espace entre nous, je ne comprend pas ce qui nous arrive, on était à deux doigts de s'embrasser et je n'avais même pas vu venir ce geste, peut-être qu'à force de réprimander la moindre de mes émotions j'en deviens aveugle. Si j'aurais osé nous lier ? Pas le moins du monde, ça me ferait admettre trop de choses que je ne veux savoir, mais je n'aurais peut-être pas refusé s'il l'avait fait... J'avais comme le cœur au bord du vide, vivant ses dernières secondes avec et soudainement la rupture, un éclair de lucidité dans ses yeux et il s'est reculé brusquement en s'excusant. Et là c'est l'écran noir dans la tête, je le regarde des yeux ébahis sans avoir la moindre réaction, qu'est-ce qu'il fait, qu'est-ce qu'il veut ? J'étais perdue à nouveau, c'était moi le problème . J'écoutais pas vraiment ce qu'il me disait par la suite, il se trouvait certainement des excuses pour s'éloigner et je me retrouvais comme une conne sur ce canapé quand il se leva dans la foulée. La réalité me frappe alors de plein fouet, peut-être que c'est mieux, que j'aurais aussi dû réagir avant cet égarement, il avait eu l'intelligence de mettre un point à cette dangereuse descente alors que c'est moi qui suis censé avoir une attitude remarquable et je me sentais ridicule. J'avais envie de me passer le visage sous l'eau afin de me rafraîchir un peu les idées ou pourquoi pas me jeter dans un bain d'eau glacée à l'occasion. Mais je restais là, je m'appuyais contre le dossier en fixant la table basse, qu'est-ce que je devais faire ou dire ? Pourquoi tout est toujours si compliqué dans ma vie, je n'avais donc vraiment pas le droit au bonheur ? Ne serait-ce que quelques minutes...
Je ne savais pas trop ce que Phoenix pensait de moi à l'heure actuelle, mais j'arrivais à me mettre en tête que tout ça c'est finalement de ma faute, je n'aurais pas commencé à craquer on en serait pas là, non je n'aurais pas dû lui demander de me prendre dans ses bras, je ferais peut-être même mieux de partir avant de faire une autre connerie du genre ! De nous deux je me demande bien qui doit sauver l'autre ce soir... Je me lève après quelques secondes de silence, j'inspire un grand coup histoire de me donner le plus de courage possible afin d'affronter le regard de Phoenix à nouveau, je l'entends alors marmonner un truc, je ne sais pas ce qu'il dit, mais quand j'arrive dans la cuisine il est tourné vers le mur, il médite ou quoi ? Je décide de ne pas trop m'approcher, non c'est peut-être mieux de garder nos distances maintenant, même si une petite voix me susurre de renouer le contact. Je passe nerveusement ma main dans mes cheveux avant de me décider à parler.
- Tu n'avais pas à t'excuser, je... Dis-moi si tu préfères que je parte, je ne veux pas ....
Ne veux pas quoi, te déranger ? Semer le doute dans ta tête, oui je crois que c'est un mélange de tout ça que je ne saurais trop décrire, si bien que je ne finis simplement pas ma phrase. C'est peut-être bien la deuxième fois depuis mon arrivée que je lui demande s'il veut que je parte, c'est les montagnes russes entre nous, il y avait encore quelques ont été dans les bras l'un de l'autre, à croire qu'on aime se compliquer les choses, se torturer tout simplement. Je pose mes mains sur le dossier d'une chaise et pose mon regard sur la table, comme pour éviter de croiser celui de Phoenix, quand il se retournera.
- C'était ma faute, je ne veux pas te rendre la vie plus compliqué, j'suis par là pour ça normalement !
J'expirais longuement, pensant réellement ce que je venais de dire.
Et je me suis demandé l’espace d’un instant si elle me posait sincèrement la question, si c’était une façon détournée de me dire qu’elle aimerait se casser ou si elle se foutait pas un peu de ma gueule. Parce que pour moi, c’était très clair : chaque cellule de mon corps réclamait le sien. J’avais envie de la prendre dans mes bras, la serrer tout contre moi. Ça faisait tellement longtemps que j’avais pas vu autant de douceur dans les yeux d’une femme, je savais même plus comment me comporter. Non, je voulais pas qu’elle parte, je voulais que les choses soient différentes, arrêter de me prendre la tête, la sentir contre moi, sécher ses larmes, entendre son rire, être libre… mais la magie du moment était passée, je le sentais. La réalité avait fini par nous rattraper. Les barrières étaient remontées. Rideau. Tout le monde rentre chez soi.
Alors je me suis contenté d’hocher la tête.
J’ai voulu trouver les mots pour la rassurer, mais j’en été incapable. J’étais trop con et trop déglingué pour elle, et je pense qu’on le savait tous les deux. Je l’ai raccompagné jusqu’à sa voiture. Elle avait décliné, par politesse je pense, ou par gène peut-être aussi. Mais c’était pas une proposition. Par principe je raccompagnais toujours les demoiselles en détresse les femmes jusqu’à chez elles ou jusqu’à leur moyen de transport. C’était la moindre des choses. Mais dans ce quartier c’était même plus de la galanterie, c’était de la survie. Leila disait que j’étais vieux jeu et parano, et quelque part elle avait sans doute pas tort, mais je préférais pas prendre le risque.
Au moment où elle allait passait la portière je l’ai rattrapé par la main.
- Merci. D’être venue.
Je l’ai regardé un peu bêtement pendant un moment, ses doigts toujours dans les miens. J’avais un nœud dans l’estomac, un douloureux pressentiment que tout allait s’effondrer et redevenir froid et professionnel entre nous si je rompais le contact. Je comprenais même pas pourquoi cette éventualité me paniquait autant. Mais je savais que c’était la seule chose à faire. Et je pouvais décemment pas non plus kidnapper sa main indéfiniment. Alors, à contre cœur, je l’ai libéré. Je me suis forcé à faire un sourire qui se voulait détacher et rassurant, pour éviter qu’elle soit mal à l’aise. Elle a souri en me saluant et j’ai compris qu’elle essayait de me rassurer, elle aussi. Merde alors, on faisait la paire. Ensuite elle est partie. Et moi je suis resté planté là, comme un con, à me demander comment on en était arrivé là et comment une fois de plus j’avais pu merder à ce point. Mais c’était peut-être mieux comme ça, au final. Rompre définitivement cette force exquise et troublante qui nous attirait l’un à l’autre. Eviter le cataclysme qui menaçait de nous tomber dessus si les choses allaient plus loin. Du moins, c’est ce que j’essayais de me raconter sans trop de convictions…
Quand je suis remonté dans l’appartement, il avait l’air encore plus pitoyable et vide que moi, si c’était possible. Et c’était moche à avoir. Je me suis appuyé contre le mur et j’ai fixé la porte, comme si allait s’ouvrir d’un moment à l’autre. Et c’est exactement ce qui s’est passé. Sauf que c’était pas ma belle Naïa de l’autre côté, mais Oscar, mon livreur de pizza. Dire que j’étais déçu serait un putain d’euphémisme. Il a dû le lire sur mon visage d’ailleurs parce qu’il m’a rapidement fait la réflexion.
- Bah cache ta joie !
- Merci mec.
J’ai payé, j’ai refermé la porte, j’ai jeté la pizza sur la table basse, je me suis allumé une cigarette et j’ai été m’affaler dans le canapé tape cul. Les yeux fixés sur la pochette surprise que Naïa avait ramené pour Leila quelques instants auparavant, je me suis dit qu’il fallait quand même être sacrément balaise pour foirer avec une telle expertise tous les trucs cool qui osaient s’aventurer dans ma vie.